Cernach a écrit :
En effet, les Boïens venaient de la Bohème ou des environs, mais, s'ils s'y sont retournés, on ne le sait pas vraiment. On sait juste qu'une partie de la population cispalpine a émigré vers le nord.
J’ai douté de mon doute en matinée
, et ai donc procédé à un recensement un peu plus exhaustif des textes. Strabon signale bien que les Boïens du Danube, victimes des Daces, sont les descendant des émigrés Boïens chassés par les Romains. Mais j’ai des soupçons; quand aurait eu lieu cette émigration massive ? Les décades de Tite-Live sont muettes, pourtant, si elle eu lieu, elle ne dût pas être très postérieure à leur soumission de 191, assortie de la confiscation de la moitié du territoire qui leur restait encore. De même, Polybe n’y fait pas la moindre allusion, alors que les occasions sont nombreuses, en particulier dans le livre II, où il insiste sur leur caractère farouche et hostile aux Romains. Mais il n’indique pas l’épilogue supposé de la migration, qui aurait eu pourtant du panache. Bref, mis à part Strabon, quelqu’un a autre chose ? A défaut, m’est avis qu’il se goure, trompé par l’homonymie. Ceci dit, cela mériterait peut-être un fil qui leur soit dédié...
Cernach a écrit :
Mais, le fait est qu'Hannibal n'a su aller au delà des préjugés qu'il avait. Il les prenait pour des vantards peu dignes de confiance, tout juste à user et abuser. Sa décision d'aller en Campanie prouve justement qu'il leur faisait peu confiance. Je ne pense pas que c'est dans un souci d'épargner les populations celtes.
C’est très excessif comme jugement. D’accord, en arrivant en Gaule, Hannibal s’attendait à bénéficier de la plus riche région d’Italie, la plaine du Pô, entièrement ralliée à sa cause, d’où il pouvait tirer son ravitaillement, des renforts, voire même faire venir des alliés gaulois d’au-delà des Alpes comme en 225. A partir de là, il pouvait espérer mener une guerre traditionnelle, avec de lourds coups de boutoir à chaque printemps puis hivernage pépère avec certitude d’être ravitaillé. Il a vite désenchanté, puisqu’il ne contrôlait même pas la moitié de la plaine, avec les Cénomans et les Vénètes agressifs à l’est, les Ligures attentistes au sud et à l’ouest, et le territoire Boïens menacé par les récentes colonies romaines, les Insubres hésitant (au moins jusqu’à ce que les Romains soit chassés de l’autre côté du Pô, donc après le Tessin). De plus, le peu qu’il reste est ravagé pratiquement chaque année par des campagnes romaines. L’évidence saute aux yeux de tous : les Gaulois, en dépit de la bonne volonté des Boïens (indéniable), sont incapables de soutenir économiquement 26 000 hommes, en sus des leurs et des 2, puis 3, puis 5 légions romaines. Hannibal se livre immédiatement à des expédients pour soulager ses alliés : assaut de l’oppidum des Taurini (à la fois pour se ravitailler, pour convaincre les hésitants, et pour plaire aux Insubres, tièdes) ; prise de Clastidium (avec Dasius de Brindes, qui éclaire aussi Hannibal sur le potentiel de ralliement de l’Italie du Sud, négligée jusque-là), pillage du territoire y compris celui des alliés à la veille de la Trébie), réduction des portions alimentaires destinées aux prisonniers romains, libération sans condition des alliés... La victoire de la Trébie lui assure enfin le soutien inconditionnel des Insubres et de leurs alliés : il était temps ! Mais cela reste insuffisant, et contrairement aux habitudes, en dépit du climat rigoureux, Hannibal doit poursuivre ses opérations en plein hiver (Victumulae).
D’où son impatience à partir au plus vite («
dès les premiers signes encore indécis du retour du printemps »), quitte à y perdre ses éléphants, pour rejoindre les Boïens, ses employeurs, qui l’accueillent certes chaleureusement… mais sont tout aussi incapables de tenir leur promesse. « Les Gaulois étaient mécontents parce que les opérations se déroulaient sur leur territoire » III.78.
