La biographie à lire en priorité reste quand même Suétone, et puis ensuite celle d'un historien actuel.
Sinon, toujours du côté des sources, je recommande chaudement la fin de l'Ambassade à Caïus de Philon d'Alexandrie. On dirait qu'il suit "caméra à l'épaule" l'empereur dans son palais... Philon vient plaider la cause des juifs d'Alexandrie auxquels ont refuse le droit de cité et qui ont été victimes d'un "pogrom".
Citer :
Tous d’une voix nous nous écriâmes « Seigneur Caïus, on nous calomnie ! nous avons sacrifié et immolé des hécatombes dont le sang a été répandu autour de l’autel, bien que nous n’ayons pas, selon la coutume de certaines gens, rapporté les chairs dans nos maisons pour les faire servir à nos repas, et que nous ayons abandonné entièrement les victimes au feu sacré, et cela non pas une fois, mais à trois reprises: d’abord à ton avènement, ensuite lorsque tu as échappé à cette grave maladie qui répandit le deuil sur toute la terre, enfin pour obtenir que tu revinsses triomphant des Germains. — [357] Soit, répondit-il, la chose est vraie; vous avez fait des sacrifices, mais à un autre, et ce n’était pas pour moi. Que m’importent vos sacrifices, s’ils ne s’adressaient pas à moi? » Un frisson, parti du fond du cœur, nous monta par tout le corps en entendant pour la première fois un tel langage.
[358] En parlant ainsi il parcourait les villas, visitant les appartements destinés aux hommes, les pièces réservées aux femmes, examinant les planchers, les plafonds, critiquant les défauts de certaines constructions, demandant qu’on refit avec plus de splendeur ce qui n’était point à son gré. [359] Nous le suivions en haut, nous le suivions en bas, en butte aux plaisanteries et aux outrages de nos adversaires, comme dans une farce de théâtre. N’était-ce pas là, d’ailleurs, une sorte de comédie où le juge avait pris le rôle d’accusateur, où les accusateurs jouaient le rôle d’un mauvais juge, qui oublie l’équité pour ne songer qu’à sa rancune?(...)
[361] Quand il eut donné les ordres relatifs aux constructions, il nous fit une grande et grave question:
« Pourquoi ne mangez-vous pas de porc? » Cela souleva un grand éclat de rire chez nos adversaires, dont les uns se réjouissaient, dont les autres, mendiant la faveur du maître, applaudissaient comme à un mot spirituel et piquant. Ce fut au point que des officiers du palais se montrèrent fâchés de cette attitude irrespectueuse auprès de l’Empereur, devant lequel il était à peine permis de sourire, même aux familiers les plus intimes. [362] Nous répondîmes que les usages variaient avec les pays, et qu’à nos adversaires comme à nous l’usage de certaines choses était interdit. Quelqu’un ajouta que beaucoup de personnes ne mangent pas de la viande d’agneau, qui est pourtant si commune. [363] « C’est avec raison, dit Caïus en riant, car elle ne vaut rien. » En nous voyant ainsi le jouet du sarcasme et de l’outrage, nous demeurâmes interdits.
A la fin sa colère éclate: « Nous voulons, nous dit-il, connaître vos droits et savoir quelle est votre organisation politique. » [364] Nous commençons à lui donner l’explication qu’il demande; mais, sentant la justice de nos raisons et qu’il lui en faudrait tenir compte, sans nous laisser le temps de lui en alléguer de plus graves encore, il nous interrompt pour se précipiter dans une vaste maison, il en fait le tour et ordonne d’en fermer de tous côtés les baies avec du verre blanc, semblable aux pierres spéculaires qui laissent passer la lumière et arrêtent le vent et l’ardeur du soleil. [365] Puis il revient à nous plus calme, et d’un ton radouci nous demande: « Que disiez-vous? »
Pour la seconde fois nous nous mettons à lui exposer l’affaire en la résumant, pour la seconde fois il nous quitte et s’élance dans une maison où il commande de placer d’anciennes peintures. [366] Voyant notre plaidoyer ainsi traîné en longueur, interrompu, morcelé, nous fûmes gagnés par la lassitude et le désespoir; nous nous attendions à la mort, nous étions hors de nous-mêmes. L’angoisse alors monta de notre cœur comme un appel suprême vers le vrai Dieu pour le supplier d’apaiser la colère de ce faux dieu. Le Seigneur eut pitié de nous et tourna son âme à la clémence. [367] Caïus se radoucit et dit: « Ces imbéciles me semblent plus à plaindre qu’à blâmer, de ne vouloir pas croire que je participe à la nature divine. » Là-dessus il nous quitta et ordonna de nous laisser aller.
http://remacle.org/bloodwolf/philosophe ... /caius.htmJe trouve cette page extraordinaire dans son côté reportage. Désolé pour la longueur de la citation