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 Sujet du message : Des Gracques à Octave
Message Publié : 18 Fév 2013 17:33 
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Tite-Live
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Je ne sais pas si la question a été déjà posé, mais j'ai la flemme de fouiller dans les vingt pages de topic,

J'aurais une question sur une période assez particulière de l'histoire de la République Romaine, celle qui s'ouvre plus ou moins avec les Gracques et qui se termine avec César Octave Auguste- période particulièrement troublée- puisqu'elle est constellée de conflits civils assez graves, de coups de forces, de règlements de compte, d'épisodes assez dur de guerre sociale et servile en Italie- Elle contraste avec le relative calme que connait Rome avant cette période (ou alors c'est une illusion rétrospective), les Gracques semblent ouvrir une porte qui ne se refermera qu'après beaucoup de tourments.

J'aurais voulu connaitre les raisons des dérèglements que connaissent la République pour aboutir à une crise aussi grave.

Je sais que des raisons agraires, politiques et sociales s'y mêlent... Mais concrètement- il y a des événements qui sont à l'origine de cette rupture ? Un de mes camarades historiens m'expliquaient il y a quelques temps que la ruine de la petite paysannerie italienne avec la Seconde guerre Punique expliquait en partie ces dérèglements- mais j'aurais voulu savoir s'ils y avaient d'autres raisons plus profondes, et quel était aussi les explications les plus récentes de cette longue période de trouble- parce que souvent tout cela n'est résumé que par l'ambition de quelques individus, et je n'aime pas cette manière d'analyser l'histoire qui transforme cela en théâtre de marionette- Rome s'est gravement déchiré pendant un siècle, et il doit avoir de solides raisons pour cela.


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 18 Fév 2013 18:01 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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C'est difficile de tout relier et je ne me lancerais pas dans les explications sur les questions agraires que d'autres détailleront infiniment mieux que moi. Par contre un élément me semble important pour nourrir le débat ; Rome sort d'un simple système de cité Etat pour devoir gérer un Empire. Dès lors cela pose une multitude de question ; donner des ordres aux magistrats sur un théâtre d'opération très éloigné, administrer les conquêtes, intégrer les peuples soumis à un système... Le rapport aux distances et aux institutions y est particulièrement brûlant.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 18 Fév 2013 18:30 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 28 Déc 2011 12:34
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Localisation : St Valery/Somme
voici une carte de la conquète romaine en -130
Image
Est ce qu'il n'y a pas eu un bouleversement économique ? L'importation de blé africain, d'huile d'olive et de vin grecque et ibérique n'ont t'elles pas ruiné les producteurs italiens ?
Comment l'agriculture italienne s'est elle relevée ?
Sinon à chaque trouble correspond une réforme juridique aboutissant à une extension de la citoyenneté romaine, ça ressemble un peu (de trés loin :mrgreen: ) à l'extension de la communauté européenne. Mais comment ce mécanisme de libéralisation a t'il permis d'éviter la ruine de l'agriculture italienne ?

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Lietz her heidine man. Obar seo lidan.
Thiot urancono. Manon sundiono.
(Il permit que les païens traversassent la mer, Pour rappeler aux Francs leurs péchés)


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 19 Fév 2013 11:14 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Localisation : Paris
Je pense qu'un sujet spécifiquement lié aux latifundia a déjà été ouvert, je pense que vous trouverez des éléments plus concrets pour comprendre cette crise que connaît la petite paysannerie italienne au cours du IIème siècle av. J.-C.

Maintenant, elle n'explique en effet pas tout. On a longtemps montré Hannibal et les conséquences de la seconde guerre punique comme les seuls véritables responsables de cette crise en appelant cela, non sans humour, le "leg" d'Hannibal. Ce serait méconnaître grandement la diversité des métiers et industries italiennes, notamment à partir du IIème siècle : si certaines régions connaissent effectivement des retombées assez catastrophiques sur l'économie agricole liée à la culture des céréales (littoral lucanien et plaines du Bruttium essentiellement), d'autres ne le sont pas à ce point (Etrurie en pleine expansion, Samnium et son économie exclusivement tournée vers la transhumance), et d'autre encore font l'objet de véritables reconversions (Campanie, ouverture à la Cisalpine et aux richesses du Pô, apparition d'une forme d'élevage intensif en Lucanie et en Etrurie).

