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Message Publié : 22 Juin 2004 13:45 
Selon Plutarque (Mulierum Virtules, 4) sous la conduite de la poétesse Télésilla, les femmes d'Argos (après la mort de nombreux hommes de la ville) prirent les armes et repoussèrent l'invasion du roi de Sparte Cléomène (vers 494). Les argiens reconnaissants élèverent à Télésilla sa statue devant le temple d'Aphrodite.
Quelqu'un a t-il des renseignements sur d'autres sources hormis Putarque qui auraient décrits cette histoire ou si le sujet a fait l'objet d'essai ou de romans contemporains ? D'avance merci.


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 Sujet du message : Télésilla
Message Publié : 28 Juin 2004 8:08 
L'ouvrage de Yves Basttistini, "poétesses grecques" donne quelques éléments biographiques la concernant ainsi que les rares vers qui nous soient parvenues. C'est bien d'une véritable héroïne dont il s'agit, une sorte de Jeanne d'Arc de la Grèce antique, le talent artistique en plus. Pas de roman à son sujet à ma connaissance mais sa vie serait digne d'en faire le sujet d'un bon roman historique.
Au delà de Télésilla, on peut se demander les raisons qui font que si peu d'oeuvres des poétesses grecques ne soient parvenues jusqu'à nous. Elles ont en tout cas bien moins bien traversées les siècles que leurs homologues maculins. Peut-être, l'ère chrétienne leur a été fatale : autodafé de leurs oeuvres. Un père de l'Eglise n'a t-il pas dit concernant la grande poétesse Sappho qu'elle n'était qu' "une putain érotomane chantant ses débauches". Charmant n'est ce pas ?


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 Sujet du message : Télésilla d'Argos
Message Publié : 08 Déc 2004 13:44 
Bonjour,

J'ai écris une nouvelle relative à l'histoire de cette poètesse grecque. Elle est consultable sur mon site web si cela vous intéresse (Télésilla dans la rubrique "mes nouvelles").
http://arbre-de-minerve.chez.tiscali.fr


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Message Publié : 28 Sep 2010 8:38 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
Message(s) : 2289
Pour avoir une petite idée de son œuvre, je renvoie à J.M. Edmonds, Lyra Graeca, T2, Loeb, 1924, p.236-245, Testimonia et fragments non commentés, en particulier pour les éléments biographiques dont la plupart sont à prendre avec des pincettes, j’y reviens plus bas. Ce n’est plus l’édition de référence, mais je doute que l’épigraphie ou les manuscrits aient considérablement enrichis le corpus… En tout et pour tout, deux malheureux vers, et quelques allusions.

Au cas où certains sont intéressés, je présente ces quelques fragments, dans leur traduction d’Edmonds ou dans diverses traductions françaises quand j'en ai sous la main:

Fgt.1 : Hephestion, Handbook of metre, 67 :
On the Iconium a maiore] : A notable example of the Ionic is the two-and-a half foot line used by Telesilla : « Here Artemis, O maidens, fleeing from Alpheus »

Fgt.2 : Athénée, Deipnosophistes, XIV.619b :
(Sur ne nom des chansons) Apollon avait pour lui la Philélias, selon Telesilla.

Fgt.3 : Pausanias, Description de la Grèce, II.35.2 :
Là (à Hermioné) sont aussi trois temples et trois statues d'Apollon ; le premier n'a point de surnom ; on donne au second celui de Pythaeos ; et celui d'Horios au troisième. Les Hermionéens ont appris des Argiens le surnom de Pythaeos, car Télésilla dit que les Argiens furent les premiers que visita Pythaeos, fils d'Apollon .

Fgt.4 : Pausanias, Description de la Grèce, II.28.2 :
(A Epidaure) On voit sur le sommet de la montagne le temple d'Artémis Coryphaia dont Télésilla parle dans ses vers.

Fgt.5 : Apollodore, Bibliothèque, III.5.5 :
(Sur les Niobides) Parmi les garçons, seul Amphion se sauva, et parmi les filles, seule Chloris, l'aînée, qui épousa Nélée. Télésilla, pour sa part, déclare qu'Amyclas et Méliboia se sauvèrent et qu'Amphion fut tué par eux [les dieux] .

Fgt.6 : Hésychius, s.v. beltiôtas :
The better sort, used for beltious by Telesilla.

Fgt.7 : Athénée, Deipnosophistes, XI.467f :
(Au sujet d’une coupe appelée deinos) Télésilla l'Argienne appelle aussi dinos (le rond) l'aire d'une grange.

Fgt.8 : Pollux, Onomastikon, II.223 :
(Sur les cheveux) . . . . and in Pherecrates « curly-pate » ; compare Telesilla’s « curly-locks ».

Fgt.9 : Scholies à l’Odyssée, XIII.289 :
[‘And in form Athene was like to a tall and beautiful woman’] : By this means he conveys to us the comeliness and modesty of her demeanour (?), just as Xenophon portrays Manly Refinement, and Telesilla of Argos Virtue.

