Caesar Scipio a écrit :
il a fallu une décennie à Rome pour vaincre Pyrrhos, roi d'Epire a la tête d'une alliance incohérente et fragile.
A qui pensez-vous lorsque vous parlez d'une alliance incohérente et fragile ? Pyrrhus ou Rome ?
Caesar Scipio a écrit :
avec une Rome qui n'avait pas encore soumis les samnites et venait à peine d'imposer une domination très précaire aux étrusques, je pense que la probabilité d'une défaite incontestable de Rome était très élevée.
Vous allez un peu vite en besogne : les Etrusques ne seront réellement soumis qu'au terme de la 3ème guerre samnite, et encore ; d'autre part, les Samnites étaient eux-mêmes l'une des plus grandes puissances de la péninsule italique, 40 ans avant, mais cette puissance n'est pas aussi organisée que Rome et dispose de forces considérables mais très éclatées et aux intérêts économiques et politiques souvent très différents. C'est d'ailleurs en jouant sur ces éléments que Rome parvient à affaiblir la Ligue samnite (qui ne représente pas l'ensemble des peuples osques, loin de là).
Vous semblez sous-estimer l'importance de l'Etat romano-campanien qui se constitue dès -338 : Rome, aux côtés des Samnites (leurs alliés de l'époque), abolit définitivement la Ligue latine à la bataille de la
Via Veseris en -340 et lors des redéfinitions statutaires dans le cadre du Latium et du Pomptinum (parfois de manière extrêmement rude). Elle est alors à la tête de l'un des plus puissants Etats de Méditerranée occidentale, si ce n'est le plus puissant, et reconnu par tous comme une puissance importante (-342 : Carthage envoie une ambassade à Rome pour la féliciter et lui signifier l'amitié de la cité punique). Cet Etat "romano-campanien" (l'expression est de D. Briquel, assumée également par G. Brizzi) s'appuie sur deux régions qui sont, à cette époque, les deux plus riches et plus peuplées de la péninsule : le Latium et sa plaine du Pomptinum et le littoral campanien. Autre élément d'importance, cet Etat regroupe des intérêts latins, étrusques, grecs et osques (pour faire large), c'est-à-dire des intérêts de toutes les ethnies de la péninsule (ou presque, je ne compte pas les Iapyges et les Gaulois mais c'est en raison du manque d'informations : il n'est pas exclu que des intérêts de ces ethnies aient été représentés dès cette époque, mais je n'en sais pas assez sur le sujet). Autant dire que si certains éléments de la péninsule ont des intérêts contre Rome, d'autres, en revanche, partagent les leurs : d'ailleurs, c'est exactement ce que révèle l'intervention samnite puis romaine dans l'affaire de Palaepolis-Neapolis en 327-326 av. J.-C. ; c'est également ce que montre l'attitude des Lucaniens de Paestum qui prennent le parti de Rome contre les Hirpini. Les Ombriens ne sont pas en reste et certains soutiennent Rome contre les Etrusques de Clusium lors des affrontements de -311/-310.
Je ne suis donc pas vraiment d'accord : on a souvent tendance à voir Rome comme une puissance incapable de combattre sans ses membres samnites (c'est d'ailleurs un regroupement bien général qui ne signifie pas grand chose en soi) ou étrusques : c'est une erreur, les Etrusques ne forment plus de ligue vraiment unie (d'ailleurs, l'alliance longtemps conservée entre Rome et Caere parle d'elle-même) et sont en butte aux intérêts parfois contradictoires de leurs élites selon les villes ; par ailleurs, on veut trop souvent voir les Samnites comme un ensemble cohérent et anti-romain : là encore c'est une erreur, la Ligue samnite ne représente pas l'ensemble du monde osque et repose sur des structures tribales dont le noyau n'est pas toujours localisé dans des grands centres urbains (Bovianum et Caudium sont deux exceptions notables, et encore, Bovianum repose sur des éléments hétérogènes) et dont les intérêts sont multiples d'un littoral à l'autre (versant adriatique, versant tyrrhénien). Ce qui fait que le Conseil "samnite" devait concilier quatre ethnies principales (les Caudini, les Hirpini, les Pentri et les Piceni) mais aux structures très diverses : les Caudini sont depuis longtemps familiarisés avec la structure de type greco-étrusque (la
polis, pour aller vite) et ont des intérêts proches de l'Etat romano-campanien. Les Pentri et les Hirpini ont des structures encore largement tribales dont l'organisation suit la tradition de l'antique
ver sacrum, ce qui les lient à une sorte de contingence démographique que l'on retrouve d'ailleurs dans la fréquence des engagements pendant toutes les guerres samnites (tous les 16-18 ans, c'est-à-dire une nouvelle génération à chaque fois). Rome ne repose absolument pas sur les mêmes structures et le Sénat romain a très vite concilié ses intérêts avec ceux de la classe capouane (d'où l'intervention, encore, de Rome dans l'affaire de Palaepolis-Neapolis).