Bref, les choses sont infiniment plus complexes que cela. Y. Le Bohec va même jusqu'à retourner ce "leg" d'Hannibal en disant que c'est justement cette campagne très longue qui a permis un essor sans précédant de l'Italie lol

Sur la question, Appien d'Alexandrie a déjà eu l'intuition de voir la période de manière globale : ses Guerres Civiles offrent une perspective absolument remarquable de la situation et les récentes recherches sur la question montrent qu'on l'a trop longtemps négligé (comme Cassius Dion, au demeurant) pour rester focaliser sur une vision certes intéressante mais très idyllique de Cicéron (il est vrai qu'il était torturé par l'idée d'une concordia bien éphémère). En tout cas la question est essentielle pour comprendre cette période qui, finalement, récolte les évolutions phénoménales qui marquent la période du IIIème siècle av. J.-C. à l'avènement d'Auguste. Je vous recommande donc la lecture (très stimulante) de ces Guerres Civiles qu'Appien fait commencer avec... les Gracques, vous l'avez deviné !

En tout cas je vais revenir bientôt sur ce fil, dès que j'en aurai le temps :wink:

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Il n'y a pas de littérature sans liberté politique

Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 21 Fév 2013 18:51 
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Tite-Live
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Inscription : 25 Juil 2012 18:05
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Ce qui me frappe le plus c'est l'importance des règlements de comptes qui vont s'enchainer dans cette période. En un siècle, on assiste aux massacres des Gracques, aux épisodes scabreux de la guerre civile Populares/Optimates, à la révolte de Catillina, aux épisodes de la guerre civile César/Pompée, Octave/Marc Antoine... Je n'ai pas souvenir que la violence politique a été aussi importante jusque là au sein même de Rome. C'est une illusion rétrospective de croire peut-être que la période auparavant vu sans histoire de ce point de vue-là, mais en tout cas, le fait que des Romains versent autant de sang Romain durant cette période c'est assez étrange...

Même durant les pires épisodes de la seconde guerre Punique, Rome ne s'est pas autant déchiré et a réussi à faire front malgré la peur et l'incertitude...

Ou alors Tite-Live me cache des choses !


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 21 Fév 2013 19:08 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Localisation : Limoges
Ce que vous décrivez est éminemment politique ; c'est l'époque où les "partis" se mettent en place, où les pressions sur l'électorat (ou plutôt les réseaux de clientèles) se fait de plus en plus forte, où l'armée se professionnalise surtout et fini par se donner à un chef charismatique. La montée de Marius, puis sa querelle avec Sylla a ce contexte en formation en filigrane. C'est un dérèglement des institutions traditionnelles qui sont dépassées par les nouvelles réalités de la gestion politique du monde. Les imperatores commencent à conquérir loin des bases romaines, prennent de plus en plus de décisions, et surtout ont un instrument militaire à leur dévotion, ce que n'avais pas encore un Scipion qui, lui, fut digéré en quelque sorte par le système. L'ambition dévorante dans la courses aux honneurs, stimulée par l'idéologie aristocratique de l'élite va dans ce sens. C'est l'acte suprême de liberté qui coïncide mal avec les vertus traditionnelles ; il est assez improbable de passer son existence à avoir un brillant parcours public et ensuite de s'effacer une fois sortie de charge, malgré les triomphes et les services rendus à la République. Au bout d'un moment des personnages devinrent tellement puissant que le groupe de ceux pouvant participer à la lutte s'était grandement réduit ; seul l'exceptionnelle verve de Cicéron ou la vertu de Caton pouvait faire illusion face à la richesse d'un Crassus ou à la gloire d'un Pompée, avec chacun leurs nombreux réseaux de clientèles. Ils verrouillaient la République. Pompée fut timoré, respectait sans doute encore le modèle politique, contrairement à César qui avait tout compris pour s'élever et jouer dans la cour des grands.
En somme il y a, à mon sens, une radicalisation du message politique et la compétition de plus en plus intense des aristocrate pour comprendre cette flambée de violence qui allait faire disparaître un régime trop dépendant d'une mécanique aristocratique déréglée pour accoucher dans la douleur d'une nouvelle entité plus proche des Etats modernes dans son fonctionnement (bureaucratie administrative en gestation).

