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 Sujet du message : La piraterie en Grèce Antique
Message Publié : 17 Juil 2011 18:18 
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Hérodote
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Bonjour à tous.
C'est un sujet sur lequel j'ai décidé de me pencher, mais j'ai beaucoup de mal à trouver des sources ou plus simplement des informations.
Je sais que la piraterie maritime était très fréquente, surtout avant Périclès qui la limita fortement.
Les textes regorgent de ces anecdotes de personnages illustres enlevés par des pirates (Platon ou Diogène par exemple chez Laërce) : qu'en est-il en réalité ? Etait-il fréquent d'être enlevé par des pirates puis vendu en esclavage ?
Et plus généralement, qui étaient ces pirates, des barbares ? Où sévissaient-ils ? N'y avait-il pas de navires chargés de la sécurité des eaux ?

Si vous avez la moindre info, je suis preneur !

Un grand merci d'avance à vous érudits B)

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Message Publié : 18 Juil 2011 13:01 
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Pierre de L'Estoile
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Sujet vaste et intéressant, je suis curieux de le voir évoluer. Quelques repères et remarques en attendant, en vrac.

La piraterie fait, je dirais, partie de l'identité grecque. Quoi de plus remarquable que les célèbres répliques de l'Odyssée ? "Étranger, qui êtes-vous ? D'où venez-vous à travers les plaines humides ? Est-ce pour quelque affaire, ou parcourez-vous les mers au hasard comme des pirates qui errent sans cesse en exposant leur vie et en portant la désolation chez des peuples étrangers ?" demande Nestor à Télémaque en III.71sq., alors même qu'il l'a accueilli et nourri ! Le Cyclope accueillera Ulysse et ses compagnons par les mêmes paroles en IX.252sq. En XVI.381sq, Ulysse déguisé plaint les malheur d'Eumène : "Hélas ! quoique jeune encore, tu as donc été forcé d'errer loin de ta patrie et de tes parents ? Parle-moi sans détour ; dis-moi si la ville qu'habitèrent ton père et ta mère a été détruite par les ennemis ; ou si des pirates cruels t'ont jeté dans leur navire lorsque tu étais seul avec tes troupeaux, et s'ils t'ont vendu au maître de cette demeure qui a donné, sans doute, pour t'obtenir un prix convenable."
A l'autre bout de la période, le pirate est un personnage récurrent du roman grec, qui intervient négativement ou positivement à un moment clé des aventures des amants malheureux...
Et entre les deux, l'épigraphie qui commente abondamment les traités entre états qui tentent non de se préserver des ravages, inévitables, mais d'en limiter les effets par des accords bipartites obligeant à libérer les citoyens vendu comme esclaves et les esclaves volés des cités alliés, contre dédommagement bien sûr.
Certains pirates font figure de héros, je pense par exemple au Phocéen Dionysios : chassé après l'échec de la révolte de l'Ionie à l'aube du Ve, il s'en va écumer l'occident, fléau des Phéniciens et des Etrusques, mais épargnant les navires grecs !

Au Ve et dans la première moitié du IVe, le phénomène est jugulé dans l'Egée par Athènes, pour qui la liberté des mers est vitale et qui traque efficacement ces débordements. La situation va nettement se détériorer avec l'arriver de la Macédoine : comme Philippe et ses successeurs ne disposent pas de flotte comparables à celle de leurs ennemis, ils travaillent en partenariat avec les pirates qui commencent alors un âge d'or au IIIe siècle, avec en particulier les Aitoliens et les Crétois qui forment de véritables états prédateurs, avec des archipirates à la tête de véritables flottes, et ces états se mettent officiellement au service de tel ou tel autre, une espèce de contrat de condottière, mais qui n'empêche pas en parallèle la poursuite de raids privés, qui peuvent très bien se faire au détriment des alliés officiels (Philippe V s'en plaindra aux Aitoliens par exemple). Rhodes va tenté de lutter et assurera une partie de la police des mers aux IIIe-IIe, mais on est loin d'atteindre la sécurité... Et l'intervention des Romains, qui vont saborder Rhodes puis s'emparer du royaume attalide va laisser l'Egée totalement sans défense, mais le centre névralgique de la piraterie va basculer à l'est, avec les Ciliciens au Ier, qui donc ne sont plus grec. La conquête de la confédération aitolienne, puis celle de l'île de Crète portent un grand coup à la piraterie organisée grecque, d'autres prennent le relais.

