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Message Publié : 18 Sep 2010 19:05 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Bonjour à tous,
je vous soumets une petite synthèse de « l'apport » de Jean-Pierre Vernant à la thèse marxiste :
sujet passionnant qu'est la pertinence actuelle et antique de la théorie esclavagiste de Marx. Selon Karl Marx, l'Antiquité grecque est le cadre d'une lutte des classes entre la classe productive (esclaves) et la classe dominante (propriétaires fonciers). Sans pour autant nier le caractère opératoire de cette thèse, Jean-Pierre Vernant actualise cette dernière à la lumière des nouvelles recherches historiques. Tout d'abord, Marx fait une généralisation hâtive de l'Antiquité grecque. En effet, pour Vernant on peut parler de lutte des classes dans l'antiquité archaïque et dans le début de l'antiquité classique (jusqu'au IVe siècle avant Jésus-Christ). Avant l'essor extraordinaire des cités à partir du IVe siècle, la production économique se limitait grosso modo en une exploitation des terres agricoles. Certaines catégories de personnes exploitent donc d'autres catégories.
La population, demos, était quasiment exclusivement campagnarde. Il existait effectivement une population réduite à l'esclavage, mais, pourrait-on dire, à l'échelle humaine. En effet, il faut considérer le oikois (d'où le mot économie : oikois - nomos) une sorte de cellule comprenant la maison, son mobilier et esclaves. C'est une entité principalement foncière. Petit à petit, les propriétés foncières ont eu tendance à s'agglomérer pour, progressivement, en arriver à créer des petites cités. On commence à gérer ensemble l'intérêt commun, et mutualiser ce qu'on peut (défense, justice affaire sociales etc.).
Arrivé au tournant du quatrième siècle avant Jésus-Christ, une autre économie se crée l'économie chrématistique par laquelle trois phénomènes se font ressentir avec l'essor des cités par le biais de fusions de couples d'entités : campagnes - villes, citoyens - soldats et enfin, citoyens - terres.. Parallèlement, on constate un essor du commerce intra-muros et maritime, développement de la monnaie et concentration des richesses. Petite précision à apporter à la vision marxiste : ni à la classe des citoyens, ni la classe des esclaves n'est homogène ; il est donc un tantinet caricatural - mais pas fondamentalement faux, du moins avant l'époque ici traitée - de simplifier les relations interclasses ainsi. De plus, Marx voyait ces tensions par l'objectif politique. Or, avant la constitution des cités et même après, on ne peut parler de décisions étatiques. Les citoyens, commerçants, prêteurs métèques ou artisans sont bien différents les uns des autres, mais admettons qu'ils constituent une classe. Pour autant, les esclaves ne se concertent pas et sont tout aussi hétérogènes : quoi de commun entre un précepteur, ce un dirigeant d'une entreprise en l'absence de son maître et un esclave travaillant dans les mines : rien, on ne peut donc en aucun cas parler de classe pour eux, encore moins d'actions visant à déstabiliser l'ordre des choses. Seules quelques fuites collectives pour échapper à son destin.
Conclusion : le traitement de l'esclavagisme sous l'antiquité grecque de Marx est pertinent mais nécessite quelques ajustements tant au niveau diachronique qu'au niveau anthropologique. Seul le début de l'antiquité grecque peut plus ou moins admettre ce genre d'analyse et pour les raisons citées ci-dessus nécessite des ajustements typologiques.
Selon vous, que rajouter ?

_________________
et tout le reste n'est que littérature


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Message Publié : 18 Sep 2010 19:29 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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A partir du constat qu'il n'existe strictement aucune conscience de classe parmi les esclaves, qui n'ont jamais formé un ensemble et dont les comportements varient énormément selon leur richesse et leur statut (comme chez les libres), j'avoue ne pas trop voir avec toute la bonne volonté du monde ce qu'il a à sauver dans l'analyse de Marx appliquée à l'Antiquité grecque.