Le seul exemple vraiment dangereux pour Rome est à chercher du côté de la "ligue" éphémère entre les Samnites, les Etrusques, les Gaulois et les Ombriens lors de la 3ème guerre samnite : la réponse est claire, Sentinum en -295. Les répercussions d'une telle victoire de Rome sur des intérêts contraires aux siens sont claires, dès cette époque : Diodore rapporte en effet qu'un contemporain des événements, Douris de Samos, dit que près de 100 000 hommes y tombent (chiffre totalement invraisemblable mais qui montre toute la portée de l'événement). Autre problème pour ainsi dire résolu : Rome adopte la formation beaucoup plus souple de type manipulaire, ce qui lui permet de manoeuvrer bien plus aisément que la lourde phalange macédonienne. Or, vous semblez négliger deux éléments : si Alexandre souhaite débarquer en Italie, il ne peut le faire que sur le littoral sud ou adriatique (et encore, je doute que les côtes de l'époque soient aussi sûres que le versant tyrrhénien), certainement pas sur le littoral opposé : de Paestum à Caere, tout est sous le contrôle de Rome... On ne débarque pas une force aussi importante que celle d'Alexandre sur un terrain inconnu et dont le contrôle n'est pas du tout assuré (pour cela, beaucoup de gens sont marqués par le débarquement américain de 1944, à l'époque, c'est loin d'être une solution envisageable). Donc, élément essentiel, si Alexandre veut combattre Rome, il ne peut le faire qu'en passant par les défilés des Apennins : il se retrouve exactement dans la situation d'Hannibal. A supposer même qu'il dispose de renforts (lesquels ? il faudrait s'entendre sur leur nature : les peuples conquis par Alexandre ne sont pas des adeptes de la phalange macédonienne...) inépuisables, il ne peut faire manoeuvrer plus de 50 000 hommes pour des raisons de logistiques évidentes. En cela, les Romains peuvent aligner, dès cette époque, des forces à peu près égales. Mais, large différence avec les champs de bataille perses, Alexandre doit combattre sur un terrain très accidenté et traverser des défilés ou des passages étroits. La phalange ne peut opposer qu'un seul front, pas deux, ni trois, grave désavantage (pour ne pas dire suicide) lorsqu'on combat dans des montagnes, ce qui n'arrange pas non plus les affaires de la cavalerie... Et quand bien même ces facteurs ne suffiraient pas à le convaincre de ne pas débarquer, il faudrait supposer que l'ensemble des peuples italiques prennent son parti contre Rome - hypothèse que je n'ose même pas formuler lorsqu'on voit combien la situation est radicalement plus complexe que ce que l'on pense très souvent.
Non, en présence de ces données objectives, pas fou le Macédonien, même s'il a conquis l'Empire perse ! On est mieux chez soi...
En parlant d'alliance fragile, c'est bien à celle de Pyrrhos que je me référais.
Et il me semble qu'en citant Sentinum et la 3ème guerre samnite, vous tombez dans la piège de la propagande romaine : prendre une comparaison et un rapport de force excessivement favorable aux romains.
En 295, Alexandre aurait eu 61 ans.
D'ailleurs, en 315 comme en 295, aurait-il été incapable de nouer des alliances avec les samnites, les cites grecques et les étrusques ?
Alors que Pyrrhos a manqué de peu de vaincre Une Rome beaucoup plus puissante que lors des guerres samnites, Alexandre, avec ses gigantesques ressources et son non moindre talent strategique comme tactique aurait été incapable d'emporter la décision face à une Rome moins forte s'il avait voulu la soumettre ?
Voilà le tour de force de Tite-Live : réussir à faire oublier des évidences et à distordre la réalité dans des proportions pas très éloignées de celles où les britanniques auraient prétendu qu'ils auraient vaincu l'empire Ming au début du XVeme siècle comme ils l'ont fait 4 siècles plus tard.