Helios a écrit :
qu'est-ce qui empêche le maître de s'approprier sa fortune?
Je m'étais posé la question, et il faut bien admettre que au fond, rien ne l'en empêche juridiquement, ou pas grand chose. Mais il ne faut pas oublier l'importance du poids du droit coutumier informel ; ainsi, les mariages esclaves ne sont pas enregistrés, et pourtant un père peut exercer son droit paternel sur son fils et l'affranchir en même temps que lui, ce qui montre bien que le maître lui reconnait cette paternité. De la même manière, l'esclave est protégé par la coutume, même un maître ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi, il est soumis au jugement moral de ses pairs. Enfin, il existe des sanctuaires ou des autels où un esclave maltraité peut se réfugier et faire appel à la clémence publique... Je n'ai pas d'exemple sous la main, mais j'en ai déjà rencontré, je vais rechercher.
Néanmoins, plus prosaïquement, dans le cas que tu évoques d'un maître qui confisque arbitrairement les économies d'un esclave, il existe un recours juridique: la
graphê hubreôs, assez floue, qui condamne l'hubris, quelle soit le fait d'hommes libres ou d'esclaves, qu'elle s'exerce aux dépends des hommes libres ou des esclaves. La plupart du temps, lorsqu'elle est mentionnée, elle s'applique à des disputes entre libres (par exemple la baffe de Midias à Démosthène), mais son extension à l'ensemble de la population est signalée au moins par trois sources :
Démosthène,
Contre Midias, 46-47 :
« Si tel ou tel a outragé quelqu’un, enfant, femme, homme, de condition libre ou servile, ou commis un acte illégal à l’égard d’un de ceux-là, tout Athénien, jouissant de ses droits, peut, s’il le veut, le dénoncer aux thesmothètes, et ceux-ci l’assigneront devant les héliastes dans les trente jours qui suivront la dénonciation, à moins que quelque affaire publique n’y fasse obstacle, et, dans ce cas, le plus tôt possible. Les héliastes, s’ils condamnent, préciseront aussitôt la peine ou l’amende qui leur semblera méritée. Si celui qui a dénoncé, suivant la loi, se désiste ensuite, ou, ayant poursuivi l’affaire, ne recueille pas le cinquième des suffrages, il paiera mille drachmes au trésor public. Celui qui aura été frappé d’une amende pour outrage, sera emprisonné, si l’outragé est un homme libre, jusqu’à ce qu’il se soit acquitté. »
Quelle loi humaine, Athéniens, qui défend d’outrager même les esclaves ! Grands dieux ! si l’on faisait connaître cette loi aux barbares des pays d’où nous tirons nos esclaves, et qu’en faisant l’éloge de notre ville, on leur dît : « Il y a des hommes grecs, de mœurs si douces et si humaines, que, malgré tout le mal que vous leur avez fait, malgré leur haine patriotique contre vous, ils ne laissent pas même outrager les esclaves qu’ils ont achetés à prix d’argent, mais ils ont établi une loi qui prohibe de tels actes, et ont puni de mort plus d’une fois ceux qui l’avaient enfreinte ; » si ces barbares entendaient et comprenaient un tel langage, ne pensez-vous pas qu’ils vous décerneraient à tous le titre d’hôtes publics ?Eschine,
Contre Timarque, 15-17 :
Oui, la loi concernant l'outrage, qui couvre de ce seul mot tous les attentats de cette nature. D'après son texte formel, toute personne qui outragera un enfant (et l'acheteur est dans ce cas), ou un homme, une femme, soit libre, soit esclave, ou qui se portera contre l'un d'eux à des excès criminels, pourra être accusé d'outrage ; et elle indique la peine afflictive ou fiscale qui sera infligée. — Lis cette loi.
16 Tout Athénien qui fera violence à un enfant libre sera traduit devant les thesmothètes par celui qui a autorité sur l'enfant. Ce dernier prendra des conclusions. S'il y a condamnation capitale, l'accusé, livré aux Onze, sera mis à mort le jour même. Si la peine est une amende, elle sera payée dans les onze jours qui suivront la sentence. Ce terme écoulé sans payement, le condamné ira en prison jusqu'à ce qu'il ait satisfait. Le viol commis sur un esclave donnera lieu aux mêmes poursuites judiciaires.