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Message Publié : 21 Sep 2010 23:09 
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Hérodote
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L'absence de conscience de classe ne me semble pas être un argument suffisant pour balayer l'hypothèse de la lutte de classe : Marx admet lui-même (je crois) que la conscience de classe, même au stade industriel, n'est présente que dans la minorité agissante du prolétariat.

En outre, que sait-on de la conscience des esclaves antiques ? Une chose est sûre, les libres les considéraient bel et bien comme un groupe cohérent réuni par leur statut d'esclave. Si les Athéniens, même dans la déroute, s'interdisaient d'armer les esclaves, n'était-ce pas parce que ceux-ci avaient conscience d'eux-mêmes ? Maintenant, il est exact que Spartacus n'avait pas lu Marx...

Marx connaissait mal l'antiquité et la généralisait trop sans doute, même si sa pensée était plus complexe que celle de ses successeurs qui ont glosé sans nuance sur les "4 stades".

Concernant l'esclavage, le marxisme me semble cependant avoir un mérite : proposer une explication - par les rapports de production - à l'existence générale dans l'Antiquité de ce type de domination. Parce que, si on refuse de voir dans l'esclavage un moyen de domination imposée par la "classe" des propriétaires, il faut peut-être l'expliquer par autre chose. Oui, mais quoi ?


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Message Publié : 22 Sep 2010 1:24 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Darbamont a écrit :
Parce que, si on refuse de voir dans l'esclavage un moyen de domination imposée par la "classe" des propriétaires, il faut peut-être l'expliquer par autre chose. Oui, mais quoi ?


Si c'était le cas, pourquoi ne pas avoir réduit en esclavage leurs concitoyens plus pauvres au lieu d'aller chercher des esclaves payants au loin ?

Plus généralement, la manipulation de l'histoire ancienne aux fins de servir des combats politiques ou idéologiques contemporain, ce n'est pas de l'histoire. Parler de lutte des classes dans l'Athènes antique relève de ce genre d'errement.

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 22 Sep 2010 16:09 
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Hérodote
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Inscription : 21 Sep 2010 13:35
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Huyustus a écrit :
Si c'était le cas, pourquoi ne pas avoir réduit en esclavage leurs concitoyens plus pauvres au lieu d'aller chercher des esclaves payants au loin ?


A ma connaissance, ils l'ont fait ! Cf l'esclavage pour dettes dont la levée par Solon à Athènes est le premier pas vers la démocratie...

Huyustus a écrit :
Plus généralement, la manipulation de l'histoire ancienne aux fins de servir des combats politiques ou idéologiques contemporain, ce n'est pas de l'histoire. Parler de lutte des classes dans l'Athènes antique relève de ce genre d'errement.


On ne peut pas réduire le marxisme, philosophie politique, au communisme. Marx tente de donner un système d'explication générale de la marche du monde sur la base de l'évolution des modes de production. Il y a beaucoup à redire sur sa théorie, notamment en ce qui concerne les périodes qu'il connaît mal, mais ce n'est pas la dictature puis l'effondrement de l'URSS qui suffisent à la disqualifier.
Et si l'on ne veut pas expliquer l'esclavage par des concepts économiques, il faudrait le remplacer par autre chose, quand même.


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Message Publié : 22 Sep 2010 17:38 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Marx assimile l’esclave au prolétariat, voulant absolument en faire exclusivement un instrument de production. C’est archi-faux : l’esclave est très loin d’être un outil de production : il offre un service, et ce service est extrêmement variable, d’où la désunion de ces esclaves dont les aspirations divergentes ont tendance à les dresser les uns contre les autres. De plus, la force de travail n’est en aucun cas réduite ou réservée aux esclaves, le travail n’est pas répartit en fonction du statut juridique mais de la formation de l’individu, libre ou esclave. Si tu faisais tes boutiques à Athènes, en achetant ta paire de sandalettes, tu serais incapable de reconnaître le statut de l’artisan, citoyen, métèque ou esclave.

