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Message Publié : 17 Nov 2011 10:19 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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Dans un article de "The Independent" consacré à la "fabrication" de supersoldats pour les armées occidentales modernes (dispositif hulc (squelette complémentaire qui permet de porter sans fatigue des charges de 100kgs), substances effaçant les souvenirs traumatiques et permettant d'éviter le PTSD chez les combattants etc) , il est écrit ceci:

"The ancient Spartans believed that battlefield training began at birth. Those who failed the first round of selection, which took place at the ripe old age of 48 hours, were left at the foot of a mountain to die. The survivors would, in years to come, often wonder if these rejects were the lucky ones. Because to harden them up, putative Spartan warriors were subjected to a vigorous regime involving unending physical violence, severe cold, a lack of sleep and constant sexual abuse."

(Les anciens spartiates pensaient que l'entrainement au combat commençait à la naissance. Ceux qui ne passaient pas la première sélection, à l'âge de deux jours, étaient abandonnés au pied d'une montagne et mouraient. Les survivants , dans les années qui suivaient, se demandaient souvent si ceux qui avaient été ainsi rejetés n'étaient pas les plus chanceux. Parce que, pour les endurcir, les futurs guerriers spartiates étaient soumis à un régime énergique incluant des violences physiques incessantes, un froid rigoureux, le manque de sommeil et des abus sexuels constants).

Je n'ai jamais rien lu sur les abus sexuels constants infligés aux futurs guerriers spartiates, ni même sur leur sélection (sur quels critères? ) 48 heures après leur naissance. Un érudit en matière d'histoire de Sparte pourrait-il fournir des précisions sur la sélection et l'entraînement des guerriers spartiates?


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Message Publié : 17 Nov 2011 11:13 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Les principales sources sont Xénophon, Constitution des Lacédémoniens, 2-3; et la Vie de Lycurgue de Plutarque, §§ 16-18 (qui ne vaut pas tripette, historiquement parlant).

Citer :
Les anciens spartiates pensaient que l'entrainement au combat commençait à la naissance. Ceux qui ne passaient pas la première sélection, à l'âge de deux jours, étaient abandonnés au pied d'une montagne et mouraient.

C'est une allusion à un passage de la Vie de Lycurgue, 16, de Plutarque, qui n'est attesté nul par ailleurs : L’enfant qui venait de naître, le père n’était pas libre de l’élever ; il allait le porter dans un endroit nommé Lesché, où les plus anciens de la tribu siégeaient. Ils examinaient l’enfant, et, s’il était bien constitué et vigoureux, ils ordonnaient de le nourrir en lui assignant une des neuf mille parts de terrain. Mais s’il était disgracié de la nature et mal conformé, ils l’envoyaient au lieu dit Apothètes, un gouffre situé le long du Taygète, dans la pensée qu’il n’était avantageux ni pour lui, ni pour la cité, de laisser vivre un être incapable, dès sa naissance, de bien se porter et d’être fort.
D'abord la source date de la fin du Ier-début IIe ap., donc d'une époque où Sparte n'est plus qu'un parc d'attraction pour touriste en mal de sensationnelle, une caricature sanglante et absurde de ce qu'elle était avant. Ensuite, cette tradition n'est confirmée ni par d'autres auteurs un peu mieux renseignés, ni par l'archéologie qui a fait chou blanc en fouillant les Apothètes. Enfin, la sélection à la naissance n'est pas une spécificité spartiate : elle est commune à l'ensemble du monde grec où le père a droit de vie et de mort sur l'enfant, et décide dans les premiers jours soit de le reconnaître et de l'élever, soit de l'exposer. La seule différence, c'est qu'ici la cité se substitue au père, et elle s'y substituera toujours puisque c'est elle qui prend en main son éducation.

