Article publié dans la revue allemande Göttinger Miszellen (GM 127)
La Bible et Pharaon Dans la Bible, six rois égyptiens sont appelés Pharaon. Ce barbarisme vient d’une méconnaissance de l’histoire égyptienne par les rédacteurs juifs de ce livre. Flavius Joseph, un prêtre et historien juif du 1er siècle, originaire de Jérusalem, écrivait : « D'aucuns se seront demandé pourquoi tous les rois égyptiens, depuis Minaeos (Ménès), le fondateur de Memphis, qui précéda de beaucoup d'années notre ancêtre Abram, jusqu'à Salomon, dans un intervalle de plus de treize cents ans, ont été appelés Pharaon (Pharaôthès); aussi ai-je jugé nécessaire, pour dissiper leur ignorance et éclaircir l'origine du nom, de dire ici que Pharaon chez les Egyptiens signifie roi. Je crois qu'à leur naissance ils recevaient d'autres noms, mais dès qu'ils devenaient rois, on leur donnait le titre qui désigne leur puissance dans la langue nationale. C'est ainsi que les rois d'Alexandrie, d'abord appelés d'autres noms, recevaient à leur avènement au trône le nom de Ptolémée, d'après celui du premier roi. De même, les empereurs romains, après avoir porté d'autres noms de naissance, sont appelés César, titre qu'ils tiennent de leur primauté et de leur rang, et abandonnent les noms que leur ont donnés leurs pères. Voilà pourquoi, je suppose, Hérodote d'Halicarnasse, quand il raconte qu'après Minœos, le fondateur de Memphis, il y eut trois cent trente rois d'Egypte, n'indique pas leurs noms, parce qu'ils s'appelaient du nom générique de Pharaon. » L’emploi de Pharaon en tant que nom se retrouve dans des passages bibliques sous la forme Pharaon, roi d’Egypte. L’utilisation d’une majuscule et l’absence d’article défini (une exception) montre que le mot y était perçu à l’origine comme un nom propre et non pas comme le titre du souverain de l’Egypte. Pharaon avant Champollion Charles Rollin publia en 1730 Histoire ancienne, les souverains de l’Egypte y sont des rois. Pharaon est absent également dans l’œuvre monumentale des savants de Bonaparte : 1821 Description de l’Egypte. Pour L.-P. de Ségur, 1822 Histoire Universelle ancienne et moderne p.47 Pharaon est un roi égyptien qui donna sa fille en mariage à Salomon, roi d’Israël. Une recherche dans les livres publiés en France, avant le début du XVIIIè siècle, montre que Pharaon a uniquement été utilisé dans des contextes d’inspiration biblique : F. de Chantelouve, 1574 Tragédie de Pharaon ; P. Ronsard, 1578 Sonnet pour Hélène ; T. Agrippa d’Aubigné, 1616 Les Tragiques ; J. Bossuet, 1681 Histoire Universelle ; Ch. De Brosses, 1760 Du Culte des dieux fétiches. En langue française, Pharaon était donc confiné aux textes inspirés de thèmes religieux. Dans tout autre texte, le souverain de l’Egypte était un roi. Champollion et Pharaon Depuis la publication en 1814 de J.-F. Champollion L’Égypte sous les Pharaons, Pharaon est utilisé par les auteurs comme titre des rois d’Egypte ! Pourquoi ce titre donné à un livre qui concerne la géographie de l’Egypte ? A-t-il voulu employer un titre commercial dans le style ‘La Rome des Césars’ ? A-t-il suivi Flavius Joseph ? A-t-il été induit en erreur par le moine syrien, dom Raphaël de Monachis, qui l’encouragea à apprendre le copte et lui enseigna l’arabe ? En 1822, dans la lettre à Monsieur d’Acier c’est roi qui est utilisé. Pourquoi reprit-il l’utilisation de Pharaon après 1822 ? Pensait-il, comme le feront I.Rosellini et J. Gardner Wilkinson, que Pharaon provenait en égyptien de ‘Le Soleil’. Champollion ne donna jamais d’explication pour l’emploi de ce barbarisme, pardonnable pour l’époque. Emploi de Pharaon chez les Egyptiens de l’époque dynastique En 1856, E. de Rougé proposa une réponse satisfaisante où Pharaon vient du mot égyptien pour désigner le palais gouvernemental (pr-aA). A partir d’Akhenaton, Pharaon en écriture hiéroglyphique sert à désigner le roi. Ne manquant pas de titres et de désignations, pour quels motifs Akhenaton a-t-il utilisé Pharaon pour se désigner, cela demeure un mystère ? Ce peut être par pure démagogie envers l’armée, la prêtrise et l’administration qui utilisaient déjà ce mot dans leurs propres titres ou bien il a vu dans pr-aA le point de départ de son enseignement religieux, de son rayonnement. Les Egyptiens rapprochaient les mots ayant les mêmes consonnes, ils y voyaient là l’écho