Texte très intéressant, vision plus objective des auxiliaires du 1er siècle AP JC.
LE MONT GRAUPIUS ET LE RÔLE DES AUXILIAIRES DANS LA BATAILLE
Traduction de l’article de CATHERINE M. GILLIVER
De nombreux travaux récents sur les unités auxiliaires de l'armée romaine se sont concentrés sur la cavalerie, y compris leur rôle et leur efficacité dans la bataille. De plus, l'archéologie expérimentale a illustré comment celle-ci pouvait être efficace avec la selle de style celtique, malgré le manque d'étriers. En conséquence, quelques commentateurs modernes voient maintenant la cavalerie romaine comme une sorte d’aile d'élite de l'armée. Le fantassin auxiliaire, d'autre part, n'est généralement considéré que comme de la « chair à canon » superflue et étrangère. Cette vue, semble-t-il, tire en partie son origine du célèbre commentaire de Tacite concernant la tactique de son beau-père Agricola au mont Graupius. Il y a, en fait, peu d'autres sources pour soutenir cette vision, et Agricola avait probablement d'autres raisons pour ses dispositions lors de la bataille, que son biographe ne mentionne pas. Plutôt que voir un morceau « de chaire à canon », nous devrions considérer le fantassin auxiliaire du Principat comme un combattant compétent, qui avait un rôle inestimable dans l'armée romaine. Au mont Graupius, Agricola a aligné ses troupes avec son infanterie auxiliaire en avant de la ligne de bataille, conservant ses légions comme une force de remplacement devant le camp ; les légions seraient engagées si les auxiliaires étaient ramenées en arrière. Tacite suggère qu'Agricola a agit ainsi parce que ' la victoire serait plus glorieuse si elle se réalisait sans la perte de sang romain ', et il est le seul auteur antique à fournir cette explication du déploiement de troupes romaines dans la bataille. Cheesman ne discute du rôle des auxiliaires dans la bataille que très brièvement, suggérant que Tacite a inventé ' cette excuse peu crédible ', tandis que d’autres auteurs plus modernes acceptent l'explication. B. Campbell, par exemple, déclare : Il reflète l’image, alors qu’il y avait toujours une division claire entre le légionnaire citoyen et le non-citoyen des auxilia, qu’il était désirable de préserver les vies de citoyens romains si possible. Burn décrit les auxiliaires comme ' relativement bon marché et comme "des troupes indigènes" disponibles ‘, commentaires que l’on retrouve chez d’autres auteurs. ' Le fantassin auxiliaire est ainsi relégué à la position 'de chair à canon' de qualité inférieure. Dans leur commentaire de ce passage d'Agricola, Ogilvie et Richmond suggèrent que la tactique employée par Agricola constituait la pratique commune. Ils citent des scènes de la Colonne de Trajan qui semblent montrer des auxiliaires, se battant avec les légionnaires, gardés en réserve, et suggèrent que ' le concept de conserver des vies romaines soient une banalité '. Le thème se retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises chez Tacite, notamment deux fois dans les Annales. Mais dans la première de ces mentions, seuls les légionnaires étaient présents, lors d’une escarmouche très unilatérale en Thrace en l’année 21 de notre ère, pendant que le second se référait à un épisode des campagnes de Corbulo en Arménie. Le général romain avait envoyé des troupes ibériennes contre les Mardi qui avaient organisés un raid la colonne romaine en marche. Les troupes ibériennes furent probablement fournies par Pharsmanes, le roi de cette région, qui était allié avec Rome. Tacite note que la victoire fut gagnée sans pertes humaines, y compris chez les unités auxiliaires. Bien que Tacite insiste sur la préservation des vies de citoyens, il est aussi concerné par la préservation des vies de soldats en général, citoyens ou non-citoyens, intérêt naturel et commun à tous les généraux et les auteurs militaires. L'historien pourrait aussi souligner la facilité d'une victoire romaine à l'aide de ce topo. Etant donné que beaucoup de victoires romaines étaient très unilatérales, il n'est pas surprenant que le thème soit récurrent. On suppose aussi le statut inférieur assumé du soldat auxiliaire se soit reflété au sein d’une