Inscription : 16 Déc 2013 13:24 Message(s) : 208
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Aigle a écrit : Catilina me semble plutôt avoir été un "optimate" nostalgique de Sylla Non, les optimates étaient les ennemis de Catilina. Cependant, il est vrai que ce combat contre l'aristocratie sénatoriale conservatrice ne l'a pas pour autant poussé dans les bras des populares. Une sorte de troisième voie en quelque sorte... Vestitudo a écrit : A ce qu'il me semble, Catilina et ses alliés ne sont pas à comprendre comme des révolutionnaires en tant que tels, mais plutôt comme des déçus de la République. Souvent issus des meilleures familles de la République (un Sergius donc, un Cornelius Lentulus, un Cornelius Cethegus, un Cassius Longinus...), la plupart étaient désargentés ou peinaient à briller en politique, et leurs aînés les surpassaient. Leur conjuration n'est donc pas d'obédience popularis : elle ne s'accompagne d'aucun projet politique, sinon celui de prouver et justifier leur rang. Bref, c'est une manifestation de plus de la violence croissante qui marque la vie politique romaine au dernier siècle de la République. Dans son ouvrage certes daté (1905 !) mais toujours pertinent, Gaston Boissier étudie très bien la conjuration et la divise en deux : Salluste et Cicéron nous disent que Catilina prétendait soulever à la fois Rome et l'Italie. C'étaient, dans une seule conjuration, deux complots, qui n'avaient pas tout à fait le même caractère, quoique conçus dans la même pensée et conspirant au même résultat ; l'un devait grouper quelques grands seigneurs de la ville, l'autre rappelait aux armes les vieux soldats de Sylla disséminés dans les campagnes italiennes. Ils avaient chacun d'eux leur organisation distincte et leur rôle particulier, jusqu'au jour où ils devaient se réunir sous les murs de Rome pour tomber ensemble sur les aristocrates et les financiers et les brûler dans leurs palais. Ceux de la ville étaient les plus près de Catilina, compagnons de ses plaisirs, confidents de ses projets, et ce sont certainement les premiers auxquels il a dû s'adresser quand la pensée lui est venue de tenter une aventure. Mais, d'un autre côté, nous verrons qu'au moment décisif, c'est dans les conjurés d'Italie qu'il a eu le plus de confiance ; ils ont été en somme son dernier espoir et son meilleur appui. Si l'on se fie au récit de Salluste, c'est à eux qu'il songea d'abord après l'échec de sa candidature ; "son premier soin fut de leur envoyer des armes et de l'argent qu'il emprunta sous son nom ou par le crédit de ses amis". (…) Il lui fallait des troupes d'un caractère particulier, prêtes à toutes les besognes. Ces troupes, il savait où les trouver ; il y avait partout, dans les provinces italiennes, et spécialement en Etrurie, d'anciens soldats de Sylla. Ils s'ennuyaient dans ces domaines qu'on leur avait donnés, ils étaient criblés de dettes, ils regrettaient leur ancien métier et au premier signe qu'on leur ferait, ils étaient prêts à reprendre les armes. C'est la première apparition des vétérans dans l'histoire de cette époque ; ils vont y tenir une plus grande place encore avec Antoine et Octave. Il n'en est pas moins vrai que c’est Catilina qui a compris le premier le genre de services qu'on pouvait leur demander. On savait bien qu'il ne manquerait pas de gens pour se joindre à eux. Partout ils allaient trouver des mécontents, des révoltés, qui s'associeraient à leur fortune : brigands, gladiateurs et pâtres. Voilà de quels éléments la petite armée de Catilina se composait. Le centre de ce mouvement militaire devait être Faesulae (aujourd'hui Fiesole), au cœur de l’Etrurie. C'est là que Catilina réunit le gros de ses troupes. Salluste prétend qu'au début, il ne comprenait que 2 000 hommes ; il ajoute, il est vrai, que ce nombre s'est vite augmenté. Cependant, il ne paraît pas croire qu’il ait jamais dépassé 10 à 12 000 hommes, puisqu'il dit que Catilina n'en forma que deux légions. Plutarque et Appien parlent de 20 000 hommes, et ce chiffre paraît assez vraisemblable quand on songe aux troupes que le gouvernement crut devoir leur opposer. C'était déjà une petite armée et destinée à s'accroître rapidement. A la vérité, le quart à peine possédait des armes véritables ; les autres se servaient de méchantes javelines, de faux ou même de bâtons durcis au feu. Mais c'étaient des soldats braves, résolus, le reste des vieilles bandes de Sylla. (…) Les conjurés de Rome étant plus en