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 Sujet du message : Clodius
Message Publié : 19 Déc 2013 11:10 
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Salluste
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Au fil de mes lectures sur le dernier siècle de la République, je n'ai pu manquer de constater à quel point un personnage était sous-estimé : Clodius. On le résume souvent au scandale de la Bona Dea lorsqu’il s’est travesti en femme pour espionner les servantes de cette cérémonie mystérieuse. Au delà de ses frasques, le personnage n’est pas si ridicule ou accessoire que ça dans l’histoire de Rome. Il faut replacer tout cela dans son contexte, celui de la fin de la République, de la déliquescence des institutions républicaines. A ce titre, les étapes de la carrière de Clodius représentent tous les dérèglements du dernier siècle de la République :
- la professionnalisation et la mercenarisation de l’armée qui s’attache désormais plus à la personne de son général qu’à la gloire de Rome (carrière militaire confuse de Clodius en Orient qui fomenta deux mutineries contre Lucullus, se mettant d’ailleurs déjà dans le camp des populares).
- le populisme (tribun de la plèbe, Clodius prit plusieurs mesures populaires voire populistes : distributions gratuites de blé, mesures en faveur des assemblées populaires et des corporations…)
- la pauvreté d’une partie du peuple (sur laquelle plusieurs populares ont joué à cette époque : Catilina, César… et Clodius !)
- la perte de prestige du patriciat et de l’aristocratie sénatoriale (Clodius renonce à son statut de patricien pour se faire plébéien)
- la violence politique (ses supporters à Rome se constituent en bandes violentes prêtes à faire le coup de poing)
- les proscriptions (l’exil et la récupération des biens de Cicéron ressemble, toute proportion gardée, aux proscriptions syllaniennes)

Clodius comme métaphore des dérèglements de la République, donc. Mais peut-être encore bien plus que cela… On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs ; on pourrait ajouter qu’elle est également écrite pour les vainqueurs. César ayant finalement gagné la guerre civile et étant devenu le « maître du monde », on ne parle que de lui. Par contrecoup, on parle également de ses deux principaux rivaux (Pompée et Crassus). Le triumvirat est bien connu, mais ces trois hommes étaient-ils les seuls à avoir des ambitions ? Certes non. Dans ce contexte de République finissante et déliquescente, où le pouvoir était à prendre, nombreux sont ceux qui ambitionnaient, d’une manière ou d’une autre et à des degrés divers, à monter vers le sommet. César était le plus ambitieux de tous, on le sent très rapidement. Pompée et Crassus semblent être moins dans une optique de rupture que d’accommodation avec les institutions existantes, à condition d’avoir le rôle principal. A un moindre niveau, même un Cicéron semble avoir été pris d’une certaine folie des grandeurs si l’on en juge par ses vantardises invraisemblables concernant son propre consulat qu’il considère presque comme "messianique". Bref, la porte était ouverte à toutes les ambitions. Peut-on absolument repousser l’idée que Clodius, aussi, ait été dévoré d’ambition et souhaité arriver au sommet de l’Etat ? Il était considéré comme un jeune excentrique à la mode, mais on disait exactement la même chose de César dix ans auparavant, ce qui ne l’a pas empêché de faire la carrière que l’on sait. Le scandale provoqué par ses frasques lors de la nuit de la Bona Dea nous cache une partie du personnage : Clodius avait un réel programme politique et une capacité indéniable, comme il l’a démontré lorsqu’il était tribun. Et l’on oublie également que dans les années 50, les années du triumvirat entre les trois grands, c’est en réalité lui qui, tenant la rue, était considéré comme le maître de Rome !

