Bonjour
J'ai lu avec intérêt les post de ce sujet (qui recoupe en partie mon sujet d'étude).
En deçà du débat sur l'existence des persécutions et la lutte "persécution des chrétiens - persécution des païens", Je voudrais juste souligner l'importance de la chronologie... Je ne peux pas m'empêcher de signaler que ce n'est pas parce qu'on parle d'une époque "lointaine" qu'il faut compresser la chronologie à grand coup de "vers 300" quand on parle d'un événement intervenu vers 325... C'est comme si l'on datait ma naissance à 2010 au lieu de 1985 ou que l'on faisait démarrer la Seconde Guerre mondiale en 1964 ! Il se passe énormément de choses en un quart de siècle, au XXe comme au IIIe siècle, et en l'occurrence, juste un petit exemple concernant ce laps de temps 300-325, montrant combien il est difficile de réunir dans un grand sac tous les événements qui interviennent en 25 ans, a fortiori quant on traite d'une question évoluant rapidement à l'époque (l'attitude de l'Empire face au christianisme) :
- en 300, nous sommes à la fin de ce que l'on a appelé "la petite paix de l'Eglise" établi par Gallien (sept./oct. 253 – sept. 268) : les chrétiens ne sont plus poursuivis tant qu'ils ne se manifestent pas ; cependant, en lien avec le renforcement du lien étroit unissant l'empereur aux divinités polythéistes (traditionnelles : Jupiter ; interprétées : Hercule ; ou novatrices : Sol), les Tétrarques Dioclétien et Maximien publient en 297 un édit condamnant le manichéisme, religion exclusive née dans la Perse sassanide refusant toute autre divinité ;
- puis, à partir de 303, la religion chrétienne, qui s'est développée jusque dans l'entourage des empereurs, inquiète à son tour par son exclusivisme et quatre édits déclarent successivement que (premier édit, 23 février 303) le culte chrétien, les réunions, les bâtiments servant aux réunions sont interdits, que les chrétiens ne peuvent plus témoigner en justice et que tous les habitants du palais impérial sont obligés de sacrifier aux dieux traditionnels ; cependant, tant qu'il n'y a pas de provocation de leur part, les chrétiens ne sont pas poursuivis ; que (deuxième édit, printemps 303) « les chefs de l’Eglise », c’est-à-dire le clergé, dans l’ensemble de l’Empire, doit être arrêté, pour faire cesser la pratique du culte ; que (troisième édit, fin de l'année 303) doivent sacrifier aux dieux traditionnels tous les chrétiens qui sont en prison - ceux qui sacrifient sont libérés, ceux qui refusent sont automatiquement condamnés à mort et exécutés ; que (quatrième édit, janvier/février 304) tous les habitants de l’Empire doivent sacrifier aux dieux traditionnels, avec un passage en jugement en cas de refus, avec condamnation à mort ou aux mines. Ces quatre édits définissent ce que l'on a appelé "la Grande persécution" ou "la persécution de Dioclétien" ;
- en 311, l'empereur Auguste Galère émet un édit de tolérance ; pour la première fois, la possibilité légale d'être chrétien est proclamée ; l'édit demande aux chrétiens de prier leur Dieu pour l’Empire, ce qui veut dire que leur Dieu est reconnu comme un Dieu existant (ce n'est donc plus de l'athéisme), auquel on peut faire appel.
- en 312/313, lors d’une entrevue à Milan, les deux Augustes Licinius et Constantin font une déclaration commune (appelée « l’Edit de Milan ») reconnaissant le christianisme, réaffirmant la validité de l’édit de Galère et, en plus, accordant des avantages aux chrétiens, comme l’exemption des charges publiques ou l'incorporation des communautés chrétiennes dans le fonctionnement administratif de l’Empire.
- de 313 à 325, un certain nombre de mesures favorables aux chrétiens sont encore prises par Constantin (314, convocation impériale des évêques d'Occident au concile d'Arles ; en 318, les plaideurs chrétiens peuvent porter leur cause en justice devant le tribunal civil ; en 320/321, le dimanche est déclaré jour férié - mais c'est aussi le jour du Soleil, donc la mesure est ambiguë ; etc.) jusqu'à la participation de l'empereur lui-même au concile de Nicée en 325. Je n'évoque pas la question difficile de sa propre conversion au christianisme. Par opportunisme politique ou par croyance profonde, Constantin a en tout cas une attitude favorable aux chrétiens, si peu de temps après les interdits des Tétrarques.
Par ailleurs, je signale la parution récente (2007) d'une bonne mise au point sur les persécutions dans l'Antiquité, de Socrate aux chrétiens et aux païens, très bien écrite et agréable à lire :
BASLEZ Marie-Françoise, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, Fayard, 2007.
Et aussi, agréables à lire et instructifs sur les rapports du christianisme antique et de la religion polythéiste traditionnelle : HADOT Pierre, « La fin du paganisme », dans Encyclopédie de la Pléiade, Histoire des religions, t. II, éd. par PUECH Henri-Charles, Paris, Gallimard, 1972, p. 81-113.
SIMON Marcel, « Christianisme antique et pensée païenne : rencontres et conflits », RUB, t. XX, 1967-1968, p. 40-60, trad. en anglais et republié « Early Christianity and Pagan Thought: Confluences and Conflicts », RelStud, 9, 1973, p. 385-399.
CHUVIN Pierre, Chronique des derniers païens, Paris, Les Belles Lettres-Fayard, 2e éd. 1991, réimp. 2004.
Sont à lire et relire les classiques de Peter Brown et de MacMullen :
BROWN Peter, Authority and the Sacred: aspects of the christianisation of the Roman world, Cambridge, 1995, trad. française L'autorité et le sacré. Aspects de la christianisation dans le monde romain, Paris, 1998.
BROWN Peter, Power and persuasion in late antiquity: towards a Christian empire, Madison, 1992, trad. française Pouvoir et persuasion dans l'Antiquité tardive. Vers un empire chrétien, Paris, 1998.
BROWN Peter, The Rise of Western Christendom: Triumph and Diversity, AD 200-1000, Oxford, Blackwell, 2e éd. 2003, trad. française L'essor du christianisme occidental. Triomphe et diversité 200-1000, Paris, 1997.
MACMULLEN Ramsay, Christianity and Paganism in the Fourth to Eight Centuries, 1996, trad. française Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1998.
MACMULLEN Ramsay, Christianizing the Roman Empire (A.D. 100-400), New Haven, Londres, 1984.
MACMULLEN Ramsay, Paganism in the Roman Empire, Londres, Yale University Press, 1981, trad. française Le paganisme dans l’Empire romain, Paris, P. U. F., 1987.
Enfin, une somme sur le sujet (700 p. pour l'édition française) :
FOX Robin Lane, Pagans and Christians in the Mediterranean World from the Second Century A.D. to the Conversion of Constantine, New York, Londres, 1986, trad. française Païens et Chrétiens. La religion et la vie religieuse dans l'empire romain, de la mort de Commode au Concile de Nicée, Toulouse, 1997.
C'est mon premier message sur Passion-Histoire, que je fréquente depuis longtemps mais sans jamais répondre. Je ne sais pas s'il est d'usage d'inclure ainsi des éléments bibliographiques, mais je suis tout disposé à me conformer aux us et coutumes :-)
Cordialement.
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