lumière et portant de grands noms, nous avons plus de renseignements sur eux. Quand on connaît Catilina, on n'a pas de peine à imaginer comment tant de personnages importants s'attachèrent à lui. La première conjuration, qui n'était qu'un coup de main peu préparé et mal exécuté, échoua par l'impéritie de quelques-uns et la lâcheté du plus grand nombre. Catilina n'avait rien perdu à cet échec ; au contraire, il y gagna de s'être fait mieux connaître. Parmi tous ces gens faibles, hésitants, il s'était montré vigilant, énergique, prêt à tout : c'étaient les qualités d'un chef de parti. Aussi est-il probable que tous ceux qui cherchaient fortune prirent dès lors l'habitude de se grouper autour de lui. Il s'y trouve deux anciens consuls, des préteurs, des questeurs et d'autres membres du Sénat. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'ils appartiennent tous aux rangs les plus élevés de la société romaine. Ce sont des Cornelii, des Calpurnii, des Statilii, de proches parents de Sylla, un Cassius, un Gabinius, un Fulvius Nobilior, les gens les plus connus de Rome. On n'est pas habitué à voir tant de personnages de ce rang figurer ensemble dans un complot révolutionnaire. C'est le caractère particulier de la conjuration de Catilina ; elle est véritablement, comme l'appelle un poète de ce temps, un attentat de patriciens. (...) On est d'abord frappé de voir que, contrairement à ce qui était arrivé jusque-là, la politique proprement dite y tienne si peu de place. Cicéron soutient, dans un de ses moments d'optimisme, qu'après toutes les concessions que le peuple a obtenues, il n'y a rien qui puisse le séparer des hautes classes de l'Etat, qu'il ne lui reste plus rien à désirer, et qu'il n'a pas de motif de faire des révolutions nouvelles. C'est aller bien loin, d'autant mieux qu'on fait souvent des révolutions sans motif. Il est pourtant certain qu'en ce moment les graves questions de politique intérieure, pour lesquelles on avait livré tant de batailles, étaient résolues ou près de l’être. Depuis longtemps la plèbe avait conquis l’accès à toutes les fonctions publiques, et si l'aristocratie, grâce au prestige dont elle jouissait encore, continuait d'accaparer les plus hautes dignités, le succès de Marius et de Cicéron aux comices consulaires prouve qu'il n'était pas impossible de les lui arracher. A la suite de la guerre sociale, qui venait de finir, les Italiens avaient obtenu le droit de cité romaine, et les quelques pays, comme la Gaule cisalpine, qui ne le possédaient pas encore dans sa plénitude, ne devaient pas tarder à le recevoir. Le peuple était donc à demi satisfait, et il était naturel qu'il commençât à se désintéresser des questions qui passionnaient ses pères. Aussi n'en trouve-t-on aucune trace dans les programmes qu'on prête à Catilina. Il n'y est fait aucune allusion ni aux lois agraires, ni à la puissance tribunitienne, ni aux privilèges des classes, ni à des réformes dans la constitution. On ne voit pas non plus qu'il se soit abrité sous quelque grand nom populaire, comme ses prédécesseurs le faisaient volontiers. Ils y trouvaient ce double avantage d'hériter des partisans que le personnage avait laissés et de résumer tout leur programme en un seul mot. Il avait suffi à César de dire qu'il venait venger Marius pour se trouver tout de suite à la tête d'un parti. Catilina ne semble pas s'être mis derrière personne. Qui donc en effet aurait-il choisi pour patron ? Il ne pouvait songer à Marius dont il avait si cruellement traité les derniers amis ; quant à Sylla, son ancien maître, quoique évidemment il procède de lui et s'inspire de son souvenir, il ne pouvait pas s'autoriser ouvertement de son nom, au moment même où il venait combattre cette faction aristocratique qui prétendait sauver ce qui restait de son œuvre et continuer sa politique. Que voulait-il donc faire ? Pour en être parfaitement informé, il aurait fallu se glisser, avec ceux de ses partisans dont il était le plus sûr, dans cette partie retirée de sa maison où il les réunissait, assister à cette assemblée de famille (contio domestica ), comme l'appelle Cicéron, l'entendre exposer ses plans avec cette fermeté et cette franchise auxquelles ses adversaires mêmes rendent hommage. Par malheur, nous sommes réduits à recueillir et à reproduire, en essayant de l'interpréter, ce que les écrivains de ce temps en ont pu savoir et ce qu'ils veulent bien nous en dire.
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