Bonjour à tous,
l’espace d’un message, j’utilise le compte de Yongle mon frère. Je suis étudiant en sciences de l’éducation, en master 2 et je travaille sur un mémoire dont le thème est la question du jeu des échecs en éducation. Plus exactement sur l’influence de ce jeu sur le savoir dit « narratif », la forme de savoir propre au discours dit « mythos ». Je soutiens dans un de mes chapitres que le discours mythos serait structuré en quelques sortes à l’image de la société grecque antique et du rapport qu’entretient le grecque avec ses divinités. Je souhaiterai soumettre ce que j’ai écris à votre savoir d’historien pour peut-être contre-dire ou compléter ce que j’avance dans ce texte. Sommes nous en mesure d’affirmer qu’hommes et dieux olympiens, si les maux de la boite de pandore n’étaient pas, se trouveraient sur un pied d’égalité ? Qu’en pensez vous ? je suis ouvert à toutes les critiques positives comme négatives tant qu’elles restent constructives. Je soutiens dans peu de temps… J’ai conscience de m’appuyer que sur deux chapitres de J-P Vernant, est ce que vous pensez que cela remet en question mon discours ? Je vous remercie d’avance pour votre attention…
2) De la nature des puissances divines en Grèce antique
Dans ce chapitre, Jean-Pierre Vernant nous offre une comparaison saisissante des principes qui fondent la société des dieux en Grèce ancienne et celle des hommes de la même époque. Il semble, à l'issue de cette analyse que de nombreuses similitudes coexistent entre la nature des liens qui unissent les individus de chacune de ces formes de lien social. Nous avons donc décidé de présenter, les grandes lignes du développement qui permettront à l'auteur de soutenir l'affirmation selon laquelle le monde des dieux et le monde des hommes seraient étroitement liés par des ressemblances qui empêchent le moindre doute de se prononcer. Il nous permet également de laisser entrapercevoir un point essentiel de notre compréhension de la nature du lien social tel qu'il nous apparaît comme modèle dans le jeu d'échecs.
Il faut tout d'abord savoir que le monde des dieux est ce qui permet aux hommes de s'organiser en communauté, de vivre ensemble dans l'environnement de la nature qui les entoure. Les dieux ont donc une fonction de régulation sociale sur les hommes. Citons à ce titre, la figure divine de Zeus, en tant que personnification d'une puissance qui embrasse plusieurs aspects de la réalité du monde sensible dans lequel toute créature évolue. En embrassant une multiplicité d'aspects du monde sensible, une puissance divine ne les confond pas, c'est pourquoi il se peut qu'au travers d'une vision contemporaine du monde certaines manifestations d'une puissance pourraient paraître contradictoires alors qu'il s'agit en fait de forces en opposition l'une envers l'autre mais qui ne s'excluent nullement. Un homme peut donc se trouver dans une situation telle qu'il sera soutenu par une force, mais qu'une autre lui soit hostile, tout en émanant du même dieu. Il y a donc dans la fonction divine une sorte de mise en lien, qu'il soit d'association ou d'opposition, de la différence. Tous les aspects du réel y compris ceux qui, à priori, à travers le prisme de notre regard sur le monde actuel seraient sans liens apparents, sont en fait étroitement associés d'une manière ou d'une autre. « Ces réalités diverses lui apparaissent [au grec] liées les unes aux autres, articulées les unes aux autres comme les aspects différents d'une même puissance. »(p.109). Jean-Pierre Pierre Vernant étend la comparaison de la société des dieux et de celle des hommes jusqu'à émettre l'hypothèse d'une analogie entre la nature mythologique du panthéon athénien et celle du langage des hommes. Lequel est à l'origine de l'autre semble être une question sur laquelle il est difficile de trancher, mais un point sur lequel toutes les voix sont unanimes est celui du