Sujet passionnant, Kuroe.
Sujet que je me plairai à compliquer en réagissant au post d'Helios par deux questions.
Croyez-vous vraiment, Helios, qu'Auguste voulait dissimuler la nature monarchique de son pouvoir au point qu'il aurait été particulièrement embêté s'il avait eu un fils (par exemple de Livie) ?
Et ne pensez-vous pas que cette image de l'adoption du meilleur successeur comme étant le système de succession idéal est tout simplement le résultat de la déformation opérée sciemment par la propagande de la mal nommée "historiographie" sénatoriale ?
Pour ma part, je n'ai aucun doute sur le fait qu'Auguste aurait choisi comme successeur son fils s'il en avait eu un. Il a toujours cherché comme successeur le plus proche mâle de son sang.
Marcellus était son neveu.
Agrippa n'a, je pense, jamais été envisagé que comme un régent de transition, chargé de chauffer la place à ses fils qui se trouvaient, ô étonnante coïncidence
, être les 2 seuls petits-fils d'Auguste, via sa fille unique Julie. Petits-fils qu'Auguste s'est empressé d'adopter dès la naissance du 2ème, Lucius.
Je ne crois pas que Drusus ait jamais été un successeur envisagé par Auguste, même s'il l'aimait beaucoup, en tout cas beaucoup plus que Tibère. Car enfin, dès la mort de Marcellus en 23 BC, c'était Agrippa qui était le successeur envisagé. Agrippa qui fut marié à Julie, quasiment dès que le délai de viduité fut écoulé. Et qui se fit conférer la puissance tribunicienne aux côtés d'Auguste dès 18.
Les petits-fils d'Auguste furent rapidement faits "princes de la jeunesse". Je trouve qu'on fait plus discret en matière de monarchie dissimulée. Il n'y avait pas de manière plus explicite de les désigner à l'avance comme les héritiers choisis par le Prince.
En effet manque terrible de chance, comme disait Kuroe, Auguste perd ses 2 petits-fils/fils adoptifs.
Que lui reste-t-il ? Deux petites filles : Julie la jeune et Agrippine (née après Julie la jeune).
Prenant acte, comme Auguste, que son dernier petit-fils, Agrippa posthumus, était probablement limité intellectuellement et particulièrement désagréable et colérique, voire peut-être d'un père autre qu'Agrippa compte tenu de la légèreté de moeurs de Julie l'aînée, j'écarte tout de suite Agrippa. (Auguste ne fit jamais à son petit-fils la carrière qu'il fit à Caius et Lucius et préféra très vite confier des missions importantes à quelqu'un d'autre dont on reparlera, et déchut Agrippa de ses droits dès 8 AD)
Evidemment, on ne peut pas désigner une fille comme héritière d'un pouvoir politique, dans la société romaine. Mais comme dans toute les monarchies, la fille, à défaut de pouvoir exercer le pouvoir, peut néanmoins le transmettre et apporter à celui que son père aura choisi comme époux la légitimité dynastique en le faisant entrer dans la famille.
Confère le rôle de Julie l'aînée, mariée d'abord à Marcellus, puis à Agrippa, puis à Tibère, lequel Tibère était néanmoins fort contrarié de savoir qu'il n'était là que pour chauffer la place à ses beaux-fils Caius et Lucius, au point que (devant subir en plus un cocufiage méthodique de son épouse Julie) Tibère décida de se retirer de la vie politique et de s'exiler à Rhodes.
J'ajoute d'ailleurs que les empereurs romains n'adopteront un hérotier que quand ils n'auront pas de fils de leur sang à qui transmettre le trône. Chaque rare fois (hasard de l'histoire et forte mortalité à l'époque) qu'un empereur aura un fils, ce fils en âge de le faire (voire pas en âge), celui-ci lui succédera (Claude n'étant pas vraiment une exception puisque quasi certainement victime prématurée d'un assassinat commandité par Agrippine la jeune, mère de Néron).
Je reviens à Julie la jeune et à Agrippine, les 2 petites filles de Julie. Comment choisir entre 2 petites-filles qui ont toutes les deux des atouts maximaux et égaux pour prétendre à la succession ?
Eh bien en regardant les atouts respectifs de leurs époux.
Julia la jeune était mariée à Lucius Aemilius Paullus qui était petit-fils de Scribonia, la 2ème épouse d'Auguste, répudiée dès la naissance de Julie, fin 39. Rien que des grandes familles parmi ses ancètres : les Cornelii Scipiones et les Aemilii Paulli.
Agrippine était mariée à Germanicus, qui était le fils de Drusus Claudius Nero et d'Antonia la cadette. C'est-à dire le petit-fils de Livie (bingo !) et le petit-fils d'Octavie, la soeur d'Auguste (superbingo, belote, rebelote et dis de der, poker d'as, la banque saute).
Si j'ajoute que Germanicus et Agrippine ont très vite eu des fils, autrement dit les uniques arrière petits-fils d'Auguste, vous comprendrez la raison du choix.
Tibère fut donc obligé d'adopter Germanicus.
Dans l'esprit d'Auguste, Tibère ne devait être qu'un empereur temporaire, chargé d'assurer la transition au profit de Germanicus. Après tout, Tibère était déjà âgé de 55 ans en 14 AD. On pouvait penser que son règne durerait 10 ans. Mal jugé ! C'est Germanicus qui lâcha le premier et Tibère régna près de 23 ans.
Bref, je pense qu'il ne faut pas faire de ce qui n'est qu'une série d'accidents et morts prématurées une conduite à laquelle les empereurs se seraient astreints pour continuer de dissimuler la nature monarchique du pouvoir.
Surtout que mis à part le fait qu'il était insupportable aux grandes familles et à certains des sénateurs, les romains, y compris sous la république, avaient la politique héréditaire. Ils pensaient que les fils avaient des chances d'hériter des vertus de leurs pères et c'est pour cela qu'il était si difficile pour un homo novus d'atteindre le sommet. Beaucoup plus qu'une république, Rome était avant tout une aristocratie. Ce qui a été scandaleux pour les sénateurs, c'est que Rome passe d'une république sous tutelle de l'aristocratie (dont le Sénat était le siège) à une république sous tutelle d'un seul aristocrate : l'empereur.
PS : En revanche, je suis entièrement d'accord sur le fait qu'Octavien n'était probablement qu'un héritier par défaut, mais probablement aussi un héritier temporaire dans l'esprit de César. Ce n'est qu'une hypothèse de ma part mais elle s'appuie sur le testament de César, rédigé en septembre 45 BC. Dans ce testament, César adoptait certes Octavien et lui léguait les 3/4 de sa fortune, déduction faite des divers cadeaux et donations. Mais il prévoyait par ailleurs qu'un certain nombre de personnes, dont son assassin Decimus Brutus, devrait être le tuteur de son éventuel fils. En effet, ce tuteur ne pouvait être que le tuteur d'un enfant mineur, et donc en bas-âge, puisqu'Octavien était déjà majeur en 45.