Difficile d’en tirer des conclusions… Elle chante Artémis, elle chante Apollon, et à première vue, elle est particulièrement spécialisée dans les chants de mariage, puisque le mètre qu’elle utilise semble utilisé dans ce contexte, d’autant qu’elle s’adresse à de jeunes filles (korai, ô maidens). Elle peut sans doute être rapprochée à ce titre de Sappho à Lesbos, dans son rôle de préparation des jeunes filles au mariage (relation que je compare pour ma part de celle des érastes/éromènes masculins). Enfin bref, pas grand-chose à déduire de ces miettes…


Pour sa vie (réelle j’entends, pas la légende tardive), très peu de renseignements ; même ses dates approximatives nagent dans le flou… D’abord, signalons qu’aucun auteur ne fait référence à elle avant Antipater de Thessalonique, un épigrammatiste contemporain d’Auguste, qui cite pour la première fois Télésilla, parmi les neuf poétesses lyriques
Anthologie Palatine, IX.26 :
L'Hélicon et la montage de Piérie en Macédoine ont nourri d'hymnes et de chants ces femmes aux voix divines, Praxilla, Myro, l'éloquente Anyté, et l'Homère de son sexe, Sappho, la gloire et l'ornement de Lesbos aux belles femmes, Erinna, la glorieuse Télésilla, et toi, Corinna, qui as chanté le bouclier de la belliqueuse Athéna, Nossis aux accents efféminés, Myrtis dont les chants sont si doux, toutes ayant composé des pages immortelles. Le ciel a les neuf Muses ; mais la terre a produit ces neuf femmes pour les éternels délices des mortels.
Plusieurs de ces femmes sont quasi inconnues ; et comme l’ordre n’est pas chronologique, on ne peut rien en tirer d’un point de vue biographique.
Seul Plutarque apporte quelques éléments (Actions courageuses des femmes, 245c-e) : On dit que celle-ci, qui était d'une noble famille, mais malade physiquement, fît interroger le dieu sur sa santé : il lui répondit de cultiver les Muses. Elle suivit le conseil du Dieu et s'adonna à la poésie et à la musique ; débarrassée rapidement de son mal, elle fut admirée par les femmes pour son art. Je ne pense pas que ce passage remonte à Socratès d’Argos, comme la suite, mais d’une autre source, peut-être même plus delphienne qu’Argienne, étant donné le lien intime établit entre elle et Apollon, en tant que dieu oraculaire mais aussi en tant que dieu des arts et de la poésie ; or Plutarque était prêtre d’Apollon à Delphes. Néanmoins, les fragments conservés, et tout particulièrement le Fgt 2 établissent un lien fort dans son œuvre même entre la poétesse et le dieu Pythien. A remarquer qu’on retrouve ici également son public de prédilection : « admirée par les femmes pour son art » ; à remarquer également, que contrairement à la suite du récit de Plutarque, il n’est pas question de ses qualités martiale, argument qui me fait également songer à une source différente ; Plutarque complète ici par une précision personnelle un récit tiré dans son ensemble de Socrate.

Quant à ses dates, deux traditions s’affrontent. La première tradition est celle des chronographes, à savoir Eusèbe (fin III/début IVe ap.) : 4e année de la 82e Olympiade : à cette époque fleurissait le poète comique Cratès et Télésilla. La date de Cratès est exacte, je ne vois pas vraiment de raison de repousser celle de Télésilla, d’autant que ce parallèle a pu être déduit par les exégètes des fragments de l’un ou l’autre auteur. De plus, Eusèbe est l’héritier des chronographes alexandrins, et suit ainsi vraisemblablement une tradition non encore influencée par la légende historicisante. La seconde tradition, de très loin la plus courante mais attestée seulement au Ier ap., fait d’elle une héroïne contemporaine des rois de Sparte Cléomène et Démarate, fin VIe-début Ve. Mais comme on le verra, cette légende argienne est tardive, apparue et développée à Argos quelque part entre le IIIe av et le Ier ap. Néanmoins, Hérodote, au milieu d’un passage consacré aux exploits du médecin Démocédès à la cour de Darius, affirme (III.131), interpole un classement des écoles médicales les plus réputées alors puis ajoute « Vers le même temps on mettait les Argiens au premier rang pour la musique », ce qui peut être lu comme une allusion à Télésilla. Malheureusement, d’une part rien ne dit que c’est à elle qu'il est fait allusion, et d’autre part, le passage qui n’a vraiment rien à faire là est selon toute vraisemblance une interpolation, un note marginale qui ne date pas d’Hérodote mais d’un scribe ou d’un commentateur postérieur intégré après moult copies à la vulgate hérodotienne.
Bref pour ma part, je n’ai pas d’élément déterminant pour la dater, même si je suis plutôt favorable à une chronologie basse (milieu du Ve) que haute (fin VIe-début Ve).


Il n’y a plus qu’à se pencher maintenant sur le plus compliqué, et le plus amusant, la partie « Jeanne d’Arc » qui a tant fait fantasmer anciens et modernes et assis sa gloire et pérennisé son nom.
En deux mots, cette légende est connue essentiellement par Plutarque et Pausanias qui offrent deux versions proches mais pas identique. Selon eux, lorsque Cléomène fit campagne contre Argos au début du Ve (disons à la louche dans les années 490, puisque Hérodote établit un lien avec la révolte de l’Ionie, et met en relation directe son attitude lors de cette campagne avec son suicide), après avoir infligé la célèbre et sanglante défaite de Sépeia aux Argiens, il fut repoussé de la ville elle-même par les matrones conduite par Télésilla, qui sauva ainsi la ville et infligea une cinglante humiliation aux Spartiates.

