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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 09 Nov 2009 17:39 
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Plutarque
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Thersite a écrit :
Du nouveau Bob ?
En particulier, je suis curieux : s'ils ne proviennent pas du Bosphore comme le pensent les Grecs, d'où viennent-il, selon lui ? Et d'où provient la confusion ?

Je signale aussi un autre ouvrage sur le sujet : Askold Ivantchik, Les Cimmériens au Proche-Orient, Orbis Biblicus et Orientalis, 1993. Pour avoir eu la chance d'assister à certaines de ses conférences quand il enseignait à Strasbourg, je peux certifier que le personnage est sérieux et très compétent, et peut-être moins médiatique que le prolifique Lebedinsky (qui doit remplir 1/10e du catalogue des éditions Errances lol )




Un petit peu de nouveau oui. J'ai appris pas mal de nouvelles choses, mais rien qui ne bouleverse ce que l'on avait pu citer précédemment.

Tout d'abord je vais faire une brève présentation de l'ouvrage de Lebedinski. Tout au long de ce livre, il liste l'ensemble des théories qui ont été émises sur les Cimmériens et indiquant pour chacune d'entre elles ce qui les éléments qui les appuient et/ou les réfutent (en précisant toutes les sources utilisées, archéologiques comme écrites).

Pour pouvoir continuer cette étude il lui semble indispensable d’adhérer à la tradition antique grecque qui considère que les Cimmériens auraient une origine nord pontique et qu’ils auraient dominé aux IXe et IIXe siècles un territoire mal défini en Europe Orientale (qui plus tard appartiendra aux Scythes). Lebedinsky localise plutôt leur présence dans les steppes d’Europe orientale.

Comme on a pu le voir pour cette région, les sources écrites sont assez vagues et certains détails sont considérés comme mythiques. De ce côté là, Lebedinsky réfute certaines parties des sources grecques:
- La localisation « absolue » des Cimmériens sur le détroit de Kertch
- Le suicide des rois Cimmériens précédant l’arrivée des Scythes (Hérodote)
- La manière du remplacement des Cimmériens par les Scythes. Comme quoi les Scythes auraient trouvé un « pays » vide (Hérodote).

C’est pour cela que seules les données archéologiques pourront être « valables » pour cette première localisation. Leur histoire en Asie mineure est elle bien plus documentée par les Uratréens et les Assyriens.

D’un point de vue purement archéologique on retrouve des traces Cimmériennes dans différentes zones proches.

A l’Ouest des steppes d’Europe orientale :
Les faits relatifs aux Cimmériens dans cette région sont essentiellement d’origine archéologique. Des objets de type Cimmériens ont été retrouvés sur des sites funéraires, seuls ou en combinaison variable avec des types locaux. De part leur nature, ces objets sont la marque d’une élite guerrière. En effet des mors, des poignards et des objets de type Cimmériens ont été exhumés. Deux hypothèses se présentent alors :

- Une minorité étrangère venue des steppes de l’Est aurait réussi en certains endroits à s’assurer un rôle dirigeant ou du moins une position sociale élevée.
- Ces objets sont dus à la simple circulation de marchandises de prestiges venues de l’Est.

Les deux ne sont pas mutuellement exclusives. La première hypothèse pourrait impliquer des raids de pillage ou de conquête de la part des Cimmériens. Cela est appuyé sur le portrait qu’en ont fait les grecs (même si ceux-ci n’ont jamais eu de confrontation directe avec les Cimmériens) qui les décrivent comme un peuple de pillards nomades.

Mais il est également possible que certains groupes de Cimmériens se soient livrés au mercenariat à la faveur de chefs proto-celtes. A moins encore que cette présence ne soit due la poussée des Cimmériens par les Scythes arrivés de l’Est.

Au Nord :
D’autres traces archéologiques tendent à confirmer la présence des Cimmériens au Nord, au niveau des steppes boisées d’Ukraine. La période pré-scythe inaugure une tradition durable de relations de nature variable mais étroites entre nomades de la steppe herbeuse méridionale et leur voisins du Nord, les agriculteurs sédentaires de la steppe boisée (proto-slaves pour a majeure partie). Trois types de traces sont identifiées comme provenant des Cimmériens :

- Des objets Cimmériens dans des tombes locales.
- Des tombes attribuées aux Cimmériens et des tombes mixtes.
- La présence de fortifications au Sud du territoire.
La présence des tombes indique un signe de pénétration dans le territoire et les fortifications prouvent le danger réel que représentaient les cavaliers nomades. Les attaques Cimmériennes auraient été fréquentes au IIXe siècle.

Ces fortifications étaient situées sur des éminences naturelles faciles à défendre. Elles avaient un diamètre de 40 à 100 mètres. Le centre était vide, les habitations disposées le long du rempart de terre ou de pierre au pied duquel on trouvait un fossé. La plus grande d’entre elles était composée d’un triple rempart, ce qui indique le degré d’organisation politique engendré sous l’impulsion du danger nomade.

L’archéologie relève des traces d’incendies et de destructions ce qui indique que le danger était bien réel et difficile à contenir.


Au Sud :
Au Nord du Caucase, les Cimmériens auraient eu des relations étroites et homogènes avec les peuples déjà en place (proto-méotes). Qu’il y ait eu domination, bon voisinage ou coopération, il est certain que les rapports ont été durables et se sont traduits par des échanges culturels actifs.

En effet de nombreuses tombes ont été retrouvées mettant à jour un étonnant mix de cultures, certaines contenant même des chars de guerre. De nombreux vestiges en bronze (deuxième moitié du IXe siècle) et en fer (milieu du VIIe siècle) y ont été retrouvés Tout indique qu’une grande partie des armes, en particulier en bronze et bimétalliques, et des harnachements employés par les nomades étaient produits en Ciscaucasie (pour autant certains modèles provenaient des steppes).
Nous n’irons pas jusqu’à faire des Cimmériens une population sédentaire de Ciscaucasie, mais l’existence d’éléments culturels et peut être ethniques caucasiques au sein de l’ensemble Cimmérien n’est pas à exclure.