caractère contemporain de l'apparition de la pensée mythique et de l'apparition du langage. Nous connaissons à quel point la nature du discours influe sur la nature d'une forme sociale et inversement. L'étude des langues présente de nombreuses similitudes, comme le montre Jean-Pierre Vernant, avec celle des systèmes mythologiques. Par exemple, dans l'étude d'une langue, l'étymologie est possible mais ne fera pas ressortir la valeur d'un mot dans le système de signes linguistiques dont il fait partie à un moment donné de l'histoire. De la même manière, « un grec du Vème siècle connait peut-être moins de choses sur les origines d'Hermes qu'un spécialiste contemporain. Cela n'empêche pas de croire en ce dieu Hermes, de sentir dans certaines circonstances la présence du dieu. » (p.104). Zeus, puissance centrale du panthéon est un bon exemple pour entamer une analyse de la nature divine en Grèce antique. En effet, le nom de Zeus dont l'étymologie provient tout droit de l'indo-européen signifie ce qui « brille ». Il serait en quelques sortes apparenté au ciel dans son caractère de brillance. Seulement comment expliquer que celui-ci a également pour attribut le ciel nocturne? Zeus est la puissance qui maitrise la lumière, il est le « maître de la lumière ». Il est en celà porteur de bons nombres d'attributs qui, aux yeux du lecteur ou de l'analyste contemporain de notre époque, n'ont aucun lien de parenté quel qu'il soit. La représentation de certaines forces par une seule et même entité divine, peut donc paraître, parfois improbable au lecteur d'aujourd'hui. Les domaines d'influence qui sont le propre de la puissance de Zeus ne font, dans la pensée grecque de l'époque en aucun cas contradiction entre eux. Zeus peut incarner à la fois le ciel brillant (Zeus pater), le ciel obscur, sa présence se retrouve également dans certains arbres, plus grands que les autres, dans les pluies les plus fécondes, celles d'Automne qui inaugurent les saisons de semailles, dans les entrailles de la terre (Zeus gonaîos), « sous forme de sa richesse que sa fécondité à fait éclore », etc. Sa présence n'est pas seulement impliquée dans les réalités naturelles en quelques sortes extérieures au monde des hommes. Elle se fond aussi dans les activités humaines et les rapports sociaux; il est présent par exemple dans la personne du roi (Zeus basileus), plus exactement dans le sceptre qui lui octroie le pouvoir exécutif. La puissance que lui confère cet instrument accompagne le roi dans toutes ses décisions qui demandent le recours à l'administration de son pouvoir. Pour saisir la conception du monde en Grèce antique, tout lecteur se doit de mettre de côté ses habitudes propres à l'ordre du monde tel qu'il nous apparaît actuellement, et d'accepter que ces derniers faisaient bel et bien appel à des distinctions dans l'ordre du réel, mais qui ne sont pas les nôtres. Les grecs ne percevaient pas le monde en tant que réalité uniforme dont les différentes forces qui y sont en mouvement agiraient à l'unisson. Non, Les distinctions grecques font interagir celles-ci, parfois les confronter, parfois les unir, mais dans un système de référence ne correspondant pas forcément à celui qui nous sert de socle pour appréhender le monde. Le panthéon grec n'est pas une sorte d'image spéculaire de notre pensée scientifique à la seule différence que les forces naturelles seraient animées et personnifiées. Chaque dieu se manifeste donc par certains aspects de forces se réalisant dans des réalités universelles à priori aussi distinctes les unes que les autres. Ainsi Zeus peut, dans le même temps, se manifester dans certains états du ciel, des arbres, de la pluie sans toutefois pouvoir se réduire à ces manifestations naturelles dans leur unité apparente; la pluie, n'est pas la pluie sous toutes ses formes telles qu'on les connait aujourd'hui, mais une multiplicité de ses états et qui