Dans une situation où tout semblait possible pour arriver au pouvoir, plusieurs voies étaient possibles :
- Pompée a choisi la voie de la gloire militaire et de sa mise en scène (un peu exagérée si l’on regarde en détail ses guerres)
- Crassus, c’était la voie de la richesse (et son corolaire, la corruption : achat de votes, financement de la campagne de ses clients…)
- César était plus complet et basait sa stratégie sur un mélange de gloire militaire (propagande de sa conquête de la Gaule), de capacité d’organisation et de populisme.
- A un moindre niveau, Cicéron suivait la voie de l’éloquence.
Pour Clodius, la voie était celle d’un populisme intégral s’appuyant sur la violence de la rue et le fanatisme populaire. Très tôt, dès la guerre contre Mithridate, alors qu’il n’est que simple légat dans l’armée, il fomente des mutineries contre Lucullus. Or cet épisode est très intéressant car il montre que Clodius épouse dès le début les thèses populaires. Les troupes reprises par Lucullus s’étaient en effet déjà mutinées quelques années auparavant sous la direction du populare Fimbria contre le consul optimate Flaccus. On peut donc imaginer que ces soldats étaient favorables au camp populaire et Clodius jouera sur cette fibre, les soulevant contre l’aristocrate par excellence qu’était Lucullus. Clodius semble donc avoir eu très tôt sinon une sympathie pour les populares, du moins une tendance à utiliser cette carte à son avantage. Dans la suite de sa carrière, il jouera la carte du populisme avec une maestria indéniable. Les circonstances (sa mort dans la bagarre de la Via Appia) ont fait qu’il a échoué mais il aurait tout aussi bien pu réussir. Un personnage très sous-estimé de cette période trouble et grandiose.


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 19 Déc 2013 11:17 
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Pierre de L'Estoile
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Je ne crois pas qu'il soit sous-estimé, mais son souvenir n'a rien de glorieux ni de flatteur car c'était un pur voyou, assez comparable à "Carbone et Spirito". En dehors de ses ambitions politiques, ce fut un meurtrier, un incendiaire, un chef de bande, un trafiquant, etc...

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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 19 Déc 2013 11:28 
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Salluste
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jibe a écrit :
Je ne crois pas qu'il soit sous-estimé, mais son souvenir n'a rien de glorieux ni de flatteur car c'était un pur voyou, assez comparable à "Carbone et Spirito". En dehors de ses ambitions politiques, ce fut un meurtrier, un incendiaire, un chef de bande, un trafiquant, etc...
Mais justement, on le résume à ça (frasques et baston) alors qu'il avait un réel programme politique (et pas inintéressant), était le maître de Rome à l'époque de César-Pompée-Crassus, se permettait de traiter d'égal à égal les trois triumvirs (tandis que tous les autres s'écrasaient devant eux)...
Je pense qu'on n'a jamais vraiment mesuré la profondeur et l'importance de ce personnage.


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 19 Déc 2013 15:07 
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Pierre de L'Estoile
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En réalité, Clodius n'était pas le maître de Rome car un autre voyou lui disputait ce titre : Milon. Dans cette fin de la république où la violence était devenue incontrôlable, les bandes de Milon dominaient même celles de Clodius, car elles étaient mieux entraînées et disciplinées. C'est pour cela qu'au final, Clodius fut abattu.

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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 19 Déc 2013 21:11 
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Salluste
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jibe a écrit :
En réalité, Clodius n'était pas le maître de Rome car un autre voyou lui disputait ce titre : Milon. Dans cette fin de la république où la violence était devenue incontrôlable, les bandes de Milon dominaient même celles de Clodius, car elles étaient mieux entraînées et disciplinées.
Milon était effectivement l'homme de main du Sénat pour contrer les bandes de Clodius.
Toutefois, ses bandes ne "dominaient pas celles de Clodius" comme vous le dites et c'est, je crois Plutarque qui nous dit qu'à cette époque, Clodius était le vrai maître de Rome (il faudrait que je retrouve la référence exacte, je ne sais plus si c'est dans la Vie de Cicéron, de Lucullus ou de Pompée).

Citer :
C'est pour cela qu'au final, Clodius fut abattu.
Oh non, Clodius est mort dans une rixe entre son escorte et celle de Milon, en dehors de Rome, sur la Via Appia, alors qu'ils ne devaient pas se rencontrer. Comme, ce jour-là, l'escorte de Milon était composée de gladiateurs et pas celle de Clodius, ce dernier a eu le dessous. Mais cette rixe n'était pas représentative des forces en présence à Rome.