Pour comprendre le schmiblick, il faut remonter à la source, à savoir Hérodote et en particulier l’oracle de Delphes sur lequel va se s’appuyer cette version.
Hérodote, VI.76-83 :
76. Cléomène étant un jour allé consulter l'oracle de Delphes, la Pythie lui avait répondu qu'il prendrait Argos. Il se mit à la tête des Spartiates, et les mena sur les bords du fleuve Érasinos, qui coule, à ce qu'on prétend, du lac Stymphale ; car on assure que ce lac, après avoir disparu dans un gouffre où il s'est précipité, reparaît dans le territoire d'Argos ; et depuis cet endroit les Argiens l'appellent Érasinos. Lorsque Cléomène fut arrivé sur les bords de ce fleuve, il lui fit des sacrifices : mais comme les entrailles des victimes ne lui annonçaient rien de favorable en cas qu'il le traversât, il dit qu'il savait gré à Érasinos de ne pas trahir ses concitoyens; mais que les Argiens n'auraient pas pour cela sujet de se réjouir. Aussitôt il fit rebrousser chemin à son armée, et la mena à Thyréa, où il immola un taureau à la mer ; après quoi il la fit embarquer et la conduisit dans la Tirynthie, et de là à Nauplie.
77. Aussitôt que les Argiens en eurent connaissance, ils se portèrent en forces sur le bord de la mer. Lorsqu'ils furent près de Tirynthe, et dans la partie de son territoire où est Sépia, ils assirent leur camp vis-à-vis des Lacédémoniens, et à une très petite distance de leur armée. Ils ne craignaient pas une bataille dans un lieu découvert, mais la surprise et les embûches ; et c'était le sens de la réponse que la Pythie leur avait rendue en à eux et aux Milésiens (cf.§19). Elle était conçue en ces termes :
Mais quand la femelle victorieuse du mâle l'expulsera
et gagnera de la gloire chez les Argiens,
alors elle sera cause que beaucoup d'Argiennes se déchireront le visage,
en sorte qu'on dira même chez les hommes à venir :
Le terrible serpent aux trois replis a péri dompté par la lance.

Le concours de toutes ces circonstances inspirait de la frayeur aux Argiens. Ils résolurent par cette raison de régler leurs mouvements sur le héraut des ennemis. Cette résolution prise, toutes les fois que le héraut de Sparte signifiait un ordre aux Lacédémoniens, ils exécutaient de leur côté la même chose.
78. Cléomène, ayant remarqué que les Argiens se réglaient sur le héraut de Sparte, ordonna à ses troupes de prendre les armes quand le héraut leur donnerait le signal du repos, et d'aller droit à eux. Les Lacédémoniens exécutèrent cet ordre, et fondirent sur les Argiens tandis qu'ils se reposaient, suivant le signal du héraut. Il y en eut beaucoup de tués ; mais ils se réfugièrent en beaucoup plus grand nombre dans le bois consacré à Argos, où ils furent aussitôt investis.
79. Voici de quelle manière Cléomène se conduisit après cela. Ayant appris, par des transfuges qu'il avait dans son camp, les noms de ceux qui étaient renfermés dans le lieu sacré, il envoya un héraut qui les appela chacun par son nom, et leur dit qu'il avait leur rançon. Or la rançon est fixée par les Péloponnésiens à dix mines par prisonnier. Environ cinquante Argiens sortirent à la voix du héraut, et Cléomène les fit massacrer. L'épaisseur du bois ne permettant pas de voir ce qui se passait au dehors, ces meurtres échappèrent à la connaissance de ceux qui s'y étaient retirés ; mais l'un d'entre eux, étant monté sur un arbre, s'aperçut de la manière dont on les avait traités. Depuis ce moment on eut beau les appeler, ils ne voulurent plus sortir.
80. Alors Cléomène ordonna à tous les hilotes d'entasser des matières combustibles autour du bois sacré ; et dès qu'ils eurent obéi, il y fit mettre le feu. Tandis qu'il brûlait, il demanda à un transfuge à quel dieu ce bois était consacré. Celui-ci lui répondit que c'était à Argos. À ces mots, il s'écria, en poussant un grand soupir : « O Apollon, vous m'avez bien trompé par votre réponse, en me disant que je prendrais Argos ! Je conjecture que l'oracle est accompli. »
81. Cléomène permit ensuite à la plus grande partie de ses troupes de retourner à Sparte, et, ne gardant avec lui que mille hommes des plus braves, il alla à Héraion pour y faire un sacrifice. Comme il se disposait à l'offrir lui-même sur l'autel, le prêtre lui dit qu'il n'était pas permis à un étranger de sacrifier en ce temple, et le lui défendit en conséquence. Mais Cléomène ordonna aux Hilotes d'éloigner le prêtre de l'autel, et de le battre de verges; après quoi il sacrifia lui-même, et, le service fini, il s'en retourna à Sparte.
82. Il n'y fut pas plutôt arrivé, que ses ennemis lui intentèrent une affaire devant les éphores, et l'accusèrent de ne s'être point emparé d'Argos, dont la prise était facile, parce qu'il s'était laissé corrompre. Je ne puis dire avec certitude si ce qu'il avança dans sa défense était vrai ou faux. Quoi qu'il en soit, il répondit qu'il avait cru l'oracle accompli par la prise du bois consacré à Argos, et qu'ainsi il ne devait rien tenter contre la ville qu'il n'eût du moins appris par les sacrifices si le dieu la lui livrerait, ou s'il s'opposerait à son entreprise : que les sacrifices dans l'Heraion ayant été favorables, il était sorti une flamme de la poitrine de la statue ; qu'il avait connu à ces marques certaines qu'il ne prendrait point la ville d'Argos : car si cette flamme fût sortie de la tête de la statue, il l'aurait prise d'assaut ; au lieu qu'étant sortie de la poitrine, il était clair qu'il avait fait tout ce que le dieu voulait qu'il fit. Cette défense parut aux Spartiates si plausible et si vraisemblable, qu'il fut absous à la très grande pluralité des voix.
83. La ville d'Argos fut tellement dépeuplée par cette défaite, que les esclaves prirent en main le timon de l'État, et remplirent les différentes magistratures. Mais les enfants de ceux qui avaient perdu la vie, étant parvenus à l'âge de puberté, remirent la ville en leur puissance, et les chassèrent. Les esclaves, se voyant chassés, s'emparèrent de Tirynthe après une bataille. La concorde fut quelque temps rétablie entre eux et leurs maîtres ; mais dans la suite un devin, nommé Cléandre, de Phigalia en Arcadie, leur persuada d'attaquer leurs maîtres : cela occasionna une guerre très longue, et qui ne fut terminée que par les avantages que remportèrent enfin et avec beaucoup de peine les Argiens.


