Barbetorte a écrit :
Si je ne m'abuse, pour Alfred Sauvy, le meilleur étalon pour comparer des valeurs économiques sur des périodes très éloignée est le prix du travail.
Pour être encore plus précis, le meilleur moyen de comparer la valeur de deux biens à longue période est de comparer le nombre de journées de travail qu'ils représentent à ces deux périodes.
Mais cela comporte des limites (que Sauvy connaissait évidemment lui-même par coeur).
Avec les gains de productivité, il est normal que les prix de certains biens baissent en valeur relative par rapport à d'autres.
De même, avec les gains de productivité, il est normal que des salaires augmentent: c'est exactement ce que vous avez pointé vous-même: fallait-il se comparer à un salaire srilankais ou français?
En théorie pure de
parité pouvoir d'achat, en prenant l'hypothèse d'un SMIC 50 fois plus élevé en France qu'au Sri Lanka, le coût des mêmes biens devrait être 50 fois plus élevé en France qu'au Sri Lanka. La comparaison
via le coût du travail a donc son sens non seulement dans le temps mais aussi dans l'espace.
Sauf que, sauf que:
1/ cela peut-être vrai éventuellement au global et en moyenne, mais bien par bien, service par service, on peut avoir des disparités énormes
2/ Si on gagne 50 fois plus en France qu'au SriLanka, il y a des raisons objectives de la productivité du travail: il peut s'agir du même bien en apparence, mais qui en fait est de plus grande valeur intrinsèque. Un frigo fabriqué dans les Vosges est-il vraiment le même bien qu'un frigo fabriqué à Ceylan?
2/ viennent se greffer là-dessus des problématiques de change, des régulations du marché tant sur la partie coût du bien que sur la partie revenu du travail, qui faussent encore la comparaison.
Il y a quelques années, le journal l'Expansion avait trouvé le testeur idéal. Un ouvrier électricien qui, toute sa vie professionnelle, avait acheté le même milieu de gamme de chez Citroën, en neuf et toutes options. Plusieurs GS, puis plusieurs BX, puis plusieurs Xantia. Selon les années, cela avait représenté 20 mois, ou 18 mois, ou 24 mois de salaire...
A long terme, il semblait cependant que ses voitures lui coûtaient de plus en plus cher en nombre de mois de salaires.
Mais pourquoi? Bien malin qui pourra le savoir. Est-ce que c'est la productivité de ce Monsieur n'avait pas augmenté aussi vite que la productivité générale de l'économie? Ou bien est-ce qu'il était victime d'un mauvais positionnement dans un secteur moins porteur que la moyenne, donc que son salaire stagnait? Ou bien, et c'est la vraie question, n'est-il pas rationnel qu'une Xantia de 2000, plus confortable, plus rapide, plus sûre, coûte plus cher,
y compris en valeur relative, qu'une GS de 1973? Surtout que le conducteur de Xantia par rapport à la GS économise peut-être en carburant ce qu'il surpaye à l'achat etc. etc. etc.
En gros: même sur un exemple ultra précis et borné, c'est déjà très difficile
Une fois sorti de cette comparaison par la journée de travail d'un manœuvre (qui reste bien sûr un excellent outil), que reste-t-il?
L'autre moyen, celui dont l'humanité se servait avant l'arrivée de "l'école classique", c'est de considérer
l'or.
L'or non pas comme un bien parmi d'autres, mais comme un absolu dont le rôle n'est que de servir comme pivot de comparaison.
Combien de grammes d'or pouvait-on se payer avec une obole en -425? Vous aurez votre comparaison en €.
Mais il faut faire une petite gymnastique intellectuelle: on a l'habitude de penser "l'or vaut tant d'euro, il a monté, il a baissé". Il faut inverser notre vision, et voir l'or comme un invariant étalon, et que c'est au contraire l'euro qui est coté par rapport à l'or.
Combien de grammes d'or valait une vache en 1500? en 1930? Combien de grammes d'or valait un m² Boulevard Haussman en 1946? En 1999? en 2010? Etc...
Toutes les méthodes de comparaison ont leur faiblesses. Et quand on compare les résultats desdites comparaisons (tout le monde suit?), cela peut donner des divergences tout à fait baroques.
Deux exemples, et pas besoin de remonter au siècle de Périclès pour ça:
il y a quelques semaines, je rencontre un vieux monsieur ancien prisonnier de guerre en Indochine. Après sa libération des camps, il touche son arriéré de solde et se fait plaisir: il s'achète une Peugeot 203 cabriolet et la paye cash. Quelques semaines après, il s'en veut de son coup de tête et cherche à se rattraper. Il loue à cette époque un 5 pièces près de la Porte d'Auteuil, où il vit avec 4 enfants. Il en parle à son propriétaire. Bingo, celui-ci accepte: il échange l'appart' contre la voiture.
60 ans après, l'appartement existe toujours et il a toujours 5 pièces. On peut donc penser qu'il a intrinsèquement la même valeur. Et bien, on pourra toujours chercher la comparaison de prix contre une 307 CC, contre l'or, contre les heures de travail, contre la baguette de pain... on y retrouvera pas ses petits.
la coupe de cheveux de Pierma, abondamment commentée en classe par mon digne prof d'éco, c'était au siècle dernier. On disait que le prix était figé. Ce qui avait du sens de prime abord, puisque c'est un service sur lequel il n'y a pas de gain de productivité, ou de manière très marginale. C'est du travail pur, donc le prix augmente à peu près à la même vitesse que la valeur du travail.
Mais mon cher professeur montrait bien que ce cette stagnation du prix était en fait une augmentation vertigineuse, si l'on se référait à la comparaison avec d'autres biens: cette fameuse coupe de cheveux, dont l'on considère la valeur comme stable dans le temps...
elle valait le prix d'un kilowatt heure d'électricité en 1914! 100 ans après, 20€ la coupe, 13 centimes le kWh. Inflation de 15000%
On voit bien que, compte tenu des gains de productivité de certains secteurs de l'activité humaine, les comparaisons, quel que soit le pivot, sont inopérantes.
C'est peut-être aussi pour ça, cher lecielmetombesurlatête, que les comparaisons n'abondent pas chez les historiens