Citer :
Je n'ai jamais rien lu sur les abus sexuels constants infligés aux futurs guerriers spartiates

Et pour cause...
Il s'agit d'une interprétation graveleuse et passablement débile de la relation éraste/éromène qui est une des étapes de l'éducation spartiate. A l'adolescence, le futur guerrier se place sous le patronage d'un digne aîné. Certes, le sexe entrait dans le contrat, mais d'une part il n'est qu'un aspect assez secondaire de la relation établie, faite de respect mutuel et d'émulation réciproque (surtout à Sparte où la surveillance collective est constante), d'autre part il ne s'agit pas "d'abus sexuels constants" : rien de collectif, cela ne concerne que l'adolescent et son "tuteur", et qui plus est très discret, surtout à Sparte qui cultive la pudeur comme une des vertu primordiale, excessive même... Et puis, qui dit sexe ne dit pas abus... Voir en particulier Xénophon, 2.12-14 (en relativisant la tendance à l'exagération de Xénophon, laconisant convaincu).

Enfin bref, le journal se contente d'enfiler les perles traditionnelles, plus c'est gros mieux c'est, ça fait vendre... Une caricature de Plutarque, qui est déjà une caricature en soit.


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Message Publié : 17 Nov 2011 11:36 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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Merci Thersite, pourriez vous être assez aimable pour donner quelques références bibliographiques où l'entraînement des futurs guerriers spartiates est décrit plus en détail?
Comme, quels exercices physique devaient ils pratiquer? Quel était leur régime alimentaire (le fameux brouet spartiate, avec quoi était il fait? ) Quelles armes leur apprenait-on à manier? Etaient-ils vraiment privés systématiquement de sommeil? Et quid de cette histoire de froid rigoureux? L'hiver à Sparte était il si rigoureux que ça?
Quelle "idéologie de caste" leur inculquait-on? (honneur, patriotisme etc)


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Message Publié : 18 Nov 2011 14:16 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Aïe. Les références d'études contemporaines ne sont pas trop ma tasse de thé... Je peux facilement renvoyer à des sources, rarement à des études. A l'occasion, je jetterai un œil dans mes cartons, il doit me rester des notes bibliographiques datant de mes études... En attendant, si tu as l'occasion de mettre la main sur le bouquin d'Edmond Levy, Sparte. Histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine, Editions du Seuil, 2003, il doit y avoir un chapitre consacré au sujet accompagné d'une bibliographie relativement récente.
Pour les sources, d'une manière générale, on sait assez peut de chose mine de rien sur les détails concrets, car l'essentiel est d'époque hellénistique ou romaine, transpirant le mythe spartiate plus qu'autre chose. Xénophon est de loin de meilleurs, de par sa date et sa qualité de témoin direct ; Platon est souvent utilisé, mais d'emploi difficile puisqu'il s'inspire du système spartiate, mais dans un proportion difficilement mesurable...

Sans trop entrer dans les détails (j'ai passablement la flemme ces derniers temps sur PH...) les exercices ne sont pas très originaux, il s'agit de former un hoplite. L'accent est surtout mis sur les deux qualités premières de l'hoplite : discipline et résistance. Donc certes, leur endurance au manque de sommeil, au froid, à la douleur était développée par des privations de toutes sortes, mais bien entendu pas systématiquement ni quotidiennement : il faut bien dormir ! Pour l'histoire du froid, cela tient à leur unique manteau, qu'il portent hiver comme été. Certes, la Grèce n'est pas souvent victime de gelée, mais le climat peut être assez rude, avec des changements de temps rapide, des automnes torrentiels, etc. Et puis, le Péloponnèse est une région montagneuse, où les chaînes dépassent souvent 1500-2000 m, sans compter des foutus vents violents, qui descendent la vallée de l'Eurotas ou qui frappent le Cap Malée, aux tempêtes célèbres et très redoutées. Même s'il ne neige pas tous les jours, je n'aimerai pas m'y ballader cul nu et nus pieds avec un court manteau uniquement...

