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Message Publié : 23 Oct 2010 14:58 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 03 Mai 2009 15:31
Message(s) : 16
Bien le bonjour,

On se demande souvent comment les textes antiques parlant, ici et là, de Dieux de la mythologie gréco-latine, des rites aux cultes à mystère peu orthodoxes et d'étranges reliques donnant aux hommes des pouvoirs inimaginables aient pu traverser les âges chrétiens jusqu'à nos jours ! A ce propos, au-delà du travail des moines copistes au sein des "scriptorium" du moyen-âge, on se demandait pourquoi l'Église avait autorisé une certaine continuité et une mémorisation des anciens...

Évhémère, auteur (mythographe grec) fondamentalement athée du IVe av.J-C, a-t-il été le sauveur de tout cet héritage, alors que ce dernier créait pourtant la polémique en son temps et à la lumière de sa théorie ? Dans son roman, l'évhémérisme, il réduit la taille des Dieux à de simples humains (supérieurs en partie) divinisés après leur mort. De fait, les Olympiens ont été d'anciens rois et reines qui ont créé un mythe pour l'hellénisme triomphant (bien qu'historiquement, c'est très peu probable).
Paradoxalement, il est connu que les chrétiens vivants dans l'Empire romain se sont servis de son approche pour asseoir la future dominance chrétienne et contredire ainsi la légitimité des croyances païennes. Et que les successeurs ont ainsi conservé cette masse culturelle qui, dispersée entre l'Orient et l'oubli, a fini par ressurgir à la Renaissance italienne (et un peu avant en étant précis, un auteur de Constantinople, dont j'ai oublié le nom, en fait également mention).

A-t-on d'autres sources qui expliqueraient la conservation de ces mythes et rites anciens ?
Évhémère a eu réellement un poids non-négligeable dans cette entreprise ?


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Message Publié : 23 Oct 2010 22:03 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
Message(s) : 2289
Je ne comprends pas le lien que tu tentes d'établir entre Evhémère et la conservation des mythes. Evhémère n'a rien conservé du tout, il est perdu, mis à part quelques rares fragments, en particulier latins par l'intermédiaire de sa traduction par Ennius qui a beaucoup fait pour sa popularisation précoce dans le monde latin, dont beaucoup sont à prendre avec des pincettes puisque justement transmis par les pères de l'Eglise qui l'ont instrumentalisé, déformé, caricaturé et présenté au sens propre alors qu'il s'agit d'une aimable parodie, pas très sérieuse... surtout qu'une partie de ces hommes qui le brandissent ne l'ont pas lu, mais se servent de la présentation caricaturée de leurs prédécesseurs qu'ils abrègent et déforment à leur tour. Bref, il ne nous reste quasi rien de lui, comment lui attribuer un rôle dans la conservation de quoi que ce soit ?
Ensuite, son roman ("L'Histoire Sacrée") n'est justement pas une compilation de mythes, mais un conte philosophique original, créatif, qui renouvelle l'approche de la mythologie. Il est donc à contre courant des mythes, qu'il ne transmettait donc pas : il en créait de nouveau.

L'essentiel des mythes a surtout été conservé par l'intermédiaire des poètes (épiques, tragiques, élégiaques), recopiés pour leurs qualités artistiques, mais dont une large part de l'inspiration est issue de la mythologie dite classique.

Si quelqu'un souhaite lire les fragments et testimonia d'Evhémère, je renvoie à Marcus Winiarczyk, Euhemeri Messenii reliquiae, Teubner, Stuttgart, 1991.

Par contre, pour trouver une édition de fragments en ligne, bon courage...
F.W.A. Mullach, Fragmenta philosophorum graecorum, T2, Didot 1881, p.431-438 http://www.archive.org/details/fragmentaphiloso02mulluoft en sélectionne un petit nombre, avec une petite intro pour les testimonia, mais c'est franchement mauvais, très très très partiel. Mais pour les textes grecs, il est le seul sur lequel j'ai pu mettre la main.
Pour les fragments latins, nous avons un peu plus de choix, grâce aux abondantes éditions des fragments d'Ennius. Je renvoie en particulier en dernier lieu à E.H. Warmington, Remains of old Latin, T1 Loeb 1935 http://www.archive.org/details/remainsofoldlati01warmuoft texte et traduction anglaise.
Tout cela reste très insatisfaisant. Je recherche désespérément l'édition de Geyza Némethy, Euhemeri reliquiae, Kjadja a Magyar Tudományos Akadémia, Budapest, 1889, qui devrait être la meilleure édition disponible en ligne. Malheureusement, apparemment, aucune bibliothèque n'a encore eu la riche idée de le numériser, contrairement à ses autres éditions de sources... Si quelqu'un le déniche, qu'il me fasse signe, il me rendrait bien service.