Puisqu'on mentionne le cas cilicien, rappelons aussi au passage le royaume illyrien de Teuta qui au milieu du IIIe fait régner la terreur sur les mers, écumant l'Adriatique et l'Egée avec des flottes de plusieurs centaines de lembos ! Et en occident, la piraterie ligurienne fut une telle plaie que les Marseillais les contraignirent, avec le soutien de Rome, à abandonner les côtes et à s'installer à intérieur, interdisant aux Ligures de s'approcher à quelques kilomètres de la côte. La piraterie n'est pas un phénomène purement grec, même s'ils apparaissent souvent champions en la matière...


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Message Publié : 18 Juil 2011 15:28 
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La piraterie a toujours été une pourvoyeuse importante d'esclaves, à tel point qu'hormis Athènes à l'époque classique, Rhodes à l'époque hellénistique ou Rome à l'époque romaine :mrgreen: (après -102 pour être plus sérieux), aucune autre puissance concernée par le commerce en Egée n'entreprit de campagne semblable, jugeant sans doute, et entre autre, qu'elle est était positive à ce niveau.
Les pirates pouvaient même servir d'intermédiaire entre les marchands et les sources d'approvisionnement éloignées (mer Noire, ...). Les marchands évitaient ainsi un voyage dangereux et gagnaient ainsi en sécurité, pour leurs biens, et pour eux... Les transactions se faisaient néanmoins discrètement.
Peu d'auteurs anciens dénoncent cette connivence, si ce n'est Strabon (Livre XIV, chapitre V, 2) lorsqu'il explique le renouveau de la piraterie au II° siècle avant par le besoin croissant de Delos en esclaves pour notamment servir l'Italie:
[color=#000080]C'est Coracésium qui marque l'entrée de la Cilicie Trachée. Bâti sur une espèce de promontoire rocheux et escarpé, Coracésium servit de place d'armes à Diodote, quand ce chef (plus connu sous le nom de Tryphon), après avoir soulevé la Syrie contre les rois [Séleucides], engagea contre eux une de ces guerres interminables, heureuses un jour, malheureuses le lendemain. Mais Antiochus, fils de Démétrius, réussit à l'enfermer dans une de ses forteresses, et il fut réduit à mettre fin lui-même à ses jours. C'est du reste autant à l'exemple donné par Tryphon qu'à l'incapacité absolue de cette suite de rois appelés alors à présider aux destinées communes de la Syrie et de la Cilicie, qu'on peut attribuer l'origine des associations de pirates formées par les Ciliciens. Il est constant, en effet, que l'insurrection de Tryphon donna à d'autres l'idée de s'insurger aussi, et que dans le même temps les luttes de frère à frère [au sein de la famille des Séleucides] livraient le pays sans défense aux attaques du premier ennemi venu. Mais ce fut surtout le commerce des esclaves qui, par l'appât de ses énormes profits, jeta les Ciliciens dans cette vie de crimes et de brigandages. Il leur était facile de se procurer des prisonniers de guerre, et tout aussi facile de les vendre, car à proximité de leurs côtes ils trouvaient un grand et riche marché, celui de Délos, qui pouvait en un jour recevoir et écouler plusieurs myriades d'esclaves, d'où le proverbe si souvent cité : «Allons, vite, marchand, aborde, décharge, tout est vendu». Et d'où venait le développement de ce commerce ? De ce que les Romains, enrichis par la destruction de Carthage et de Corinthe, s'étaient vite habitués à se servir d'un très grand nombre d'esclaves. Les pirates virent bien le parti qu'ils pouvaient tirer de cette circonstance, et, conciliant les deux métiers, le métier de brigands et celui de marchands d'esclaves, ils en vinrent proprement à pulluler. Ajoutons que les rois de Cypre, aussi bien que les rois d'Egypte, semblaient travailler pour eux en entretenant de perpétuelles hostilités contre les Syriens que les Rhodiens de leur côté n'aimaient pas assez pour leur venir en aide. Le commerce d'esclaves devint ainsi un prétexte, à l'abri duquel les pirates purent exercer avec impunité et continuité leurs criminelles déprédations. Ajoutons qu'à cette époque les Romains ne prenaient pas encore aux affaires de l'Asie exôtaurique autant d'intérêt qu'ils en prirent par la suite. Ils s'étaient contentés d'envoyer sur les lieux, pour étudier les populations et les institutions qui les régissaient, Scipion Emilien et après lui plus d'un commissaire encore, et ils avaient acquis ainsi la certitude que tout le mal provenait de la lâcheté des souverains du pays ; mais, comme ils avaient garanti eux-mêmes la transmission du pouvoir par voie de succession dans la famille de Séleucos Nicator, ils se faisaient scrupule de priver les descendants de ce prince de leurs droits. Malheureusement, cet état de choses, en se prolongeant, livra le pays aux étrangers, aux Parthes d'abord qui occupaient déjà en maîtres toutes les provinces d'au-delà de l'Euphrate, et, en dernier lieu, aux Arméniens qui poussèrent même leurs conquêtes dans la région exdtaurique jusqu'aux limites de la Phénicie, ruinèrent la puissance des rois de Syrie, exterminèrent toute leur famille et livrèrent aux Ciliciens l'empire de la mer. De nouveaux accroissements de la marine cilicienne finirent cependant par attirer l'attention des Romains, qui reconnurent alors la nécessité de détruire par la force des armes et par une guerre en règle cette puissance dont ils n'avaient pas cru devoir gêner le développement. Il serait difficile, au reste, d'accuser en cette occasion les Romains de négligence ; car, occupés alors d'ennemis plus proches et plus à portée de leurs coups, ils n'étaient vraiment pas en état de surveiller ce qui se passait dans les contrées plus éloignées.[/color]

