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Message Publié : 04 Sep 2007 17:14 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Une question de Sakellarios sur les croyances des Illyriens) m’a amené à redécouvrir un texte de l’Illyrice d’Appien (texte grec ici).
Arrien,Illyrice.2 a écrit :
They say that the country received its name from Illyrios, the son of Polyphemos; for the cyclops Polyphemos and his wife, Galatea, had three sons, Celtos, Illyrios, and Galas, all of whom migrated from Sicily; and the nations called Celts, Illyrians, and Galatians took their origin from them. Among the many myths prevailing among many peoples this seems to me the most plausible.
Illyrius had six sons, Encheleos, Autarieos, Dardanos, Maedos, Taulas, and Perrhaebos, also daughters, Partho, Daortho, Dassaro, and others, from whom sprang the Taulantii, the Perrhaebi, the Enchelees, the Autarienses, the Dardani, the Partheni, the Dassaretii, and the Darsii. Autarieos had a son Pannonios, or Paeon, and the latter had sons, Scordiscos and Triballos, from whom nations bearing similar names were derived. But I will leave these matters to antiquarians.

L’intérêt porté par Le Serpent m’encourage à faire partager quelques réflexions sur ce texte et sa portée qui m’ont occupé une partie de mon après-midi… C’est donc uniquement des pistes, destinées à être complétées, corrigées et revues, à supposer que d’autres plus compétents ne s’y soient pas déjà plongés.

Je pars du principe que pour un peuple, se donner un ancêtre héroïque originaire d’une région est une manière d'affirmer via la légende la légitimité de son pouvoir ou de son ambition, et son droit sur le sol conquis. L'exemple le plus connu est l'invasion dorienne, assimilée au retour des Héraclides. C’est ce constat qui me sert de fil directeur. Le mythe peut alors être décortiqué en plusieurs niveaux successifs, plus ou moins datables.

Le premier niveau est évident: un ancêtre éponyme unique, Illyros, donne naissance à des enfants qui représentent les différents peuples illyriens. Ces peuples sont hiérarchisés en deux groupes distincts, d'un côté les garçons, ancêtre des peuples les plus puissants (Enchéléens, Autariates, Dardaniens, Taulantiens, Perrhèbes), tandis que les filles donneront naissance aux "petits" peuples (Parthéniens, Darses, Dassarètes, etc.).
L’origine est peut-être illyrienne et assez ancienne, avant le Ve av., du fait de la présence des Perrhèbes qui sont par la suite considérés comme Epirotes et donc Grecs, même si cela ne fait pas l’unanimité chez les auteurs du Ve av. Cela dénoterait un sentiment d’appartenance à un ensemble homogène, un peu comme leurs voisins grecs qui se reconnaissent entre eux sans jamais connaître d’unité politique, et d’affirmer cette origine commune face à leurs voisins. Néanmoins, les Grecs établis sur les côtes ont pu influencer par la suite cette hiérarchie, en particulier en valorisant les Enchéléens du rivage qu’ils connaissaient bien, mais qui n’ont pas la puissance de leurs frères.
Remarque : dans ce schéma, je retire le « Maidoi» qui pose problème. Les Mèdes ne sont pas illyriens mais thraces, et n’ont jamais été puissants. J’y reviens un peu plus loin pour tenter expliquer leur présence dans la liste.

Un second niveau se révèle avec l’intégration de nouveaux peuples et de généalogies parallèles, thraces en particulier, suite aux ambitions des Autariates.
A la fin du IVe les Autariates sous la pression des celtes portent leurs armes contre leurs voisins Triballes (Strabon VII.5.11 ; Appien, Illyr.3) qu’ils soumettent et contre les Péoniens qu’ils tentent de conquérir en 312 (Diodore XX.19 ; Justin XV.2.1). Leurs revendications territoriales vont donc s’intégrer au tableau général, et pour la première fois, des peuple thraces apparaissent dans la filiation d'Illyros. Autariéos devient l’ancêtre de ces peuples par l’intermédiaire de leurs éponymes Paeon et Triballos. Pour quoi Triballos est-il lui même considéré comme le fils de Paeon ? Je n’ai pas d’explication viable. Je suis tenté de supposer la corruption d’une autre tradition indépendante, d’origine péonienne, justifiant leurs propres ambitions antérieures sur leurs voisins de l’est, les Triballes. Les Autariates se seraient contentés de récupérer cette généalogie préexistante. Mais l’histoire n’a pas conservé grand chose des relations entre les états thraces, c’est donc une reconstitution totalement hypothétique.