Vers la fin du IIXe siècle, des Cimmériens auraient traversé l’isthme caucasien vers le Sud. Le temps nécessaire à ce trajet ainsi que le nombre d’étapes ne sont pas connus. Nous savons juste que des déplacements à travers le Caucase étaient possibles via la passe de Darial.

En 714 les Cimmériens auraient établi une zone d’influence où un royaume au sud de la Transcaucasie. Les sources assyriennes et grecques le mentionnent sous le nom de Gamir. L’établissement de ce royaume est relativement récent car on en ne retrouve aucune mention avant 714 dans les sources assyriennes et urartéenes.

Il me reste maintenant a étudier plus en détails leur présence en Asie antérieure...


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 01 Sep 2010 14:23 
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Hérodote
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Dans le cadre de mon prochain roman ayant pour cadre l'Asie Mineure (-720/-640), les Cimmériens vont jouer un rôle central, aussi suis-je particulièrement intéressé par tout ce qui est exposé ici.

Bob Kelso a écrit :
Vers la fin du IIXe siècle, des Cimmériens auraient traversé l’isthme caucasien vers le Sud. Le temps nécessaire à ce trajet ainsi que le nombre d’étapes ne sont pas connus. Nous savons juste que des déplacements à travers le Caucase étaient possibles via la passe de Darial.

J'ai presque toujours lu à propos des invasions venant du nord et traversant le Caucase qu'elles s'étaient effectuées soit par la Porte des Alains (col de Darial, 1400 m., la seule brèche dans toute la cordillère) ou par le Pas de Derbent (Daghestan, sur la Caspienne). Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais vu évoqué un passage par la côte occidentale, le long de la Mer Noire (par l'Abkhazie et la Colchide). Cela me surprend absolument, parce que le littoral, sans être ample, est quand même largement praticable, avec d'ailleurs des implantations humaines significatives. Or, si on suppose les Cimmériens venir de Crimée ou du Kouban, ce chemin est le plus logique, non ?

Autre chose : puisqu'il est question de Sinope (qui sera par la suite la tête de pont de liaisons maritimes avec la Crimée - la géographie garde tout son sens), que sait-on de l'existence ou de relations directes au travers du Pont-Euxin dès le VIIIe siècle ? A-t-on des attestations de flottilles déjà à cette époque sur cette mer (sachant que sa configuration de mer "fermée" devait être bien connue et donc aurait permis de naviguer aisément hors vue des côtes ; à peine 300 kms entre Sinope et la Crimée) ?

Sinon, j'ai aussi vu quelque part que certains considèrent que les Cimmériens n'auraient pas grand chose à voir avec la Crimée et les steppes, mais seraient en réalité un peuple IE "autochtone", implanté dans le Mannai (Azerbaidjan iranien et nord Kurdistan iranien actuels) ?


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 09 Sep 2010 18:10 
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Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Thersite a écrit :
Zunkir a écrit :
on n'a rien là-dessus dans les sources assyriennes ou urartéennes

Tu dois te tromper Zunkir, les notes des sources renvoient toutes aux sources assyriennes, tout comme Lebedynsky ou par exemple Dominique Charpin qui les privilégie et en cite quelques unes. Ce serait sympathique d'ailleurs si quelqu'un avait sous la main d'autres textes assyriens.


Je fais remonter cet ancien article auquel j'ai honteusement oublié de répondre à l'époque, mais c'est pas grave mon mea culpa vient aujourd'hui : j'ai confondu les Cimmériens avec les Scythes, et je faisais référence à l'expédition scythe qui va jusqu'en Egypte dont Hérodote est le seul à parler. Honte à moi.

Je réponds également ici à une digression engagée dans une autre discussion : viewtopic.php?f=41&t=25467&p=343534#p343534

Bob Kelso a écrit :
Quand on regarde d'un peu plus près la lettre SAA 05 174, elle indique clairement que le roi de l'Urartu (Rusa), l'ensemble de ses troupes et ses gouverneurs furent tués. Une autre indique que de nombreux soldats se sont fait capturés, pendant que la lettre SAA 05 092 indique que Rusa s'est échappé des griffes cimmériennes.
L'itération de ces lettres est-il lié à la chronologie?


A priori les lettres sont remises dans un ordre supposé, mais pas forcément : l'historien est bien forcé de tenter de les remettre dans l'ordre chronologique, vu que c'est son boulot, mais comme on le comprend vite en lisant ces textes il n'y a pas de datation sur une lettre à la différence d'un document administratif, le contexte est généralement implicite car l'auteur comme le récepteur savaient de quoi on discutait. Donc ce n'est pas une tâche évidente, d'autant plus que le contexte politique de cette période est agité, ce qui fait que l'on ne sait pas toujours de quel conflit on parle. Si on avait découvert des lettres en plus, on pourrait même - qui sait - se rendre compte qu'en fait ce n'est pas un seul conflit Urartu/Cimmériens qui nous est mentionné mais deux, une telle chose est arrivé pour des sites où on trouve encore des tablettes (ce qui n'est pas le cas des capitales assyriennes).