Avant tout remarquons que Hérodote place ce récit comme une parenthèse dans le déroulement globale de son histoire. Il développait l’histoire de Cléomène, en était arrivé au moment de sa folie et de son suicide, et là, par un de ces artifice littéraires qui rendent son œuvre plaisante, opère un flash-back sur les causes de cette fin misérable, en developpant la version argienne (§75 « Il mourut ainsi, selon l’opinion générale en Grèce pour . . . . ; mais pour les Athéniens, qui sont seuls de leur avis, c’est parce que . . . . ; et pour les Argiens , c’est parce qu’il avait fait sortir du sanctuaire de leur héros Argos les Argiens qui s’y étaient réfugiés après la bataille et les avait fait massacrer, et que, sans respect pour le bois sacré lui-même, il l’avait fait incendier. §76 En Effet, etc. »). Son objectif est donc de démontrer l’hubris, la démesure, l’impiété de Cléomène qui le conduira à sa chute, d’où la place centrale des oracles et du religieux dans toutes les étapes du récit. Les opérations à proprement parler militaires sont à peine évoquées, et les raisons invoquées pour ne pas avoir marché sur Argos assez légères : ce n’est pas son but, il l'évacue.

Cette défaite fut l’une des plus lourdes de l’histoire d’Argos, et ses conséquences catastrophiques puisqu’au-delà des pertes militaires, elle s’est soldée par un bouleversement social puis une guerre civile, entraînant l’effacement durable de la cité, n’intervenant pas en particulier lors des guerres médiques. Nulle place dans ce récit pour Télésilla, pas d’intervention armée de mégères qui repoussent les plus redoutables guerriers de Grèce.
Au contraire, la défaite et l’humiliation est totale, accentuée encore par le roublard Hérodote qui exagère en faisant intervenir des esclaves là où il s’agissait sans doute de périèques comme le précisera Plutarque (qui n’aime guère Hérodote), voir Aristote, Politique, V.1303a.
Néanmoins, élément capital pour la suite, est signalé pour la première fois cet oracle de 5 vers qui permettra aux Argiens des siècles suivant de sauver la face :
Mais quand la femelle victorieuse du mâle l'expulsera
et gagnera de la gloire chez les Argiens,
alors elle sera cause que beaucoup d'Argiennes se déchireront le visage,
en sorte qu'on dira même chez les hommes à venir :
Le terrible serpent aux trois replis a péri dompté par la lance.