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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 21 Fév 2013 23:18 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Quelques liens vers des discussions où a été abordée, sur ce forum, la question du dérèglement de la vie politique romaine dans le siècle allant de -133 à -30 (ou -27 ou -23 selon les choix) :

Les déchirements de la famille des Scipions
viewtopic.php?f=39&t=18408

La posture des Gracques, de Marius et Cinna
viewtopic.php?f=39&t=17419

Le besoin de réformes sous les Gracques
viewtopic.php?f=39&t=26955

Sur la violence politique et l'absence d'acceptation de règlement politique au 1er siècle
viewtopic.php?f=39&t=27987

Sur le dérèglement de la république à compter de 133
viewtopic.php?f=39&t=22568

Sur le blocage de l'intégration des élites à compter de la 2ème guerre punique
viewtopic.php?f=39&t=18364

Sur la nature de la république romaine
viewtopic.php?f=39&t=7279

Sur les méthodes et réformes de Tiberius Gracchus
viewtopic.php?f=39&t=8031

Et pour apporter mon appréciation de manière assez synthétique, j'ajouterai les éléments suivants.

Je suis bien sûr d'accord avec Pedro quand il met en avant l'intensification de la compétition aristocratique qui conduit a ce qu'un nombre toujours plus restreint d'aristocrates concentre un tel niveau de ressources, d'influence et de puissance que les institutions oligarchiques mixtes s'en trouvent déréglées.

Mais je pense d'une part qu'il y a eu d'autres facteurs et que les tensions étaient déjà présentes bien avant 133. Il y avait aussi des données matérielles, humaines, qui étaient des sources fondamentales de déséquilibre et qui ont offert un terreau fertile aux ambitions des aristocrates les plus puissants, les plus "innovants".

Je trouve notamment très intéressante la figure de Caius Flaminius, consul en 223 et 217. Pour le peu qu'on en connaisse (des sources défavorables), il semble qu'il ait incarné une 1ère figure du politicien popularis, suffisamment populaire pour se faire réélire consul une 2ème fois. Et de mémoire, il semble que la question des terres etait déjà latente.

Ce qui se passe alors et qui interrompt (outre le cas individuel de Flaminius qui meurt au combat) une évolution qui aurait pu survenir près d'un siècle avant les Gracques, c'est le cataclysme de la 2ème guerre punique. La 2ème guerre punique a permis de ressouder la cité romaine autour de son aristocratie traditionnelle, en permettant de mettre en avant quelques aristocrates chefs de guerre particulièrement brillants mais pas forcément très populaires en temps de paix : notamment Fabius Maximus Cunctator, Claudius Marcellus, et quelques autres grands noms, avant que n'arrive le jeune Scipion. Munzer montre notamment à quel point les élections consulaires pour 215 ont été l'objet d'un quasi-coup d'Etat mené principalement par Fabius pour imposer finalement des candidats autres que ceux initialement choisis par les comices centuriates.

L'aristocratie romaine ressort plus puissante que jamais de la 2ème guerre punique. Plus puissante, elle a moins besoin de compromis avec ses alliés, d'autant plus que bon nombre des allies ont soit fait défection à un moment, soit menacé à un moment de désobéir.
Mais ce faisant, elle interrompt pour plus d'un siècle le processus d'intégration des alliés les plus proches à la cité romaine qui avait fait toute la croissance relativement stable et efficace de Rome depuis ses origines.
Ce repli sur soi d'une aristocratie romaine trop puissante pour avoir besoin de partager avec les cités italiennes et leurs aristocraties conduira à la guerre sociale de -91.

Et par ailleurs, cette aristocratie est devenue collectivement tellement puissante et sûre d'elle qu'elle ne fait plus guère les compromis neçessaires avec sa plèbe.