Alors j’aimerai bien que les Marxistes du XXIe siècle qui jugent toujours ses analyses parfaitement intouchables m’expliquent ce qu’il y a en commun entre des esclaves publiques au service de l’état (scribes, police, etc.), un mineur du Laurion, un banquier qui officie au Propylée, un fabricant de vase qui vit seul dans son échoppe du Céramique avec femme et enfants, un pauvre type enchaîné au moulin, un contremaitre d’une exploitation agricole qui règne sur ses ouvriers et voit son maître une fois tous les trente-six du mois, un médecin, un pêcheur qui livre chaque jour une partie de sa pêche, un valet d’arme, une prostituée, et un pédagogue.

Puis qu’ils m’expliquent en quoi le métèque qui n’a rien trouvé d’autre que servir à Laurion, que l’Athénien sans un rond qui passe sa journée à traîner au soleil devant l’office des barbiers en attendant que quelqu’un lui propose un boulot, la maquerelle du Pirée qui prostitue ses filles pubères, le pecnot qui loue sa terre et ses outils à son cousin, la cohue des parasites le ventre creux qui guettent une bonne poire qui les invitera à dîner contre deux bons mots et une faveur, que l’Aitolien qui sert comme peltaste dans une armée miteuse au fin fond de la Bactriane, que le bronzier voisin de notre esclave potier qui loue son échoppe au même proprio et qui vit dans le même 15m² au milieu de ses outils, bref que tous ces pauvres bougres par contre ne sont en aucun cas des prolétaires et mais sont de gras capitalistes…

Le prolétariat est un concept économico-professionnel ; l’esclavage n’est pas un concept économique ; c’est un statut juridique, ou plutôt des statuts juridiques, très défavorable certes. Mais au sein de cet ensemble disparate, on retrouve une organisation socio-économique parallèle à celle des libres, avec ses hiérarchies, avec des classes moyennes, des privilégiés, des misérables. Tout comme les femmes ont aussi un autre statut juridique, et leur propre hiérarchie sociale. Idem pour les métèques. Et dans une cité comme Sparte, la situation sera encore plus confuse étant donné la multiplicité des statuts entre hommes libres et même entre esclaves-marchandise et hilotes…

La hiérarchie qui s’opère entre le maître et l’esclave existe bien entendu, mais au sein de l’économie domestique, non à l’échelle de la société en son ensemble : ce n’est pas l’ensemble des libres qui dominent l’ensemble des esclaves, mais des libres qui dominent leurs esclaves, libres eux-mêmes éventuellement dépendants d’autres libres, et esclaves eux-mêmes dépendants éventuellement d’autres esclaves.

Darbamont a écrit :
En outre, que sait-on de la conscience des esclaves antiques ? Une chose est sûre, les libres les considéraient bel et bien comme un groupe cohérent réuni par leur statut d'esclave. Si les Athéniens, même dans la déroute, s'interdisaient d'armer les esclaves, n'était-ce pas parce que ceux-ci avaient conscience d'eux-mêmes ? Maintenant, il est exact que Spartacus n'avait pas lu Marx...


Et c’est reparti pour un tour…. C’est sûr que ni on ne prend pas la peine de lire les antiques, on ne risque pas de savoir grand-chose…

D'abord, Spartacus, ce n’est pas en Grèce, où tu peux toujours t’accrocher pour y chercher des latifundia immenses peuplées de milliers d’esclaves aux mains d’un richissime maître absent. Ensuite j’aimerai bien qu’on me dise où Spartacus a remis en cause le principe de l’esclavage : lui et ses hommes se sont emparés manu militari de leur liberté, n’ont qu’une seule aspiration, trouver une terre où ils pourront vivre en hommes libres (avec leur propres esclaves…). Lors des grandes révoltes serviles siciliennes, dans ces éphémères royaumes serviles, les anciens esclaves se sont hâtés de réduire en esclavage leurs anciens maîtres, et de l’autre se sont cruellement acharnés sur les esclaves domestiques et les contremaitres… Sacré sentiment d’unité… Par contre, ils ont été rejoint pas tous les miséreux libres qui espéraient une part du gâteau et un nouveau départ. Bref, encore une fois, la répartition n’est pas liée au statut juridique, mais au statut économique.

