Wenceslas Balyre a écrit :
Sur l'empire romain ancêtre de l'URSS, pas vraiment. Même s'il y a des éléments de filiation : je parlais tantôt de la conception très centralisatrice, planificatrice du droit qu'avait Ulpien. Or Ulpien, en matière de philosophie du droit, a été en Europe continentale, depuis la redécouverte des compilations justiniennes au XIe siècle, LA référence de tous les commentateurs du droit romain, jurisconsultes et juristes s'adonnant à la théorie politique ; c'est sur ses maximes que s'est fondé l'absolutisme monarchique, sur sa vision du droit que s'est modelé l'Etat moderne, en particulier en France. Et les pays d'Europe qui n'ont pas fondé leur système juridique sur les maximes d'Ulpien sont ceux qui n'ont pas eu le même rapport à l'héritage romain, c'est-à-dire les anglo-saxons. Or ces pays sont connus pour avoir plus facilement reçu et mis en pratique les théories libérales que les autres. (...)
Les mentalités et les moyens ne font que rajouter l'idée de "toutes proportions gardées" que je n'ai jamais contestée. Mais de là à dire que les empereurs n'ont pas de programme, c'est faux. Les premiers sont issus du courant des populares, qui a une idéologie. Ensuite se mêle à celle-ci la vision stoïcienne de l'unité du monde, qui comme je l'ai dit se retrouve philosophiquement chez Marc-Aurèle et se traduit juridiquement chez Ulpien (qui fut brièvement un quasi-empereur). L'autorité dont ce dernier est revêtu jusqu'à la fin de l'Empire (loi des citations, 426) ainsi que la conformité de la pratique impériale à ses idées atteste de son caractère d'idéologie officielle de l'Etat impérial.
Je crois que vous exagérez énormément le caractère centralisateur du droit romain et que vous lui conférez les propriétés qu'on lui a données dans l'Europe moderne quand on s'est appuyé sur lui.
Le droit romain est fondamentalement casuistique. La plupart des décisions impériales ou sénatoriales sont des réponses à des questions précises, et presque jamais des normes à valeur générale, même si, comme on dirait aujourd'hui, elles "font jurisprudence", dans des proportions du reste difficiles à déterminer.
Quant aux écrits des juristes du type Ulpien, c'est de la science juridique, des débats d'opinions entre juristes, qui prouvent qu'il n'y avait pas de solution prédéterminée pour l'ensemble de l'empire.
Moi quand je lis Ulpien, voilà ce que je vois : "Untel a dit que si ça et ça, alors peut-être il faut faire ça. Mais Truc a dit que si ça, alors ceci et cela. Machin est d'accord avec Truc. Bidule dit au contraire qu'il faut faire ça". Que pense Ulpien là dedans? Parfois, il le dit, mais très souvent non, il compile et c'est tout. La plupart du temps, on se demande quelle est la prescription derrière et il faut admettre qu'il n'y a pas de loi à valeur générale derrière.
Quand aux constitutions impériales, elles disent très souvent quelque chose du genre : "Oui, si vous vraiment faire ça, alors vous pouvez. Mais le gouverneur décidera en fonction des coutumes locales, de l'avis des habitants, de ce qui a déjà été fait auparavant, etc."
Le droit romain a tendance à se généraliser avec les progrès de la citoyenneté, mais le droit local, les coutumes, ne sont jamais abolies. Presque aucune décision n'a de validité générale pour tout l'empire. Et l'autorité des juristes est importante, mais ils n'émettent qu'un avis nuancé, ne disent jamais ce qu'il faut vraiment faire.
Bref, c'est un droit beaucoup plus coutumier et casuistique, et beaucoup moins centralisateur, que l'utilisation qui en a été faite dans l'Europe moderne quand les pays européens se sont appuyés sur l'autorité du modèle romain pour développer leurs propres Etats centralisés.