Un troisième niveau intervient avec l’arrivée importante des Gaulois dans les Balkans dans la seconde moitié du IVe et au début du IIIe av. Les Gaulois intègrent leur propre ancêtre éponyme, Galas ou Celtos (sans doute le même dédoublé, peut-être sur influence des Grecs qui les appelaient indifféremment sous l’un ou l’autre nom) dans la légende originale. En faisant de Galos le frère d’Illyros, ils justifient leur conquête comme un héritage paternel. Peu importe la vraisemblance, c’est le symbolisme très fort qui l’emporte. Illyriens et Gaulois ont donc les mêmes droits sur ces terres, l’invasion n’est pas (n’est plus) une expropriation, mais une récupération d’un héritage antique floué, conformément au droit des gens et des dieux. On pourrait appeler ça le retour des Galaides (descendants de Galas) !
Exactement de la même manière, en dehors de l’Illyrie cette fois, en Thrace, Scordiscos devient le frère de Triballos. En effet, Strabon mentionnent les guerres très violentes que se livrèrent ces deux peuples pour la suprématie de la plaine du Danube, et les Triballes finirent vaincus et très affaiblis, cédant l’essentiels de leurs terres aux Gaulois. Une fois encore, un peuple celte, les Scordisques, s’intègre à une hiérarchie héroïque locale pour renforcer ses revendications territoriales.

Quatrième niveau : les Siciliens… A la même époque, Agathocle règne à Syracuse, et porte ses ambitions sur l’Adriatique, comme l’avaient fait auparavant les Denys. Il fonde des colonies en Illyrie, se pose en défenseurs des cités menacés par les Illyriens, forge des alliances, fait épouser sa fille à Pyrrhus d’Epire, etc. Les Syracusains vont donc eux aussi chercher à s’intégrer au schmiblick. Et ça tombe bien, une de leur nymphe s’appelle Galatéa ! Galatéa/Galates, la généalogie est évidente, et pour bien faire, son époux Polyphème est l’archétype du barbare, géant, violent et ivrogne, bref, il a à un œil près l’image caricaturale des Galates dans l’imaginaire grec. Ils ont donc de qui tenir. Voilà donc par simple assimilation onomastique Polyphème et Galatée parents du terrible Galatos, et donc par la même occasion d’Illyros. Autrement dit, une fois encore, la Sicile, et donc Agathocle, officiellement appelé « roi de Sicile » au début du IIIe av., a elle-aussi des droits héréditaires à faire valoir dans la région !

Cinquième et dernière étape, les Romains rajoutent une petite touche finale au premier siècle après JC.
C’est de cette époque qu’apparaît Pannonios, fils d’Autariéos. Par dérapage onomastique encore une fois. En effet, la Pannonie est appelée chez les auteurs grecs impériaux Péonie, alors que le peuple qui porte ce nom à l’origine a perdu toute importance sous les coups conjugués des Macédoniens, des Illyriens, des Thraces et des Celtes. Dans l’esprit d’un Romain du Ier siècle, la Péonie n’est plus que la Pannonie. Par conséquent, ils traduisent le nom de l’éponyme en latin, Pannonius.
Reste le problème de Maidos annoncé tout au début… Les Mèdes n’ont aucune raison de figurer dans ce tableau bien que voisins, puisqu’ils sont thraces, et encore moins à une place d’honneur, au côté des grands peuples d’ascendance mâle, puisqu’ils n’ont pas exercé la moindre influence significative sur la région… Je me demande s’il ne s’agit pas d’une corruption du texte, qui indiquait Moisos, ancêtre des Moesiens, à l’origine Thraces mais qui agglomèrent alors des Celtes et des Illyriens, qui émergent à l’époque romaine et prend tellement d’importance qu’ils deviendront une province romaine. Dans l’esprit d’un Romain, l’absence des Moesiens qui occupent une vaste portion du territoire illyrien au sein de cette généalogie est une erreur, un oubli. Et ils établissent alors les Moesiens comme un des peuples les plus importants de l’Illyrie, dans la lignée masculine d’Illyros. A remarquer d'ailleurs que c'est le seul enfant dont le peuple n'est pas explicitement cité, ce qui encourage l'idée d'un ajout tardif, comme Pannonios.

Conclusion : toutes cette généalogie n’a rien a voir avec la religion, mais est le reflet de la situation politique et sert à justifier les ambitions territoriales des peuples, et par conséquent fluctue beaucoup selon les époques au point de perdre son caractère pan-illyrien original.

La méthode est-elle fiable ?
Connaissez-vous d’autres généalogies comparables, susceptibles d’être exploitées de la même manière ?
N’hésitez surtout pas à casser du sucre si je délire, d’autant que ce n’est qu’une esquisse destinée à occuper mes heures de paresse !


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