échelle de paiement, en comparaison avec les légionnaires, puisque les auxiliaires percevaient, selon beaucoup d'historiens, cinq sixième de la paie de ces derniers, mais se voyaient également assigner un espace dans des camps provisoires, dans lesquels un fantassin auxiliaire recevait quatre cinquième de l’assignation accordée à un légionnaire. Alston, cependant, s’est récemment engagé pour la parité de paie entre des légionnaires et des auxiliaires et écarte l'idée d'un système hiérarchique strict dans l'armée romaine dans lequel on a considéré des auxiliaires comme des troupes 'inférieures'. Richmond suggère que le mont Graupius fut le premier exemple de cette tactique, mais J. S. Rainbird note que ce n'est pas le cas, citant la bataille de Cerialis contre Civilis en l’an 70 de notre ère comme un exemple précédent. "Bien qu’Ostorius Scapula ait défait les Iceni en 51 de notre ère en employant seulement des auxiliaires, on ne sait pas si des légionnaires étaient alors disponibles (et il n'y a aucune mention d’eux) et de fait si Ostorius employa une tactique semblable. Il y a, cependant, d'autres exemples antérieurs d'une telle tactique, avec des auxiliaires prenant le rôle traditionnellement attribué aux légionnaires dans une bataille rangée. Germanicus les avait employés à Idistaviso et Lucius Apronius dans une bataille contre le Frisii. Tacite ne donne aucune raison concernant les différentes dispositions dans n'importe laquelle des trois autres occasions où ils sont mentionnés. Il n'y a certainement aucune allusion au fait que le but était de préserver les vies de légionnaires citoyens aux dépends des auxiliaires non-citoyens. Ce type de disposition ne reprend pas exclusivement la méthode traditionnelle d'aligner les troupes avec les légions tenant le centre de la ligne, entre l'infanterie auxiliaire, avec la cavalerie auxiliaire sur les ailes. Les modes d’organisation de M. Furius Camillus contre Tacfarinas en 17 ap. J.-C., l'année après Idistaviso, appartenaient à ce dernier modèle, tout comme ceux de Corbulo contre Tiridates et ceux de Suetonius Paulinus contre Boudicca. Arrien avait planifié de laisser ses légionnaires de citoyen faire face à la charge de la cavalerie des Alains lourdement armée, pendant que ses auxiliaires non-citoyens et la milice provinciale avaient été placés en sécurité relative sur des collines voisines ou derrière les légionnaires. Il est ainsi clair qu'au moins deux méthodes différentes de disposition de troupes étaient employées dans des batailles rangées pendant le Haut-Empire. L'explication la plus simple et la plus évidente d'une telle variation de la ligne de bataille est une tactique. Le philosophe Onasander, écrivant un traité sur l'art de tactique au premier siècle de notre ère, note qu'il existait différentes formations de bataille. Leur utilisation dépendait de la situation topographique et tactique ; c'est-à-dire le type de soldats que le général avait à sa disposition, comment ils étaient armés, le type de terrain et la force de l'armée ennemie. Si le point de vue d'Onasander concernant l'influence que le type de soldats et leurs armes pourraient avoir sur la ligne de bataille d'un général est valable, c'est à la nature du terrain que j'ai l'intention de m’intéresser ici. Un certain nombre de traités militaires antiques, particulièrement ceux d’Onasander et de l’auteur du quatrième siècle, Vegetius, soulignaient l'importance du terrain où une bataille devait être engagée, et Vegetius nous informait que le général devait choisir le terrain convenant aux forces et aux faiblesses de ses troupes et à celles de l'ennemi. La victoire était ressentie comme étant très dépendante de la nature du champ de bataille. En effet, son importance est telle qu'Onasander recommandait d'éviter la bataille jusqu'à ce qu'un endroit approprié soit trouvé. Les commentateurs anciens préconisaient deux types de terrain en particulier, qui pourraient fournir des obstacles sérieux pour l'armée romaine. La terre marécageuse pouvait être particulièrement contraignante pour la lourde infanterie romaine, et était généralement considérée comme un terrain défavorable pour une armée. César