Je pense qu'une des sources de la grande crise qui éclate en -133, c'est le fait que l'aristocratie romaine a eu une attitude par trop déséquilibrée à l'issue de la 2ème guerre punique :
- finie l'intégration des aristocraties des proches alliés italiens à la cité romaine pour renforcer la noblesse romaine face aux prétentions du "petit" peuple (pour ne pas dire Plèbe puisque la Plèbe inclut aussi l'aristocratie plébéienne qui appartient à la nobilitas dirigeante).
- et quasi fini les concessions matérielles au petit peuple romain puisqu'on a accès à un afflux considérable d'esclaves et de richesses et qu'on veut donc s'accaparer l'ager publicus.

On maltraite et les alliés et le petit peuple romain dont on laisse la condition matérielle se dégrader, et ça donne un cocktail explosif :
- qui commence a prendre feu au moment des Gracques,
- et dans lequel la question de la terre et la question de la citoyenneté/égalité des droits romains/socii ne va plus cesser d'être au devant de la vie politique romaine.

La question de la terre est déjà si brûlante 10 ans avant Tiberius Gracchus, juste après la 3ème guerre punique, que Caius Laelius, l'ami de Scipion Emilien, mît sur la table une proposition de récupération/distribution de terres de l'ager publicus et que, constatant la puissance des oppositions, retira son projet et y gagna le surnom de Sapiens. La sagesse consistant en l'espèce à enterrer la question pour préserver la concorde aristocratique (je suppose au sens large = aristocraties romaine et italiennes).

En remontant beaucoup plus loin, on a eu des lois qui limitaient déjà la surface d'Alger publicus pouvant être exploitée par un citoyen : sur ce point, la loi de Tiberius Gracchus ne faisait que réaffirmer une obligation légale non respectée.

Pourquoi alors 133 reste dans l'Histoire comme l'année où n'ait la grande crise ?

À mon avis parce qu'aux déséquilibres structurels aggravés latents est venu s'ajouter un ensemble de facteurs individuels et d'erreurs de jugement qui ont déclenché l'explosion.

La compétition aristocratique crée une incitation irrésistible à voir le règlement des problèmes politiques par un aristocrate donné ou par un groupe d'aristocrates alliés comme une menace pour l'égalité aristocratique et pour la dignitas de chaque famille n'étant pas directement de la partie.

Le plus problématique, ce ne sont pas tant les réformes agraires des Gracchi que le fait qu'ils aient été prêts à les faire passer en se refusant à passer avec la majorité de l'aristocratie un compromis acceptable par leur majorité parce que ce compromis auraient complètement émasculé la réforme alors qu'il y avait un sentiment d'urgence.


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 23 Fév 2013 9:11 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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merci caesar de ces observations.

Puis je poser quelques questions :

Tout d'abord, ne sous estimons nous pas le facteur démographique ? la population civique a augmenté à un tel point que les assemblées populaires (malgré l'intelligente organisation censitaire) perdent sans doute de leur crédibilité et dès lors ouvrent la voie aux manifestations de force...
Ensuite, dans l'affaire des Gracques (en 133), ne sous estimons nous pas l'influence plus ou moins cachée du vrai grand homme de l'époque : Scipion Emilien (qui a peut-être un projet monarchique en tête ??) ? c'est une juste piste de réflexion, à vrai dire je n'en sais rien de mon côté
Enfin, il y a une autre question qui n'est pas tant de connaître la cause des dysfonctionnements que de savoir pourquoi les dirigeants de Rome (et en particulier les principaux chefs de la nobilitas) ne sont pas parvenus à refonder le régime sur des bases plus stables intégrant la nouvelle dimension italienne et méditerranéenne de la République ?


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 24 Fév 2013 0:43 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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En fait, en 133, je ne crois pas que la population civique romaine ait significativement augmenté par rapport à la veille de la deuxième guerre punique.

Je rechercherai les séries de chiffres des recensements, mais je crois que grosso modo ça tournait autour de 250 000 citoyens romains avant la 2ème guerre punique et environ 300 000 à l'époque des Gracques. Il y a donc eu une augmentation sensible, mais pas de changement d'échelle sur la période.

