Si vous souhaitez approfondir directement avec les textes de nos astronomes alexandrins :
- Aristarque, Traité sur les grandeurs et les distances du Soleil et de la Lune :
- Traduction anglaise de référence, dans Heath, Aristarchus of Samos, the Ancient Copernicus, 1913, texte et traduction du traité pp. 351-414
- Traduction française de [url=http://remacle.org/bloodwolf/erudits/aristarque/soleil.html]Fortia d’Urban, 1823. A première vue, pas mauvaise, mais sans texte en vis-à-vis.
- Fragments d’Eratosthène, un peu vieillot, mais je n'en connais pas de plus récent.
- Pour Hipparque, je ne connais qu’une édition de ses fragments géographiques, Edition Teubner 1869. Mais j’ignore si ses travaux astronomiques, disparus, ont été compilés. Apparemment non, il faudra donc se rabattre sur Ptolémée essentiellement.
A été cité plus haut aussi Philolaos, bien que non Alexandrin. Ses fragments sont édités par Diehls,
Die Fragmente der Vorsokratiker, T1 1903, p.233sq., texte et traduction allemande. Je ne sais pas si c’est toujours l’édition de référence, il me semble. Il aurait été traduit dans le volume des présocratiques de la Pléiade (si quelqu’un peut confirmer)
Alain a écrit :
Effectivement, pas trace de l'ouvrage d' Aristarque cité par Archimède d'une manière non équivoque sur la rotation de la terre et aussi par Plutarque qui connaissait sa théorie. Si Plutarque évoque la proposition, 400 ans après son énoncé, et sa contestation, il appert ainsi qu'elle était connue. Mais on coyait alors Aristote!
Disons qu'Aristote se montrait plus convainquant ; Aristote était beaucoup plus contesté dans l'Antiquité qu'au Moyen Age, même s'il fait déjà figure de référence.
L'œuvre est connue et appréciée, mais l’héliocentrisme n’est vraiment pas son élément le plus important. J’ai continué un peu ma collecte, je n’ai rien trouvé d’autre que les trois textes de Plutarque. La plupart des allusions à son travail (en particulier dans Vitruve), font référence à son traité conservé, très admiré, et ses observations sur la lune.
D'ailleurs,
Azur a écrit :
Pour le calcul de la distance Terre/Lune, c'est Hipparque au 2° siècle qui le premier trouva une valeur acceptable.
Observant des éclipses de Lune, il nota la durée du phénomène, c'est à dire le temps que mettait l'astre a traverser l'ombre de la terre. Il en conclut que le diamètre lunaire valait le tiers du diamètre terrestre (il vaut en réalité 0,27)
Ce résultat acquis il était possible de calculer la distance Terre/Lune, connaissant le diamètre de la terre, en utilisant les formules de trigonométrie.
Ce que tu dis là, c'est un résumé de... Aristarque. Tout cela avait déjà été exposé et calculé, et c'est lui qui a estimé le diamètre de la lune suite à l'observation des éclipses. Hipparque a simplement précisé certaines mesures, en particulier en bénéficiant des travaux d'Eratosthène qui avait correctement estimé le diamètre terrestre.
Pour l’anecdote : Plutarque nous signale qu’Aristarque s’est retrouvé suite à ses théories astronomiques sur la mobilité de la terre victime d’une accusation d’impiété, lancée par Cléanthe de Samos (le philosophe stoïcien, successeur de Zénon), «
pour avoir troublé le repos de Vesta et des dieux lares, protecteurs de l'univers, lorsqu'en raisonnant d'après les apparences, il supposait que le ciel était immobile, que la terre faisait une révolution oblique le long du zodiaque, et qu'outre cela elle tournait sur son axe. » (ὡς κινοῦντα τοῦ κόσμου τὴν ἑστίαν, ὅτι τὰ φαινόμενα σῴζειν ἁνὴρ ἐπειρᾶτο μένειν τὸν οὐρανὸν ὑποτιθέμενος, ἐξελίττεσθαι δὲ κατὰ λοξοῦ κύκλου τὴν γῆν, ἅμα καὶ περὶ τὸν αὑτῆς ἄξονα δινουμένην.) !! Et pourtant elle tourne !
C’est la traduction Bertolaud, fournie par Hodoi et Remacle, elle est très maladroite, mais je renonce à la corriger car je ne suis pas sur de la comprendre moi non plus.
