Bon bon bon bon...
et hop, tous les poncifs éculés en un seul post. En même temps, ils n'ont de cesse d'être alimentés partout... c'est l'histoire du fantasme plus que l'histoire ancienne.
Alors, en ce qui concerne la thalassocratie, je crois qu'on tient un bon exemple d'anachronisme finalement. On reprend l'idée de la thalassocratie athénienne (bien plus tardive, évidemment), qu'on transpose aux périodes plus anciennes parce qu'on aimerait bien donner un sens "connu" à de nouvelles découvertes. Je dis "nouvelles découvertes" parce que l'idée d'une thalassocratie minoenne est apparue consécutivement aux premières découvertes de l'âge du Bronze en Grèce. Schliemann "fouille" Ithaque, Troie et Mycènes, et ouvre la porte à une nouvelle génération d'archéologues qui mettent aux jours les vestiges "pré-helléniques". Evans s'attaque au mythe de Minos, à juste titre, et fouille en Crète. Il découvre Knossos, qui montre des traits de culture matérielle très riches, et différents de ceux trouvés sur le continent. Beaucoup d'influences diverses sont identifiables dans l'art palatial minoen, notamment d'Egypte. Les Egyptiens eux-mêmes parlent d'un "roi des Keftiou", que l'on peut assimiler aux Minoens. Les recherches avancent, et l'on se rend compte de la forte influence qu'ont eu ensuite les Minoens sur la genèse de la civilisation palatiale mycénienne. Ajoutons à cela les récits mythiques sur Minos, nous voilà dans une configuration où la Crète semble être au centre du monde.
Mais elle était surtout au centre de l'intérêt des chercheurs. La "thalassocratie" minoenne, mentionnée par quelques auteurs antiques, dont Thucidyde, semblait pour eux vérifiée. Mais autant vous le dire, on a forcé le trait. Depuis lors, les recherches sur l'âge du Bronze grec se sont multipliées. On différencie aujourd'hui la culture matérielle minoenne de celle dite "cycladique", on identifie mieux les influences moyen-orientales, on clarifie le poids de Troie dans en tant que vecteur d'influence. En fait de thalassocratie, nous trouvons une jolie plaque tournante. D'ailleurs, seuls deux sites hors de Crète sont attribuables à une occupation minoenne, sur les deux îles les plus proches de la Crète (Cythère et Karpathos). Dire que les Minoens devaient être des commerçants actifs, ou de bons marins, oui. Dire qu'ils exerçaient un pouvoir écrasant sur le commerce maritime, aux dépends des autres populations égéennes, non. La Méditerranée, encore moins.
En ce qui concerne Minos, hormis le fait que finalement, il n'est pas très important de savoir comment s'appelait le roi (ou autre) de Knossos, un problème du même genre que celui de la thalassocratie a été posé, et l'est encore. C'est la question des "rois-prêtres". Alors là, ce n'est plus de l'anachronisme, c'est du raisonnement circulaire (c'est le diable de l'archéologie): Evans fouille Knossos et en profite pour faire sa "restauration). Comme dit Clio, elle a le mérite de poser des problèmes, je n'ai pas de critiques fondamentales à apporter sur le principe (ou alors ailleurs). Le plus gros problème, c'est que dans sa restauration, il décide de restituer les fameuses fresques qui ornent le palais. Là, c'est plus gênant. De nombreuses fresques que vous pouvez encore voir aujourd'hui sur le site, il ne subsistait que quelques fragments, tombés au pied des murs. Ces fragments étaient bien sûr mélangés. Or, Evans a littéralement reconstruit des fresques entières, en "supposant" que tel fragment (qui n'était pas en connexion directe) devait marcher avec tel autre. Ce qu'Evans savait, c'est qu'il se trouvait dans ce qu'on appelle un "palais". Il connaissait aussi les récits mythiques concernant Minos et les "rois" minoens. Il s'apercevait en outre que le plus grand ensemble de fresques représentait des processions. Nous sommes dans un palais, il y avait des rois et des processions, le roi devait donc se trouver au centre de cette procession, et du coup tenir une place qui dépassait le pouvoir politique pour atteindre une dimension religieuse. (J'ai déjà dit quelque part que mes posts sont trop longs, me semble-t-il... D'ailleurs, je saute une ligne pour vous laisser respirer).