Comme tous les oracles, il ne veut pas dire grand-chose, ou trop de choses, et je renvoie pour les tentatives d’éclaircissement (?!) à un article de Pierre Sauzeau « Quand la femelle victorieuse … ». In: Revue de l'histoire des religions, tome 216 n°2, 1999. pp. 131-165 que je résume ici en bonne partie.
Disons que l’oracle s’inspire d’un terreau mythologique argien ancien (par exemple « la femelle victorieuse du mâle » fait ainsi penser d’un part à Héra qui s’empare de l’Argolide au détriment de Poséidon, mais aussi aux Danaïdes qui égorgent les fils d’Egyptos, leurs maris) et que comme tous les oracles, il est susceptible d’être compris de bien des façons.
Mais ce qui importe ici, c’est comment les Argiens du récit d’Hérodote l’ont compris. Et si de ce côté-là, je n’ai pas tout suivi, il y a cependant deux lignes directrices qui ressortent nettement :
  • Le dernier vers est interprété comme une défaite des Argiens, donc que le « terrible serpent » représente Argos, et « la lance » représente Sparte.
  • Le premier vers est interprété comme une allégorie, « la femelle » assimilée à la ruse, par opposition au « mâle » représentant le combat honorable, d’homme à homme, que les Argiens ne redoutent pas. Par conséquent, les Argiens craignent une embûche de la part des Lacédémoniens, qui entraînera leur défaite (« beaucoup d’Argiennes se déchireront le visage », c’est-à-dire porteront le deuil).
Pour Hérodote, même s’il n’est pas très explicite, l’oracle s’accomplit malgré les précautions des Argiens, puisque c’est une triple ruse qui permettra à Cléomène de les vaincre et de porter le deuil à Argos, d’abord sur le champs de bataille (§78), puis en attirant certains d’entre eux hors du bois (§79), enfin par l’incendie qui provoquera l'essentiel des pertes (§80).
Néanmoins, Cléomène ne s’empare pas de la ville, car selon Hérodote, Cléomène juge que l’autre oracle, celui qui lui promettait la prise d’Argos, avait été accomplit avec la chute du bois consacré à Argos (il développera ce point dans le récit du procès de Cléomène qui suit ce passage, procès qui est la conséquence de la campagne avortée). Il ne fait donc aucune tentative contre elle, justifiant ainsi les rumeurs de corruption.


Tel est le problème auxquels les Argiens vont être confrontés : sauver la face après une défaite humiliante, et faire oublier le récit d’Hérodote.


Pour parvenir à leurs fins, ils vont se concentrer sur l’oracle rapporté par Hérodote, amputé des deux derniers vers, auquel ils vont consciencieusement apporter une solution idéale, fidèle à la lettre à la prédiction du dieu, et bien plus honorable pour la cité, en s’appuyant sur plusieurs rituels locaux étranges, qui inspireront les exploits de Télésilla, tout comme cette légende servira rétroactivement de conte étiologique, afin d’apporter une explication jugée satisfaisante à des rites plus guère compris.

Plutarque (fin Ier/ ½ IIe ap), Des Actions courageuses des Femmes, 245c-e, d’après Socrate d’Argos:
De tous les hauts faits accomplis en commun par des femmes, aucun n'est plus fameux que le combat contre Cléomène devant Argos, qu'elles menèrent sous les ordres de Télésilla la poétesse. On dit que celle-ci, qui était d'une noble famille, mais malade physiquement, fît interroger le dieu sur sa santé : il lui répondit de cultiver les Muses. Elle suivit le conseil du Dieu et s'adonna à la poésie et à la musique ; débarrassée rapidement de son mal, elle fut admirée par les femmes pour son art.
Mais quand Cléomène, roi de Sparte, ayant tué un grand nombre d'Argiens, mais pas 7 777 comme certains le racontent mensongèrement (muthologousin), s'avança vers la ville, un élan de courage inspiré s'empara des femmes dans la force de l'âge pour repousser l'ennemi et sauver leur patrie : conduites par Télésilla, elles s'emparent d'armes et, prenant place aux créneaux, elles garnissent les remparts, ce dont l'ennemi reste stupéfait ; en conséquence, elles repoussèrent Cléomène en lui infligeant de lourdes pertes. Quant au second roi, Démarate, qui, à ce que raconte Socrate, avait pénétré dans la ville et s'était emparé du quartier pamphyliaque, elles l'en expulsèrent ; la ville étant ainsi sauvée, elles enterrèrent les femmes tombées au combat le long de la route argienne. Les survivantes, en souvenir de leur fait d'armes, reçurent le droit de dresser une statue à Enyalos ; les uns disent que le combat eut lieu le sept, d'autres le premier du mois qu'en Argos on appelle maintenant le "Quatrième", mais anciennement "Hermaios", date à laquelle les Argiens célèbrent encore de nos jours la fête des Hybristika (les "Débordements"), au cours de laquelle les femmes s'habillent avec des chitons et des chlamydes d'hommes, les hommes avec des péplos et des voiles de femmes .
Au reste, pour réparer le vide que la déroute des Argiens avait laissé dans la ville, on maria les femmes, dont le nombre excédait celui des hommes, non à des esclaves, comme le dit Hérodote, mais aux meilleurs des périèques, à qui on donna le droit de citoyenneté à Argos. Encore témoignèrent-elles beaucoup de mépris pour ces maris étrangers, dont elles n'avaient pas une grande idée. Car elles firent une loi qui ordonnait que les nouvelles mariées mettraient des barbes postiches quand leurs maris s'approcheraient d'elles.


Pour tout ce qui concerne ces rituels (culte féminin d’Enyalos, fêtes carnavalesques des Hybristika, et travestissement rituel de la mariés), je renvois à l’article mentionné de Sauzeau qui établis des parallèles avec d’autres pratiques analogues en Grèce et dans le Péloponnèse, tout particulièrement à Sparte. Simplement cela montre le caractère artificiel de l’explication, surtout que au moins en ce qui concerne le culte féminin d’Enyalos à Argos, il est attesté archéologiquement avant le VIe donc avant cette défaite/victoire. De plus, on remarque que dans ce récit intervient non seulement Cléomène, mais également Démarate, le second roi de Sparte ; or depuis 506 et le fiasco de la campagne contre Athènes, les deux rois ne font plus campagnes ensembles. Raison de plus pour douter du caractère historique de l’anecdote.