Je voudrais également revenir sur votre précédent message :
Citer :
Je ne crois pas qu'il soit sous-estimé, mais son souvenir n'a rien de glorieux ni de flatteur car c'était un pur voyou, assez comparable à "Carbone et Spirito". En dehors de ses ambitions politiques, ce fut un meurtrier, un incendiaire, un chef de bande, un trafiquant, etc...
Sa carrière est effectivement remplie de choses pas très flatteuses, mais n'était-ce pas finalement l'air du temps qui le voulait ? Sans parler des guerres civiles, des proscriptions etc. il suffit juste de voir les invraisemblables magouilles électorales des optimates sénatoriaux pour conserver la direction des affaires.
A un niveau en dessous, il suffit également de voir la trajectoire de Cicéron, archétype de l'avocat pourri qui se vend au plus offrant et module son discours, capable de dire tout et son contraire, en fonction de ses employeurs. Combien de coupables cet avocat véreux a-t-il défendu et combien d'innocent a-t-il accusé, répandant, comme c'était d'ailleurs l'usage chez tous ses confrères, d'incroyables calomnies sur ses adversaires? Entré en politique, son comportement n'a d'ailleurs guère changé...


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 13 Jan 2014 11:17 
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Salluste
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Je ne résiste pas au plaisir de copier quelques extraits d'une mini-bio de Clodius écrite par un historien du XIXème siècle, choqué comme il se doit :