implique dans son origine l'acte de telle ou telle puissance divine. Le champ d'action des puissances divines ne se limite donc pas à un seul domaine. Il s'étend à travers tous les plans de la réalité, aussi bien, le monde extérieur, comme nous venons de le voir, mais aussi à l' « intérieur » des hommes et de leurs relations sociales, dans la nature, et enfin dans l'au-delà. Zeus basileus, le sceptre du roi par lequel sa puissance s'incarne est un des multiples exemples qui pourraient être mis en avant pour illustrer les propos de l'auteur. Il intervient dans les décisions des hommes. Il garanti la prospérité du peuple du roi juste. Car « Si le roi est injuste, sa terre ne porte pas de blé, les troupeaux ne mettent plus bas, les femmes ont des enfants difformes. » Et à l'inverse, si le roi incarne la puissance de Zeus par des actes justes, alors tout sur son domaine prospère et laisse éclore la vie dans ce qu'elle a de plus délicieuse. De même Zeus domine le monde, le roi son royaume, le chef de famille domine les membres de celle-ci et les conduit par ses actes sur telle voie pleine de richesse, ou sur l'autre, celle de la peine et des malheurs. • 3) Zeus et la société des dieux
Dans son rôle de dominateur de l'univers des dieux, des hommes et de toutes les formes de vie qui composent le monde, Zeus, ne peut en aucun cas faire abstraction des puissances qui l'entourent. Il doit, comme tout un chacun agir selon son rang, mais toujours sous condition de l'approbation des autres puissances qui composent la « société des dieux » à laquelle il appartient au même titre que les autres divinités. Si le cas où il lui viendrait à l'idée de décider selon sa volonté et la sienne uniquement se présentait, il est fort probable que celui-ci se voit dans une situation telle qu'il sera confronté aux foudres ou tout du moins aux vives objections de ses pairs qui ne seront pas en accord avec ses choix. Citons l'exemple tiré de l'Illiade proposé par Jean-Pierre Vernant, qui met en scène Zeus voulant intervenir pour sauver son fils Sarpedon voué à une mort certaine. S'étant confié à son épouse Héra, il s'expose aux avertissements de celle-ci le prévenant que les autres dieux ne seront surement pas tous d'accord pour l'approuver. Ainsi mis en garde, il décide de revenir sur son choix et de laisser le cours des choses se faire sans son intervention. « Zeus préfère se soumettre et ne pas déclencher un jeu de forces qui finirait par remettre en cause avec l'ordre de l'univers sa propre suprématie ». Il apparaît bien dans l'exemple qui vient d'être cité que malgré son statut qui le place en position de dominance, le roi des dieux a pleine conscience de la fragilité de celle-ci et de l'indispensable prise en considération des autres membres de la société à laquelle il appartient. Au même titre que Zeus, le roi humain en son royaume se doit impérativement de se faire solidaire de tout un ensemble de prérogatives et honneurs, les timè qui, s'il s'y soumet lui assureront un règne sous l'égide de la protection des dieux. Une protection, qui, apparaît comme nous l'avons vu plus haut, plutôt indispensable. Les hommes et les dieux font partie de deux mondes bien distincts, non pas dans l'espace ni dans le temps, mais dans leurs organisations sociales qui ne se confondent pas ni ne se superposent. Au même titre que les puissances ou forces divines, à aucun moment elles ne se confondent, mais elles interagissent les unes avec les autres, selon des positions qui leurs restent propres. Ces positions dont nous allons maintenant traiter, pourraient se définir par la condition de chacune des deux sociétés que représentent les hommes et les dieux. Nous allons donc tenter de comprendre en quoi hommes et dieux diffèrent et en quoi se rejoignent-ils. Le mythe prométhéen nous offre à ce propos un certain éclairage.
• 4) Quand dieux et hommes se partageaient le monde...