Concernant la fréquence, tous les contrats maritimes athéniens du IV° siècle avant n'oublient jamais de faire mention de ce danger, tout aussi banal que le naufrage. D'autre part, il existe un certain nombre de décrets honorifiques d'époque hellénistique qui traitent des rachats de prisonniers non devenus esclaves (impossibilité de réduire les captifs en esclaves, possibilité de rançon intéressante, ...), preuve que tous les prisonniers ne devenaient pas esclaves et ce, dans une proportion notable (il existe aussi quelques témoignages littéraires).
Il faut enfin reconnaître qu'il n'était pas toujours facile de distinguer un marchand spéciialisé en main d'oeuvre servile d'un pirate.

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Message Publié : 18 Juil 2011 15:47 
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Pierre de L'Estoile
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Par rapport au banditisme terrestre plus anarchique, c'est effectivement un aspect remarquable de la piraterie : ils sont fréquentables, ce sont des partenaires ou du moins des interlocuteurs, dont on s'offre les services, dont on négocie des rançons ou des impunités, avec qui on fait affaire... Ils n'apparaissent pas vraiment en marge de la société, ils forment une société parallèle, plus ou moins organisée et hiérarchisée, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit pas d'une activité individuelle, mais au minimum d'un équipage avec un port d'attache. Et leur image n'est pas forcément hostile : outre les questions naïves des épopées homériques (où pirate n'est pas une injure) ou le roman grec, je songe aussi à une lettre (fictive) d'Alciphron, où un pauvre pêcheur, sans doute esclave, se demande s'il ne devrait pas rejoindre un équipage de pirate qui lui a déjà fait des offres, lorsqu'il était en mer ; où les récits de l'emprisonnement de César, qui finalement s'entend très bien avec ses geôliers, qui le traitent bien et avec qui il échange des plaisanterie (quand bien même il les massacrera). L'impression qui ressort n'est pas celle de voyous sans foi ni loi, mais d'individus lambda raisonnables et fréquentables...


