Pour la chronologie du mythe des miroirs ardents :
La plus ancienne trace dont nous disposons est une allusion dans l'Hippias de Lucien, §2, à la fin du IIe : Mon but est de prouver que les constructeurs de machines qui méritent le plus notre admiration sont ceux qui, distingués par leur science théorique, ont laissé en outre à la postérité des monuments de leur art et des œuvres de leur génie, tandis que les hommes, qui se sont seulement exercés dans la parole méritent plutôt le nom de sophistes que celui de savants. C'est sur la liste traditionnelle de ces artistes que nous voyons figurer Archimède et Socrate de Cnide, qui inventèrent, l'un les moyens de soumettre à Ptolémée la ville de Memphis, sans recourir à un siège, mais en détournant et en divisant le cours du Nil ; l'autre, ceux d'incendier les galères des ennemis. Il est le premier à mentionner l'incendie des navires romains, ce que aucun des historiens précédent n'a fait, ni Polybe, ni Tite-Live, ni les sources de Plutarque ou celles des compilateurs de recueils de stratagèmes (Frontin, Polyen, etc.), des érudits comme Athénée ou Cicéron (fasciné par le personnage, il alla jusqu'à mener l'enquête pour retrouver sa tombe lors de son séjour en Sicile !), etc ; des architectes comme Vitruves, Héron, etc. et même un poète aussi fantasque que Silius Italicus ne mentionne pas cette merveille lors du siège de Syracuse ! Tous ces silences éloquents rendent cette rumeur particulièrement douteuse, et très tardive, isolée.
Il est donc est suivi ou précédé de peu par son contemporain Galien dans l'extrait donné plus haut. Galien ne parle pas explicitement de "miroirs ardents" mais de pyreion, "un truc pour allumer le feu", que ce soit deux bouts de bois, un briquet, ou autre. Mais le contexte ne laisse guère planer de doute. Or Galien signale expressément qu'il s'agit là d'une théorie personnelle ; ce serait donc lui qui le premier aurait créer le mythe, par déduction. Son raisonnement n'est pas idiot : à partir du moment où, à tort, Archimède est réputé avoir enflammé par un moyen ingénieux des navires, quelqu'un d'aussi cultivé que Galien ne peut que songer aux traités, perdus, d'Archimède sur les Miroirs (allusions dans Apulée, Apologie de Socrate : Pourquoi dans les miroirs plans les images apparaissent-elles vis-à-vis de l'observateur avec une parité presque identique ? pourquoi dans les miroirs convexes et sphériques sont-elles rapetissées ? pourquoi sont-elles, au contraire, agrandies dans les miroirs concaves ? Quand et pourquoi dans ces derniers ce qui était à droite se trouve-t-il transposé à gauche ? Dans quel cas l'image se forme-t-elle derrière le même miroir ? dans quel cas se reproduit-elle en avant ? Pourquoi les miroirs concaves, s'ils sont placés en face du soleil, enflamment-ils un corps combustible placé à leur foyer ? Comment se fait-il que souvent apparaissent dans les nuages des arcs de diverses couleurs, et deux soleils qui rivalisent de ressemblance ? Il existe encore en ce genre d'autres questions, qui font la matière d'un gros volume dans les oeuvres du Syracusain Archimède. Génie supérieur que celui-là, dont l'admirable sagacité s'étendait, il est vrai, à toute la géométrie, mais dont pourtant le principal titre peut-être à la célébrité est d'avoir assidûment consulté des miroirs !).
Il est possible que l'historien Dion Cassius, la génération suivante, ait évoqué ces miroirs placés explicitement dans le contexte du siège de Syracuse, puisque son abréviateur Zonaras (XIIe siècle) y fait référence en IX.424 et qu'il est mentionné par Tzetzès (Chiliade, II.119). Mais sans certitude, puisque Zonaras conte la même histoire de miroirs sept siècles plus tards, employés cette fois par Proclus au siège de Byzance par Vitalien... et que les contemporains décrivent en fait comme des machines lançant du souffre. Il est très probable que ces deux anecdotes, fausses, sont tirés d'une source commune et intégrée au récit général inspiré de Dion. Quant à Tzetzès, il n'attribue pas à Dion spécifiquement l'anecdote des miroirs ardents, mais cite Dion comme une source sur le siège de Syracuse en général, au côté de Diodore.