Et pour les Grecs, comme j’en ai un peu marre de devoir sans cesse ânonner la même chose, avec les mêmes arguments et les mêmes exemples, voir entre autres :

Parler d’une classe servile prolétarienne est un postulat, faux, et comme par hasard, nos héritiers théoriciens demandent aux autres de démontrer son inexistence, plutôt que de démontrer la validité de leurs définitions, ou même simplement de chercher à les mettre à l'épreuve... Bref, de la pure rhétorique, une discussion sans matière, uniquement polémique… Sans intérêt...


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Message Publié : 22 Sep 2010 21:09 
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Hérodote
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1. Merci d'avoir répondu longuement à un commentaire "sans intérêt"
2. Inutile d'être agressif : je sais que Spartacus, c'est pas en Grèce que ça se passe et il m'arrive de fréquenter les textes antiques.
3. Je ne suis pas marxiste, je cherche au hasard d'une discussion que je n'ai pas initiée, à tester la validité de l'argumentation marxiste. Des historiens beaucoup plus capables que moi (mais moins que vous sans doute) continuent à défendre l'utilité des concepts marxistes.
4. En ce qui concerne les à-peu-près, dire que Marx assimile les esclaves à des prolétaires, c'est pour le moins réducteur. Les esclaves ne sont pas dans le même rapport au mode de production que les ouvriers dans la société industrielle, c'est évident (rapport au capital et aux machines).
5. Multiplier les exemples fort vivants, c'est bien beau et agréable à lire, mais ça ne rend pas plus solide une argumentation. A vous lire, grosso modo, il n'y a pas de réelle différence entre esclaves et libres : le statut n'est pas vraiment important et seules comptent les situations concrètes de vie. Mais êtes-vous bien sûr de cela ? L'esclave bien traité cesse-t-il d'être esclave, pour lui-même et pour les autres ? L'esclave le mieux traité est-il dans une position supérieure ou inférieure à celle du citoyen le moins bien traité ?
6. Si l'esclavage ne s'explique pas par des motivations économiques, quelle en est l'origine ? Et surtout pourquoi a-t-il subsisté s'il n'a pas d'intérêt ?
7.Le caractère non-révolutionnaire des esclaves de l'antiquité est évident et je n'ai jamais prétendu le contraire (à ma connaissance Marx non plus). Mais pour un esclave, se révolter ou tout simplement s'enfuir, n'est-ce pas à la fois essayer de changer de destin de façon individuelle et remettre en cause le système (pas de façon consciente évidemment) ? Quelle autre façon de revendiquer était à leur disposition ? Réclamer l'application des 35h après création d'un syndicat ? Echapper à son statut d'esclave, c'est aussi dire qu'il n'y a pas d'esclaves par nature et donc contester le statu-quo qui le permet.
8. Si le niveau médiocre de mes propos vous consterne, j'en suis désolé, et vous n'êtes pas obligé de me répondre. Je suis là pour discuter avec des passionnés d'histoire sur des sujets divers et variés, pas pour recevoir un cours ex-cathedra.


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Message Publié : 23 Sep 2010 2:29 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Le problème, Darbamont, c'est que Thersite vous a répondu, et que vous lui posez à nouveau les mêmes questions auxquelles il vient justement de répondre.

PS : quant aux "historiens qui continuent à défendre l'utilité des concepts marxistes", merci de les citer, pour ceux qui n'en connaissent pas et qui croyaient naïvement jusqu'à vous lire que cette grille d'analyse avait été abandonnée par les historiens depuis quelque temps déjà.

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Message Publié : 23 Sep 2010 9:03 
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Jules Michelet
Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Darbamont a écrit :
6. Si l'esclavage ne s'explique pas par des motivations économiques, quelle en est l'origine ? Et surtout pourquoi a-t-il subsisté s'il n'a pas d'intérêt ?