Donc pour la chronologie je renvoie à la partie explicative du site qui publie les tablettes, qui est faite par des gens connaissant très bien cette documentation, dans le cas précis Karen Radner : http://www.ucl.ac.uk/sargon/essentials/ ... es/urartu/

Si je comprends bien, on date là les rapports sur les défaites de l'Urartu contre les Cimmériens de au moins cinq ans après la 8e campagne de Sargon ce qui infirmerait ce que j'ai pu lire ailleurs qui présente plutôt ce conflit avant la 8e campagne. Par contre les tentatives de coup d'État à la cour urartéenne mentionnées dans d'autres lettres pourraient précéder la campagne de 714. Si je me fie au Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne à l'article "Espionnage", ces deux solutions possibles sont plutôt présentées comme antérieures à la 8e campagne ; pour l'article "Urartu", il y aurait des conflits avant et après 714. Hélas la page explicative du site ne donne pas le nom des rois urartéens, ce qui me complique la compréhension de la reconstruction des événements par son auteur. Il faut creuser cela.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 10 Sep 2010 9:26 
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J'ai le sentiment que l'opposition entre Urartu et Assyrie a dû être endémique pendant plusieurs dizaines d'années, ponctuée par des guerres directes (8e campagne), toujours lancées par les Assyriens, pour lesquels les Urartéens constituaient une formidable menace, les plus proches de leur coeur et les dominant de leur ceinture montagneuse, capables de se replier loin au nord dans des régions peu propices aux gens de plaine. Mais lesquels Urartéens devaient craindre de lancer de vraies opérations dans la plaine mésopotamienne, au moins celle de l'Assyrie strictement. Et que leur tactique consistait surtout à s'en prendre aux vassaux de leur ennemi, plus faibles et pas forcément fiables, d'où l'étonnant glissement de la plupart des opérations qu'on observe du côté de la Cilicie et Nord Syrie. D'ailleurs, à regarder les cartes, on est frappé de constater une récurrence jusqu'aux temps modernes de ce phénomène, qu'il s'agisse du royaume de Tigrane ou même des souverains arméniens postérieurs, tous "happés" par ce sud-ouest touchant à la Méditerranée et pratiquement jamais ne descendant dans la plaine assyrienne.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 10 Sep 2010 10:22 
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Plutarque
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Zunkir a écrit :
Si je comprends bien, on date là les rapports sur les défaites de l'Urartu contre les Cimmériens de au moins cinq ans après la 8e campagne de Sargon ce qui infirmerait ce que j'ai pu lire ailleurs qui présente plutôt ce conflit avant la 8e campagne. Par contre les tentatives de coup d'État à la cour urartéenne mentionnées dans d'autres lettres pourraient précéder la campagne de 714.


Je n'interprète pas de la même manière ce qui est écrit dans la partie explicative du site concernant les relations entre Urartu et cimmériens. Cela n'empêche en rien la défaite de Rusa contre les cimmériens, cela semble plus indiquer que les cimmériens continuent de ravager le pays sous le règne d'Argishti II. La recrudescence de forteresse urartréenes et le semblant de paix avec l'Assyrie poussent dans ce sens.

Si les assyriens et les urartréens cessent les hostilités pendant quelques temps, c'est qu'un danger commun leur fait face. Les cimmériens sont présent dans le sud du Caucause et ravagent le nord de l'Urartu, ainsi que dans la Manna où ils menacent directement les frontières assyriennes.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 10 Sep 2010 10:26 
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Jules Michelet
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Yurani Andergan a écrit :
J'ai le sentiment que l'opposition entre Urartu et Assyrie a dû être endémique pendant plusieurs dizaines d'années, ponctuée par des guerres directes (8e campagne), toujours lancées par les Assyriens, pour lesquels les Urartéens constituaient une formidable menace


En fait à y regarder de plus près la 8e campagne s'intéresse surtout aux vassaux de l'Urartu, même si elle affronte à une reprise l'armée urartéenne et que Sargon II s'étend sur cette victoire. Mais ce qui semble surtout l'intéresser, c'est de faire rentrer des cités comme Musasir dans son giron, en plus de faire du butin. Du reste cela ne marche pas puisque l'Urartu semble reprendre le contrôle de Musasir. Sargon II n'a sans doute jamais l'intention d'attaquer l'Urartu, situé trop loin et dans des régions peu accessibles. On s'en tient surtout à des conflits autour de zones tampons, et c'est bien ce que la correspondance de cette époque nous montre, car elle regorge de casus belli potentiels.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 10 Sep 2010 10:33 
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Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Bob Kelso a écrit :
Je n'interprète pas de la même manière ce qui est écrit dans la partie explicative du site concernant les relations entre Urartu et cimmériens. Cela n'empêche en rien la défaite de Rusa contre les cimmériens, cela semble plus indiquer que les cimmériens continuent de ravager le pays sous le règne d'Argishti II. La recrudescence de forteresse urartréenes et le semblant de paix avec l'Assyrie poussent dans ce sens.


C'est aussi ce qui me semble le plus probable.

Ce qui m'a dérangé, c'est ce passage, qui est la première mention des Cimmériens dans l'article :

Citer :
We may assume that Urartu sent at least some troops south of its border with Kummuhhu during the war of 709 BC, but the sources are silent in this regard. It was at this time that Urartu's northern border, hitherto seemingly out of harm's way, was seriously threatened by the incursions of Cimmerian horse nomads who had entered Anatolia from the Caucasus region, as Assyrian intelligence reports relay to the king.


Ce passage peut être interprété comme signifiant que c'est à partir de ce moment que les incursions Cimmériennes se font ; le problème étant que les Cimmériens ne sont pas mentionnés dans les paragraphes précédents. Enfin, de toute manière il ne s'agit jamais que d'une reconstruction, vu que le détail de ces événements sur plusieurs années n'est jamais présenté dans un seul document pour autant que je sache, à moins que les Annales de Sargon II n'en parlent, mais je n'y ai pas accès.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 10 Sep 2010 14:16 
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Plutarque
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Yurani Andergan a écrit :
Plusieurs sources (dont Grousset encore) semblent indiquer des dates plus basses : -676 pour la chute de Gordion, après qu'une première bataille ait été perdue par les Cimmériens face aux Assyriens en -678 dans laquelle le roi Tiouchpa aurait été tué, dans le cadre d'une alliance cette fois-ci avec l'Urartu.


