Votre progression est intéressante mais, comme vous l'avez dit, il ne s'agit que d'une sorte de survol de la période, celle-ci est donc forcément incomplète.
Par contre, je me permets de faire les remarques suivantes : les sujets politiques et sociaux (l'économie ne va pas subir de modifications majeures entre le IIème et le Ier siècle av. J.-C.) dont vous parlez concernent plutôt le IIème siècle av. J.-C. et non le Ier siècle. L'empire romain s'étend surtout entre le IIIème et le IIème siècle av. J.-C. ; on peut retenir deux vagues d'expansion pour le Ier siècle : celle en Orient (Sylla et Pompée par exemple) et celle en Occident (César en Gaules) ; la question africaine doit être traitée à part, tout comme, me semble-t-il, la question du leg du royaume de Pergame. Mais en définitive, les expansions territoriales romaines sont étroitement liées, comme toujours, aux intérêts de politiques intérieures. La rivalité entre les "factions", les grandes familles de l'aristocratie, va s'accroître sans arrêt : le Ier siècle voit l'éclatement des cadres institutionnels traditionnels et les guerres civiles ne font qu'animer la destruction de la République.
Concernant la question sociale, vous posez une opposition entre plèbe et aristocratie qui me semble anachronique et surtout trop influencée par la vision "populiste" que de nombreux auteurs de l'Antiquité ont relayé à une époque où le contrôle de la plèbe "légitimait" la position du Prince (on sort donc du cadre de la République). Les réformes agraires des Gracques ne sont pas motivées par une lutte en faveur de la plèbe mais plutôt entre deux bourgeoisies : l'une, toute puissante, installée à Rome mais contrôlant un territoire toujours plus vaste en Italie, l'autre, massivement non romaine (dans le sens où elle est souvent caractérisée par un
sine suffragio), représentant la plupart des élites italiques (j'emploie le terme d'italique et non d'italien). En réalité, ces réformes et les luttes qui s'en suivent ne font qu'exacerber les tensions entre deux grandes tendances aristocrates, la plèbe reste une masse manipulée dont le poids est souvent surestimé. Gardez à l'esprit que la République romaine reste une oligarchie dont la diversité des élites ne fait que les confronter davantage : la République romaine n'a rien à voir avec la démocratie et la plèbe, de ce fait, n'est pas une force politique, elle n'est qu'un instrument.
La Guerre des Alliés souligne bien les conflits d'intérêts entre les deux bourgeoisies dont je parlais : le problème n'étant pas, fondamentalement, d'étendre la pleine citoyenneté romaine aux élites italiques ou même à l'ensemble du territoire italien, mais bien de conserver le contrôle des exploitations telles que les latifundia (dont vous évoquiez le rôle majeur). D'ailleurs, politiquement, la Guerre des Alliés ne va contribuer qu'à envenimer davantage les relations entre les grandes ligues familiales et engendre, entre autres, les guerres civiles. Qu'il s'agisse des Marianistes et des Syllaniens ou des Césariens et des Pompéiens, les rapports de force reposent tous sur des intérêts de l'aristocratie romaine.
Concernant la bibliographie sur le sujet, je vous propose également de vous appuyer sur des sources moins "traditionnelles" ou connues du grand public : Velleius Paterculus et Appien d'Alexandrie sont deux auteurs fondamentaux sur le sujet et très éloignés d'une vision subjective que pouvaient avoir un Cicéron ou un César. Diodore de Sicile et Plutarque sont également de bonnes références sur le sujet.
J'ajouterais quelques références fondamentales (il y en a beaucoup trop pour que la liste tienne ici
) en plus de celles que Livia Drusilla a mentionnées ; sur la "Guerre Sociale" :
- BADIAN E., « Tiberius Gracchus and the Beginning of Roman Revolution »,
ANRW I-1, Berlin ; New-York, 1972.
- BRUNT P. A., « Italian Aims at the Time of the Social War »,
Journal of Roman Studies 55, 1965 (repris dans
The Fall of Roman Republic and Related Essays, 1988).
-
Italian Manpower, 225 B.C. – A.D. 14, Oxford, 1971.
- GABBA E., « Le origini della guerra sociale e la vita politica romana dopo l’89 a. C. »,
Athenaeum 32, 1954 (repris dans
Esercito e società nella tarda Repubblica romana, 1973).
Sur les rapports entre Romains et Italiens :
- BANDELLI G.,
Les « Bourgeoisies » municipales italiennes aux IIème et Ier siècles av. J.-C., Naples, 1983.
- BEARD M. & CRAWFORD M.,
Rome et l’Italie à la fin de la République (218-31 av. J.-C.), Toulouse, 1993.
- CELS-SAINT-HILAIRE J.,
La République des tribus. Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République Romaine (495-300 av. J.-C.), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1995.
- DAVID J.-M.,
La Romanisation de l’Italie, Paris, Champs Flammarion, 1997.
- NICOLET C.,
Rome et la conquête du monde méditerranéen. I / Les structures de l’Italie romaine, PUF (Nouvelle Clio), 1979.
- SYME R., « Caesar, the Senate and Italy »,
PBSR XIV, 1938.
-
La Révolution romaine, Paris, 1967.
Sur la magistrature romaine et ses évolutions :
- CAMPANILE E. & LETTA C.,
Studi sulle magistrature indigene e municipali in area italica, Pise, 1979.
- CEBEILLAC-GERVASONI M., « L’évergétisme des magistrats du Latium et de la Campanie des Gracques à Auguste à travers les témoignages épigraphiques »,
MEFRA n°102, 1990.
- HOLLARD V.,
Le Rituel du vote. Les assemblées du peuple romain, CNRS Editions, Paris, 2010.
- LURASCHI G., « Sulle
leges de civitate (Iulia, Calpurnia, Plautia Papiria) »,
Studia e Documenta Historiae et Iuris 44, 1978.
- NICOLET C.,
L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.). I / Définitions juridiques et structures sociales, Ecole française de Rome, Rome, 1966.
-
Censeurs et Publicains. Economie et fiscalité dans la Rome antique, Fayard, Paris, 2000.
- SCUDERI R., « Significato politico delle magistrature nelle città italiche del I sec. a.C. »,
Athenaeum 67, 1989.
- THOMAS Y.,
« Origine » et « commune patrie ». Etude de droit public romain (89 av. J.-C.-21 ap. J.-C.), EFR, Rome, 1996.
Pour avoir une bonne vision globale de la situation, je recommande les chapitres de F. Hinard sur cette période dans HINARD F. (
dir.),
Histoire Romaine. I /Des origines à Auguste, Fayard, Paris, 2000.