Faire une lecture uniquement économique de l'esclavage est une méprise courante. Si on le replace dans son contexte, comme il vous a déjà été répondu par Thersite, c'est un statut juridique, quelle que soit la civilisation que vous prenez. L'intérêt de l'esclavage, en plus de fournir une main d'œuvre est que cette main d'œuvre est contrôlée, stabilisée, et importée, dans une société où les personnes libres peuvent avoir une grande mobilité ou les dépendants peuvent manquer. Mais considérer un esclave domestique comme un dépendant économique est largement insuffisant. Et si on veut chercher un groupe "prolétarisé" dans la société grecque antique, il faut chercher plus large que le groupe des esclaves, chez l'ensemble des personnes en situation de dépendance économique vis-à-vis d'un propriétaire d'oikos ou d'une institution quelle qu'elle soit. Du reste tous les esclaves ne sont pas forcément dépendants économiques, dans de rares cas il y en a qui peuvent acquérir une indépendance économique accompagnant leur affranchissement (cf. Pasion ou Phromion).

Donc avoir une lecture esclavage = prolétariat est évidemment réductrice, la situation est plus complexe. Au fond, dans toutes ces histoire quant à l'utilisation du marxisme et de ses concepts, la chute de l'URSS on s'en fout (ou on devrait s'en foutre) : ce qui compte c'est qu'on a laissé tomber dans le milieu historique les grandes "théories de l'histoire", les systèmes de pensée cherchant à lire l'évolution de l'humanité suivant un paradigme comme la lutte des classes (ou chez d'autres le progrès, ou le déclin de la civilisation, etc.). Ce qui ne veut pas forcément dire que les concepts utilisés par Marx (et parfois mis au point avant lui par d'autres) soient inutilisables, il faut trier : exit la "lutte des classes" éternelle ou le "despotisme oriental" par exemple, qui sont des simplifications trop grossières. Simplement, quant on veut chercher un prolétariat dans une société autre que la société anglaise de la première industrialisation qu'observent Marx et Engels, il faut redéfinir le concept, l'affiner, pas l'employer de façon lapidaire et caricaturale, qui est la meilleure façon de donner du grain à moudre à ceux qui rejettent Marx à cause de ses principes politiques.


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Message Publié : 23 Sep 2010 10:21 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 20 Fév 2007 16:49
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J'ajoute mon grain de sel, espérant ajouter un tout petit peu de clarté au sujet

Darbamont a écrit :
5. Multiplier les exemples fort vivants, c'est bien beau et agréable à lire, mais ça ne rend pas plus solide une argumentation. A vous lire, grosso modo, il n'y a pas de réelle différence entre esclaves et libres : le statut n'est pas vraiment important et seules comptent les situations concrètes de vie. Mais êtes-vous bien sûr de cela ? L'esclave bien traité cesse-t-il d'être esclave, pour lui-même et pour les autres ? L'esclave le mieux traité est-il dans une position supérieure ou inférieure à celle du citoyen le moins bien traité ?

Oui :
    Il existait des citoyens romains ayant prêté le serment des gladiateurs (auctoratus), ce qui faisait d'eux des esclaves le temps du contrat.
    J'ai également relevé dans "L'homme romain" (d'Andrea Giardina) l'histoire (réelle ou fictive, mais dans tous les cas vraisemblable aux yeux de ses contemporains) d'un esclave public, équivalent à nos hauts fonctionnaires, retrouvé par sa mère (il aurait donc été exposé à la naissance et recueilli pour devenir esclave) grâce à une tâche de naissance et... renier cette dernière : sa vie étant plus agréable que celle d'un citoyen pauvre.
    Enfin, un esclave revendu et travaillant au même type de poste aurait fait attendre son ancien maître venu présenter une requête, en représailles du mauvais traitement passé : cela montre sa supériorité sur un homme libre

_________________
--

Sistimus hic tandem, nobis ubi defuit orbis!
In culum tuum vidisti?