Les actes par lesquels Clodius s’était fait connaître jusqu’alors révélaient en lui un intrigant et un perturbateur d’une audace singulière.
(...)
L’éducation politique de Clodius n’avait pas été meilleure. Enfant, il avait assisté aux proscriptions, aux spoliations, aux massacres de la dictature de Sylla ; jeune homme, il avait vu le consul Lepidus lever une armée et entrer en lutte ouverte avec le sénat. Ces exemples parlaient assez haut : l’audace, la violence, le crime, voila les moyens de gouvernement qu’on lui avait montrés. Il pensa que le mieux était de commencer tout de suite.
(...)
Les débuts de sa carrière se firent en Asie dans l’armée de son beau-frère Lucullus. Il ne profita de son rang et de sa parenté avec le général en chef que pour faire révolter l’armée. Les mutins, excités par lui, déclarent qu’ils n’iront pas plus loin, ils abandonnent leur général et leur camp. Huit années de campagnes horriblement pénibles et de succès chèrement achetés sont perdues en quelques jours. Cette trahison, que rien ne justifie, odieuse, peut donner une idée de cet agitateur sans pareil et de ses manoeuvres habituelles. Tel nous le retrouverons dans toutes les circonstances de sa vie politique : sa seule passion a été l’anarchie.
(...)
Bientôt après, ayant assez des aventures militaires, il revient à Rome. A vingt-huit ans, il avait acquis cette réputation originale d’avoir mis le désordre dans toutes les affaires où il avait été mêlé.
(...)
Son aventure [quand il s'introduit déguisé en femme dans la cérémonie religieuse] l’avait rendu très populaire dans les bas-fonds de la capitale ; on avait ressenti beaucoup de sympathie pour ce coureur d’aventures galantes, qui avait fait rire. La populace aimait Clodius pour les raisons mêmes qui le rendaient odieux à quelques aristocrates.
(...)
Jusqu’alors les débats [au tribunal] avaient été conduits avec la plus grande sévérité ; mais les paroles de Cicéron sont le signal d’un épouvantable tumulte : les amis de Clodius font retentir le Forum de leurs menaces ; les juges, debout sur leurs sièges, présentent la gorge à Clodius pour montrer qu’ils sont prêts à défendre Cicéron au péril de leur vie. Devant cette explosion de menaces, le jury demande au sénat une escorte militaire.
(...)
cette honteuse comédie était du plus détestable effet et pour la morale publique et pour les intérêts de l’État. Comment ! Voilà un accusé qui, non content d’avoir joint le sacrilège à l’adultère, trafique encore ouvertement avec ses juges et se fait le pourvoyeur de leurs débauches.
(...)
s’il devenait plébéien, il se ferait élire sur-le-champ tribun de la plèbe (...) Pour passer du patriciat à la plèbe, il y avait une procédure régulière qui consistait à se faire adopter par un plébéien. Il aurait dû y avoir entre Clodius et son père adoptif, le plébéien Fonteius, les rapports d’âge réclamés par l’usage et par la raison ; bien loin de là : le fils adoptif avait trente-quatre ans, le père adoptif en avait dix-huit. Clodius avait été proclamé fils d’un plébéien dont il pouvait presque être le père ! lol
(...)
Clodius pouvait-il se résigner à n’être que l’agent d’autrui ? L’homme qui, en quatre mois à peine, a su donner le blé au peuple pour rien, rétablir les sociétés secrètes, faire tomber les barrières religieuses, amoindrir la censure, exiler Cicéron, éloigner Caton, qui, dans Rome, tient la place du sénat et de tous les magistrats, cet homme n’aurait pas l’ambition bien naturelle de travailler pour lui-même ?
(...)
Ceci encore est une scène de comédie comme on en trouve plusieurs dans cette vie d’anarchiste.
(...)
Un mois plus tard, en septembre, Pompée doit soutenir un véritable siège dans sa maison contre les bandes de Clodius. Pompée était hors de combat. Pourquoi Clodius n’attaquerait-il pas à présent Jules César ?
(...)
Quand Clodius quitta ses fonctions, le 10 décembre 59, il pouvait être fier de son oeuvre ; il n’avait perdu ni son temps ni sa peine. Après une année de nouveautés, de violences et d’anarchie, il pouvait emporter la conviction qu’il avait frappé à mort la constitution et la République ; il leur avait donné le coup de grâce, elles ne s’en relèveront pas.
(...)
Le Forum, occupé dés la nuit par les clodiens, ressemblait à une place d’armes. Dés que Fabricius commence la lecture de sa proposition, un tapage infernal éclate dans tous les coins ; les clodiens s’élancent, se jettent sur Fabricius et ses partisans, blessent et tuent au hasard. Clodius vole de droite et de gauche pour enflammer les siens.
(...)
Clodius, résolu à en finir, vint attaquer Milon chez lui ; ce fut un siège en règle. Toute l’armée de Clodius était là, les uns l’épée à la main, les autres avec des torches ; Clodius avait établi son quartier général dans une maison voisine
(...)
chaque jour amenait son émeute. Une fois, il tombe avec sa bande sur Cicéron et manque de le tuer ; une autre fois, il est poursuivi par son ancien ami Marc-Antoine, le futur triumvir, et il court se barricader dans l’escalier d’une boutique de libraire ; ses bandes dispersent les comices consulaires à coups de pierre. En janvier 52, on n’avait encore pu élire ni les préteurs ni les consuls.
(...)
il est venu au monde avec un tempérament révolutionnaire. Il y a toujours eu dans les fantaisies de ce brouillon incorrigible quelque chose de l’humeur de l’enfant gâté qui s’amuse à briser les plus beaux jouets pour le simple plaisir de les voir en pièces. Rappelons-nous ses folles équipées dans l’armée de Lucullus ; à vingt-six ans à peine, il provoque, sans l’ombre de raison, une sédition militaire et une émeute civile. Jeté dans la politique par une aventure galante, un adultère doublé d’un sacrilège, traduit en justice et acquitté par un verdict scandaleux, ce grand seigneur se fait plébéien, tribun du peuple, démagogue, multiplie les lois révolutionnaires, déchaîne pendant six ans la guerre dans les rues. (...) une passion innée pour l’émeute et l’anarchie
(...)
Clodius nous apparaît donc comme un esprit mal équilibré, comme un détraqué de la politique, qui improvise sa conduite au jour le jour, sans autre idée que de perpétuer l’anarchie et qui en cela cède à une passion irrésistible pour le bruit et le désordre.
(...)
Depuis le tribunat de 58 jusqu’au combat de la voie Appienne [où il meurt en 52 av JC], on peut dire qu’il n’y a plus eu à Rome ni magistrats, ni comices, ni sénat, ni République même ; il y a eu Clodius et ses bandes.
(...)
un bûcher est improvisé avec le mobilier et les archives du sénat. Le feu ne consume pas seulement le cadavre, il consume encore la curie [le siègle du Sénat]. Ces funérailles révolutionnaires, célébrées par la populace entière, couronnaient, comme il le fallait, l’existence de Clodius. Il était juste que le démagogue, qui avait passé sa vie à monter à l’assaut de la République, incendiât par les flammes de son bûcher funèbre l’édifice vénéré qui était la citadelle politique de l’aristocratie.