Par rapport à la version d’Hérodote, cette fois-ci les Lacédémoniens font après leur victoire sur les hommes une tentative contre la ville et sont repoussés manu-militari par les femmes, l’histoire s’inversant à la gloire d’Argos et à la honte de Lacédémone. Si l’on reprend l’oracle :
Mais quand la femelle victorieuse du mâle l'expulsera
et gagnera de la gloire chez les Argiens,
alors elle sera cause que beaucoup d'Argiennes se déchireront le visage,

chaque terme se retrouve. La « femelle victorieuse » est dorénavant personnalisée par Télésilla, mais aussi par l’ensemble des femmes prise ensemble, « le mâle » représente bien entendu les Lacédémoniens et tout particulièrement son roi, Cléomène ou Démarate. La femelle bien évidemment « gagnera de la gloire chez les Argiens » grâce à son exploit, repoussant Cléomène en lui infligeant de lourdes pertes. Mais cette victoire entraine le deuil, celui des maris tombé auparavant mais aussi des femmes décédées. L’oracle a donc trouvé une explication parfaite, et l’honneur est sauf.

Plutarque revient de manière confuse sur cet épisode dans un autre passage, Apophtegmes laconiens, 223 a-c, inspiré de plusieurs sources parfois divergentes résumés ou cités surccessivement :
Il avait fait avec les Argiens une trêve de quelques jours; mais la troisième nuit, ayant su qu'ils dormaient paisiblement sur la foi de la trêve, il les attaqua, en tua un grand nombre, et fit le reste prisonnier. Quand ensuite on lui reprocha d'avoir violé son serment, il répondit qu'il n'avait compris dans la trêve que les jours, et non pas les nuits ; qu'au reste, tout le mal qu'on pouvait faire à ses ennemis était toujours juste aux yeux des dieux et des hommes. Il ne put cependant pas s'emparer d'Argos, quoique c'eût été le motif de son manque de foi. Les femmes argiennes ayant pris les armes déposées dans les temples, le repoussèrent. Dans la suite, saisi d'un accès de fureur, il prit un couteau, se mutila tout le corps, et expira dans des convulsions horribles.
Un devin le détournait de conduire ses troupes devant Argos, en lui annonçant qu'il en reviendrait avec ignominie. Cependant il se mit en marche. Lorsqu'il fut proche de la ville, il trouva les portes fermées, et vit les femmes rangées sur les murailles. « Croyez-vous, dit-il au devin, qu'il soit ignominieux de se retirer de devant une ville dont, après la mort des hommes, les femmes ont fermé les portes? »
Il répondit aux Argiens, qui lui reprochaient son parjure et son impiété : « Vous avez le pouvoir de me dire du mal, et moi celui de vous en faire. »

En gros, il semblerait qu’au moins trois récits coexistent à l’époque de Plutarque.
  1. Le récit d’Hérodote, qui inspire les autres et/ou les fait réagir, sans siège de la ville ni intervention des femmes.
  2. Une version conciliante, qui tente de faire concorder les deux versions antagonistes, selon laquelle Cléomène mène ses troupes devant les murs d’Argos, mais à la vue des femmes menées par Télésilla, renonce à l’assaut après une timide tentative, convaincu de n’en tirer aucune gloire qu’elle qu’en soit l’issue (version du 2e paragraphe des Apophthegmes, mais aussi celle que suivra Pausanias)
  3. La version héroïque, celle de Socrates développée dans les Actions courageuses des femmes, qui met en scène un véritable combat, infligeant de très lourdes pertes à non seulement un, mais deux rois lacédémoniens ! Et cette glorieuse victoire sera dorénavant célébrée (!) par diverses manifestations cultuelles mettant en scène des femmes grimées