Il faut peut-être se rappeler un précédent : en 237, une armée de transalpins rejoins les Boïens ; pour une raison non précisée, sans doute déjà le manque de ravitaillement, l’armée de Celtique se soulève contre ses rois Atis et Galatos qui se font étriper, et l’affaire fini en bain de sang, les mercenaires se font massacrer par leurs propres employeurs Boïens. Le mécontentement des deux armées ne doit donc pas être pris à la légère.
Aussi, Hannibal et les Gaulois prennent
en commun la décision de porter la guerre en Italie. Il ne s’agit pas d’un abandon par le Carthaginois de la cause de ses alliés, mais d’une faveur et d’un choix tactique concerté. Quand au soi-disant manque de confiance des Gaulois envers les Carthaginois, il est largement démentie par les faits : outre l’accueil enthousiaste de tous les généraux carthaginois de passage, il suffit de jeter un coup d’œil à l’armée d’Hannibal à Cannes : le Punique dispose de sa propre armée, soit 20 000 fantassins et 6 000 cavaliers (auxquels il faut retrancher les pertes depuis l’arrivée en Italie) ; ses alliés gaulois se montent à plus de 20 000 fantassins et 4000 cavaliers, soit à peu près la moitié du potentiel militaire de ces peuples (qui n’alignent jamais plus de 50 000 homme). C’est une erreur de les considérer comme des mercenaires au service d’Hannibal : ils combattent à titre d’alliés (contrairement à la première Guerre Punique par exemple). On pourrait même dire que c’est l’inverse : ce sont bel et bien les Boïens qui se sont offerts les services d’un condotière et de ses 25 000 mercenaires, comme ils s’étaient offerts en 237 l’armée d’Atis et Galatos, ou en 225 les 20 000 Gaesates. Par conséquent, l’effort militaire Gaulois reste très important, en se rappelant qu’ils doivent au même moment faire face aux incursions des Cénomans, et que lorsque tous les regards se portent sur Cannes, les Boïens annihilent deux légions romaines, soit 20 000 hommes, au cœur de leur territoire, dans la forêt Litana. Pendant plus de deux ans, les Celtes accompagnent le Carthaginois de leur plein gré ; ils ne « l’abandonneront » qu’après Cannes, c’est à dire lorsque Hannibal bénéficiera enfin d’autres renforts, à savoir les Campaniens, les Bruttiens et autres Italiens méridionaux, ainsi que quelques renforts carthaginois. Leur présence n’est plus nécessaire, et ils disparaissent à peu près des annales, autrement dit, ils rentrent chez eux poursuivre la lutte sur leurs terres. Rien ne permet de supposer que ce retour s’est fait sans l’accord d’Hannibal, ou qu’à un moment où à un autre les relations entre Boïens et Carthaginois se soient détériorées, au contraire ; alors que Hannibal aurait pu être vexé ou ulcéré après ses désillusions en dépit des risques qu’il avait pris, il su prendre sur lui et s'adapter, poursuivant une coopération efficace pour les deux protagonistes de l’alliance. Même s’il est vrai qu’il n’a pas vraiment le choix, et eux non plus…
Cette coopération se poursuivit même après la guerre, puisque les irréductibles de l’armée punique poursuivirent la lutte au sein des armées gauloises pendant quelques temps encore.
Cernach a écrit :
Hannibal préférait faire confiance à ceux qu'il connaîssait bien : les Grecs qui peuplaient la Campanie...
Les Campaniens ne sont pas Grecs… et les quelques cités grecques de Campanie, comme Cumes, ou Naples, furent de farouches partisans des Romains : c’est sous leurs murs qu’Hannibal subit ses premières rebuffades sanglantes. D’ailleurs, le ralliement des Grecs fut encore plus cahotique que celui des Gaulois. D’accord pour Syracuse, Tarente ou Locres. A contrario… d’autres comme Crotone, Naples, Cumes, ou Rhégium, les villes de Sicile, se sont fait remarquer par leur fidélité inconditionnelle ! D’autres enfin comme Thurium tournent leur veste en fonction des évènements…
En fait, les grands alliés d’Hannibal se révèlent être encore une fois les peuples sabelliens (Bruttiens, Campaniens, Apuliens, Samnites), comme lors des guerres samnites, comme lors de l’expédition de Pyrrhus, les Grecs se faisant surtout remarquer par leurs divisions (pour changer
).