fut ainsi concerné au problème à Munda lorsqu’il dût négocier une rivière marécageuse pour engager les troupes Pompéienne, même si cela ne semble pas avoir contraint les soldats pendant la bataille. Tacite décrivit graphiquement les difficultés auxquelles furent confrontées les armées de Germanicus dans les marécages du Rhin inférieur. Plusieurs fois, l'historien mentionnait que la terre était trop douce pour l'infanterie romaine avec ses lourdes armures et son équipement. Ils étaient incapables de tenir fermement une position ou d’accomplir facilement un mouvement, et à cause de cela, ils ne pouvaient pas jeter leurs javelots correctement. Il contrastait également les difficultés des Romains avec la facilité avec laquelle les Cherusci s’organisaient. Ils furent utilisés au combat dans les marais et avaient de longues lances appropriées pour se battre sur cette sorte de terrain. Tacite mentionnait aussi le plaisir - et le succès - des Romains une fois qu'ils étaient capables d'engager les peuples germaniques sur un champ de bataille où il n'y avait aucun bois ou marais. Un des autres soucis majeurs d’un champ de bataille était l'emplacement et la possession de hautes terres. Les deux avantages principaux était indiqués par Vegetius ; la hauteur supplémentaire augmentait la gamme et l'efficacité de l’artillerie, tandis qu’il était plus difficile pour l'ennemi de s'engager dans la pente. Cela signifiait aussi qu'une armée d'attaque serait capable de charger en contrebas sur l'ennemi avec une force plus grande, alors qu’elle était sur la défensive. Évidemment, cela constituait uniquement un avantage si l'ennemi attaquait, malgré la nature défavorable du terrain. Pendant les Guerres civiles en Espagne, M. Claudius Marcellus refusa à son armée d'engager celle de Q. Cassius parce que ce dernier avait érigé ses troupes en altitude. Marcellus savait que ses troupes seraient sérieusement désavantagées si elles avaient vraiment essayé d'attaquer en montée. Les difficultés d'engager une force dans ces circonstances étaient illustrées dans le récit du mont Graupius de Tacite lorsque, une fois dans la bataille, l'attaque romaine s'était immobilisée. Les manuels militaires antiques avertissaient donc le général des dangers d'engager l'ennemi sur une terre défavorable comme le marécage ou quand l'ennemi tenait une hauteur. La nature du terrain, et en particulier s’il s’agissait ou non d’une plaine (aequus), était fréquemment mentionnée par les historiens, et constituait un thème récurrent dans les commentaires de César. Bien sûr, il n'était pas toujours possible pour un général romain de se battre avec une bataille rangée sur un terrain favorable à ses forces, et les adversaires de Rome étaient bien conscients des types de terrain sur lesquels les légionnaires auraient eu des difficultés. Le choix d'utiliser un terrain avantageux semble avoir été le plus favorable pour tenir la position des troupes, et le plus défavorable à l'ennemi, l’obligeant à s'engager. Comme exposé ci-dessus, il y eut quatre batailles rangées durant le Haut-Empire, y compris celle du mont Graupius, dans lesquelles les auxiliaires furent engagés, d'abord avec les légions gardées en réserve, et il vaut la peine d'analyser les circonstances topographiques de ces batailles :
I - Idistaviso (Annales 2. 16- 18)
Le champ de bataille était une plaine située au bord de la rivière Weser. Une ligne de collines rétrécissait l'entrée de la plaine et il y avait des bois au loin. La plus grande partie de l'armée germanique fut déployée sur la plaine, s'étirant jusque dans les bois, tandis que les Cherusci, sous le commandement d’Arminius, occupaient les collines. Ils constituaient ainsi la clef de l’ensemble de la position, pouvant se jeter sur le flanc des Romains lorsque ceux-ci se seraient avancés. Il était vital pour Germanicus de traiter en premier lieu avec le Cherusci, pour permettre à son armée de pouvoir manœuvrer et d’empêcher qu’elle soit prise à revers, ce qui signifiait qu’ils s’engageaient dans un combat rude. Germanicus commanda l’infanterie la meilleure et l'infanterie auxiliaire, qui avait été placée en avant de sa colonne, marchante au pas.