17 Peut-être vous étonnerez-vous qu'une loi sur l'inviolabilité des personnes fasse aussi mention des esclaves : mais, à l'examen, vous trouverez là, ô Athéniens, l'intention la plus sage. Ce n'est pas que le législateur s'intéresse à l'esclave : mais, pour mieux nous accoutumer au respect des personnes libres, il l'étend, ce respect, là même où cesse la liberté. Règle générale : toute violence, dans une démocratie, exclut du gouvernement celui qui l'a commise.Hypéride,
Contre Mantithéos, Fgt.1 :
They legislated not only for free men but for slaves too, ruling that if anyone did violence to the person of a slave there should be an indictment against the party guilty of violence. Les textes de lois tels qu'ils sont transmis ne sont pas à prendre à la lettre, ce sont des ajouts d'éditeurs tardifs qui les reconstituent d'après le texte du procès et éventuellement de recueils de décrets dont la fiabilité n'est pas garantie : on voit bien d'ailleurs la différence entre les deux lois soit-disant cités, même si celle de Démosthène est plus vraisemblable. Je les ai laissé en italique, mais il vaut mieux se contenter de ce qui précède et de ce qui suit pour se faire une idée.
Par contre, évidement, l'esclave ne peut lui-même porter plainte ; il lui faudra trouver un Athénien qui porte le cas devant les tribunaux, ce qui relativise la portée de la loi.
Helios a écrit :
Autre question : combien d'esclaves a-t-on en moyenne à Athènes? Par exemple, un zeugite moyen ou, à l'autre bout, un pentacosiommédimne moyen? Et quel est le nombre maximal d'esclaves connu pour un seul propriétaire?
Je ne vais pas trop m'appesantir, le sujet a déjà été abordé avec exemples à la clé. La proportion générale est difficile à établir, puisque l'estimation du nombre d'esclaves porte à d'interminable discussions. A la louche, sur la base du recensement de Démétrios, entre 2 esclaves par libre et la parité, un pour un, dans les deux cas cela concerne hommes femmes et enfants, et pour les libres je ne sépare par les citoyens des métèques. Vraiment pour donner une idée.
Pour les cas par cas, le maximum qui soit attribué aux plus riches ne dépasse pas quelques dizaines (ouvriers et esclaves domestiques) ; Platon donne le maxi me semble-t-il lorsqu'il met en scène dans la République IX.578d "
un de ces hommes qui ont cinquante esclaves et davantage". Les discours judiciaires qui énumèrent les possessions de l'un ou l'autre ne montent jamais autant (35 ouvriers pour l'un, une dizaine pour l'autre, plus quelques serviteurs à la maison...). On reste donc à Athènes très très loin des masses serviles des villa romaines qui se chiffrent par milliers.
A l'inverse, quasi tout le monde en dispose : c'est un bien de consommation courant, cher, mais pas tant que ça (un peu comme l'automobile de nos jours, présente dans la plupart des foyers, même si elle n'est pas donnée). Comme j'ai déjà abordé le sujet, je me contente d'un copié-collé :
Thersite a écrit :
Je redonne deux exemples représentatifs que j'ai déjà présenté ailleurs:
- dans le Ploutos d’Aristophane, Chrémylos est l’exemple type de ces petits propriétaires honnêtes et laborieux qui ont du mal à joindre les deux bouts. Mais il est accompagné de son esclave Carion, et son épouse est aidée dans les tâches ménagères par une adolescente. Et pourtant, c’est un citoyen lambda dans lequel le public peut se reconnaître. Sans être miséreux, ils sont pourtant pauvres, d'où l'intrigue.
- l'Invalide mis en scène dans le discours judiciaire homonyme de Lysias. Cet homme demande la charité publique auxquels ont droit les invalides à Athènes, à condition de prouver et leur handicap et leur pauvreté. A hauteur d'une obole par jours. Et comment ce bougre défend-il sa misère, telle qu'il ne peut vivre sans le secours public ? "Je n'ai pas encore pu me payer un esclave" (XXIV.6) ! Même lui, qui larmoyant mendie son pain au prytanée, trouve scandaleux n'avoir même pas encore pu s'en offrir un, mais ne désespère pas d'y arriver un jour !
Pour 180 drachmes, tu t'offres un brute sans formation mais en bonne santé capable de bosser au Laurion. Les femmes, les enfants, les difformes seront encore moins cher : bref, l'équivalent de quelques mois de travail pour un ouvrier, rien d'inaccessible. A cela s'ajoute une source d'approvisionnement gratuite, courante mais dans une proportion que j'ignore complètement : les enfants abandonnés et exposés, que ce soit des fils d'esclaves que le maître ne veut pas entretenir, ou très souvent, des enfants de libres qui ne souhaitent pas mettre en péril l'héritage de l'aîné. La situation était assez grave pour préoccuper Polybe par exemple: une petite recherche en interne devrait te fournir rapidement quelques exemples déjà donnés.