Petit ajout pour indiquer qu'à mon avis, il peut être éclairant de raisonner a contrario en effectuant des comparaisons.
Comme évoqué plus haut, la res publica romana, ce ne sont pas seulement des institutions creuses ou un système purement théorique défini par des lois ou coutûmes disant que les 2 consuls font ceci, les 2 censeurs cela, le Sénat ceci, les tribuns de la plèbe cela, les comices centuriates ceci, le consilium plebis ou les comices tributes cela, les tribunaux permanents ceci, ...etc. La res publica romana, c'est aussi et j'ajouterais même surtout des hommes et un principe de fonctionnement : celui de la non pérennité du pouvoir d'une personne, qui trouve corps dans le principe de l'annualité, de la collégialité et de la non-itération immédiate.
On peut dire ce qu'on veut sur Sylla, sur le fait que c'est lui qui a décidé de la guerre civile en 88 et qu'il a fixé un exemple qui allait s'avérer mortel pour la république romaine. Il n'en reste pas moins qu'au final, il a bel et bien restauré la res publica.
Impossible de dire quand Sylla a véritablement et définitivement voulu, décidé qu'il était temps de restaurer la république, mais au bout du compte il l'a fait. Peut-être qu'il y a eu une phase aurait bien retardé l'échéance et qu'il a en partie été contraint par la pression des grandes familles aristocratiques qui souhaitaient enfin mettre un terme à sa dictature, laquelle ne permettait pas que la liberté et la compétition aristocratiques renaissent véritablement. Peut-être, comme l'indique un Carcopino, le fait qu'à près de 60 ans il n'ait qu'un fils en bas âge l'a poussé à vouloir cette restauration plus fortement que s'il avait eu un fils de 30 ans.
Mais il n'en reste pas moins que Sylla a restauré la république et qu'il a achevé cette restauration, qu'il a donné une réelle consistance à cette restauration, non pas le jour où il a fait adopter et mettre en oeuvre ses diverses lois institutionnelles mais le jour où il s'est retiré de la vie politique pour laisser les institutions fonctionner à peu près naturellement, sans voir leur jeu foncièrement faussé par la présence d'une figure écrasante, en l'occurrence la sienne.
Car il est clair qu'un homme : - qui avait été dictateur pendant une durée sans précédent, - qui avait véritablement joui des pleins pouvoirs sur ses concitoyens d'une manière que Rome n'avait jamais connue depuis l'instauration de la république (et probablement avant), - qui pouvait compter sur la fidélité de 120000 vétérans ayant servi sous ses ordres à l'occasion de la guerre civile à la grande majorité desquels il avait fait distribuer des lots de terre et une partie du butin d'Asie et du produit des confiscations de la guerre civile, - comptant dans sa clientèle romaine 10000 affranchis libérés par lui au détriment de leurs anciens propriétaires proscrits, aurait forcément dominé de manière écrasante la vie politique romaine, personne ne pouvant rivaliser avec lui.
En 80, à l'occasion de son 2ème consulat, ou tout début 79 (je ne sais plus exactement), le Sénat a attribué à Sylla une province pour qu'il y soit proconsul, en l'espèce celle de la Gaule Cisalpine. Eh bien, Sylla a au final refusé de rejoindre sa province pour se retirer de la vie publique.
Auguste, lui, ne s'est pas retiré de la vie publique. Bien au contraire, il s'est fait conférer en permanence, certes en respectant pour la forme le principe d'un renouvellement tous les 10 ans ou tous les 5 ans ou tous les ans selon les cas, un pouvoir tout à fait exceptionnel. Ce faisant, il a empêché la pleine restauration de la république au sens où tout le monde entendait alors une res publica. Comment expliquer autrement les tentatives d'assassinat et les complots, dès Auguste (j'ajouterais même "surtout sous Auguste") sinon par le fait que la noblesse n'était pas dupe et ne considérait pas que le régime augustéen soit une "res publica restituta", contrairement à ce que prétendait Auguste ?
Ces complots s'expliquent par le fait qu'officiellement on a une république prétendument restituée alors qu'en réalité il y a en son sein un Princeps, un Premier Citoyen, qui contrôle tout parce qu'il se fait conférer en permanence un ensemble considérable de pouvoirs et de moyens.
Si Auguste avait voulu restaurer la république, aurait-il conservé le pouvoir jusqu'à son décès non pas à 50 ou 55 ans mais à l'âge de 76 ans, après plus de quarante années de ce qu'il faut bien appeler de facto un règne ? A mon avis non. Quelqu'un qui ne fait pas cela après 40 ans de pouvoir absolu et qui en plus tente tout son possible pour assurer une transmission dynastique du pouvoir, ne peut pas avoir sérieusement voulu restaurer la république.
Sur le papier, il y aurait eu des moyens de restaurer véritablement une république, tout en effectuant les réformes fondamentales qui étaient indispensables pour mieux adapter les institutions romaines à leur environnement impérial.
|