Altai Khan a écrit :
Oui, bien sûr. Mais cette fronde n'est que la première manche de ce qui semble une rébellion beaucoup plus générale de l'armée macédonienne contre Alexandre. La mutinerie d'Opis en 324 n'était pas le fruit de la peur d'envahir l'Inde, ça se passait en Babylonie, en temps de paix.:
Les pertes encourues en Inde et la peur de ce qui se trouverait au-delà de l'Indus (Pigmées, Monopodes, Monophtalmoï et toutes sortes de monstres...) ne sont pas les seules causes des mutineries contre Alexandre. La cause principale est sans doute que les Macédoniens se rendent compte qu'Alexandre ne souhaite pas rentrer en Macédoine, que l'empire qu'il souhaite diriger n'est plus un empire macédonien gouverné depuis Pella, mais un empire gréco-iranien dirigé depuis Babylone. On sait le scandale qu'avaient provoqué les noces de Suse, et il ne faut pas oublier non plus que ce qui provoque en partie la sédition d'Opis, c'est le refus d'Alexandre de rentrer en Macédoine avec ses vétérans, ce n'est pas réellement l'épuisement général et la peur de l'inconnu, comme cela avait été le cas en Inde. De plus, si la sédition d'Opis échoue alors que celle d'Inde fait renoncer Alexandre, c'est qu'Alexandre a intégré à son armée au moins 10.000 jeunes Iraniens formés comme des phalangites macédoniens. C'est avec eux qu'il s'isole pour "bouder" et les Macédoniens se rendent compte qu'il a moins besoin d'eux que lorsqu'ils étaient en Inde, c'est pourquoi ils viennent demander pardon. Les deux mutineries semblent donc avoir deux causes différentes, la première étant la peur de l'inconnu, la seconde étant la déception de voir Alexandre outrepasser le pouvoir des rois macédoniens (qui, normalement, sont les égaux de l'aristocratie, dont Alexandre se moque éperdument. Pour eux, il se comporte en Grand Roi perse, non en roi macédonien. C'est justement PARCE-QU'Alexandre se comportait en "roi du Monde", comme tu dis, qu'ils se révoltent à Opis).
Il faut sans doute ajouter à cela un facteur psychologique lié à la conception hellénique de l'espace. C'est la mer qui structure l'espace chez les Grecs, et ceux-ci ont toujours eu une peur bleue de l'immensité des terres asiatiques. On se souvient du cri de joie des survivants de l'expédition des 10.000 en 400, lorsqu'ils aperçoivent le Pont-Euxin: "Thalassa ! Thalassa !" ("La mer ! La mer !"). Rentrer en Macédoine, ou au moins en Asie Mineure, devait être très rassurant pour les Macédoniens, et cela explique peut-être leurs réticences à accepter qu'on les installe dans des colonies perdues au fin fond de la Bactriane.
Bref, s'il est vrai que la mutinerie d'Opis n'est pas liée à la peur de l'Inde mais à une déception générale de l'armée macédonienne, son échec semble mettre un terme à une éventuelle vague de contestations contre Alexandre, car les Macédoniens se résignent à accepter son projet d'Empire syncrétique, contre lequel ils ne peuvent plus grand-chose. Il est vrai cependant qu'Alexandre est mort trop tôt pour confirmer tout ceci.
Cet esprit de résignation explique peut-être en partie la résignation des Macédoniens durant la guerre des Diadoques. Pas pendant 40 ans, certes, mais du moins les premières années, le temps que les nouveaux Etats, et avec eux les nouvelles relations de fidélité, se mettent en place. De toute façon, je ne trouve pas cela si surprenant, et ce n'est ni la première, ni la dernière fois que des généraux changent de camp sans que les soldats ne bronchent. Regarde les guerres civiles romaines et les alliances fluctuantes entre Octave et Antoine, ou, plus récemment, les alliances et conflits entre les généraux de la révolution mexicaine (Villa et Huerta s'allient, puis se font la guerre, idem pour Villa et Zapata, etc...).