Qui est ce Socratès ? En fait, on en sait trop rien puisqu’il existe une foule d’auteurs de ce nom, le célèbre Socrate d’Athènes bien sûr, même s’il n’a rien écrit, mais aussi Socrate le Jeune, un certain Socrate de Cos, l’historien Socrate de Rhodes, sans oublier des médecins, des poètes, etc. Faire le tri au sein de cette foule d’homonyme n’est pas évident.
Néanmoins, on peut identifier ce passage avec un certain Socrate, dit d’Argos, dont on conserve une petite 20aine de fragments (in K. Müller, Fragmenta historicorum Graecorum, T4, Didot, 1851, p.496-500 qui ne sont pas forcément tous de lui. Par sécurité, je me suis concentré sur le Socrate abondamment cité par Plutarque lui-même, pour avoir une idée pas trop déformé du personnage (outre ce passage ci, il y fait référence dans Sur Isis et Osiris, 35 ; Questions romaines, 26 ; 52 et Questions grecques, 25 ; mais il faut sans doute voir sa patte derrière d’autres passages relatifs aux cultes argiens, Questions grecques, 23, 24, 50 et 51)
Tous ces passages sont apparemment tirés d’un seul ouvrage, « Sur les choses sacrées » où il s’attache à recenser, décrire et expliquer les multiples usages locaux de l’Argolide, et peut-être du Péloponnèse. Par conséquent, il ne fait pas œuvre d’historien, l’histoire de Télésilla et de Cléomène ne s’intègre pas dans un récit chronologique, mais il commence par la fin, il part du rituel ou de l’épitèthe du dieu pour adopter une démarche étiologique et remonter à son origine supposée ou fantasmée. Raison supplémentaire pour ne pas trop se fier à sa chronologie pour dater Télésilla.
Est-il possible de le dater ? Apparemment non, j’en suis en tout cas moi-même incapable, mais je poserai néanmoins un terminus post quem, et un indice que je ne sais pas interpréter mais que d’autres peuvent peut-être.
Le terminus post quem, c’est la mort de Pyrrhus, en 272, qui fut d’après la tradition argienne tué par la main d’une femme alors qu’il venait de s’emparer de la ville après avoir défait Antigone sous ses murs. Le parallèle est trop gros pour être innocent, et je serais tenté de voir dans les exploits de Télésilla un pendant valorisé et exagéré des exploits de cette anonyme : on retrouve le thème du guerrier invincible et alors vainqueur vaincu contre toute attente par la main la plus inattendue, par une femme ; on retrouve le thème de l’inspiration divine (Déméter dans la cas de Pyrrhus) ; on voit bel et bien le roi chassé de l’intérieur même de la ville et non simplement des remparts, comme Démarate dans la version de Socrate. J’y verrais donc LA source d’inspiration du mythe ; je reconnais cependant que l’inverse est possible également, à savoir que l’exploit archaïque de Télésilla trouve un écho dans l’histoire de Pyrrhus. Mais l’aspect grandiloquant et artificiel de l’action de Télésilla ne tend pas vraiment en ce sens.
L’indice par contre est plus technique. Il s’agit du mois de l’année pendant laquelle a lieu la fête des Hybristika, « le premier du mois qu'en Argos on appelle maintenant le "Quatrième", mais anciennement "Hermaios" ». Il serait intéressant de savoir, via l’épigraphie, quand cette appellation archaïque n’a plus eu court. Cela pourrait peut-être préciser la fourchette chronologique ; sans garantie pourtant, puisqu’il est difficile de savoir qui fait cette remarque : est-ce Plutarque, qui apporte ainsi un éclairage supplémentaire au texte de Socrate, ou est-ce Socrate qui fait un archaïsme, tout en convertissant immédiatement à l’usage de ses lecteurs contemporains ? Je penche plutôt pour la seconde solution, d'autant que Polyen VIII.33 qui rapporte la même version donne la même précision sur les mois ; mais s'inspire-t-il de Socrate ou de Plutarque ?
En attendant, faute de mieux, Socrate aurait exercé entre le IIIe av. (mort de Pyrrhus) et le Ier ap (consulté par Plutarque, qui est l’auteur le plus ancien faisant référence à cette légende épique).

Le second grand texte faisant référence à cette légende de Télésilla est Pausanias (IIe ap.), Description de la Grèce, II.20.8-10 :
Il y a au-dessus du théâtre (d’Argos) un temple de Aphrodite, et devant ce temple un cippe sur lequel on a représenté Télésilla, femme célèbre par ses poésies lyriques : ses livres sont épars à ses pieds, et elle tient à la main un casque qu'elle regarde comme pour le mettre sur sa tête. Télésilla jouissait déjà à d'autres égards de beaucoup de considération parmi les femmes d'Argos ; elle était surtout célèbre par ses poésies, lorsque se passa l'événement que rappelle cette sculpture. Les Argiens avaient été malheureux au-delà de toute expression dans leur guerre contre les Lacédémoniens commandés par Cléomène, fils d'Anaxandridas : les uns, en effet, avaient péri dans le combat, et ceux qui s'étaient réfugiés dans le bois Argos y avaient aussi perdu la vie : car on avait massacré ceux qui étaient sortis les premiers par capitulation, et les autres s'étant aperçu qu'on les trompait, ne voulurent plus sortir et furent tous brûlés avec la forêt. Argos se trouvant ainsi sans défenseurs, Cléomène y conduisit les Lacédémoniens, mais Télésilla ayant rassemblé les esclaves et tous ceux que leur jeunesse ou leur âge avancé rendaient incapables de porter les armes, les fit monter sur les murs. Ayant ensuite ramassé tout ce qui restait d'armes dans les maisons, et celles que renfermaient les temples, elle les fit prendre aux femmes qui étaient dans la force de l'âge, et rangea celles-ci en bataille à l'endroit par où elle savait que les ennemis devaient arriver. Les Lacédémoniens s'étant présentés, elles ne s'effrayèrent point de leur cri de guerre, et soutinrent le choc avec la plus grande valeur. Alors les Lacédémoniens, considérant qu'une victoire remportée sur des femmes serait peu honorable pour eux, et qu'une défaite les couvrirait de honte, prirent le parti de se retirer. Ce combat avait été prédit par la Pythie qu'Hérodote rapporte, soit que le sens lui en fût connu, soit qu'il l'ait ignoré.
Mais quand la femelle victorieuse du mâle l'expulsera
et gagnera de la gloire chez les Argiens,
alors elle sera cause que beaucoup d'Argiennes se déchireront le visage,

Voilà ce que dit cet oracle, relativement à cet exploit des femmes.


