Cela a déjà été abordé à de nombreuses reprises, en des termes quasi identiques, sur le forum. Pour comprendre cette question il convient de déposer sur la pas de la porte des réflexions qui nous semblent rationnelles mais qui ne sont que le fruit de nos conceptions contemporaines.
Une première chose me paraît fondamentale ; dans l'Empire, tous les hommes libres sont citoyens romains de plein droit depuis l'édit de Caracalla en 212. Pour trouver des citoyens mobilisables il n'est donc pas nécessaire de ponctionner dans la population romaine, même si les recruteurs de l'armée y prélevaient aussi des troupes : voyez par exemple l'indignation d'Ammien Marcellin contre les Italiens qui se tranchaient le pouce plutôt que d'aller servir sur les frontières. Je vous entends déjà grincer qu'en cette fin d'Antiquité tout partait en sucette vu que les gens ne voulaient plus combattre. Vous auriez tort de le penser puisque avant toute chose c'est une vision partisane de ce contemporain qui suit une vieille tradition de généralisation autour des qualités et défauts de différentes ethnies. Ainsi tout au contraire il n'a de cesse de venter les mérites des soldats originaires des Gaules. Dans tous les cas les hommes restent des hommes et leur rapport au courage n'est pas une question d'ethnie. Il me semble que c'est Végèce qui a dit que peu d'hommes naissent courageux mais que par l'entraînement et la discipline ils peuvent le devenir. Les Gaulois en tout cas, comme les Illyriens devaient se sentir plus préoccupés des affaires militaires parce qu'ils étaient, pour ceux vivant sur les zones frontalières, directement en contact avec les problèmes et avec les troupes. Ces dernières ont plutôt mauvaise presse dans l'Empire, et ce depuis très longtemps. Le soldat c'est l'homme brutal, le bandit à l'occasion qui se sert de la violence et de l'esprit de corps pour opprimer les civils. Sous ce régime, dès lors où on a peu de contact avec eux, leur image, couplée avec la longueur et la difficulté du service invitait à réfléchir sur un engagement. Mais attention là encore de ne pas caricaturer la fin de l'Antiquité ; les guerres de la fin de la République faisaient le plein de soldats parce que les perspectives d'enrichissement par le pillage des riches royaumes hellénistiques par exemple séduisaient les esprits aventureux. L'appât du gain a été un bien meilleur pourvoyeur de soldat que je ne sais quel patriotisme éthéré.
Chaque années donc il fallait trouver 20 ou 30000 hommes, soit peu de monde, pour renouveler les effectifs de l'armée et on pouvait compléter cela avec du recrutement barbare. Or ce recrutement, au IVe siècle, faisait passer ces barbares sous le régime de l'armée romaine. Exception faite des Lètes, ils étaient inféodés à la hiérarchie et aux techniques de combat romaines. Noyés dans la masse ils se signalent par des états de service tout à fait comparables à leurs homologues "nationaux". Ammien y fait plusieurs fois référence et note le courage de certains de ces hommes. Il serait très malvenu de les regarder comme des supplétifs de peu de valeur tant la progression dans la hiérarchie militaire de certains de ces hommes sortis du rang atteste de la fidélité de leur engagement.
Mais tout cela fonctionne surtout pour le IVe siècle. Au siècle suivant, en Occident tout du moins, les empereurs firent un pari très risqué ; déléguer à des peuples barbares, liés à Rome par un traité de feodus, la défense de portion de frontière. L'avantage était le faible coût d'entretient de ces combattants. Le calcul était simple ; des barbares massacrent d'autres barbares et pendant ce temps les Romains sont tranquilles. Sauf qu'à force de déléguer sa puissance militaire on finit par ne plus avoir les moyens de faire respecter ses décisions et les empereurs du Ve siècle vont passer beaucoup de temps à jouer d'un peuple barbare contre un autre en essayant de garder la main. En Orient par contre les structures de l'armée romaine régulière seront bien plus maintenues et le résultat est là.
Il n'y avait pas nécessité d'envoyer des millions d'hommes au combat pour gérer la situation du Ve siècle et de toute façon face à des peuples entiers en mouvements c'est très compliqué d'appliquer une défense dure. Souvenons-nous de la galère incommensurable de la migration des Cimbres et des Teutons. Les Romains, pourtant à une époque où peu de gens remettent en question leur valeur militaire, se prirent pourtant deux déculottés monumentales avant de finalement pouvoir s'en sortir grâce à Marius et à la division des barbares, qui s'étaient fait amoindrir d'ailleurs par leur passage en Espagne. Et alors on ne parle que de deux peuples, pas des mouvements relativement massifs du Ve siècle... A mon sens la seule alternative viable eut été du coté d'une intégration et d'une dispersion de ces populations à l'échelle de l'Empire, politique qu'avait toujours pratiqué Rome, tout en maintenant des structures militaires viables.
Almayrac a écrit :
Dans le reste de l'empire il y a un manque de bras pour l'agriculture ce qui explique la non participation à l'effort de guerre et surtout le replis des cités derrière des remparts comme si le Limes s'interiorisait. En fait il n'y a plus de garnisons dans le reste de l'empire pour assurer la défance et c'est le role des citoyens qui s'organisent en milices.
Ce déficit de population pourrait s'expliquer soit par des épidémies soit par une colonisation plus importante des campagnes.
Il est très délicat de postuler cette fameuse dépopulation quand on voit sur quels "indices" elle s'établit... On peut montrer sans trop de problème autant d'arguments qui vont dans le sens d'un maintient des démographies et avec davantage de certitudes une croissance par exemple pour la Syrie. On peut également montrer qu'il y a une sous exploitation de la main d'oeuvre durant toute l'Antiquité ; on n'est pas dans un système de plein emploi et d'utilisation de la force de travail de chacun pour la prospérité de l'économie... Cela c'est la vision moderne à ne surtout pas calquer sur le monde antique...
Ensuite il n'y a jamais eu de garnisons à l'intérieur de l'Empire si ce n'est celle de Rome. Au contraire, durant l'époque tardive les troupes comitatenses seront mises en retrait par Constantin pour constituer une force de frappe en "seconde ligne". Même si Zosime critique cette disposition par haine du premier empereur chrétien, et sans vraiment comprendre les tenants et aboutissants de cette politique, le IVe siècle est bien plus stable que le précédent question gestion des attaques ennemis, preuve de l'efficacité du système. L'armée réformée par Dioclétien et Constantin est de toute façon bien plus adaptée à la guerre menée par les barbares que les lourdes formations du Haut Empire. Les milices n'apparaissent que durant le Ve siècle, autour de potentats locaux surtout, pour parer à la carence des troupes régulières.
Pour conclure je dirais que si la guerre peut être une question d'hommes elle est aussi une question d'argent. En l'occurrence entretenir une armée de presque 500000 hommes à l'époque et ce de manière permanente (on n'est pas face aux inflations d'effectifs de la fin de la République qu'on ne rémunérait que sur le pillage...) est un gouffre financier considérable. Rajouter du monde là dessus n'aurait que pu amener l'Etat a pressurer davantage des populations civiles et cela pour rajouter des bleus sans expérience et qu'on n'aurait pu facilement former.
Le rôle du christianisme là dedans est particulièrement nul dans le sens où les empereurs chrétiens se signalent par une expertise dans l'art de la guerre que bien peu d'empereurs du Haut Empire possédaient. Du coté des troupes, passé quelques exaltés au martyr à l'époque où ce fut la mode, la confession de chacun ne change pas grand chose dans l'état d'esprit. La férocité des combats décrits par Ammien ne mettait pas au prise que de sordides païens.