II - L. Apronius et les Frisii (Annales 4. 73)
Apronius, le gouverneur de Germania inferior, marchait au pas contre les Frisii avec des légionnaires détachés de Germania superior et des unités auxiliaires. Les Frisii avaient pris position près des marais côtiers, et les Romains durent s'approcher en franchissant un gué. Apronius envoya dans un premier temps la cavalerie auxiliaire germanique et l'infanterie, puis la cavalerie légionnaire, mais ceux-ci furent repoussés. Trois cohortes auxiliaires d'infanterie légère furent envoyées en renfort, puis encore deux, et finalement la force principale de cavalerie auxiliaire. Tacite critiquait Apronius pour avoir envoyé ses troupes petit à petit, même si celui fut certainement forcé de le faire en raison la largeur du gué. La bataille fut une défaite pour les Romains, et le reste de l'infanterie auxiliaire, placée vraisemblablement sous le commandement d'un légat légionnaire, repoussa les Frisii sans attendre les renforts de légionnaires, permettant ainsi le repli de l'infanterie auxiliaire survivante et de la cavalerie. Les légions semblaient avoir joué peu ou pas de rôle dans la bataille, et ce sont les auxiliaires qui furent envoyés à travers les marais et le gué.
III - Cerialis et Civilis (Histoires, 5. 14 ff.)
Il y avait deux engagements séparés lors de cette bataille. Civilis avait choisi le champ de bataille, près de Vetera et adjacent au Rhin, si naturellement marécageux. Il avait aussi endigué le Rhin pour inonder les terres un peu plus loin ; Tacite décrivit le terrain comme étant « traître, avec des reliefs dangereux », et déclarait que ceci mit les Romains dans une position désavantageuse. Son contraste entre les difficultés des légionnaires romains lourdement armés, effrayés à l’idée de nager, et les grands et légers Bataves et Germains, qui étaient familiers avec le terrain et habitués à nager, trouva un écho dans ses commentaires des Romains et des Cherusci dans des Annales (1. 64), et mit de nouveau en évidence la non pertinence des légions pour ce type de terrain. Les Bataves, au contraire, étaient fait et entraîné pour cela, et avaient en effet fourni l'armée romaine en unités auxiliaires réputées pour leur traversée de gués, lors d’oppositions armées. Les Bataves semblaient ainsi s’en être légèrement mieux sorti lors du premier engagement, mais les deux camps désiraient fortement une bataille décisive, et se rencontrèrent à nouveau le jour suivant. Cerialis plaça une nouvelle fois son infanterie auxiliaire et sa cavalerie devant les légions, et les troupes romaines évitèrent généralement le marais. Tacite déclara que les auxiliaires allèrent au devant des difficultés lorsqu’une partie des Bructeri attaqua (probablement sur leur flanc) et prirent les légionnaires à revers. Le cours de la bataille tourna en faveur des Romains quand un traître Batave guida la cavalerie auxiliaire pour attaquer l'ennemi par l'arrière. . IV – Le mont Graupius (Agricola, 29-3 7)
Après la fuite de la bataille rangée contre les Romains, les Bretons prirent finalement position au mont Graupius, en occupant la colline. La majorité de l'armée bretonne fut alignée sur la pente, avec seulement les rangs de devant sur la plaine. Agricola déploya son infanterie auxiliaire (incluant quatre cohortes de Bataves) comme force de frappe principale, avec la cavalerie auxiliaire sur les ailes. Les légions furent placées devant le rempart du camp. Avec l'aide de renforts de cavalerie auxiliaires envoyés par le général pour empêcher une tentative de manœuvre par les flancs de la part des Bretons, les auxiliaires l’emportèrent le jour-même. À la différence de Cerialis contre le Bataves, Agricola put ne pas engager ses légions. Dans les quatre batailles discutées ci-dessus, les ennemis de Rome semblent avoir été capables d’obliger le général romain à combattre, malgré la nature défavorable du terrain pour les Romains. Toutes les batailles furent engagées sur ce qui était pour les légions romaines un terrain