Mais l'étape principale qui assura la pérennité de la légende provient d'Anthémios de Tralles (mort en 534), un des plus grands mathématiciens et ingénieurs de son temps, architecte de la Basilique Sainte-Sophie (ce qui donne une haute idée de ses capacités ; il est mort au cours des travaux et d'autres achevèrent son ouvrage). S'il est assez peu connu de nos jours et ses travaux quasi tous perdu, son influence chez ses contemporains étaient très importante. Or lui s'est intérogé non pas tant sur la réalité de l'historiette, mais de manière théorique sur la manière dont Archimède aurait pu se débrouiller. On a conservé quelques fragments, y compris celui où il traite de ce problème : IIe problème Construire une machine capable d’incendier, à un lieu donné distant de la portée du trait (k), par le moyen des rayons solaires. Ce Problème paraît comme impossible, à s'en tenir à l'idée de ceux qui ont expliqué la méthode de construire ce qu'on appelle miroirs ardents, car nous voyons toujours que ces miroirs regardent le Soleil, quand l'inflammation est produite, de sorte que si le lieu donné n'est pas sur le même alignement que les rayons solaires, s'il incline d'un côté ou d'un autre, ou s'il est dans une direction opposée, il est impossible d'exécuter ce qu'on propose, par le moyen de ces miroirs ardents. D'ailleurs, la grandeur du miroir, laquelle doit être proportionnée à la distance où il s'agit de porter le feu au point d'incendier, nous force de reconnaître que la construction, telle qu'elle est exposée par les Anciens, est presque impraticable. Ainsi d'après les descriptions qu'on en a données, on a raison de croire que le Problème proposé est impossible, Néanmoins, comme on ne peut pas enlever à Archimède la gloire qui lui est due, puisqu'on s'accorde unanimement à dire qu'il brûla les vaisseaux ennemis par le moyen des rayons solaires, la raison nous force d'avouer que par ce moyen même, le Problème est possible. Pour nous, après avoir examiné la matière, après l'avoir considérée avec toute l'attention dont nous sommes capables, nous allons exposer la méthode que la théorie nous a fait découvrir, en faisant précéder quelques préliminaires nécessaires au sujet.
Solution du IIe problème Soit le miroir plan hexagone ΑΒΓΔΕΖ, & d'autres miroirs adjacents, semblables, hexagones, & attachés au premier suivant les lignes droites AB, ΒΓ, ΓΔ, ΔΕ, EZ par le plus petit diamètre (s), de manière qu'ils puissent se mouvoir sur ces lignes, au moyen de lames ou bandes appliquées qui les unissent & les collent les uns aux autres, ou à l'aide de ce qu'on appelle des charnières. Si donc nous faisons que ces miroirs d'alentour se trouvent dans le même plan que le miroir du milieu, il est clair que tous les rayons éprouveront une réflexion semblable & conforme à la position commune de toutes les parties de l’instrument. Mais si le miroir du milieu reliant comme immobile, nous inclinons sur lui avec intelligence, comme cela est facile, tous les autres miroirs qui l'entourent, il est évident que les rayons qui en réfléchiront, tendront vers le milieu de l'endroit où est dirigé le premier miroir. Répétons la même opération, & aux environs des miroirs dont nous avons parlé, plaçant d'autres miroirs pareils, dont ceux d'alentour peuvent s'incliner sur le central, rassemblons vers le même point les rayons qu'ils renvoient, de sorte que tous ces rayons réunis produisent l'inflammation dans le lieu donné. Mais cette inflammation se fera bien mieux si vous pouvez employer à cet effet quatre ou cinq de ces miroirs ardents, & même jusqu'au nombre de sept (t), & s'ils sont entre eux à une distance analogue à celle de la matière à brûler, de manière que les rayons qui en partent, se coupant mutuellement, puissent rendre l'inflammation plus considérable. Car si les miroirs sont dans un seul lieu, les rayons réfléchis se coupent selon des angles très aigus, de sorte que tout le lieu autour de l’axe étant échauffé………………………. l'inflammation ne se fait pas au seul point donné. On peut aussi à l’aide de la construction de ces mêmes miroirs plans, offusquer les yeux des ennemis, qui dans leur marche ne les apercevant point, tombent sur ceux qui les portent attachés au haut & en dedans de leurs boucliers. Ces derniers tournent à propos & dirigent la réflexion des rayons solaires vers un ennemi qui ne peut que difficilement se garantir de leur action, & la surmonter (u). Il est donc possible, par le moyen des miroirs ardents dont on a parlé, & dont on a décrit la construction, de porter l'inflammation à la distance donnée………………… Aussi ceux qui ont fait mention des miroirs construits par le divin Archimède, n'ont pas dit qu'il se fût servi d'un seul miroir ardent, mais de plusieurs; & je pense qu'il n'y a pas d'autre moyen de porter d'un lieu l'inflammation à une distance ……………….. Mais comme les Anciens, en traitant des miroirs ardents ordinaires, n'ont exposé que par un procédé organique de quelle manière il faut tracer les emboles, sans présenter à cet égard aucune démonstration géométrique, sans dire même que c'étaient des sections coniques, ni de quelle espèce, ni comment elles se formaient, nous allons essayer de donner quelques descriptions de pareils emboles, non sans démonstration, mais par des procédés géométriques & démontrés.
