Yurani Andergan a écrit :
Je reviens sur cette ville d'Antandros. Selon les sources mythologiques, elle aurait existé à l'époque de la Guerre de Troie, et de son port se serait enfui Enée. Par contre, en cherchant sur le net on trouve qu'elle aurait été en réalité fondée seulement au Ve siècle par des Eoliens de Lesbos [en 431 plus précisément semble-t-il en scrutant un site turc qui lui est consacré, malheureusement uniquement en turc (
http://www.antandros.org/antandros/tarihce.html)]. Alors "Cimmeris" antérieur au Ve siècle, ou nom temporaire postérieur ?
Il existe malheureusement 36 versions...
D'abord les "source mythologique" sont toutes tardives (la ville n'est pas évoquée dans les poèmes homériques, ni dans les fragments des autres poètes archaïques), et ne peuvent pas servir de marqueur chronologique, et finalement ne nous apprennent rien sur son peuplement originel.
Pour la date de 431, c'est sans doute une mauvaise compréhension ou traduction : lors de la guerre du Péloponnèse (431-404), Antandros tomba entre les mains des exilés de Lesbos qui s'en servir de base contre les Athéniens ; par la suite, les Lacédémoniens en firent leur chantier naval pendant toute la fin de la guerre. Il n'y est nullement question de fondation.
Quant aux traditions historicisantes concernant la population originelle de la cité, elles varient beaucoup, chaque auteur à sa version.
Aristote donc (résumé par Stéphane de Byzance, s.v. Antandros et par Pline V.32.2), évoque trois états successifs. Elle se serait d'abord appelé Edonis, d'après le peuple thrace des Edones, puis Cimméris d'après les Cimmériens, enfin Antandros. Il est le seul a transmettre cette tradition, suspect dans bien des détails. D'abord la présence des Edones avant même les Cimmériens est douteuse ; je mettrais ce passage en relation avec Orphée, roi des Edones, dont certaines traditions, macédoniennes en particulier, font un compagnon de "Midas" lors de la migration des "Briges" en Phrygie, et d'autres qui veulent voir dans le culte de la Mère des Dieux instauré par le même Midas un enseignement d'Orphée.
Ensuite, les Cimmériens sont censés occuper la ville "100 ans", détail assez aberrant.
Enfin, Aristote est le seul à transmettre cette version ; nous ignorons son contexte et ses sources.
Une autre version fait d'Antandros une cité d'indigènes anatoliens, les Lélèges, population très nettement apparentés aux Cariens. C'est le cas de notre plus ancienne source (fin VIIe-début VIe), Alcée de Lesbos (qui connait donc en théorie bien la cité, colonisée par les Lesbiens soit déjà à cette date, soit au cours du VIe) cité par Strabon XIII.1.51. Il qualifie Antandros de "cité des Lélèges". Ce qui est vraisemblable, les Lélèges ayant occupé toute la côte éolienne et une partie de l'Ionie, les îles et peut-être même une partie de la Grèce continentale (Péloponnèse). La colonisation grecque, ionienne et éolienne, s'est faite à leur dépend.
Hérodote VII.42 quant à lui la qualifie de "ville pélasgique". J'hésite sur l'interprétation de ce qualificatif, qui a des sens multiples. D'un côté, les "Pélasges" définie un groupe floue de peuples préhelléniques, pas forcément en liens les uns avec les autres, et en particulier, le mot a parfois été employé à la place de "Lélèges". D'un autre côté, et cette explication a ma faveur, le terme peut définir en fait simplement les Eoliens : Hérodote se livre en effet dans toute son œuvre à un savant travail de dénigrement des populations éoliennes et ioniennes soumises à la domination athénienne, visant à démontrer que les Athéniens sont les seuls "purs" Ioniens, tous les autres sont abâtardis, affichant ainsi leur supériorité naturelle. Ainsi, il fait des Abantes d'Eubée des barbares ce qu'ils n'étaient pas par exemple pour Homère et ses successeurs ; ainsi il peuple toute les colonies grecques d'Asie d'un mélange de Grecs, de barbares et de peuples indéterminés, comme les Pélasges. Or les Pélasges ont, entre autres, occupés la Thessalie, terre mère des Eoliens. De même, les habitants de Lesbos sont qualifiés de "Pélasges". Enfin, il atticise les oikistes, faisant tout remonter à Athènes, et à ses roi Ion puis Codros. Bref, un savant travail de propagande, qui a été perpétué et enrichi par les générations d'atthidographes successives des V-IIIe av. au nom des mêmes logiques politiques.
En gros, je pense que Hérodote fait ici référence aux colons lesbiens, "rabaissés" au rang de barbares pélasges.
Conon, un mythographe contemporain d'Auguste (Photius, Bibliothèque codex 186, §41), rapporte une autre tradition mettant en scène les Pélasges :
Antandros fut anciennement habitée par des Pélasges, qui, selon quelques auteurs, se nommèrent ainsi, par la raison qu'Ascanios qu'ils avaient fait prisonnier de guerre, leur donna cette ville pour sa rançon, de sorte qu'Antadros fût dit pour anti enos andros qui signifie "pour le rachat d'un homme". Dans ce cas, "Pélasges" désigne les indigènes, donc sans doute les Lélèges. Le même récit est résumé par Pomponius Méla (I.18).
Mais le même Conon, toujours résumé par Méla mais aussi dans une allusion de Servius (
commentaire à l'Enéide III.6), rapporte encore une autre tradition, faisant des colons originaires de l'île d'Andros :
Mais d'autres content ce point d'antiquité d'une autre manière. Selon eux, Anios fils d'Apollon et de Créüse fut père d'Andros, qui fit son séjour dans une des Cyclades, y bâtit une ville, et de son nom l'appela Andros. Quelque temps après voyant ses sujets divisés et portés à la révolte, il abandonna cette ville pour en aller fonder une autre sur le mont Ida, dans un lieu peu éloigné d'Andros, et qui lui parut propre pour son dessein. Il bâtit cette nouvelle ville sur le modèle de la première, et par cette raison il lui donna le nom d'Antandros. Comme elle manquait d'habitants, il y fit venir des Pélasges pour la peupler. On retrouve les indigènes Pélasges, mais surtout, Andros et les Cyclades, qui à l'époque archaïque étaient également de peuplement lélège. Conon ne domine plus ces Antiquités, et considère visiblement ces Andriens comme des Grecs ; il est probable néanmoins que cette tradition évoquait en fait à l'origine encore et toujours les Lélèges, dont plusieurs traditions évoquent la migration des îles vers le continent suite à la pression grecque. Néanmoins, la légende de type "étymologique" est sans doute récente et ne doit pas s'appuyer sur grand chose.
Quant à Stéphane de Byzance, il fait tout simplement de l'éponyme Antandros le nom de l'oikiste éolien. Un simple explication étymologique sans grand intérêt.
Bref, l'origine est confuse, néanmoins on peut regrouper la plupart de ces versions derrière une origine lélège, en particulier avec le témoignage d'Alcée pour le fin du VII (donc contemporain de la période "cimmérienne"). La version d'Aristote, succincte et non attestée ailleurs, me semble suspecte, en particulier par ses détails trop précis et incongrus qui me semblent attester une construction tardive, portée par des motivations malheureusement inconnue.