défavorable, sur un marécage ou en montée. Mais dans chaque épisode, le général romain acceptait la bataille, et déployait ses forces selon une méthode différente de la ligne plus habituelle de la fin de la République et du début du Haut-Empire. Dans de telles circonstances topographiques, cela paraissait peut-être naturel pour un général d’utiliser d’avantage de troupes légères, ou plus mobiles, plutôt que la lourde infanterie des légions, et c'est l'argument que Cheesman donne pour l'utilisation d'auxiliaires au mont Graupius. Cheesman a suggéré que pour cette dernière bataille, si l'ennemi avait pris une position sur un terrain où les légionnaires lourdement armés ne pouvaient pas opérer avec succès, les auxiliaires plus légèrement armés devaient alors être envoyés, les légions ne s’engageant seulement que si les auxiliaires avaient été reconduits en arrière. Parker approuva cet argument, renvoyant le facteur de troupes de non-citoyens « consommables » comme « une indéniable invention de l'historien (Tacite) ». Ces observations, cependant, ont été en grande partie ignorées, et le concept de préserver les vies des citoyens a persisté.
Les auxiliaires avaient traditionnellement fourni à l'armée romaine son infanterie légère aussi bien que sa cavalerie, et Bell avançait que les auxiliaires avaient progressivement repris le rôle tenu initialement par les vélites de la légion de Polybe. A la fin de la République, et plus particulièrement pendant les Guerres civiles, les aptitudes à combattre de certains auxiliaires pourraient avoir été suspectes, comme plusieurs auteurs modernes le suggèrent. Appien déclarait que les auxiliaires, à Pharsalus, étaient présents plus pour le spectacle que pour l'utilisation, et que Domitius Calvinus de méfiait de la force des « légions » fournies par Deiotarus. César ne semblait pas non plus avoir été particulièrement confiant envers certains de ses auxiliaires gaulois, les utilisant pour garder le camp lors de la bataille avec certaines des légions nouvellement recrutées, et dont les capacités furent semble-t-il mises en doute. Labienus semblait, quant à lui, avoir vraiment utilisé ses auxiliaires en Afrique comme « chair à canon » à une occasion, pour user les troupes de César simplement par leur nombre, mais les aptitudes à combattre de certaines de ces troupes devaient avoir été suspectes ; nombre d'entre eux avait été récemment prélevés parmi les gens du pays, hommes libres et esclaves, et dans de telles circonstances, il s’agissait de soldats probablement non formés, qui inondaient simplement les troupes de César, tactique qui semble alors valable. Cependant, toutes les troupes auxiliaires n’étaient pas si mal considérées, et Scipio n’avait envoyé son infanterie auxiliaire que comme une force de remplacement, pour parer d’éventuelles manœuvres par le flanc à Uzitta ; certains des auxiliaires, dans la campagne africaine, étaient si efficaces contre ses légionnaires que César dut former ses soldats pour faire face à leur tactique. César gardait habituellement environ 300 hommes de chacune de ses légions, marchant au pas léger. Ceux-ci pouvaient avoir été des antesignani, des combattants de premier plan que César avait l'habitude d’employer « comme un corps spécial de troupes aux côtés de la cavalerie, ou autrement à l'extérieur de la fonction normale de légionnaire ». Dans les divers commentaires couvrant les campagnes de César en Gaule ou durant les Guerres civiles, les antesignani se virent accorder à plusieurs reprises un rôle important, tandis que pendant le Haut-Empire, celui put être attribué aux auxiliaires. Il y a très peu de sources mentionnant les antesignani comme une force se battant pendant l'Empire, et il semble probable qu'avec la complète professionnalisation complète de l’armée, et l’organisation formelle des auxiliaires au début de cette période, il existait désormais des troupes légères, dont les compétences au combat n'étaient pas mettre en doute, et qui pourrait reprendre