Quelle vie... lol
S'il n'était pas mort dans une bagarre en -52, Dieu seul sait jusqu'où il serait allé. On peut même peut-être douter que César et Pompée auraient déclenché la guerre civile pour la domination sur Rome...


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 13 Jan 2014 17:20 
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Plutarque
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"A un niveau en dessous, il suffit également de voir la trajectoire de Cicéron, archétype de l'avocat pourri qui se vend au plus offrant et module son discours," :?:

Bonsoir, c'est la première fois que j'entends parler de Cicéron de cette façon. Qu'en est il de ce personnage ?


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 14 Jan 2014 5:43 
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Salluste
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Bonjour !

Oui, je n'y suis pas allé de main morte avec l'ami Cicéron mais, que voulez-vous, c'est vrai pourtant...
Cicéron était avocat de profession. Or les avocats romains n'étaient pas du tout comme ceux d'aujourd'hui : ils n'avaient aucune éthique, aucun scrupule et mentaient plus souvent qu'à leur tour. Les faits eux-mêmes n'intéressaient pas le jury. Ce qui comptait, c'était la beauté du discours (en gros, le bla bla), les figures de style, les attaques et contre-attaques et la personnalité des plaignants, des accusés et de leurs avocats. Bref, le jury voulait passer un bon moment en attendant de recevoir les habituels pots-de-vin...

D'où des techniques de plaidoirie qui nous paraissent aujourd'hui profondément immorales. Les avocats n'hésitaient par exemple pas à calomnier ou à inventer des crimes imaginaires. Si son adversaire était accusé de corruption, on lui rajoutait une bonne vieille accusation de meurtre ou d'inceste, comme ça, pour faire bonne mesure. C'était totalement imaginaire et calomniateur mais c'était accepté par tous, c'était un élément rhétorique normal. Le public et le jury prenaient cela au second degré bien sûr, on savait que c'était faux mais il fallait bien que l'avocat fasse son boulot et tente de faire condamner son adversaire en l'accusant de crimes réels ou imaginaires.
Et Cicéron a trempé dans ce milieu de mensonges et de calomnies pendant une quinzaine d'années avant d'entrer en politique où il a importé avec lui ces méthodes détestables. Il suffit de lire entre les lignes de ses discours ou de ses plaidoiries pour réaliser qu'il invente la moitié de ce qu'il dit. Un vrai pipoteur...

Pipoteur doublé d'un ambitieux à la vanité invraisemblable. Par ambition, par fatuité, il peut défendre l'une ou l'autre cause, n'hésitant pas à contredire ce que l'on croyait ses opinions. Il émet une loi contre la brigue électorale mais, quelques semaines après, défend un candidat au consulat notoirement corrupteur (Murena). Il attaque Caelius ("bouh, l'horrible et vil personnage"), puis le défend ("ce beau jeune homme n'a rien à se reprocher"), puis l'attaque ("bouh le vil et méchant personnage"). Il s'attaque à Verrès, gouverneur prévaricateur de Sicile, mais défend Fonteius, gouverneur prévaricateur de Gaule cisalpine etc. Tout est comme ça dans la vie de Cicéron : mensonges, retournements de veste, trahison, calomnies...


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 14 Jan 2014 6:57 
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Pierre de L'Estoile
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Sans oublier qu'il s'est considérablement enrichi grâce au commerce du vin.

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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 14 Jan 2014 10:39 
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Plutarque
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Ouah, je ne me croyais pas si ignorant en histoire que cela. Voila que l'image de Ciceron que j'avais retenu de mes cours d'histoire du lycée est sérieusement écornée. Merci à Altai khan de m'avoir gentiment expliqué son point de vue.


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 14 Jan 2014 13:06 
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Salluste
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Non, mon cher Meknes, vous n'êtes pas ignorant.

Le problème, c'est que Cicéron nous a laissé énormément d'écrits et que sur certains point, nous n'avons que lui. Les sources anciennes étant rares, les historiens valorisent énormément celles dont on dispose et tombent presque amoureux de leurs auteurs. D'où cette espèce d'admiration sans borne vis-à-vis de Cicéron, celui grâce à qui nous connaissons des choses que nous ne connaîtrions pas autrement.