Je reviens sur la différence des dates concernant la chute de Gordion, -676 et -696.
La première provient des sources grecques (Hérodote & Strabon) tandis que la seconde provient d'Eusebios.
Je n'ai pas réussi à retrouver les textes d'Eusebios ni d'informations sur lui (un arménien?)... Mais la plupart des ouvrages traitant les cimmériens le citent... :-|

Quand on regarde nos sources références concernant les cimmériens, les sources assyriennes, il n'est mentionné nul part une éventuelle chute de la Phrygie et de Gordion à ces dates là. Sargon II continue d'avoir des relations avec Mita roi de Muski.

Des fouilles archéologiques ont daté une couche de destruction de Gordion au début du 7ème siècle. Ce qui correspondrait avec la date de 696 attribué à Eusebios.

Le problème est qu'un grand tumulus y est découvert (très décoré) daté également début du 7ème siècle... Il contient le corps d'un homme de 60 à 70 ans qui pourrait être celui de Midas. Le problème ici est que la présence de ce tumulus ne colle pas vraiment à la période très troublée ou Gordion tombe lors de l'invasion cimmérienne... Ce genre de tumulus correspondrait plus à une période faste de la Phrygie.
Une autre datation de cette couche de destruction la renverrait plus au milieu du 8ème siècle.

Cet homme dans le tumulus serait le Mita de Muski (contemporain de Sargon II dans les sources) et non le Midas connu pour son suicide suite à la chute de Gordion. Les archéologues ont été surpris de ne trouver que peu d'or dans ce tumulus, surement pillé par les cimmériens.

On aurait donc deux Midas, l'un contemporain de Sargon (Mita de Muski) vivant lors d'un période faste de la Phrygie et l'autre Midas, contemporain de Lygdammis qui aurait succombé à l'invasion cimmérienne. Les deux seraient grand-père/père/ou fils.

Donc la date de 676 collerait plutôt avec cette hypothèse.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 11 Sep 2010 22:30 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Bob Kelso a écrit :
Je reviens sur la différence des dates concernant la chute de Gordion, -676 et -696.
La première provient des sources grecques (Hérodote & Strabon) tandis que la seconde provient d'Eusebios.
Je n'ai pas réussi à retrouver les textes d'Eusebios ni d'informations sur lui (un arménien?)... Mais la plupart des ouvrages traitant les cimmériens le citent... :-|


Hérodote ne date pas clairement l'invasion cimmérienne, puisqu'il les fait surgir en Lydie sous le règne d'Ardys (v.678-v.629; rien dans son court résumé ne permet de supposer que cette invasion eut lieu lors des premières années, au contraire : il mentionne la soumission de Priène et la guerre contre Milet avant de mentionner les Cimmériens et la chute de Sardes; il paraît que des sources mésopotamiennes permettent de dater la prise de Sardes de 652) et sont définitivement chassés sous son petit-fils Alyatte (v.617-560). Mais il ne s'intéresse pas du tout au sort des dynastes phrygiens. Par contre, il est assuré que pour Hérodote, le dernier roi phrygiens ne sauraient être Midas, puisqu'il le définit comme le fils de Gordias, fondateur par conséquent de la dynastie, donc largement antérieur à cette invasion.

Strabon au contraire fait remonter cette invasion à l'époque d'Homère en personne, ce dernier étant réputé avec écrit l'épigramme du tombeau de Midas, le dynaste lui serait donc antérieur, au VIIIe. Or contrairement à ce que pense Strabon, Homère ne semble pas connaître les Cimmériens, si ce n'est sous la forme d'un obscur peuple teinté de beaucoup de légendes. Rien de concret. Il faut attendre Callinos au milieu du VIIe pour que les Cimmériens soient mieux connus en Grèce, avec son poème sur la chute de Sardes. A mon avis, cette histoire de Lygdamis, des Trères et de la prise de Sardes remonte justement à lui, par l'intermédiaire de Strabon (I.3.21) qui le cite ailleurs. Par contre, dans ce passage, rien ne permet de relier Lygdamis (contemporain de la chute de Sardes, au milieu du VIIe) à l'invasion qui eut lieu en Phrygie sous un Midas qu'il place au VIIIe ; ce Midas et Lygdamis ne peuvent être contemporains. Mais surtout, Strabon est le seul à mettre en relation Midas et les Cimmériens, tempéré encore par un "dit-on" dubitatif.
Bref, Strabon ne me semble pas fiable sur ce point, puisqu'il se trompe visiblement dans sa chronologie, et qu'il mélange des sources de qualités très variables : bonne avec Callinos, très douteuse avec les ouïe-dires et les amalgames.
A remarquer qui ni Hérodote ni Strabon ne mentionnent la chute de Gordion. Ils ne connaissent que celle de Sardes, Strabon se contente de mentionner du bout des lèvres le suicide de Midas qu'il place dans ces eaux-là, sans forcément établir un lien de cause à effet. A partir de ces deux auteurs incompatibles, je ne vois vraiment pas ce qui autorise à proposer la date de 676 ou de 596, encore moins pour en déduire la prise de Gordion... Sait-on seulement si Gordion était la capitale ? Midas selon la tradition possède également des palais à Pessinonte, à Célènes, (en Macédoine également ! lol ).

Pour Eusébios, cela doit provenir des Chroniques d'Eusèbe de Césarée. Si ces chronologies se veulent très précises (entre autre, la liste complète des vainqueurs olympiques !), il faut bien admettre qu'elles sont tout sauf fiables, synthèse de plusieurs siècles de tentatives pour faire coïncider les différentes chronologies disponibles et établir des parallèles plus ou moins artificiels, au prix de bien des talonnements, des manipulations et des corrections. Ces listes synthétiques commencent à apparaître au Ve av ; avec Eusèbe nous sommes vers 325 ap. 750 ans de déformations pour arriver à quelque chose d'à peu près cohérent... D'ailleurs, concernant les rois lydiens, les chronologies de Hérodote et celles d'Eusèbe n'ont pas grand chose en commun... Néanmoins, je n'ai pas trouvé dans ces chroniques une mention de Midas ou des Cimmériens... Aurais-tu une référence complète Bob ?