Et au milieu du 2ème siècle comme un siècle plus tôt, il y avait une part importante de citoyens sans droit de suffrage ainsi que des citoyens qui, même ayant le droit de suffrage, étaient dans l'impossibilité matérielle de l'exercer en raison de leur éloignement de Rome.

Sur Scipion Emilien, vous avez oublié nos discussions écrites d'il y a 4 ans et quelques. :wink:
Je fais une estimation un peu différente de la votre en ce sens que s'il était bien le plus puissant et le plus prestigieux des romains, Scipion n'était pas à ce point puissant qu'il aurait pu nourrir de telles ambitions. Il y a à l'époque un certain nombre d'autres grands aristocrates dont le prestige, les réseaux et les moyens ne sont pas très éloignés de ceux de Scipion.
D'ailleurs, même si Tiberius a été assassiné par une action violente d'une partie de l'aristocratie, c'est l'alliance formée des Claudii, des Sempronii, des Licinii, des Mucii, des Fulvii et compagnie qui domine la vie politique romaine pendant près d'une quinzaine d'années, de 137 à 122.
Passée la décennie 140 et sa censure plutôt ratée, Scipion Emilien est bien sûr toujours le plus prestigieux des nobiles, mais son influence/pouvoir politique n'est plus ce qu'elle était.

Sur votre dernière question, je pense que les dirigeants ne sont pas parvenus à refonder le régime sur des bases plus stables et plus larges pour plusieurs raisons :
- celles évoquées lors de mon précédent message (le double blocage vis-à-vis du peuple comme vis-à-vis des alliés italiens suite au grand traumatisme et à la grande victoire de la 2ème guerre punique).
- le fait que le pouvoir était beaucoup trop éclaté, parcellisé, divisé, contrebalancé, pour permettre des décisions fortes hormis à l'occasion d'un péril extrême (la 2ème guerre punique).
- le fait que les romains abhorraient l'idée même de refonder le régime sur des bases plus larges. Il s'agissait de partager les fruits de la citoyenneté et de l'empire et il fallait surtout que ça ne se fasse que lentement, modérément, afin d'éviter de contrôler les nouveaux entrants, d'éviter qu'ils aient un poids trop significatif, de les obliger à s'inscrire dans la dépendance et la clientèle de patrons "vieux" romains dont ils fortifient ainsi les ressources et le pouvoir au lieu de les remettre en cause.

D'ailleurs, on le verra bien entre 91 et 87. Quand on bloque aussi bien que quand on veut aller trop vite sur cette question de la citoyenneté romaine, ça dégénère en guerre contre les alliés ou en guerre civile.

La société romaine est trop segmentée et trop hiérarchisée en ordres, en classes, en plus nobles, moins nobles, pas encore nobles, en romains de Rome, romains du Latium, romains d'Italie, romains d'ailleurs que de l'Italie, pour que la cité ne soit pas au bord de l'explosion quand on commence à remettre en cause les places, les rangs, les richesses, les pouvoirs.

Même Cicéron est méprisé et moqué comme un semi-étranger par les vieux nobles romains. A je ne sais plus quel moment, certains de ses ennemis le qualifient de "1er roi étranger de Rome depuis les Tarquins".

Et enfin, le pouvoir est trop personnalisé pour qu'un grand nombre voire une majorité de sénateurs ne préfèrent pas une absence de solution plutôt que le risque de voir le magistrat qui règlera les problèmes en tirer trop de reconnaissance, de prestige, et donc de pouvoir pour la suite.


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 24 Fév 2013 16:09 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
Message(s) : 2693
merci caesar de ces réponses précises et assez crédibles.