Bien sûr, les historiens ne sont pas idiots, ils tentent d'aborder les textes avec esprit critique, mais c'est finalement assez récent. Les premiers à vraiment remettre en cause Cicéron l'ont fait, je crois, dans les années 60. Il suffit de lire des historiens du XIXème siècle ou du début XXème pour se rendre compte à quel point ils perdent toute mesure vis-à-vis du personnage : Cicéron par-ci, Cicéron par-là, il a fait ci, il a dit ça... bref, une vraie parole d’évangile. Ces historiens sont parfois difficile à lire tellement leur naïveté est confondante. Quand aux historiens actuels, ils ont certes un esprit beaucoup plus critique mais que voulez-vous, ils restent esclaves de leurs sources et, qu'ils le veuillent ou non, sont bien forcés d'utiliser Cicéron.

Au lycée, j'imagine que l'image que l'on présente de Cicéron est l'image traditionnelle du début XXème. Ajoutez à cela le goût de nos sociétés actuelles pour les "gentils orateurs pacifistes" et le dégoût pour tout ce qui est militaire ou guerrier, et vous avez un Cicéron sublimé. L'avocat véreux et calomniateur élevé au rang de héros lol

O tempora, ô mores :rool:


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 15 Jan 2014 6:43 
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Salluste
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jibe a écrit :
Sans oublier qu'il s'est considérablement enrichi grâce au commerce du vin.
Vin ou pot-de-vin ? :mrgreen:

Juste un exemple pour montrer à quel point Cicéron était une girouette et pouvait penser ou dire tout et son contraire : après la conjuration de Catilina qui a fait la gloire de son consulat (et on se demande jusqu'à quel point il n'a pas exagéré la menace, mais c'est un autre débat), il va défendre Publius Cornélius Sylla, neveu du dictateur et que l'on accusait d'avoir fait partie de la première conjuration de Catilina. Ce faisant, il a laissé tout le monde bouche bée et c'est là que sont apparues les premiers commentaires sur son inconséquence et ses retournements de veste.
Quel profit tirer de ce procès si ce n'est l'argent ? La somme versée par Sylla lui permettra vraisemblablement d'acheter sa villa sur le Palatin...


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 10 Nov 2014 17:52 
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Hérodote
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Intéressant!

Clodius il me semble était césarien et s'opposait donc à Milon, appartenant au camp des optimates, et pousée par Pompée lui aussi un des leurs. cela pourrait-il expliquer l'opposition à Clodius, qui soutenait César, le libérateur des populares?


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 15 Nov 2014 21:11 
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Jean Froissart
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Inscription : 25 Juil 2007 21:37
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Altai Khan a écrit :
Non, mon cher Meknes, vous n'êtes pas ignorant.

Le problème, c'est que Cicéron nous a laissé énormément d'écrits et que sur certains point, nous n'avons que lui. Les sources anciennes étant rares, les historiens valorisent énormément celles dont on dispose et tombent presque amoureux de leurs auteurs. D'où cette espèce d'admiration sans borne vis-à-vis de Cicéron, celui grâce à qui nous connaissons des choses que nous ne connaîtrions pas autrement.

Bien sûr, les historiens ne sont pas idiots, ils tentent d'aborder les textes avec esprit critique, mais c'est finalement assez récent. Les premiers à vraiment remettre en cause Cicéron l'ont fait, je crois, dans les années 60. Il suffit de lire des historiens du XIXème siècle ou du début XXème pour se rendre compte à quel point ils perdent toute mesure vis-à-vis du personnage : Cicéron par-ci, Cicéron par-là, il a fait ci, il a dit ça... bref, une vraie parole d’évangile. Ces historiens sont parfois difficile à lire tellement leur naïveté est confondante. Quand aux historiens actuels, ils ont certes un esprit beaucoup plus critique mais que voulez-vous, ils restent esclaves de leurs sources et, qu'ils le veuillent ou non, sont bien forcés d'utiliser Cicéron.