les devoirs que César avait donnés à ses antesignani. Des troupes légères apparurent régulièrement dans les commentaires et les histoires de la Guerre contre Jugurtha, et étaient généralement distinguées des unités de lanceurs et d’archers. Des distinctions étaient aussi faites, occasionnellement, entre différents types d'unités auxiliaires au début du Haut-Empire. Il est très difficile de dire si des unités auxiliaires furent armées différemment par rapport à d’autres, ou un peu plus lourdement que d'autres. Josephus suggérait qu'il puisse y avoir eu des différences d’équipement, et la Colonne de Trajan semblait en effet montrer au moins quelques auxiliaires légèrement armés, même s’il s’agissait surtout de lanceurs, qui ne devaient probablement pas être impliqués dans le combat au corps à corps. Cela soulève la question controversée des armes et de l'armure des auxiliaires et des légionnaires : pourquoi il y avait une différence dans leur équipement. Bien que de nombreux arguments récents aient été en faveur du port de la lorica segmentata tant par les légionnaires que par les auxiliaires, plus récemment, Bishop et Coulston ont ranimé la vue traditionnelle d’un équipement différent utilisé par les deux groupes. Ils suggèrent que la distinction représentative dans l'équipement militaire des légionnaires et des auxiliaires était avant tout fonctionnelle. L'équipement du « légionnaire », à savoir le scutum courbé et lorica segmentata, convenait d’avantage pour se battre en rangs serrés plutôt qu'ouverts, puisqu'un soldat en lorica segmentata était vulnérable seulement sous quelques angles, comme sous les aisselles, tandis que le soldat auxiliaire, avec sa cotte de mailles ou son armure à écailles, avait son torse entier protégé, et son bouclier plat « pouvait convenir lors d’une escarmouche en rangs ouverts … comme lors d’une bataille en ligne ». Bishop et Coulston concluaient que l'équipement du légionnaire signifiait qu'il était « un spécialiste pour un type particulier de combat … tandis que l'auxiliaire était adaptable à une variété de scénarios de combat. En dehors de la bataille rangée, les troupes légères jouaient toujours un rôle important dans la guerre antique. Ils étaient utiles pour effectuer des embuscades, notamment grâce à la cavalerie : Dolabella employa des forces numides dans la guerre contre Tacfarinas, avec de la cavalerie et de l'infanterie légère. Ce dernier avait campé dans un fort à demi-ruiné et s'était cru dans un coffre-fort à cause des bois denses qui l’entourait. Mais l'infanterie légère était capable de pénétrer dans les bois et de prendre par surprise l’ennemi à l'aube. C'était aux territoires montagneux, cependant, que l'utilisation particulière fut faite des troupes légères. En faisant campagne en Thrace, P. Vellaeus envoya des auxiliaires légèrement armés contre les tribus qui maraudaient et recrutaient dans des secteurs montagneux, pendant qu'il prit les légions pour lever un siège. L'implication est que les troupes légères pourraient fonctionner mieux dans des secteurs montagneux que les légions lourdement armées, et cette inférence est confirmée tant par Livie que par Plutarque. Livie expliquait comment une cohorte espagnole défit des légionnaires en Italie centrale pendant la Seconde guerre punique, parce qu'ils avaient engagé les Romains sur inégal et rocheux. Les troupes espagnoles étaient légèrement armées, agiles et habituées au combat sur cette sorte de terrain, tandis que les légionnaires romains étaient lourdement armés et formés pour un combat assez statique un terrain de niveau. Plutarque contraste également l'agilité des alliés espagnols légèrement armés de Sertorius avec les difficultés connues par les légionnaires romains lourdement armés qui, dit-il, avaient été armés et formés spécifiquement pour la bataille rangée. Bien que le mont Graupius ait été une bataille de ce type, le terrain était tel que les légionnaires, formés pour se battre dans des quarts assez proches, auraient