Midas est essentiellement un personnage mythique, derrière lequel le personnage historique semble bien maigre, dans la veine de ces roitelets héroïques qui forment un intermédiaire entre les hommes et les dieux, comme Minos en Crète, Orphée en Thrace, voire Numa à Rome, etc. Un roi civilisateur, qui introduit le culte de Cybèle (parfois présenté comme sa propre mère), qui introduit la vigne, qui développe l'irrigation etc. Un roi bâtisseur qui multiplie les fondations (Ancyra, Pessinonte, etc.). Et même dans les légendes tardives macédonienne (construites au VI/Ve, mais qui rencontre peu de succès mêmes si elles trouvent quelques partisans, dont Théopompe et Bion) un roi conquérant, fondateur du royaume, après avoir conduit son peuple des Balkans en Asie Mineure. Pas grand chose dans tout cela de commun avec un personnage historique réel. De plus, Midas est encore au Ve le prénom le plus courant qui soit en Phrygie, avec Ménès. Rien qui permette de déduire qu'il n'y eu qu'un seul et unique Midas en Phrygie (et non une dynastie ; en l'occurrence, Hérodote mentionne sous Crésus un noble Phrygien, "Adraste, fils de Gordios et petit-fils de Midas").

L'un de vous aurait-il le texte complet de ce "Mita de Muski" ennemi de Sargon ? Il me semble me souvenir que Zunkir (ou un autre ?) m'avait expliqué tantôt que ce nom (intégré si je me souviens bien à une longue liste d'autre princes d'une coalition) avait été assimilé bon an mal an au Midas de Phrygie, sous prétexte que ce le nom ressemble et que cela se passe à peu près dans ce coin-là à peu près à cette époque là... J'avoue ne pas avoir été convaincu, et les échos que j'ai lu à droite à gauche continuent à laisser planer un gros doute sur cette identification, et tout particulièrement celle du peuple. Est-on vraiment certain que ce nom de Muski désigne les Phrygiens ? Les textes qui les mentionnent sont-ils nombreux, et clairs ? Si j'ai bien compris, il s'agit d'un peuple allié de l'Urartu, qui intervient en Cilicie. Or les Mosques avoisinent ces deux provinces...

En un mot, toutes ces déductions très précises (avec plein de noms, pleins de lieux, pleins de dates) me semble proches du château de carte et d'une volonté rassurante de trouver des réponses à tout prix plutôt qu'issue d'une étude critique des textes. Concrètement, qu'est ce qui permet d'affirmer que Gordion, sous le règne d'un Midas, a été détruite par les Cimmériens au début du VIIIe ? Je doute sur la place accordée à Gordion, je doute sur l'implication de Midas (ou d'un Midas si vous préférez), je doute de la chronologie... ???


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 12 Sep 2010 11:09 
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Jules Michelet
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Thersite a écrit :
L'un de vous aurait-il le texte complet de ce "Mita de Muski" ennemi de Sargon ? Il me semble me souvenir que Zunkir (ou un autre ?) m'avait expliqué tantôt que ce nom (intégré si je me souviens bien à une longue liste d'autre princes d'une coalition) avait été assimilé bon an mal an au Midas de Phrygie, sous prétexte que ce le nom ressemble et que cela se passe à peu près dans ce coin-là à peu près à cette époque là... J'avoue ne pas avoir été convaincu


Je ne me souviens pas de cette discussion, mais ça ressemble mot pour mot à ce que je pourrais dire, donc ça devait être moi. D'une manière générale je ne trouve pas de contestation à cette identification dans ma documentation, mais je ne trouve pas non plus d'explication poussée à cette argumentation, autre que l'identification Mita = Midasqui semble rendre logique l'identification Mushki = Phrygiens.

Il y a une lettre parlant de Mita (en fait Meta) des Mushku, qui demande la paix à Sargon une fois que l'Assyrie a vaincu l'Urartu, autour de 710/709 : http://oracc.museum.upenn.edu/cgi-bin/o ... P224485.20

Je met ici le passage d'un article de O. W. Muscarella, qui a beaucoup travaillé sur les Phrygiens ("The Iron Age Background to the Formation of the Phrygian State." Bulletin of the American School of Oriental Research 299–300 (1995), pp. 91–101.) sur le roi Mita/Midas et les Mushki:

Citer :
"Mita of Mushki" occurs as such only in the Sargon texts,2 but it is most probable that he is the king Midas of the Phrygians mentioned in Phrygian inscriptions and by Greek historians, first by Herodotus (VII.73; Muscarella 1988: 417; 1989: 333-34; cf. Laminger-Pascher 1989: 16-17, 23-24, 38, n. 55 who vigorously rejects the equation). The ancient histori- ans record that Midas reigned in Gordion, on the Sangarios River, that is in western-not eastern-central Anatolia. If, as seems manifest, Mita is the Semitic variant of the Phrygian name, then the appellations Phrygia and Mushki denote the same polity. This dual nomenclature might signify that the king ruled over two originally separate groups/peoples (as, e.g., Mellink 1965: 318-20), the western one better known to the Greeks, the eastern to the Assyrians. Whether the alleged two groups, if such were the case, were originally related is presently unknown. Furthermore, the appropriate Phrygian form Midas, not Mita, occurs in Phrygian inscriptions not only in the west but also east and south of the Halys River (but not at Babylon [as Mellink 1965: 320]), which may or may not have been the (original) Phrygian-Mushki boundary (Mellink 1965: 320-22; 1991: 623, 625). It is difficult to accept the view that the Assyrians meant anything other than the polity that the Greeks (and we) call Phrygians when they wrote of their encounters with Mita of Mushki.

Herodotus (VII.73) and Strabo (VII.3.2) preserved an old Iron Age tradition that either before or just after the Trojan war the Phrygians migrated into Anatolia from Thrace or Macedonia, where originally they were named Brygians. The fact that the Phrygian language is related to the Greek/Balkan dialects supports the historical tradition (Haas 1970: 33, 58-59, 68; Neumann 1988; Drews 1993a: 9). But for the Mushku/i and their name there is no preserved tradition, only the Assyrian texts, which do not discuss earlier history or traditions.