Sans revenir sur la genèse de cette version, j’attire l’attention encore une fois sur la place centrale accordée au récit d’Hérodote, la construction historique à partir de l’oracle cité par ce dernier, bien plus nette encore que chez Plutarque. Et en même temps, la gêne qu’éprouve Pausanias devant le silence de l’historien d’Halicarnasse et son interprétation très différente du même oracle (tronqué pour l’occasion).
L’autre point intéressant, c’est la mention de la statue de Télésilla en arme devant le temple d’Aphrodite. L’identification repose-t-elle sur une inscription qui la nomme, ou uniquement sur le contexte, rouleaux et casque ?
Dans le premier cas, cela démontre le caractère quasi officiel qu’à atteint la légende dans la cité, au point de se retrouver illustrée au vue de tous à proximité des temples. Dans le second cas, le problème est autrement plus complexe, puisque la sculpture peut représenter une toute autre personne, en particulier tout simplement… Aphrodite, en tant qu’épouse d’Arès/Enyalos : ainsi Plutarque et Lucien (Amours, 30) signalent le culte spécifiquement féminin d’Enyalos à Argos, tandis que Pausanias mentionne à Argos d’une part un sanctuaire mixte (II.25.1 : « Sur la route qui conduit à Mantinée (...) se trouve un sanctuaire avec deux entrées : une vers l'ouest et une autre vers l'est. A cette porte il y a un xoanon d'Aphrodite, à l'entrée ouest un xoanon d'Ares ») et de l’autre un sanctuaire à Aphrodite « porteuse de Victoire », Niképhoros (II.19.6 : « Vous y voyez aussi deux statues en bois, l'une d’Hermès, qui est, disent-ils, l'ouvrage d'Épéius, et l'autre d’Aphrodite, qui a été érigée par Hypermnestre. (…) Elle fut jugée par les Argiens, gagna son procès, et érigea par reconnaissance une statue à Aphrodite Nicéphore. ». Du coup, nous serions devant une erreur d’interprétation des guides argiens de Pausanias, et une fois de plus, la légende de Télésilla se nourrirait du contexte mythologique de la cité tout en contribuant à illustrer et expliquer les traditions incomprises des contemporains.

Par curiosité, je signale la sculpture mentionnée par Tatien, Discours aux Grecs, 33 : « Car que dire d’Anyté, de Télésilla et de Nossis ? L’une a été représentée par Euthycrate et Céphisodote, l’autre par Nicérate, l’autre par Aristodote (…). »
Il n’y a sans doute aucun lien avec le bas-relief décrit par Pausanias, Nicératos étant un grand sculpteur que Pausanias aurait immédiatement identifié. De même, impossible de savoir quelle était la Télésilla honorée par une statue de Nicératos : la poétesse ou l’héroïne ? Peut-être davantage la poétesse, étant donné la liste et la chronologie, mais sans garantie. Par contre, ce texte attesterait que dans la première moitié du IIIe av. (il s’agit vraisemblablement de Nicératos d’Athènes, enrichi au service des Attalides de Pegame, père du Micon qui officie à Syracuse sous Hiéron II), Télésilla avait déjà acquis une certaine reconnaissance « internationale », un statut digne d’une statue prestigieuse. D’où peut-être aussi le choix de Socrate (et d’autres) qui se porte sur Télésilla comme héroïne principale de sa fable, afin de donner du corps et une assise historique supplémentaire à son récit, faisant choix d’une femme argienne célèbre hors des frontières de l’Argolide (elles ne sont pas si nombreuses, en dehors de quelques prêtresses d’Héra archaïques) et intimement liée par son œuvre au dieu Pythien.

Les autres textes mentionnant Télésilla n’apportent rien de plus (Lucien, Amours, 30 ; Maxime de Tyr, XXXVIII.5 ; Polyen, VIII.33 ; Clément d’Alexandrie, Stromata, IV.19.386 ; Photius, Bibliothèque, 167 ; Souda, s.v. Telesilla) et se contentent dans la grande majorité à se faire l’écho soit de Plutarque, soit de Pausanias, et font davantage référence au personnage épique qu’à sa poésie proprement dit.

Du coup, il n’y a pas vraiment à s’étonner que sa poésie ait disparue : elle n’a été révélée que discrètement à partir de l’époque hellénistique, et ne connait une véritable reconnaissance que sous les Antonins, où se concentrent la quasi-totalité de nos références, biographiques ou fragments. Aussi, lorsque les hommes ont enfin commencé à se pencher sur son cas, il ne devait déjà plus rester grand-chose, et ce peu avait lui-même peu de chance d’être conservé, puisque ce n’est pas l’artiste que les intéressait pour la plupart… De plus sa poésie est très ciblée apparemment, sans grand intérêt pour nos lecteurs mâles qui forment l’essentiel de nos sources et de nos scribes, et qu’elle souffrait sans doute même dans ce créneau déjà limité de la concurrence écrasante de l’incontournable Sappho, et dans une bien moindre mesure des lyriques béotiennes.


Finalement, faut-il maudire la légende argienne qui effaça la poétesse lyrique derrière un masque épique artificiel, ou bien au contraire la bénir pour avoir contribué à lui épargner l’oubli complet dans lequel sont tombées tant de ses consœurs, et avoir maintenu pendant quelques temps par cet intermédiaire un vague intérêt pour son œuvre ?


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