été contraints en se battant contre les agiles Bretons plus légèrement armés, qui étaient moins dépendants l'un de l'autre pour la défense. Ici l’armure des auxiliaires les protégerait si la ligne de bataille avait été cassée, une possibilité réelle en se battant en montée. Les troupes auxiliaires du premier siècle de notre ère étaient pleines de ressources et pouvaient être utilisées dans une variété de situations, dans lesquelles elles pouvaient opérer plus facilement que les légionnaires lourdement armés, quoique les légions pouvaient, et avaient déjà opéré dans de telles circonstances si nécessaire … Les Bataves fournirent le meilleur exemple de la polyvalence et des capacités spéciales des auxiliaires, agissant comme des troupes amphibies si nécessaire, mais aussi dans un rôle plus conventionnel au mont Graupius. Il semble probable qu'un général se servirait de n'importe quelles capacités particulières ou avantages que n'importe lequel de ses soldats pourrait posséder dans une situation particulière. Sous le Haut-Empire, quand les auxiliaires furent utilisés dans un rôle d'habitude accordé aux légions, il l’était parce que, dans les circonstances actuelles, ils étaient les meilleures troupes pour ce travail, et non pas parce qu'ils étaient « consommables », bon marché, de simples soldats non-citoyens. Cela nous ramène au mont Graupius et aux circonstances politiques, stratégiques, mais aussi topographiques de la bataille. Agricola conduisait sa septième saison de campagne contre les Bretons et avait besoin d'une victoire décisive contre eux dans une bataille rangée s'il voulait revendiquer la perdomita Britannia. Il pouvait aussi avoir estimé qu'une telle victoire était nécessaire pour justifier la longueur inhabituelle de ses fonctions de gouverneur, tandis que Domitien pouvait avoir tenu à une victoire militaire pour des raisons politiques. Jusqu’au mont Graupius, les Bretons n'avaient conduit qu’une guerre « de coups et de course » contre les Romains, avec quelques succès. D'une façon ou d'une autre, Agricola força les Bretons à accepter une bataille rangée, probablement en menaçant leur ravitaillement en grain. Malgré son besoin de gagner une victoire décisive, Agricola était assez confiant en l’aptitude à combattre de ses troupes auxiliaires pour les engager sans les soutenir par les légions, contre une armée numériquement supérieure, et sur un terrain défavorable. S’étant finalement présenté en bataille rangée, il semble peu probable qu'Agricola aurait risqué de gaspiller cette occasion par un désir de préserver ses légionnaires citoyens. Dans son discours justifiant sa revendication pour un triomphe, Manlius Vulso expliquait qu'il avait été forcé de combattre l'ennemi et de s'engager sur un terrain défavorable, à cause de leur désir d'éviter une bataille rangée sur la plaine ; tant pour Vulso qu'Agricola, c'était la seule façon d'obtenir une victoire tangible contre un ennemi jusqu'ici fuyant. Agricola utilisa alors probablement ses auxiliaires sur le mont Graupius pour des raisons tactiques, mais nous sommes toujours tenus par le commentaire de Tacite concernant la préservation de citoyens. Tacite fit beaucoup pour souligner la facilité de la victoire romaine (malgré l'admission que deux-tiers des Bretons s’étaient échappés de la bataille et ses conséquences). En notant qu'Agricola même ne dut pas utiliser ses légions, la victoire devenait encore plus faciles, une bataille décisive simple et semblable à celle de Suetonius Paulinus contre Boudicca, mais plus glorieuses parce qu'Agricola ne réprimait pas de rébellion, et plus grande parce que les légions étaient inutiles. La bataille et la voie par laquelle elle avait été gagnée permirent à Tacite de contraster la grande victoire en Britannia avec d'autres échecs militaires, pour lesquels l'empereur était tenu personnellement responsable. Tacite diminue ainsi les campagnes de Domitien en Germania avec son falsum … triumphum, comparé avec la veram magnamque