One modern hypothesis holds that the Mushki were related to the Brygians, each constituting one of the many migrating tribes noted in ancient sources, but that the former had migrated further east (Kibrte 1904: 9-10; Akurgal 1983: 72-74; Diakonoff and Neroznak 1985: xi-xiii). Other scholars see the Mushki as a distinct people, living in and deriving from the east (e.g., Mellink 1965; Laminger-Pascher 1989: 16-24). Notwithstanding these conflicting views, no scholar has been able to know the actual historical reality. Perhaps there was a western B/ Phrygian conquest, or a peaceful assimilation, of the east- ern Mushki, whether the latter were related or not. Whatever the historical background, however, if the late eighth century B.C. equating of the names makes sense and is accepted, then at least by that time there was but one polity, recognized by themselves and oth- ers as sharing ethnicity, a common king, an ideology, even a common official language-manifested by the wide distribution of texts in the Phrygian language. Whether or not the Mushki originally spoke a different language is a question directly related to that concerning their relationship to the Brygians.


Donc pas de remise en cause de l'identification. Pareil dans la synthèse de Trevor Bryce sur les Hittites, l'auteur étant spécialiste de l'Anatolie du Ier millénaire, même s'il préfère généralement parler des Mushki et de Mita et non de "Phrygiens" et de "Midas", comme muscarella. Pour information, voilà la biblio plus poussée sur le sujet, qui m'est présentement inaccessible :
* O. W. Muscarella, "King Midas of Phrygia and the Greeks", dans K. Emre, B. Hrouda, M. J. Mellink, et N. Özgüz, Anatolia and the Near East (Studies in Honour of Tahsin Özgüz), Ankara, 1989, p. 333 –344.
* A. V. Kossian, "The Mushki Problem Reconsidered", dans Studi Micenei ed Egeo-Anatolici 39, 1997, p. 253 –266.

Voici enfin la page du MET de New-York sur les Phrygiens : http://www.metmuseum.org/toah/hd/phry/hd_phry.htm


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 12 Sep 2010 14:06 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
Message(s) : 2289
Merci Zunkir, en particulier pour le texte akkadien, qui serait donc le seul à mentionner ce Meta/Mita, alors que les Mushki affrontent et menacent les Assyriens depuis le XIIe, sans qu’un lien avec la Phrygie ait pu être esquissé jusqu'à cette lettre de Sargon.

Malheureusement, je n'y vois nullement un quelconque argument à l'identification, à moins qu'un des lieux mentionnés soit identifié. Comme tu le précises, "l'identification Mita = Midas (...) semble rendre logique l'identification Mushki = Phrygiens". C'est ce que j'avais retenu de mes pérégrinations sur Persée/google.book. Sans ce rapprochement, les Mushki ne seraient pas identifiés. Or, si Mita (ou pire Meta), peut effectivement ressembler ou au moins faire penser à Midas, par contre entre Phrygiens et Mushki... il n'y a franchement rien de commun. Il suffit qu'un roitelet de Cilicie, de Cappadoce ou d'Arménie porte par hasard ce nom de Mita pour que tout vole en éclat... Or justement, il me semble que ni l'archéologie ni les textes ne donnent aux Phrygiens une influence aussi loin dans le sud, ils ne semblent guère s'être étendus vers le sud-est au delà du haut Halys. Et surtout, selon les chroniques de Sargon, les Mushkis sont les voisins directs et les alliés de l’Ourartou, mais aussi les voisins directs et les ennemis des Assyriens qui construisent des forts face à eux. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne peut être les Phrygiens, voisins directs d’aucune de ces deux puissances, si je ne m’abuse.

Je vais même risquer le coup et proposer une autre piste : à l’intersection de tout ce joli monde (Assyrie/Ourartou/Cilicie), se trouve la grande ville de Mazaca en Cappadoce, dont la forme originelle serait selon un auteur très tardif du Ve ap, Philostorgos, Mosocha, nommé d’après son éponyme Mosoch le Cappadocien. (Histoire Ecclésiastique, IX.12, voir Migne, J.P., Patrologia Graeca, T65, Paris 1864, p.577)
Bien qu’il s’agisse d’un témoignage tardif et isolé (à vérifier), je dois bien avouer que faire des Mushki des Cappadociens me semble largement plus probable qu’en faire des Phrygiens, très éloignés de leurs alliés d’Urartou (séparés par la Cappadoce justement), et dont je me demande ce qu’ils iraient faire contre les Akkadiens en Cilicie et même en haute Assyrie à Karkemish… D’autant que Mazaca est déjà une ville importante à cette époque (l’antique Kanesh) et justifierait l’influence et la puissance locale des Mushki, intermédiaires entre les Phrygiens d'outre Halys et les avant-postes assyriens de Cilicie.

Concernant les opinions que tu présentes, je ne les lis pas de la même manière que toi (j’espère ne pas faire de contre-sens vue mon niveau d’anglais).

D’abord, « pas de remise en cause de l'identification » dis-tu ; pourtant je lis « Laminger-Pascher 1989(…) vigorously rejects the equation ». En cherchant à me renseigner, je peux citer aussi parmi les auteurs hostiles à ce rapprochement V. Sevin, The Early Iron age in the Elâzığ region and the problem of the Mushkians, in Anatolian Studies 41, 1991.