Sauf pour la dernière : l'incapacité à rétablir la république sur des bases équilibrées a conduit à rétablir ... la monarchie - ce que rejetait la vieille nobilitas autant que la démocratie. Il est incroyable qu'elle n'ait pu imaginer une réforme du régime républicain classique pour éviter cela. Certes on a vu avec Sylla que longtemps les seules réformes acceptables par la nobilitas étaient simplement celles qui revenaient à une restauration .... mais tout de m^me face à l'affirmation de l'ambition des imperatores n'était il pas possible de proposer autre chose? peut-être le traditionalisme foncier de la culture aristocratique romaine empêchait toute réforme modérée ouvrant paradoxalement la voie à la "révolution romaine" ???


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 24 Fév 2013 16:48 
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Philippe de Commines
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Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Sur ce dernier point, quelques mises en perspective et explications.

D'abord, je ne pense pas que l'aristocratie romaine était par essence incapable d'intégrer de nouvelles élites et de nouvelles cités. Après tout, c'est ce qu'elle a fait depuis la fondation de la cité à l'époque dite "royale" et qu'elle a continué à faire peu après les débuts chaotiques de la république.

Les grandes gentes plébéiennes, ce ne sont pour l'essentiel pas des marchands ou artisans enrichis. Ce sont des familles aristocratiques étrangères à qui, dans le cadre d'alliances entre cités ou d'alliances personnelles, l'aristocratie romaine a donné la citoyenneté romaine, avec tous les égards dus à leur rang mais placés un cran en dessous des patriciens et donc sans le ius honorum ni le ius auspicium.
Ce peuvent être aussi des familles qui ont été romaines et qui, pour une raison mal élucidée, ont été d'une manière chassés de Rome ou exclus de la pleine citoyenneté aristocratique réservée aux Patriciens : je pense notamment à la grande famille plébéienne des Marcii qui sont supposés se rattacher au 4ème roi de Rome et qui sont au tout 1er plan dans les décennies qui suivent le compromis licinio-sextien de 366.

La lutte du Patriciat et de la Plèbe, c'est d'abord et avant tout la lutte entre 2 aristocraties et non pas la lutte entre les aristocrates et le petit peuple.

Il y a eu un blocage avec la 2ème guerre punique et ensuite, l'aristocratie romaine s'est trouvée trop puissante pour être contrainte à des compromis susceptibles de stabiliser l'Italie dans son ensemble.

Je pense enfin que l'aristocratie romaine, et plus globalement les aristocraties italiennes, étaient bien plus prêtes à céder sur le champ du pouvoir politique et d'une dérive monarchique qu'à céder face à une possible évolution démocratique ou à une remise en cause de leurs propriétés. Le plus grand crime de Tiberius Gracchus, n'est-ce pas au fond d'avoir osé manier la notion de souveraineté populaire comme arme de lutte et de légitimation politique, alors que la véritable nature de la république romaine, c'était la mise sous tutelle des institutions civiques par les nobles ?

La monarchie populaire ne passe pas. Ce qui est acceptable, c'est la monarchie s'appuyant sur l'aristocratie. Je pense même que c'est là la différence entre la pratique césarienne et la pratique augustéenne du pouvoir.

La question des appartenances civiques, vieux romains d'un côté et italiens ayant reçu la citoyenneté à l'issue de la guerre sociale de l'autre, était au fond dépassable et a été dépassée avant même la chute de la république.
Une fois les derniers marianistes vaincus en Espagne, Rome intègre à nouveau plutôt bien les aristocraties italiennes.

En revanche, pas de quartier sur la place de l'aristocratie ni surtout sur la question des terres. De mémoire, le dernier à avoir fait des lois agraires en faveur de la plèbe civile (je veux dire par là les autres que les vétérans démobilisés), c'est César.


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 24 Fév 2013 17:38 
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Jean-Pierre Vernant
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Caesar Scipio a écrit :
La monarchie populaire ne passe pas. Ce qui est acceptable, c'est la monarchie s'appuyant sur l'aristocratie. Je pense même que c'est là la différence entre la pratique césarienne et la pratique augustéenne du pouvoir.