victoriam d'Agricola. Plus tard il souligna les changements et les pertes humaines pendant les campagnes contre les Daces à la fin des années 80 et au début des années 90. Tacite prétendait que l'on y avait menacé des forteresses de légionnaires (pendant qu'Agricola n'avait pas même risqué les vies de ses légionnaires) et soulignait le nombre de pertes humaines, tot exercitus ... amissi, tot militares viri cum tot cohortibus expugnuti et capti, tandis qu’au mont Graupius, les pertes humaines étaient presque toutes à l’actif de l'ennemi, tot milibus hostium caesis, la répétition du tot soulignant l'énormité de la défaite de Domitien et l'ampleur de la victoire d’Agricola. Ainsi on montrait Agricola comme étant le général principal à ce jour, et Domitien fut blâmé de ne pas s’être rappelé de lui pour le sa campagne de Dacie, comme Tacite le revendique au travers de l’exigence de l'opinion publique. Tacitus put aussi se sentir obligé de fournir une explication « glorieuse » pour le fait que les légions ne furent pas été impliquées dans la bataille. À cause de leur rôle, les auxiliaires durent obtenir leur part de gloire pour cette victoire, quoiqu'il n'y ait aucune preuve que ces unités furent honorées pour cela, comme le furent probablement les légions après la révolte de Boudicca. Tacite essaya d'excuser Agricola de ne pas avoir utilisé ses légions et leur refusa l'honneur et la gloire. Une des raisons du suicide de Poenius Postumus, selon Tacite, était qu'il avait trompé sa légion de leur part de gloire pour avoir réprimé la révolte de Boudicca, et les légions d'Agricola pouvaient s'être senties fâchées ne pas avoir été placées au rang des honneurs dans la bataille. Dans les autres batailles couronnées de succès, lorsque les auxiliaires furent déployés en avant des légionnaires, ces derniers furent tout de même engagés, partageant ainsi la gloire de la victoire. On voyait toujours les légions comme le point d'appui de l'armée romaine, ayant leur origine dans la milice de citoyens de la République, et formant le cœur de la plupart des campagnes et des lignes de bataille. Tacite admit à peine qu'ils ne purent être utilisés parce qu'ils étaient moins appropriés que les auxiliaires si sollicités ; au lieu de cela, Agricola les préserva, pensant que ce serait encore plus glorieux que s’ils avaient obtenu cette gloire en participant au succès dans la bataille.
Il était important et nécessaire pour un général d'avoir un mélange de troupes pour faire campagne, et au mont Graupius, Agricola fit la meilleure utilisation des troupes à sa disposition, étant donné les circonstances topographiques particulières de la bataille. Avec la réforme de la légion de Polybe et la perte postérieure des uelites, la légion romaine devint un corps spécialisé d’infanterie lourde. L'infanterie légère, comme la cavalerie, dut ensuite être levée chez les alliés de Rome et ses clients, en règle générale pour la durée d’une campagne définie. Pendant que les compétences au combat de certaines de ces unités pouvaient être décrites comme suspectes, d'autres étaient très efficaces, particulièrement sur le terrain ou dans des combats qui étaient difficiles pour des légions lourdement armées. Avec la professionnalisation formelle de l'armée sous Auguste, et la régularisation des unités auxiliaires sous le Principat de Claude, le fantassin auxiliaire ne pouvait être décrit comme un soldat de qualité inférieure, mais était au lieu de cela un membre « d’un corps spécialisé », levé par Rome parmi les « populations … offrant un fort potentiel quant à leur compétences guerrière » et « les cultures militaires » qui complétait sa propre armée. Le fait qu’Agricola ait gagné une victoire avec si peu de pertes humaines parmi les citoyens pouvait lui avoir apporté une gloire plus grande, mais il n'utilisait pas pour autant ses auxiliaires comme de la « »chair à canon » pour l’obtenir.
_________________ Quintus Julius Furius
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