Ensuite concernant l’opinion de Muscarella lui-même, elle me semble très contradictoire puisque d’une part il admet sans sourciller l’assimilation de Mita à Midas, mais d’un autre côté rejette l’assimilation pure et simple des Mushki et des Phrygiens, et explore plusieurs pistes permettant d’établir tant bien que mal des relations entre eux mais qui tous partent d’une différence originelle (« the Mushki were related to the Brygians, each constituting one of the many migrating tribes noted in ancient sources, but that the former had migrated further east » ; « Other scholars see the Mushki as a distinct people, living in and deriving from the east » ; « Perhaps there was a western Phrygian conquest, or a peaceful assimilation, of the eastern Mushki »), même si il conclut par un étonnant « if the late eighth century B.C. equating of the names makes sense and is accepted, then… »…

Tout repose exclusivement sur l’équation Midas=Mita. Si cette condition préalable n’est pas admise, tout le reste s’écroule. Or le prénom Mita est attesté dans la région dès l’époque hittite, et sa popularité locale ne se démentira pas pour les périodes historiques, tant dans les sources écrites que dans l’épigraphie. Même si on admet que Mita est une forme sémitisée de Midas, la présence d’homonymes reste probable, et ce n’est apparemment ni le nom de Mushki ni la géographie des évènement (bien loin de Gordion, du cœur du royaume ou de ses frontières avérées) qui apportera un quelconque argument pro-phrygien.


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Message Publié : 12 Sep 2010 16:03 
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Hérodote
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Inscription : 30 Août 2010 18:06
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Merci à vous pour cet échange passionnant et extrêmement documenté. Aussi est-ce sur la pointe des pieds que j'interviens, d'autant que je me base plus sur des souvenirs de lectures (sources oubliées évidemment).

D'un point de vue linguistique, la "vérité" la plus communément admise désormais est que l'arménien (langue IE constituant une famille à lui tout seul) serait apparenté au phrygien, du moins de ce qu'on en connait. Les Arméniens et l'arménien prennent place dans leur espace culturel actuel, sur un gros substrat urartéen et khalde, après la chute de Ninive et la fin de l'Urartu. Cela aurait eu lieu par un progressif déplacement vers l'est et le sud-est des "élites" phrygiennes (chassées par les Cimmériens ?). Et je crois bien me souvenir que l'équation Mushki=Phrygiens a aussi une source arménienne.

Cette "ascendance" arménienne Mushki a d'ailleurs aussi souvent interrogé (je l'ai évoquée dans le topic sur les Gasgas) sur une connexion avec d'autres "Mosques", ceux-là bien identifiés sur la côte pontique. Et là, pour les Arméniens cela collerait avec une piste les rattachant avec les anciens royaumes de Hayasa (Hayastan = Arménie en arménien) et Azzi, justement en arrière de la côte pontique, du côté du Haut Tchorokh actuel. Sauf que, linguistiquement, il semble bien que ces Mosques-là étaient proto-kartvéliens (d'où descendent les Meskhi, Meskhets et Lazes kartvélophones modernes).

C'est le terme Mushki lui-même qui renvoyait peut-être plus à un générique post-hittite qu'à un ethnonyme strict.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 12 Sep 2010 18:13 
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Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Thersite a écrit :
D’abord, « pas de remise en cause de l'identification » dis-tu ; pourtant je lis « Laminger-Pascher 1989(…) vigorously rejects the equation ». En cherchant à me renseigner, je peux citer aussi parmi les auteurs hostiles à ce rapprochement V. Sevin, The Early Iron age in the Elâzığ region and the problem of the Mushkians, in Anatolian Studies 41, 1991.


Il n'y a pas vraiment de remise en question de l'identification par la majorité des chercheurs, et invariablement dans les écrits Mita est présenté comme Midas, sans trop réfléchir. Après vérification de l'article de V. Sevin, l'auteur lui-même évoque (p. 96) : The widely accepted opinion that "Mita of Mushki" is to be equated with the legendary Midas of Phrygia and that the people of Mushki crossed the Hellespont, along with other Thracian tribes, about 1,200 B.C. and continued as far as eastern and south-eastern Anatolia. Ceux qui sont contre cet avis ne pèsent pas lourd (ce qui ne veut évidemment pas à dire qu'ils ont tort).

Pour information je rapporte la conclusion de l'étude de Sevan sur les Mushki (qu'il ne cherche pas à qualifier autrement que comme des Mushki) :

Citer :
It is not unreasonable, therefore, to think that the Mushki were separate groups of Indo-European people coming from the north in the middle of the twelfth century B.C. because there is no conclusive evidence whereby the Mushki living in the Elazig region during the twelfth century B.c. and in the Upper Tigris basin at the beginning of the ninth century B.C.45 may be equated with the Phrygians of central Anatolia. On the contrary it appears more logical that the Mushki, who during the second half of the eighth century B.c. emerged in Tabal and Que under the leadership of Mita, were a group of eastern Mushki who had migrated west as a result of pressure from Urartu on the one side and Assyria on the other and had assimilated the culture of the new area.


Pour en revenir aux Phrygiens, ce qui me semble poser problème est qu'ils apparaissent par l'archéologie, mais pas trop dans les textes, et surtout pas du tout dans les textes de l'Assyrie qui nous documentent pourtant bien la région. Alors Gordion et l'entité politique qu'elle domine était trop loin des intérêts assyriens ? Sans doute. Les Mushki sont plus probablement les Mosques/Moschoi, les preuves pour les rattacher aux Phrygiens sont effectivement trop faibles (d'où les nuances de Muscarella), et il est de mon avis que tous ceux qui présentent avec aplomb l'égalité Mita=Midas ne se sont pas vraiment penché sur la question, et devraient prendre plus de pincettes. Cf. tout de même Trevor Bryce, un sérieux connaisseur de l'Anatolie de l'âge du fer : the Mushki king Mita, who is referred to in the Annals of the Assyrian king Sargon (who claims to have inflicted a defeat on him), and can be identified with the well known Midas of Greek tradition.. Cela ne manque pas de me laisser perplexe, on devrait dire "might" à la place de "can" ...