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Message Publié : 23 Sep 2010 10:32 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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L'esclavage à Rome est en effet autant hiérarchisé que la société elle-même ; comme vous le précisez certains gestionnaires domestiques des fond impériaux ont un pouvoir que la plupart des citoyens ne pourront même rêver. De la même façon de grands enseignants, souvent grec, sont acheté par des aristocrates afin de donner une bonne éducation à leurs enfants ; certains de ces hommes valaient semble-t-il plus qu'un domaine... Autant dire que de manière rationnelle on préserve l'investissement. Sans aller jusque là, les esclaves vivaient dans la proximité de leurs maitres et de grandes amitiés pouvaient être tissées comme celle de Cicéron et de Tiro. Ce n'est pas pour rien non plus que souvent les esclaves étaient libérés par testament dans ce cas de figure.
Ici également, être affranchi donne un statut particulier, surtout si on était auparavant au service d'un maitre très riche, ou mieux, au service de l'Etat romain. Un nombre élevé de poste de la haute administration leur était réservé sous le Haut Empire surtout (la période suivante voit un retour des aristocrates) car leurs liens de fidélité avec leur libérateur était très solide.

_________________
Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 23 Sep 2010 23:58 
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Hérodote
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@ Zunkir : parfaitement d'accord avec ce que vous écrivez dans la seconde partie de votre message.

Bon, je vais faire court parce qu'on commence à tourner en rond. Je n'ai rien à redire aux arguments sur la nécessité de prendre en compte la diversité des situations de vie des esclaves (et je n'ai jamais pensé qu'ils étaient tous courbés sous le fouet). Simplement l'insistance à évacuer l'économique, à ne faire de l'esclavage qu'un statut juridique, finalement comme les autres, me gêne.
Je laisse la parole sur ce point à Claude Nicolet dont on croirait, dans ce texte que je viens juste de trouver, qu'il parle de notre discussion.

"Des historiens, principalement anglosaxons, et souvent marxistes « repentis », s’attachèrent à réfuter, sous presque tous ses aspects, la vulgate marxiste : les esclaves n’étaient plus « une classe » ; ils n’étaient pas seulement une main-d’oeuvre, un instrument de production. Trouvant, à juste titre, l’analyse en somme purement économique insuffisante, ils s’ingénièrent, dans une approche sociologique ou même anthropologique, à faire en quelque sorte éclater le concept — et la réalité — de l’esclavage. Ils distinguent les « esclaves-marchandise » des « esclaves-sujets » ; ils trouvèrent dans la multiplication des esclaves romains comme une « société parallèle » à celles des libres, dans celle des esclaves impériaux comme un succedané de service public. A ce prix, il faut bien admettre qu’ils perdirent un peu de vue les horreurs de la contrainte pure, l’insoutenable originalité d’une institution qui niait l’homme dans l’homme. A trop insister sur les différences (indéniables) dans le statut et les conditions d’existence des différentes catégories d’esclaves, ils oublient la précarité de ces distinctions, que l’affranchissement luimême ne pouvait abolir que très partiellement et difficilement. A force d’être éclaté, l’esclavage, au demeurant trop divers pour être identifiable, n’explique plus rien."

Claude NICOLET, Henri Wallon : de l'esclavage antique à l'esclavage moderne, Académie des Sciences morales et politiques, 2004.
consultable ici :
http://www.asmp.fr/travaux/exceptionnel ... wallon.pdf

cordialement :P
DBMT


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Message Publié : 24 Sep 2010 2:07 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Incroyable… l’art de faire de Nicolet un marxiste en isolant un passage et en voulant lui faire dire ce qui l’arrange….

Nicolet, dans ce passage historiographique, valide les critiques posées à l'encontre des thèses marxistes mais mets en garde contre une réaction qui, en mettant en valeur les cas, en divisant l’esclavage en une multitude d’études séparées, perd de vue l’ensemble du phénomène, au risque de masquer la violence du phénomène et la précarité du statut des groupes mis en avant. D’où la place de ce passage dans la conclusion de son hommage à Wallon, qui avait une perspective englobante de l’esclavage à travers le temps et les civilisations. Ni Wallon ni Nicolet ne sont marxistes ou défendent les postulats (indéfendables) de Marx, mais l’un et l’autre encouragent le recul et de conserver une vision globale de l’esclavage.