Les dieux et les hommes se partagent le même univers, les espaces sur lesquels ils vivent sont désormais bien déterminés. En effet, les dieux Olympiens, car c'est bien d'eux dont il s'agit ici , dominent la terre du haut du mont Olympe, tandis que les hommes eux, cohabitent sur le reste de la terre. Mais en a-t-il été toujours ainsi? Notre représentation d'une nature divine transcendante, n'a pas toujours fait l'unanimité, la preuve en est que pour les grecs la puissance divine se rapporterait plutôt à l'ordre de l'immanence. Les hommes et les dieux se partagent donc un même espace, celui de la terre. A ne pas oublier que les dieux dans leur immortalité ne sont pas éternels, à la différence des puissances primordiales créatrices de toutes choses (hommes, univers physique, êtres vivants, dieux...) telles Chaos, Gaia, Eros, Nux, Ouranos, Okeanos. Les dieux ne sont ni omniscients ni tout puissants, mais sont des formes particulières de savoirs et de pouvoirs entre lesquels il peut exister des contradictions, des divisions mais aussi, bien entendu, des accords. C'est en cela que nous pouvons nous permettre de parler de société, de part l'unité et les différentes formes d'oppositions qui la caractérise. Pour faire société ne se faut-il pas qu'une multitude d'individualités se rassemble et ce, en dépit des différences à la fois d'intérêts personnels, de caractères, d'aspects physiques... La conception communément partagée à cette époque et en ces lieux ne permet aucune « promotion » de l'être « homme » vers le statut divin, les hommes sont des hommes et restent des hommes, et à l'inverse, les dieux ne sortent pas de leur condition divine. On sait que certains hommes sont malgré tout parvenus à l'état héroïque par des actes glorieux, mais les héros restent bien des hommes, les demi-dieux aussi, ils sont des demi-dieux et leur statut est à la fois différent de celui des hommes et de celui des dieux. On sait que les dieux peuvent, et ne se sont pas privés de le faire, sous conditions (parfois transgressées), de respect des timais (prérogatives) qui leur assureront l'approbation des autres dieux, influer directement sur l'ordre social des hommes. Les raisons qui ont impulsé la guerre de Troie en sont un exemple assez révélateur. Cependant, sommes nous en droit de poser l'hypothèse de réciprocité, à savoir, que les hommes pourraient par leurs actes et décisions influer à leur tour indirectement sur la société des dieux? Nous connaissons l'histoire de cette déesse, Thétis, qui dans une lutte physiquement disputée avec le roi de Phthie, Pélée, se voit forcée après sa défaite de se marier avec ce dernier, et ce, malgré ses réticences. Dans cet exemple, nous sommes en présence, d'une lutte en face à face d'une divinité, déchue du soutient de ses semblables, les dieux, et d'un humain qui aboutie sur la défaite de Thétis. Par conséquent, et nous restons toujours dans le domaine du possible, du conditionnel, un homme peut vaincre un dieu, si celui-ci n'est pas (ou mal) soutenu par sa communauté. Influer sur les relations, contradictions, alliances qui peuvent être observées serait un moyen, d'interférer dans les décisions divines. Il fut un âge, selon Hésiode , (Des travaux et des jours) où hommes et dieux mangeaient à la même table. Un âge d'or où les hommes ne connaissaient ni la vieillesse, ni la faim, ni la mort, ni le besoin. Un âge où hommes et dieux se trouvaient sur un pied d'égalité. Mais cet âge désormais révolu s'est vu s'effondrer le jour où hommes et dieux ont dû se livrer une terrible « partie d'échecs », les confrontant dans un véritable duel psychologique ayant pour enjeu, pour les temps à venir, les conditions d'existence de chacun. Aphrodite n'a-t-elle pas, en raison d'un culte exagérément prononcé à ses yeux à la déesse Artémis, fait retomber sa vengeance sur le malheureux Hyppolyte dans un acte purement motivé par la jalousie? Certes, le courroux d'Aphrodite s'est bien fixé sur Hyppolite pour son affront inacceptable de n'avoir respecté une règle essentielle, celle de reconnaître la part qui revient à chacune des Puissances. Toujours est-il que les actes des hommes, délibérés ou non, influent bien souvent sur les dieux et les relations qu'ils entretiennent les uns envers les autres. La preuve en est que la jalousie d'Aphrodite provoquée à l'égard d'Artémis par un culte qui ne lui a pas été rendu. Le mythe prométhéen analysé par Jean-Pierre Vernant dans ce même ouvrage apporte des éléments qui, comme nous allons le voir, nous permettent de trancher en faveur de l'affirmative à l'interrogation qui nous retient, celle de savoir si oui ou non les hommes entretiennent des relations avec les dieux que se soit directement ou indirectement.