Cette description réaliste aura un grand retentissement, et sera colporté, abrégé par les Byzantins au Moyen-Age (Zonaras et Tzetzès déjà mentionnés, ainsi que parait-il Eustathe selon une note. Je dis parait-il car je n'en pas trouvé trace dans son commentaire à l'Iliade, ni à la référence donnée E.338, ni dans l'index). Je me contente de citer Tzetzès, de loin le plus dissert, dans son poème les Chiliades, II.119 sq. car il a l'avantage de citer ses sources : Lorsque la flotte de Marcellus fut à la portée de l'arc le vieillard (Archimède) fit approcher un miroir hexagone qu'il avait fabriqué. Il plaça, à une distance convenable de ce miroir, d'autres miroirs plus petits, qui étaient de la même espèce, et qui se mouvaient à l'aide de leurs charnières et de certaines lames quarrées de métal. Il posa ensuite son miroir au milieu des rayons solaires du midi d'été et d'hiver. Les rayons du soleil étant réfléchis par ce miroir, il s'alluma un horrible incendie dans les vaisseaux qui furent réduits en cendres, à une distance égale à celle de la portée de l'arc [... ] Dion et Diodore qui ont écrit l'histoire d'Archimède, et plusieurs autres en ont parlé, principalement Anthémius qui a écrit sur les prodiges de la mécanique ; Héron, Philon, Pappus et enfin tous ceux qui ont écrit sur les mécaniques : c'est dans leurs ouvrages que nous lisons l'histoire de l'embrasement occasionné par le miroir d'Archimède». Dion et Diodore ont disparus (je regrette en particulier la disparition de Diodore, qui annonce à plusieurs reprises, au livre I et au livre V, son projet de s'étendre sur Archimède par la suite...) mais rien ne permet de penser, y compris dans la tournure de Tzetzès, qu'il décrivait des miroirs. Anthémius a été cité plus haut, il apparait nettement que c'est lui qui inspire cette description, avec l'emploi de plusieurs miroirs qui semble être sa contribution personnelle. Mais sont cités trois ingénieurs archi-célèbres, Héron d'Alexandrie (Ier ap.) qui a beaucoup travaillé sur la catroptique, la réflexion des rayons lumineux, et les machines de guerres ; Philon de Byzance (IIIe ap.) qui a entre autre rédigés un traité sur les machines de guerre et plusieurs ouvrages de Poliorcétique ; enfin Pappus d'Alexandrie (début IVe ap), mathématicien, mais je ne vois pas trop dans quel contexte il aurait pu aborder ce sujet. Si Pappus et Philon ne sont pas une surprise (ils sont postérieurs à Galien), il est par contre étonnant que Héron d'Alexandrie soit mentionnés : un auteur aussi célèbre et aussi lu de ses contemporains aurait popularisé très vite cette légende, ce qui n'est pas le cas. Je présume que l'unique source de Tzétzès est Anthémius, qui lui-même se référait à ses illustres prédécesseurs sans que forcément, il les relie aux miroirs, mais d'une manière plus générale aux inventions d'Archimède lors de ce siège (ainsi justement Héron rend hommage aux travaux sur les machines de siège d'Archimède dans le Chiroblaste, §156, et surtout à plusieurs reprises dans son Traité sur la défense des places fortes, §17, 26 et surtout 69sq. où il décrit en détail sur plusieurs pages les diverses machines mise en place par Archimède pour repousser l'assaut naval des Romains : aucune mention des miroirs.)
Pour le feu grégeois, par contre, je ne peux aider : je ne dispose pas des sources byzantines et son utilisation n'est véritablement attestée sous cette forme qu'au VIIIe. Il existe des préparations souffrées/résinées/bitumées en Orient, en particulier en Cappadoce je crois lors des campagnes romaines du Ier av., mais je doute que ce soit du feu grégeois proprement dit... Je me demande s'il n'existe pas un sujet sur le forum traitant du feu grégeois. De même, je ne peux aider en donnant une bibliographie contemporaine sur ces "miroirs ardent" : je ne m'amuse qu'avec les sources et elles seules !
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