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Message Publié : 25 Oct 2010 22:16 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 03 Mai 2009 15:31
Message(s) : 16
Thersite > Merci pour ta réponse rapide et complète. Tu excuseras ma lenteur pour te répondre.

Alors, d'abord, je ne cherche pas à faire un lien précis entre Évhémère et la conservation des mythes. Je pense m'être mal exprimé en fait : Au-delà de ses écrits qui n'ont pas réellement eu un impact sur ces contemporains (du moins, rien qui puisse y être noté significativement), je partais du principe que cette théorie de la mythologie grecque d'Evhémère, reprise ensuite par les pères de l'Église, à travers le philosophe Sextus Empiricus pour ne citer que lui, a justement permis sa conservation ! Il n'était pas rare de voir des écrits brûlés et mis à l'index, et ce bien avant l'apparition effective des autodafés de l'Inquisition en tant qu'institution contrôlée, et c'est justement grâce à la remise en question des Dieux de la mythologie sous une forme terrestre que l'Église a été, disons, plus tolérante aux conservations des mythes. Comme tu le dis, il en était presque parodié. Ce qui a permis aux copistes du moyen-âge, en autres, de les recopier pieusement sans entrave (tout en raccommodant, ce n'était pas rare, et même de les modifier par moment). Mais conservation il y a eu !

Je vois le travail d'Évhémère comme un long processus de sauvegarde, un début du moins, même si on peut aisément supputer sur le fait que les théories platoniciennes ou encore celles connues de Xenophane (pionnier dans un sens du Dieu unique) et notamment d'Aristote, tous ceux-là et bien d'autres, ont été d'un recours immense pour que l'Église accepte la "culture" paganiste et l'étudie qui plus est.

Et je me rejoins à toi pour la recherche de documents, ça ne peut que servir !


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Message Publié : 25 Oct 2010 23:33 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
Message(s) : 2289
C'est l'avantage du forum par rapport à un "tchat" : il n'y a aucune contrainte de temps, donc inutile de t'excuser. Il est même souvent souhaitable de prendre son temps, pour laisser les idées mûrir et se mettre en place (mais j'ai un peu de mal à ce niveau, préférant par facilité les réactions à chaud, quitte à amender ma copie plus tard :mrgreen: )

Je crois comprendre ce que tu veux dire : en désacralisant la personne divine, en rabaissant les dieux à l'état de héros et de rois mortels simplement honorés par les hommes, les pères de l'Eglise ont en quelque sorte coupé l'herbe sous les pieds des fanatiques qui auraient souhaités détruire toute trace des "idoles" ; si ce ne sont que des hommes, il n'y a plus de péril, et même d'une certaine manière, leur mémoire doit être entretenue car ce furent de grands hommes, de grands souverains, un peu comme des Minos ou Sémiramis.
Mais dans cette optique, ce n'est pas Evhémère qu'il faut observer, mais l'évolution de l'évhémérisme chrétien à l'époque médiévale, car sous l'Antiquité d'une part les chrétiens n'ont pas la puissance démographique suffisante pour étouffer les autres, d'autre part les prélats sont loin d'avoir la main-mise sur la culture, y compris aux V-VIe. Donc il y a peut-être quelque chose à creuser du côté du Moyen-Age. Peut-être plutôt poster cette problématique du côté de l'Histoire des Idées ou de l'Histoire des Religions (où existe déjà un ou deux sujets consacrés à l'évhémérisme, je ne sais pas si ce thème est déjà abordé).