Cette expression est tout à fait pertinente même si je nuancerais sur un point dans le sens où l'empereur, ou plutôt le princeps, me semble être établi dans un rôle de médiateur suprême venant éviter les débordements de tous coté. L'aristocratie a payé le prix fort de l'ascension d'Auguste et le fait qu'il s'appuie sur les aristocrates montre aussi qu'il n'a plus grand chose à craindre de ce coté. Son rôle est complexe et dépasse la simple question monarchique. Il agrège des pouvoirs d'essence républicaine, domine tous les aspects de la vie publique ; il est plus une émanation des dérives de la République qu'une réédition de la monarchie. Le basculement vers l'Empire me semble être un moment important pour Rome qui commence alors à se doter d'un appareil de gouvernement de type moderne. On n'est plus alors dans la simple compétition aristocratique pour les honneurs, comme probation rituelle en quelque sorte, mais dans la composition d'un Etat, avec des bureaux distincts des fonctionnements traditionnels. L'aristocratie va bien sûr très subtilement être employé mais elle sera toujours responsable devant l'empereur.
En fait je pense que la République n'a jamais su devenir un gouvernement détaché des fonctionnements traditionnels qui n'étaient plus adaptés aux nouvelles réalités du temps. L'administration avec ses fonctionnaires assurera une plus grande stabilité du pouvoir contre tous les soubresauts politiques.

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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 25 Fév 2013 10:09 
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Jean Mabillon
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Pédro a écrit :
En fait je pense que la République n'a jamais su devenir un gouvernement détaché des fonctionnements traditionnels


certes mais POURQUOI ??


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 25 Fév 2013 11:27 
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Jean Froissart
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Il me semble que Caesar Scipio a déjà répondu en partie à votre question, Aigle :

Caesar Scipio a écrit :
Le plus grand crime de Tiberius Gracchus, n'est-ce pas au fond d'avoir osé manier la notion de souveraineté populaire comme arme de lutte et de légitimation politique, alors que la véritable nature de la république romaine, c'était la mise sous tutelle des institutions civiques par les nobles ?


Rome n'est effectivement pas une démocratie, loin de là, et l'idéal républicain se concrétise, au fil de son histoire, plus sous la forme d'une oligarchie extensive et malléable que d'un compromis entre le petit peuple d'une part (il n'en a, finalement, jamais été question) et l'aristocratie d'autre part. Son fonctionnement traditionnel ne peut s'envisager que sous la forme d'une oligarchie qui se restreint petit-à-petit à un très petit nombre de grandes gentes sous le Principat. Ceci évite, également, l'affrontement perpétuel entre différents partis que le régime précédent a vu se succéder.

C'est la politique de Rome depuis des siècles que de composer et de s'appuyer sur les aristocraties dominantes des différentes cités, mais c'est également la politique que suit plus ou moins Hannibal lorsqu'il passe en Italie et, finalement, de toutes les puissances (du moins en Méditerranée occidentale) : ceci explique peut-être cet attachement aux modes de fonctionnement traditionnels.

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Il n'y a pas de littérature sans liberté politique

Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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 Sujet du message : Re: Des Gracques à Octave
Message Publié : 25 Fév 2013 13:01 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Je dirais aussi, pour compléter, que l'aristocratie avait le beau rôle. C'est elle qui dirigeait la ville et s'écharpait pour cela. C'était la Liberté. Mettre en place des institutions différentes, une administration plus proche du fonctionnariat impliquait de toucher à la tradition et peut être aussi d'écorner leur monopole. La République est un régime éminemment traditionnel, fondé à l'origine à une époque où le religieux avait une importance considérable. Chaque magistrat était un prêtre et sa parole comptait aussi par ce biais. Avec l'affaiblissement du sentiment religieux (qui dans l'élite croyait encore aux augures...) on a perdu les limites que la religion mettait à l'exercice du pouvoir. Le déséquilibre vient en parti de là. Cela s'est produit face aux circonstances ; telle célébration pose problème pour les travaux des champs, telle autre pour la guerre... On a préservé les formes mais tourné les entraves et petit à petit l'édifice politico-religieux procédant de cette forme politique s'est effiloché. Auguste et son principat ont eu la sagesse de replacer du sacré, certes assez formel, dans la mécanique politique. Le système traditionnel ne l'a pas fait et a pensé pouvoir se poursuivre sans cadre.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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