Effectivement très proche de ce qui s’est passé en quelques messages ici : face à une foi aveugle en un postulat simplificateur et faux, la réaction a été de mettre en valeur les cas qui invalident cette soi-disante « classe » prolétarienne ; du coup, plus personne ne parle des cas dures, même si tout le monde y songe en sous-jacent, mais sans développer puisqu’il s’agit justement de la généralisation marxiste. Nicolet nous rappelle simplement de ne pas les oublier et qu’il convient de remettre chaque groupe à sa place, numériquement et socialement, afin de ne pas perdre de vue l'ensemble du phénomènes en s'enfermant dans cas de plus en plus difficilement définissables et identifiables (que ce soit le misérabilisme marxisme ou le relativisme exacerbé de la réaction). C’est tout.

Sauf que Darbamont en déduit, très satisfait, « A vous lire, grosso modo, il n'y a pas de réelle différence entre esclaves et libres », « le statut n'est pas vraiment important et seules comptent les situations concrètes de vie. », « pourquoi a-t-il subsisté s'il n'a pas d'intérêt ? ». Alors qu’il n’y a que lui à affirmer ça…

La thèse marxiste postule une classe purement économique. La réaction démontre que ce n’est pas une classe économique mais un statut juridique. Et par un tour de passe-passe, Darbamont nous reproche de ne parler que d’économie et de nier (dit-il) la différence du statut juridique !... Déviant ainsi avec un art consommé de la manipulation de la question originelle de la validité du postulat marxiste, économique…


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Message Publié : 24 Sep 2010 10:11 
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Jules Michelet
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C'est vrai qu'on s'y perd ... Encore l'éternel dilemme : chercher à s'approcher d'une réponse satisfaisante, ou bien simplement à avoir raison ?

Du reste, il faut peut-être rappeler l'importance du statut juridique dans les sociétés antiques : on ne fait pas partie du corps des citoyens, on est soumis à des règles plus dures, aux volontés du maître (même si c'est souvent moins pire qu'on le pense, ça reste un maître), souvent ce statut dérive d'une guerre et d'une déportation pure et simple. Donc pas un terreau pour créer une "conscience de classe" au sein des prolétaires d'une cité grecque (qui ne sont qu'un artifice d'historien moderne, bien utile mais dont on ne doit pas forcément chercher la perception chez les gens qui l'ont vécu) ; ou même parmi des esclaves qui sont trop divers par leurs fonctions, trop dispersés, provenant d'horizons différents, et qui ont des ambitions probablement "égoïstes" (affranchissement ou fuite) quand ils peuvent se permettre d'en avoir.


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Message Publié : 24 Sep 2010 15:28 
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Localisation : Caesarodunum
Pour aller dans le sens de Zunkir, il me semble que les sociétés antiques sont par essence profondément inégalitaires, et que l'importance du statut juridique se ressent au sens où elle formalise une domination, qui n'a pas besoin d'être économique puisqu'elle est naturelle ; on n'asservit pas (au sens propre) pour faire tourner l'économie, mais parce que la constitution des sociétés antiques et le droit (de la guerre, de la propriété...) justifient et impliquent le recours à des esclaves. Baser les causes de l'esclavage antique sur l'économie, c'est à mon avis surestimer grandement les connaissances et l'intérêt des Anciens pour le raisonnement économique.

Partant de là, même la présence en masse d'esclaves dans les grands latifundia italiens est plus un effet collatéral de cette conception de l'homme et de la propriété que le fruit d'une motivation proprement économique. Dans ce cas précis, le bon sens des propriétaires fonciers peut prendre le relai : il leur apparaît plus intéressant de mettre au travail leurs esclaves plutôt que des libres journaliers (d'où la question sociale que l'on connaît en Italie). Mais alors ils ne font que profiter d'un système préexistant, car dans le droit comme dans les faits, le même travail peut être assumé par des hommes libres. Le clivage déterminant, d'un point de vue économique, est donc l'accès à la propriété, pas la condition libre/servile, l'un et l'autre ne se recoupant pas systématiquement.

Il y a donc peu à voir avec le prolétariat mis en avant par Marx et Engels dans l'Angleterre de leur époque.


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