Parallèlement à ça, il est vrai que certaine pièce du (des) palais devaient être associées à des rituels (sales lustrales), et d'autres encore étaient de véritables lieux de culte (sanctuaire tripartite de Knossos, pièce XVIII de Malia, etc.). L'histoire était donc écrite, le roi minoen était un "roi-prêtre". Evans restitue donc les fresques avec le roi-prêtre au centre, même lorsque de roi ou même de personnage humain nous n'avons traces dans les fragments. Si j'avais la moindre idée de comment faire pour insérer des images, je vous donnerai des exemples parlants à propos du "Prince aux fleurs de Lys", fresque pour laquelle Evans a restitué une coiffe d'influence égyptienne, laquelle devait "forcément" appartenir au roi, sur un fragment de corps humain, alors qu'il s'avère que cette coiffe venait prendre place sur la tête d'un sphinx, et que le fragment de corps humain appartenait au soldat qui le tenait en laisse. Mieux encore du "Prince cueillant des crocus", qui, selon des restitutions plus récentes et plus justes, montre en fait un singe bleu batifolant dans un paysage idéalisé (la nature idéalisée est une part importante du répertoire iconographique minoen); sur un petit bout de torse retrouvé, Evans a restitué un roi, là où nous savons aujourd'hui qu'il y avait un singe.
Bref, de multiples erreurs dues au fait que les fresques "devaient" correspondre à ce que Evans croyait savoir. Là est le raisonnement cyclique: la restitution des fresques est légitimée par les légendes, et depuis, la légende est légitimée par les fresques.
L'argument des fresques n'est donc pas bon pour parler de "rois-prêtres", même si le débat reste ouvert d'après d'autres arguments (je vous les passe, je me suis déjà aventuré un peu loin du topic, même s'il m'a permis de parler des restaurations d'Evans).
Autre point soulevé par Brasidias: la Crète, berceau de l'Europe. Effectivement, l'histoire de l'Europe, telle que nous l'envisageons dans sa géographie actuelle, est aussi passée par-là. Mais, même en envisagenat l'histoire à la façon d'Hegel comme quelque chose qui avance en droite ligne, l'emploi du terme berceau est tout de même assez faux de mon point de vue. D'abord, la filiation culturelle entre la Grèce (au sens géographique) préhellénique et la Grèce (au sens politique) archaïque est bien loin d'être avérée, bien au contraire. L'âge du Bronze grec est source de mythologie pour les Grecs archaïques, et tout au plus les aventures héroïques de la fin de l'âge du Bronze ont-elles pu subsister (mais dans quelle qualité?) au travers des récits des aèdes.
Et même si nous acceptions d'y voir une transmission fondamentale dans la construction de la Grèce archaïque, alors choisirions-nous mieux de considérer les Mycéniens qui, eux, furent les récepteurs de l'ensemble des influences qui aboutirent en Egée. En effet, on a l'habitude de considérer que les influences vont de l'Est vers l'Ouest, et que les vecteurs de cette influence en destination de l'Occident furent les Grecs. Mais à l'âge du Bronze, l'apport de la culture des Balkans (et donc de l'europe plus occidentale) dans la genèse de la civilisation mycénienne a été fondamental. Plus encore on pense que la langue mycénienne, écrite en linéaire B, et qui est une langue indo-européenne, est issue d'un mélange entre la langue dite "pré-hellénique" qui existait en Grèce, et qui n'avait rien d'une langue indo-européenne, et la langue apportée par des populations venues du nord (?), Kourganes selon Ozanne, langue qui, elle, était indo-européenne. Et ce sont bien les Mycéniens qui ont apporté le linéaire B, et probablement la langue qui va avec, en Crète, alors que celle-ci disposait de deux écritures, dont on ne sait si elles notaient la même langue, le hiéroglyphique crétois et le linéaire A. Ces deux langues ont coexisté, et je précise au cas où qu'elles n'avaient rien à voir avec le disque de Phaïstos.
Cela pour dire que si les Minoens ont été manifestement très importants dans le développement des Mycéniens, les influences fondamentales furent bien plus diverses, et qu'il paraît difficile d'identifier un "berceau à l'Europe". D'ailleurs, l'Europe, ça ne veut pas dire grand chose si on veut faire de la diachronie. L'Europe, c'est quelque chose qui n'est jamais pareil selon la période dont on parle. C'est bien pour ça qu'il est vain de créer une europe politique en s'appuyant sur le passé pour argumenter de sa composition ;)
Quant à l'Atlantide... pitié... pourrait-on arrêter de la sortir à tout bout de champ? Ce mythe n'est apparu que chez Platon, dont l'exercice était justement de définir la cité idéale... C'est l'histoire forgée sur le contre exemple ça... Ca me fait penser à ce(s) site(s), dont je tairai le nom (mais il a été cité ici même...), qui jette à tour de bras des articles soi-disant scientifiques pour démontrer le complot international des vilains archéologues, qui mentent notamment sur la date du sphinx : sur je ne sais plus combien d'études de thermoluminescence pratiquées sur le sphinx, une seule propose une date approchant les 40 000 ans BP... évidemment, toutes les autres sont fausses....
Pour finir (ENFIN!), oui, le linéaire B est une sorte d'ancêtre du grec, et c'est lorsque ventris a découvert ça qu'il a trouvé la clef de son déchiffrement. Et non, les langues transcrites par le hiéroglyphique crétois et le linéaire A ne sont pas indo-européennes.
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