C'est un sujet loin d'être évident pour les raisons que vous avez indiquées. D'autre part, comme en latin, il n'existe pas de terme précis pour désigner, et distinguer, les artistes et les artisans . Il faut en outre ajouter que les sources mentionnent rarement les ethniques et il est ainsi difficile de distinguer les citoyens des métèques, au contraire du monde du commerce où l'étude des amphores ou la numismatique vient quelque peu nous éclairer. Enfin même si la situation s'améliore à l'époque hellénistique, la désignation du métier n'est pas très claire. La plupart des artisans n'était pas réellement spécialisée. Je reviens néanmoins sur votre phrase: "D'autre part l'agriculture était privilégiée au détriment de l'artisanat mais je suppose que les esclaves, ici, faisaient le travail. " Il est vrai que bien rares étaient les exploitations à fonctionner sans esclaves, dont la part a été pendant bien longtemps sous-évaluée, mais il existait quelques exploitations sans esclaves et certaines n'avaient recours à de la main d'oeuvre que lors des pics saisonniers, fonctionnant le reste de l'année sans aide extérieure servile.
Pour revenir au sujet, un spécialiste peut effectivement distinguer un artisan/artiste par la signature qu'il laisse sur une statue, de la céramique d'art, tant au niveau de la poterie qu'au niveau de la peinture. La documentation nous renseigne donc essentiellement sur l'artisanat d'art, sculpture, peinture sur vase, taille de pierre... Ces signatures nous apprennent également beaucoup d'autres choses, tels que le dégré d'hérédité d'un métier, les déplacements des artisans ou encore l'"école de formation" (ex: Rhodes), la signature servant également à recommander un produit à l'acheteur.
Les Grecs connaissaient les spécialités locales: la céramique attique a envahi toute la Méditerranée aux V° et IV° siècle avant, les figurines en terre cuite de Tanagra en Béotie étaient demandées dans tout l'Orient médieterranéen, Pline dans son Histoire naturelle nous fait un catalogue de productions locales célèbres: bols de Mégare, bronzes de Délos, ... Il n'y avait pas que les productions qui étaient reconnues, il y avait aussi le savoir-faire des artisans de certaines cités. La construction du temple de Bassae en Arcadie (fin V° avant) montre la présence d'artisans d'Argos, d'Athènes et des Cyclades. Le chantier de Delphes couvre un vaste rayon géographique: Italie du Sud, Cnide, Thessalie, ... Les meilleurs meules étaient fabriquées dans les îles volcaniques. A Délos au III° siècle avant, on compte en nombre des insulaires de Ténos, Skyros, Paros ou Naxos, reconnus pour leur savoir-faire. Rares étaient enfin les cités qui arrivaient à maintenir sur leur sol des étrangers au savoir-faire spécialisé et reconnu.
Je ne pourrai vous répondre quant au fonctionnement des grands artistes, toujours est-il que l'offre et la demande ne sont pas toujours équilibrées dans les métiers d'art, il n'est pas rare de voir des artisans quitter un endroit pour un autre ou abandonner leur profession; ainsi les bronziers athéniens au tournant du V° et IV° siècle avant. A contrario, la main d'oeuvre très spécialisée n'était pas très nombreuse, ainsi il ne pouvait fonctionner qu'un seul chantier de prestige à la fois. Par exemple, les artisans ayant bossé à Delphes se retrouvent ensuite à Epidaure. Quant au paiement, toujours par rapport aux artisans "de base", il l'était soit à la tâche, soit à la journée, soit à la fin d'un gros contrat.
Au final, je n'ai pas répondu à grand chose... votre dernière question est très intéressante, j'espère que quelqu'un saura y répondre. Je n'ai pas trouvé de référence bibliographique sur les grands artistes...
_________________ "On ne peut pas gouverner un pays qui offre 246 variétés de fromage". "Un pays capable de donner au monde 360 fromages ne peut pas mourir".
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