• 5) Zeus, Prométhée et la poudre aux yeux des hommes
Le mythe Prométhéen met en scène principalement les personnages de Prométhée et Zeus dans un duel qui les oppose et dont l'enjeu est de définir et de fixer le lot de chacune des parties représentées, à savoir les dieux et les hommes, dans leurs conditions respectives à venir. Nous nous appuyons pour établir cette présentation sur les chapitres de Jean-Pierre Vernant, Le mythe prométhéen chez Hésiode et Le monde des humains. tirés respectivement des ouvrages mythe et société en Grèce ancienne et L'univers, les hommes, les dieux du même auteur. Commençons par situer de contexte de l'action pour ensuite en énoncer les quelques étapes majeures qui constituent le mythe. L'action se déroule donc dans le récit de la Théogonie à une époque reculée où les hommes et les dieux étaient réunis dans un même espace, ce qui permettait des échanges entre les deux « races » de manière directe et, comme nous l'avons vu précédemment, sur un même pied d'égalité. Dans le récit relaté par Des travaux et des jours, les hommes et les dieux sont déjà séparés chacun dans leurs espaces respectifs, mais cela ne remettra pas en question nos propos car toujours est-il qu'à une époque donnée (l'âge d'or) les hommes et les dieux partageaient le même espace commun. Pour procéder à sa présentation, J-P. Vernant précise dans un premier temps que dans les deux versions connues chez Hésiode à ce jour du mythe (celle de la Théogonie et celle Des travaux et des jours), « les actions de Prométhée et de Zeus apparaissent strictement homologues » (p.179). Ce qui comme nous allons le voir, nous permet dès lors, d'affirmer que les hommes et les dieux se trouvaient à ce moment de leur histoire dans un rapport de réciprocité qu'il serait vain de nier, et qui serait l'expression d'une compréhension contemporaine de la relation liant hommes et dieux (de quelque nature qu'ils soient). Les hommes et les dieux se sont trouvés confrontés, d'après Hésiode, dans un combat à armes égales, à savoir l'usage de la métis. Ces actions homologues consistent: 1) en actes préparatoires de mise en place de la ruse dont ils useront pour tromper leurs adversaires respectifs. 2) en un jeu d'offres réciproques, de cadeaux piégés, et de dons truqués. Donner, ne pas donner, prendre ou accepter le don de la partie adverse seront les enjeux de toute la logique qui s'inscrit à travers ces récits. Les choix privilégiés par chacune des parties seront déterminés par la nature de la condition de celles-ci. Nous ne reprendrons pas ici toutes les étapes qui ponctuent le mythe mais en présenterons seulement quelque unes qui nous ont semblé représentatives de ce que nous souhaitons dégager de ce développement. A savoir, oui ou non les hommes peuvent-ils être considérés comme des semblables non dans leur nature mais dans leurs possibilités d'action face aux divinités. Le combat entre hommes et dieux s'est il déroulé dans des conditions telles que les hommes auraient pu tenir tête à leurs opposants. Les hommes ont-ils les moyens ou non d'interférer dans l'ordre du panthéon divin. Nous avons déjà vu un élément, celui des « armes » à disposition de chacun, l'usage de la métis. Voyons maintenant comment elles ont été utilisées par chacun. Le premier acte de la confrontation déterminera ce qui sépare les hommes des dieux. On sait en effet, que le caractère d'immortalité des dieux tient de la nourriture qui les maintient dans cet état. Prométhée, de part son caractère ambigüe qui est le lot des humains, à la fois divins et bestiaux, sera désigné pour être le représentant des hommes dans cette « partie d'échecs ». Dans la première scène, Prométhée ayant été désigné par Zeus pour les départager, tentera de réserver la partie comestible de la carcasse d'un boeuf aux hommes. Il invente alors un stratagème qui aurait pu duper Zeus, si la clairvoyance de ce dernier ne lui donnait pas ce pouvoir de prévoir plusieurs coups à l'avance les intentions de son adversaire. Prométhée espère ainsi réserver aux autres dieux, la partie non charnue de l'animal, celle qui correspond aux os blancs. Trompé, Zeus enrage. Précisons avant de continuer que la tromperie de Prométhée avait en fait, été anticipée par le dieu des dieux et faisait partie de la métis qui lui permettra à long terme de perdre les