sonore de l’énergie essentielle qui suscita l’univers. Pharaon (pr-aA) et Le Dieu Soleil (pA ra) ont les mêmes consonnes, le mot soleil ra se trouve au milieu de pr-aA, c’est peut-être là que se trouve la réponse. Les Lettres d’Amarna en témoignent, les vassaux d’Akhenaton l’appelait mon soleil. Nous retrouvons là les propositions de I. Rosellini et de E. de Rougé pour l’origine de Pharaon. Pendant tout le reste du Nouvel Empire, la désignation Pharaon n’est jamais suivie du nom du souverain, c’est une alternative moins employée de Majesté (Hm). Pendant la 3ème période intermédiaire et la Basse Epoque, les rois sont étrangers ou vassaux et certains ne parlent même pas l’égyptien. A cette époque, Pharaon est associé occasionnellement au nom de naissance du roi. Le premier sera Siamon , suivit de Chéchanq I à titre posthume. L’écriture démotique prend naissance, Pharaon devient le mot pour dire « le roi », le mot Pharaonne est inventé pour désigner la reine son épouse. Pendant la période des Ptolémée, le souverain est surtout un basileus. Ptolémée II voulait que ses tribunaux connaissent les lois régissant les différents groupes ethniques de son royaume, pour les juger selon leurs coutumes. A sa demande impérative, les juifs d’Egypte traduisirent en grec leurs lois et auraient introduit à cette époque le mot Pharao dans cette langue à partir de l’hébreu. C’est ce mot Pharao qui deviendra Pharaon en français en passant par le latin chrétien. Les souverains romains, à qui l’Egypte appartenait en propre, furent représentés par un préfet et de ce fait reçurent le nom de Pharaon dans leur titulature. Ce nom, déterminé par les prêtres égyptiens, était le plus approprié pour définir leur programme de règne qui était laissé à l’initiative de l’institution impériale locale, dont le responsable changeait souvent et résidait au palais gouvernemental. Développé au IIIe siècle de notre ère, le copte est la dernière forme de l’écriture égyptienne. Le mot pour roi y est (p)rro, le mot pour pharaon est pharaw ; l’utilisation de ces deux mots dans un même texte démontre que les Egyptiens n’en connaissaient plus l’origine commune. Emploi de Pharaon chez les Egyptiens de l’époque moderne En langue arabe, c’est surtout le Coran qui utilise Pharaon. La nécropole thébaine s’appelle Biban-el-Moulouk (Litt. : Portes des rois) que nous traduisons par « La Vallée des Rois ». Au XVIIIe siècle, Pharaon était signalé par le Consul de Louis XIV en Egypte comme étant un terme injurieux. H.Fischer rapporte que c’est encore un terme méprisant pour les Egyptiens de notre époque, un équivalent de ‘diable’. Le mot est utilisé depuis au moins le XVIe siècle dans le surnom de l’ichneumon : rat de Pharaon. Dans le livre de F.Caillaud de 1821 Voyage à l’oasis de Thèbes, un type de coquillage trouvé sur la mer Rouge est appelé « coquille de Pharaon ». Dans ce livre l’auteur n’emploi jamais le mot pharaon, mais il est vrai que le récit ne s’y prête pas ; comme tout le monde il parle de Vallée des Rois. Dans ses livres suivants, Voyage à Méroé publiés en 1826-1827, il emploi le titre Pharaon devant un nom de roi. Entre les deux publications, le monde chrétien savait que la clé de l’écriture égyptienne était trouvée. Proposition de traduction de pr-aA Sans se servir du vocabulaire biblique, comment traduire pr-aA ? La traduction française la plus proche pour désigner le roi pourrait-être : Seigneurie ou Seigneur (dérivés de senior). Une seigneurie est la terre d’un seigneur qui, tout comme pr-aA, est devenue un titre honorifique. A bien y regarder, la surface habitable de l’Egypte était de la taille d’une province française et de ce fait Seigneur et Seigneurie ne seraient pas décalés, d’autant plus que pendant de nombreux siècles l’Egypte était morcelée et avaient plusieurs souverains. Conclusion Selon le roi de l’Egypte dynastique depuis Akhenaton, pr-aA a été employé comme désignation royale, nom de règne et/ou mot signifiant roi. Le respect de l’histoire égyptienne implique d’utiliser Pharaon, à défaut de Seigneurie, uniquement lorsque la traduction de pr-aA le demande. Les souverains de l’Egypte dynastique furent des rois. Ceux-ci avaient suffisamment de titres sans qu’il soit nécessaire d’en ajouter un autre qu’ils n’ont pas ou peu connu
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