La problématique d'Evhémère est tout de même très différente :
  • d'abord, on l'oublie trop souvent, il écrit pour divertir ses lecteurs. Ces utopies basées sur des voyages imaginaires ont vraiment la cote à cette époque, et une des règles du genre est de soigner la mise en scène "réaliste". Un érudit un peu couillon sur les bords comme Diodore par exemple n'y a vu que du feu, convaincu que l'île de Panchée, ses peuples, ses villes et la fameuse "inscription sacrée" décrite par Evhémère existent réellement, au large de l'Arabie Heureuse ! Il s'inscrit vraiment dans un courant littéraire très fécond à cette époque (son exact contemporain Antoine Diogène par exemple fait voyager ses héros, un peu philosophes sur les bords, au septentrion parmi les terres nouvellement découvertes par Pythéas ; ou Jamboulos, qui voyage au sud cette fois, etc on peut même ajouter Platon avec son Atlantide, encore une île utopique aux confins de l'univers, à l'occident; la seule différence est qu'il introduit une distance temporelle supplémentaire par rapport aux suivants qui s'intègrent sur la scène contemporaine, en profitant de toute les connaissances nouvellement acquises sur les limites de œkoumène). L'originalité, le coup de maître pour ainsi dire, d'Evhémère, est qu'il se met en scène personnellement, et présente sa fiction comme une aventure vécue, un témoignage.
  • ensuite, il s'agit d'un courtisan de Cassandre. En faisant des dieux des hommes, il ne vise pas tant à rabaisser Zeus qu'à élever son prince : à l'instar d'Alexandre et dans le plus grande tradition orientale, les Diadoques caressent l'ambition de se faire diviniser. Si les dieux ne sont que des hommes, alors les hommes peuvent être dieux. Il s'agit donc de préparer les esprits des greco-macédoniens à une éventuelle future apothéose de Cassandre.

Au delà de ces buts, il est vrai toutefois qu'il s'inspire aussi de sa formation philosophique, entre autres de certaines sectes cyrénaïques qui ont développés pendant tout le IVe des systèmes athées ; il est loin d'être seul à cette date, en particulier du côté des pythagoriciens, d'où son succès en Occident porté par Ennius. Mais c'est un aspect que je n'ai pas beaucoup creusé (l'histoire de l'athéisme m'intéresse peu, mais j'affectionne d'étudier les mythes sur le temps long, leur évolution au gré des siècles et du contexte).
De même, il s'inscrit dans cette vague de rationalisation des mythes qui fleurira surtout à l'époque hellénistique ; simplement, il accentue le processus, va plus loin que les autres en s'en prenant aux dieux eux-mêmes, et non simplement aux mythes.

Par rapport à la viabilité des sources chrétiennes le concernant : une de nos sources de très loin les plus disserte, qui en cite textuellement de longs passages, est Lactance, donc fin IIIe-début IVe. C'est le seul dont on soit sûr qu'il ait lu ce qu'il prenait pour Evhémère. Or il ne s'agit pas du roman d'Evhémère, mais d'un abrégé en prose de la traduction latin en vers d'Ennius. Rien que pour lui, il y a donc eu au moins deux intermédiaires, qui ont pu modifier sensiblement le texte, traduit, versifié, et enfin abrégé, surtout qu'Ennius, pythagoricien, a pu aussi y intégrer ses propres opinions, ou développer davantage celles-ci.
Et les autres ? Aucun n'est capable de citer un seul passage d'Evhémère ou même d'Ennius. Ils se contentent de vagues allusions, écho de lectures pas forcément profanes (dans le désordre, Arnobe, Augustin (qui semble le connaître surtout par l'intermédiaire de Cicéron, ou d'un grammairien commentateur de Cicéron), Clément d'Alexandrie, Eusèbe qui ne le connait que par Diodore et Callimaque, ou Théophile d'Antioche). Ceci dit, globalement, les auteurs chrétiens antiques ne l'ont pas tant que ça utilisé: ils sont tout de même peu nombreux, et très peu dissert en dehors de Lactance.
Encore une fois, je suppose qu'il faut chercher dans les siècles suivant des auteurs chrétiens qui s'appuient vraiment sur lui; mais je n'y connais rien. Dans tous les cas, ils ne disposaient d'or et déjà de plus aucune matière directe, apparemment aucun auteur postérieur au VIe ne transmet quelque chose de nouveau, en dehors d'Eustathe mais qui compile des gloses antérieures. Evhémère est plus un fantasme qu'autre chose...


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