hommes. Dans son agacement, (feint ou réel) Zeus refuse le feu céleste (la foudre) et la vie bios (c'est à dire, la source de nourriture des hommes qui antérieurement poussait d'elle-même. elle devra désormais faire l'objet de semences saisonnières des humains. C'est le début de l'agriculture) aux hommes, en les cachant tout deux. Alors, Prométhée décide de voler l'éclat du feu, sous sa forme que l'on connait actuellement, celle qui brille mais qui se meurt dès qu'on ne le rassasie pas. Nouvelle colère de Zeus et fabrication dans la foulée, avec l'aide des compétences propres à Héphaïstos, Athéna et plusieurs autres divinités, d'un nouveau subterfuge à destination des hommes. Ce pharmakon, ce cadeau déguisé, c'est la première femme, Pandore. La femme qui a pour attribut d'être un ventre insatiable qu'il faudra, pour l'homme, inlassablement nourrir. Ce qui implique qu'il lui faudra fournir la masse de travail (agricole) nécessaire pour la nourrir car sans elle, nulle descendance ne sera plus désormais envisageable. Nous pourrions traduire ce coup de Zeus en langage échiquéen par la prise en « fourchette », quoi qu'il décide il y aura toujours une contrepartie. S'il décide de rester seul et de se nourrir à sa faim alors pas de descendance. S'il décide de s'unir à une femme, y compris la plus vertueuse de toutes, et d'assurer sa descendance, il sera condamné à travailler sans relâche pour subvenir aux besoins de sa bien-aimée. S'il choisit de ne pas s'accoupler, c'est en terme de descendance que les limites de son choix se traduiront. La ruse de Zeus a t-elle porté ses fruits? Assurément, mais cela s'en est joué de peu et n'est finalement que l'oeuvre d'un homme qui, par sa simple décision d'accepter ou non la proposition de Zeus, influera sur la balance en la faisant pencher irrémédiablement d'un côté ou de l'autre. En effet, malgré les avertissements de Prométhée, qui sentait venir la supercherie, à son frère Epiméthée, ce dernier accepte quand même le présent de Zeus et fait entrer en sa demeure Pandore...
Auparavant, la vie des hommes ne connaissait pas le mal; ni le travail, ni la maladie, ni la faim, ni la vieillesse. Par cet affront à l'encontre du dieu des dieux, Prométhée à entrainé avec lui toute la race des hommes dans un monde qui sera désormais hanté par les maux qui plus est, des maux imprévisibles, insaisissables car invisibles et donc qui rendront l'existence humaine pleine de tourments et les forceront à une vigilance de chaque instant. Il semble assez clair dans ce récit que la conception selon laquelle les hommes seraient de nature « inférieure » ou sous la domination des dieux est quelque peu à relativiser. L'ascendant des dieux sur les hommes ne serait-il pas le fait de maux handicapants les hommes, d'obstacles au quotidien qui n'altèrent en rien leur nature profonde car extérieurs à eux? Des maux dont l'Homme ne sauraient se défaire, car trop pesants et à l'origine de toutes leurs préoccupations et modifiant donc leur comportement par rapport à celui qu'ils avaient pu connaitre lors de l'âge d'or à l'abri de toute préoccupation. Les maux ne sont-ils pas un moyen ou plutôt un stratagème qui serait de l'ordre de la métis employé par Zeus pour détourner le regard des hommes de leur condition de semblables à l'égard de ces Puissances naturelles qui se joueraient de nous? Des obstacles qui les obligent à tourner leurs regards vers leur condition quotidienne, ce qui les empêche donc de lever les yeux vers les hauteurs et de se poser outres questions (cela rappel de manière troublante le mythe des idées platonicien). Le travail, l'amour, la nourriture et enfin, la mort, des préoccupations qui, depuis lors n'ont plus cessées d'occuper l'esprit des hommes et organiser leurs vies, les détournant ainsi de leur condition initiale. Jean-Pierre Vernant fait allusion dans le chapitre étudié précédemment La société des dieux à certaines sectes qui auraient (dans un élan de lucidité?) émis l'hypothèse d'un possible accès des hommes à l'ordre divin. Nous traiterons de cette question décisive plus en profondeur, plus loin dans cette recherche, lorsque nous évoquerons le cas de l'école pythagoricienne et de ses ambitions à l'immortalité.
Je vous remercie d’avance d’avoir pris le temps de me lire….
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