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Message Publié : 20 Juil 2011 15:18 
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Quelques compléments:
Qui étaient-ils? Thersite cite à juste titre les Etoliens, les Crétois (qui passaient parfois des ententes avec les précédents), les Illyriens et les Ciliciens. Rajoutons les Tyrrhéniens (qui disparaissent petit à petit) et certaines régions de mer Noire. On peut rajouter aussi certaines parties des îles du nord de l'Egée comme Skyros (Cimon en -476 mène une expédition contre eux) et de la Chersonèse de Thrace (Plutarque nous en parle à propos d'une action de Périclès, 19). Enfin, Thucydide, mais pour l'époque archaïque parlent de certains peuples du continent dont ils ne précisent pas l'identité et nous apprend qu'il n'en reste plus beaucoup à son époque; il cite entre autres des Locriens Ozoles et des Acarnaniens, sans parler bien sûr des Etoliens (I, 5).

Il faut parfois être prudent: tout d'abord, le "titre" de pirate est parfois simplement donné à un ennemi. Par exemple, dans les années -220, le dynaste Démétrios de Pharos est présenté soit comme un pirate, soit comme un fidèle allié, en fonction de ses pirouettes vis à vis de Rome. Ensuite, et surtout à l'époque hellénistique, les pirates sont de plus en plus utilisés comme des mercenaires par les diadoques et autres épigones. Par exemple, Démétrios Poliorcète en utilise lors du siège de Rhodes en -305/-304. Enfin, il faut se méfier de certains auteurs qui peuvent forcer le trait... ainsi, Polybe est un anti-Etolien incurable. Les Crétois souffrent sans doute de leur position périphérique qui fait qu'ils sont souvent méprisés. Tous les Crétois n'étaient ainsi pas des pirates.

Quant aux zones de rapine, ce sont principalement les cités insulaires mais le littoral n'était pas en reste non plus.

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Message Publié : 20 Juil 2011 16:39 
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Pierre de L'Estoile
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C'est vrai qu'il faudrait commencer par définir clairement ce qu'on entend par "pirate" : à l'époque hellénistique, ces opérations de rapines navales apparaissent de plus en plus officielles, encadrée et organisée à très grande échelle dans des cadres plus ou moins officieux : les états interviennent dans la course, dans ses objectifs, dans ses buts, etc. Est-ce encore de la piraterie ou de la politique ? L'Etolie et certains états illyriens, voire la Sparte de Nabis, font figure d'états pirates, mais ils n'en restent pas moins des états légitimes et reconnus. En même temps, il est vrai que notre perception est corrompu par la vision manichéenne de Polybe, une des meilleures sources sur ce phénomène à l'époque hellénistique...

Pour les Tyrrhéniens, en fait les deux ont une tradition de piraterie bien établie, ceux d'Occident, mais aussi ceux de Lesbos, et je me demande dans quelle mesure la réputation calamiteuse des Lesbiens préhelléniques (et plus ou moins mythiques) a pu influencer l'image de leurs homonymes occidentaux, ou vice versa.

Pour les Crétois, cela a tout de même pris des proportions incroyable à un moment... Lorsque les Romains tapent du point sur la table et exigent que les Crétois libèrent tous les prisonniers romains qu'ils possèdent encore sur l'île, ils en récupèrent 4000, tellement que Fabius Labeo obtient le triomphe uniquement pour les avoir fait libérer, sans avoir mené de campagne ! Sachant qu'il ne s'agit que des citoyens romains, pas des alliés ni des autres victimes, que toutes les cités crétoises n'ont pas optempérés, et qu'il ne s'agit que de ceux encore détenus sur l'île, abstraction faite du surplus revendus... ça donne le tournis...
Je renvois à Brulé P., La piraterie crétoise hellénistique, Belles Lettres, 1978


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Message Publié : 20 Juil 2011 17:05 
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Pierre de L'Estoile
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PS : je viens de constater une bêtise : je fais allusion aux Tyrrhéniens de LEMNOS, pas de Lesbos... désolé

Tant que j'y suis, je rajoute que non seulement les Grecs sont des pirates compétents, mais qu'ils nous ont aussi légué ce mot, du grec πειρατής, peiratês. lol


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