Au lycée, j'imagine que l'image que l'on présente de Cicéron est l'image traditionnelle du début XXème. Ajoutez à cela le goût de nos sociétés actuelles pour les "gentils orateurs pacifistes" et le dégoût pour tout ce qui est militaire ou guerrier, et vous avez un Cicéron sublimé. L'avocat véreux et calomniateur élevé au rang de héros lol

O tempora, ô mores :rool:
Ca me fait penser à ce roman (très bon, d'ailleurs) que j'ai lu l'été dernier, où, effectivement, Cicéron est "héroïque" :

Image
Lorsque Tiron, le secrétaire particulier d'un sénateur romain, ouvre la porte à un étranger terrorisé, il déclenche une suite d'événements qui vont propulser son maître au sein d'une des plus célèbres et dramatiques affaires de l'Histoire. L'étranger est un Sicilien victime de Verrès, gouverneur vicieux et corrompu. Le sénateur en question, c'est Cicéron, un jeune et brillant avocat déterminé à atteindre l'imperium - pouvoir suprême au sein de l'Etat. A travers la voix captivante de Tiron, nous sommes plongés dans l'univers perfide et violent de la politique romaine, et nous suivons un homme - intelligent, sensible, mais aussi arrogant et roublard - dans sa lutte pour accéder au sommet. C'est un monde qui ressemble étonnamment à celui d'aujourd'hui, toile de fond d'un véritable thriller politique autour de l'irrésistible ascension de Cicéron. " Tout ce qu'il avait, écrit Tiron de son maître, c'était sa voix, et par sa seule volonté, il en a fait la voix la plus célèbre du monde. "

_________________
- "Heil Hitler !"
- "Heil Myself !"

"To Be or not To Be" - Ernst Lubitsch (1942)


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 Sujet du message : Re: Clodius
Message Publié : 19 Nov 2014 1:04 
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Philippe de Commines
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Heloïse_khâgneuse a écrit :
Intéressant!

Clodius il me semble était césarien et s'opposait donc à Milon, appartenant au camp des optimates, et pousée par Pompée lui aussi un des leurs. cela pourrait-il expliquer l'opposition à Clodius, qui soutenait César, le libérateur des populares?


Clodius n'etait pas césarien. Il etait d'abord et avant tout clodien. Comme souvent les anglo-saxons font référence (the patrician tribune, ou encore la bio de Pompée par Robin Seager).

Il faut bien voir qui était Clodius de son vivant : l'un des rejetons d'une des 5 plus prestigieuses familles de toutes l'histoire romaine.

Il y avait 5 gentes patriciennes majeures : les Fabii (mais ils ne survivent que par adoption et tombent au second rang à compter de la fin du 2ème siècle), les Cornelii (aux nombreuses branches mais où les Scipions tenaient le haut du pavé depuis la fin du 4ème siècle, les Claudii (chez qui les Pulchrii sont la branche aînée et la plus prestigieuse), les Valerii (avec les Flacci et les Messallae, mais les premiers se sont grillés en étant les plus proches soutiens de Marius et leur retournement de veste en 82 n'a pas suffi, et les Messallae qui manquent de lustre), et enfin les Aemilii (dont au temps de Clodius la seule branche survivante parmi les Lepidi a été serieusement affaiblie par la révolte ratée du consul de 78).

Autrement dit, les 4 romains les plus nobles au milieu du 1er siècle avant notre ère, ce sont :
- Scipio Nasica devenu Metellus Scipion par adoption testamentaire (ce n'est pas un hasard si pompée épouse sa fille en 4ème noces)
- ainsi que Clodius et ses 2 frères (pas un hasard non plus si Pompée marie son fils aîné à la fille du frère aîné de Clodius).

A côté d'eux, César et Syllabe n'etaient des aristocrates que de 3ème ordre.

Et Cicéron était un étranger mal blanchi qui leur a fait l'affront de les trahir (dans le scandale de la Bona Dea) alors que ceux-ci cherchaient à le faire entrer dans leur cercle et l?avaient soutenu lors de la conjuration de Catilina 1 an plus tôt.

Clodius travaillait en fait bien plus en collaboration avec Crassus qu'avec César envers lequel il maniait le chaud et le froid.


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