Le problème étant qu'on se situe dans une région proche, pas strictement identique, mais on est quand même en Anatolie orientale, et dans les mêmes années, ce qui fait qu'à mon sens on doit laisser une porte ouverte pour le Mita=Midas. Restent les inscriptions phrygiennes évoquées par Muscarella qui pourraient être des traces plus intéressantes pour les rattacher au Midas phrygien, mais je suis trop mal informé là-dessus pour en dire plus. Qu'il y ait eu au moins deux personnes importantes ayant porté le nom de Midas dans les mêmes années reste possible. Ou bien on peut imaginer que Midas était un roi d'origine mushki/moschoi qui a régné à Gordion, dont le royaume comprenait un bon nombre de sujets Phrygiens, au point de passer aux yeux des Grecs d'Asie Mineure pour un roi phrygien ? Un tel problème ouvre la porte à pas mal de réponses envisageables.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 12 Sep 2010 22:18 
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Jules Michelet
Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
Message(s) : 3091
J'en reviens sur Midas, tant pis pour la digression, parce que j'ai trouvé un article qui résume un peu le sujet après une courte recherche. L'article en question est d'une helléniste, Lynn E. Roller, intitulé "The Legend of Midas", dans Classical Antiquity 2/2, 1983, p. 299-313.

Je cite le passage que j'ai jugé le plus intéressant, désolé si ça commence à devenir une fâcheuse habitude. Cela concerne les inscriptions phrygiennes (et vient après un passage sur les mentions assyriennes de Mita) :

Citer :
Archaeological and epigraphical monuments from Anatolia provide further information about Midas. His name occurs in an inscription in the Phrygian language from Tyana in Cappadocia, recalling the references of Sargon II to Midas' activity in this area.8 It is likely that the Mushki mentioned in Assyrian sources and the Phrygians known to the Greeks were two different peoples, one in south eastern and the other in central Anatolia; thus, the use of Midas' name in an official Phrygian text in Mushki territory implies that Midas controlled both groups of people. Within Phrygia itself his name appears in an inscription found on a large rock-cut monument from a site known as Midas City. This text, probably to be dated to the late eighth century B.C., records in the Phrygian language the titles of Midas; the words are close enough to Greek to be interpretable as royal titles. In addition, his power and wealth are indirectly but amply attested by the monumental remains of the city of Gordion under Midas' rule and by the rich finds from burials of the same period, especially the tumulus identified as Midas' own grave. "


Qu'on trouve des inscriptions d'un roi au nom de Midas en Cappadoce et en Phrygie même favorise l'identification. On aurait donc un roi qui domine les Mushki, règne sur la Phrygie et aussi sur la Cappadoce (au moins à un moment), donc aux frontières de l'empire assyrien de Sargon II. Il est manifestement une puissance suffisante pour rejeter la suzeraineté assyrienne et aider les vassaux voisins qui cherchent à en faire autant. Ce qui le pousse à voir du côté de l'Urartu, le principal ennemi de l'Assyrie, qui se situe à côté de lui. C'est cette activité que documentent les Annales de Sargon II. Finalement, un gouverneur assyrien est chargé par Sargon d'envahir le pays Mushki, et il y prend des villes ; cela ne doit pas nous leurrer, Mita est encore en place, mais le vent à tourné après 714-710 avec les défaites de l'Urartu face aux Assyriens et aux Cimmériens, qui en plus doivent aussi menacer la Phrygie : Mita demande la paix à Sargon, qui est alors en campagne en Elam ou en Babylonie, et écrit à son fils resté gérer les affaires en Assyrie, et c'est la lettre mise en lien précédemment. On peut largement supposer que, de la même manière qu'on sait que le centre de l'Urartu est resté inatteignable pour les Assyriens alors que Sargon proclame dans les textes officiels qu'il a infligé une défaite grave à ce pays et pris plusieurs de ces villes, etc., il en va de même pour le royaume de Mita, ce qui peut permettre d'envisager qu'il règne bien depuis Gordion ou Midas-ville. Il serait donc le seul souverain de valeur qu'aient eu les Mushki et les Phrygiens, le seul digne d'être mentionné nommément dans les textes assyriens, le seul digne d'être retenu par les Grecs, voire même plus si on accepte son mariage avec une grecque et l'envoi de présents à Delphes. Sur ce, Mita accepte de payer un tribut à l'Assyrie pour avoir la paix, mais les Cimmériens arrivent et mettent fin à la puissance des Mushki/Phrygiens qui tenait manifestement du fait de l'action du personnage de Mita.

Bien sûr, reste toujours la possibilité de plusieurs Mita, mais l'argument des deux inscriptions de même style incite quand même à accepter que Mita=Midas. Si nous n'avions que les seules sources assyriennes et grecques, on serait obligé d'émettre des réserves sur cette identification, puisqu'on ne voit pas vraiment ce que ce Mita a à voir avec la Phrygie, même si la proximité du nom et de la chronologie poussent à envisager cette identification. Reste le mais : les inscriptions au nom de Midas ne sont apparemment pas d'interprétation facile, et des propositions de datation plus ancienne ou plus tardive pour au moins une d'entre elles ont été faites. Au moins ça donne plus d'épaisseur au dossier et permet une reconstruction intéressante.


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 Sujet du message : Re: Les Cimmériens
Message Publié : 13 Sep 2010 9:50 
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Plutarque
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Inscription : 15 Fév 2008 12:10
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Zunkir a écrit :
Sur ce, Mita accepte de payer un tribut à l'Assyrie pour avoir la paix, mais les Cimmériens arrivent et mettent fin à la puissance des Mushki/Phrygiens qui tenait manifestement du fait de l'action du personnage de Mita.


Mais ce Mita/Midas là ne serait pas celui qui à périt face aux cimmériens.
Le tumulus, sur lequel l'une des inscriptions est retrouvée, nous indique bien que la personne enterrée là est décédée lors d'une période faste... et non lors d'une dévastation par les cimmériens.

On aurait donc deux Midas couvrant la période fin 8è siècle jusqu'à la moitié du 7è?
A l'époque en anatolie les enfants des rois gardent le même nom que leur père ou que leur grand père?


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