Pour le régime alimentaire, hop, citation d'Athénée, IV.19 qui s'y est intéressé et multiplie les citations (Dicéarque date des IV/IIIe siècles, Sapharos et Molpis de Lacédémone ne sont connus que par Athénée, peut-être des II/Ier av., donc tardifs) :
Dicéarque détaille ainsi le souper des Phédities, dans son Tripolitique : « Le premier souper se sert à chacun en particulier, et personne n'a de communication avec un autre ; ensuite on donne à tous une maze aussi grande que chacun la veut. On leur met en outre à côté d'eux un Kothon, ou vase plein de vin, dont ils boivent à leur volonté : on leur sert toujours à ce repas du cochon bouilli, quelquefois même cette bonne chère se réduit à un quart pesant au plus, et ils n'ont pas autre chose, si ce n'est le jus ou bouillon qui en vient, mais justement autant qu'il en faut à chacun pour faire couler tout le souper. On leur donne peut-être encore des olives, du fromage, ou des figues, ou tel surcroît que quelqu'un leur envoie; comme du poisson, du lièvre, du ramier, ou autre chose semblable. Après ce souper, qui est bientôt terminé, on sert ce surcroît, qu'on appelle epaikles : chacun fournit au phédities environ trois médimnes attiques de farine, et jusqu'à la concurrence, à-peu-près, de dix ou douze congés de vin; outre cela, certaine quantité de fromage, de figues, et environ dix oboles d'Égine pour l'achat de la bonne chère. » Sapharos écrit, dans son troisième livre de la République de Lacédémone, que « les convives des phédities apportent pour eux-mêmes les epaikles, et que les chasseurs, qui sont quelquefois en grand nombre, y présentent de leur chasse. Quant aux riches, ils font apporter du pain, et de ce que fournit la campagne, selon la saison, et selon la quantité des personnes réunies, pensant qu'il serait inutile de faire des apprêts plus que suffisants, puisque le superflu ne serait pas consommé. » Molpis dit que « il y a toujours après le souper quelque régal, que l'un ou l'autre, ou même plusieurs des convives ont apporté, après l'avoir préparé chez eux. Jamais on n'apporte d'epaikles achetés ; car ils ne le font pas pour flatter la volupté et l'intempérance, mais pour montrer leur adresse à la chasse. Plusieurs ayant des troupeaux à eux, font volontiers part de quelques jeunes animaux aux convives. Les régals sont des ramiers, des oies, des tourterelles, des grives, des merles, des lièvres, des agneaux, des chevreaux. Les cuisiniers désignent toujours, en pleine assemblée, ceux qui ont apporté quelque chose, afin que tout le monde sache combien ces chasseurs se plaisent à la chasse, et quelle est leur générosité envers les convives. »
Ce porc bouilli est le fameux brouet noir, tristement célèbre (car dégueulasse...). Il me semblait avoir croisé un recette un peu plus précise, mais je n'arrive pas à mettre la main dessus. Peut-être dans les Géoponiques ? Une espèce de soupe épaisse au sang de porc assaisonné de vinaigre, avec quelques morceaux de lard qui surnagent.. Mmmh, appétissant...
Pour le plaisir : Cicéron, Tusculanes, V.34 : Vous savez ce qu'on servait aux Lacédémoniens dans leurs repas publics. Denys le tyran s'y étant trouvé, et ayant voulu goûter d'un ragoût fort noir, qui en faisait le mets principal, il le trouva détestable, "Je ne m'en étonne pas", lui dit le cuisinier, "puisque le meilleur assaisonnement y manque". - "Quoi donc?" - "La fatigue de la chasse", répond le cuisinier, "l'exercice de la course aux bords de l'Eurotas; la faim et la soif. Voilà ce qui fait trouver nos sauces si bonnes".
lol

Juste un mot pour revenir sur le soupçon d'eugénisme avancé par Plutarque : le célèbre roi de Sparte Agésilas était malingre et boiteux de naissance, preuve s'il en est que la "sélection", à supposer qu'elle ait existé, n'était pas si rigoureuse que cela...

Il existe plusieurs sujets consacré à l'éducation militaire spartiate, autant reprendre là-bas et relire ce qui a déjà été dit, avant de poursuivre :
Sparte et son armée
L'éducation spartiate
Agogê
La cryptie


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Message Publié : 18 Nov 2011 15:51 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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Merci, Thersyte, vous êtes un puits de science :mrgreen:
Je croyais que le brouet était une sorte de bouillie de céréales, en fait il s'agirait plutôt, d'après ce qui est dit ci-dessus, d'une sorte de pot au feu de porc, servi avec le bouillon.
La cuisine spartiate servie aux guerriers, bien que n'étant peut être pas gastronomique, semblait néanmoins riche en protéines animales--porcs et produits de la chasse--et assez complète et satisfaisante du point de vue nutritif pour une grande activité physique.
J'ai lu ce qui a été écrit sur PH sur l'agogé et la kryptie. Il me semble surprenant que les jeunes apprentis guerriers aient été encouragés à vivre de vols au sens propre.
S'agissait-il vraiment de vols--s'introduire dans une maison et voler de la nourriture ou autre--ou simplement consommer dans la campagne des fruits, lait ou autre produits agricoles en "accès libre" , donc sans violation de domicile ni effraction?