En fait, cette référence au « cosmos d’Hestia » (étrangement traduit « le repos de Vesta ») est une allusion je crois au Pythagorisme et aux théories de Philolaos. En effet, ce dernier appelait Hestia le feu primordial qui brulait au centre du cosmos, et autour duquel gravitait les astres, aussi bien la terre que le soleil ; une espèce de super-système solaire (mais sans que cela implique que la Terre tourne autour du soleil, au contraire, puisque Hestia est toujours cachée aux yeux des hommes par ce dernier). Or, vu l’histoire complexe et parfois violente qu’à connue le pythagorisme (d'ailleurs Philolaos, après avoir échappé de peu à la mort quant il n'était qu'étudiant lors du massacre des Pythagoriciens de Métaponte, finit sa carrière exécuté pour avoir aspiré à la tyrannie...), j’ai l’impression que Cléanthe lance surtout une accusation de pythagorisme. Mais je ne connais pas les différents courants philosophiques et leurs histoires complexes, en particulier le Pythagorisme occidental, qui en a vu des vertes et des pas mures. Ce serait surement à creuser...
Toujours est-il qu’il est assez amusant (ou navrant, selon l'humeur) de constater qu’à 18 siècles d’intervalle, deux précurseurs affirmant que la terre tourne se sont retrouvés devant des tribunaux pour impiété !
Ce système de Philolaos est assez amusant d’ailleurs. Je renvois aux fragments de Diels précités. Platon avait suivi son enseignement, et de mauvaises langues disent même que son
Timée est un plagiat d’un ouvrage de Philolaos. L’Académicien le respectait beaucoup, il déboursa même une somme incroyable (mais variable selon les auteurs qui rapportent l’anecdote) pour acquérir trois de ses livres. D’après Théophraste, sur sa fin, Platon était revenu sur ses idées d’immobilité terrestre et s’était rallié aux théories du philosophe de Tarente, ou du moins misait sur une terre qui se mouvait dans l'univers.
Pour revenir sur l’école astronomique d’Alexandrie, j’ajouterai deux pistes qui n’ont pas été levées.
D’une part son rôle dans la popularisation du système zodiacale babyloniens. Certes, c’est Eudoxe de Cnide, puis Aratos de Soloi qui dans la seconde moitié du IVe lancèrent le mouvement, mais les Alexandrins l’appuyèrent de toute leur autorité (Hipparque et Eratosthène en particulier, qui commentent le poème d'Aratos). C’est en bonne partie grâce à eux que les douze signes du zodiaque ont connu un tel essor, et servent de référence jusqu’à nos jours. L’habillage hellène était certes un peu superficiel (pour le taureau ou le lion, ils trouvaient facilement des mythes grecs, par contre, pour le capricorne ou les poissons, par exemple, il fallait se montrer beaucoup plus imaginatif !
).
D’autre part, dans la suite de la remarque précédente, l’extraordinaire travail de synthèse de traditions astronomiques disparates, qu’elles soient grecque, chaldéenne ou égyptienne, synthèse à l’origine de cet incroyable développement de l’astronomie et de l'astrologie hellénistique. Un exemple de ce syncrétisme a été présenté il y a peu sur le forum, mais malheureusement de manière complètement fantaisiste (rattaché à l’Egypte des Ramsès… no comment.). Le «
disque de Chevroche », du milieu du IVe après, découvert en Gaule. «
La plaque hémisphérique percée en son centre d'un orifice est divisée en douze compartiments égaux, dans chacun desquels sont superposés trois mots en lettres grecques. Sur la ligne extérieure, figurent les douze mois égyptiens (thôt, phaophi, hâthyr, choiak...); sur la ligne médiane, les signes du zodiaque (Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire...) et sur la ligne intérieure, les douze mois romains du calendrier julien », le tout écrit en caractère grecs. Ce disque permettait d’établir des horoscopes (comme le mécanisme d'Anticythère, assez proche dans son principe), et cet outil est attesté dès le Ier (à Alexandrie, bien entendu). On y retrouve donc :
- Des mois égyptiens
- Un zodiaque d’origine chaldéenne
- Le calendrier romain
- Le tout enrobé par l'alphabet, l’ingéniosité et les mathématiques de la culture grecque
Ce n’est certes pas de la grande astronomie cosmique, mais c’est bel et bien issu également de l’école d’Alexandrie, et contrairement finalement au reste, leur astrologie a su toucher en profondeur et durablement toutes les couches de la société, et ce jusqu’au fin fond de la Nièvre.