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Message Publié : 18 Nov 2011 16:15 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Je ne suis pas sûr qu'un rapprochement avec le pot-au-feu, une soupe claire à base essentiellement de légumes, soit le meilleurs parallèle. La spécificité de cette soupe semble justement de n'être qu'à base de viande, j'imagine plutôt une espèce de boudin liquide très nourrissant. Plutarque raconte d'ailleurs que les vieillards se contentaient du jus et laissaient la viande aux plus jeunes. Les légumes de saisons semblent servis en accompagnement, puisque le ragout lui semble invariable. Mais effectivement, leur régime alimentaire semble sain, en particulier cette consommation quotidienne de viande assez exceptionnelle dans le monde grec.

Sur cette histoire de vol, il faudrait que je reprenne la question et surtout son historique, mais il me semble qu'il s'agit une fois de plus d'une tradition rapportée et développée par Plutarque, douteuse. D'une part, ce serait totalement ingérable, des milliers de crève-la-faim encouragés au vandalisme... D'autre part, les privations systématiques d'un enfant ou d'un adolescent en pleine croissance ne sont pas les meilleurs moyens de former des corps solides et des bras vigoureux, ce qui contraste avec la réputation des qualités physiques et de beauté individuelle des guerriers spartiates, vantés par exemple par Xénophon.
Et puis cela ressemble à une généralisation du cas très particulier de la kryptie, qui n'est qu'un passage transitoire et temporaire, et qui ne concerne pas grand monde. A vérifier.


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 Sujet du message : Kryptie
Message Publié : 10 Mars 2012 17:49 
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Polybe
Polybe

Inscription : 07 Avr 2009 15:00
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Dans son livre « la Grèce classique », Anne-Marie Buttin affirme que, à l’occasion de la Kryptie, le jeune spartiate est autorisé à tuer au moins un hilote. Je me demande ce qu’on doit penser de cette assersion. Quelles sont les connaissances actuelles à ce sujet ? Que sait-on des sources ?
Merci par avance de vos réponses.


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Message Publié : 10 Mars 2012 22:53 
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Localisation : Athènes
Tonnerre a écrit :
Et quid de cette histoire de froid rigoureux? L'hiver à Sparte était il si rigoureux que ça?


Vivant en Grèce, je peux vous dire que le froid y est aussi rigoureux qu'en Suisse, mon pays natal. Sauf que ça dure moins longtemps.
On annonce pour demain 9 Beaufort en mer Égée, l'arrivée d'une cinquième vague de neige, y compris à Athènes, où la semaine passée, les montagnes environnantes étaient complètement blanches. Bon le lendemain et le surlendemain, il y a eu du soleil, et tout avait fondu en deux jours.

Mais ce qui accentue encore l'effet de froid, c'est l'humidité qui remonte de la mer. Et ne pas oublier que Sparte est entourée de montagnes, dont le Taygète qui culmine à 2404 m.

Et si passer 2-3 heures dehors n'est pas gravissime, encore faut-il pouvoir compter sur un appartement bien isolé et bien chauffé. Ce qui n'était pas le cas à Sparte et dans la Grèce antique en général, où le chauffage se limitait à un braséro posé au milieu de la pièce...

Alors avec un petit chiton, des sandales, sans pouvoir se réchauffer dans un endroit vraiment chaud, ça devait quand même cailler grave à la longue.

_________________
Amicalement. Chaeréphon

"Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre."
http://chaerephon.e-monsite.com

Bailly = Liddell-Scott = Pape : http://chaerephon.e-monsite.com/pages/litterature/grec-ancien/bailly.html


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