Yurani Andergan a écrit :
Le plus intéressant serait que les Mushki auraient été connus des Assyriens dès le XIIe siècle et, surtout, serait en fin de compte à mettre en relation avec les Mysiens.
Je ne suis pas d'accord avec cette reconstitution :
- d'abord, les Mushki des Annales mésopotamiennes du XIIe ne sont pas les Phrygiens, dont le royaume n'est pas attesté à cette date et dont se demanderait bien ce qu'ils feraient en haute Assyrie. Qu'au VIIIe, les Mushki reconnaissent la suzeraineté de Midas et soient confondus par les Assyriens avec ces derniers ne signifie par pour autant que cela était le cas quatre siècles auparavant.
- ensuite, l'origine "thrace" des Mysiens est douteuse. Déjà les Phrygiens ne sont pas Thraces, mais originaires de Thrace, remplacés par les Thraces. Les langues sont cousines, mais non inter-compréhensibles. Tout le folklore autour des Briges, du mont Bremios et tout le toutim est selon moi une invention littéraire créée à la cours des rois macédoniens aux V-IVe, visant à fournir à la dynastie téménide une antiquité et des mythes dont ils étaient jusque-là dépourvus : ils se sont purement et simplement attribués les mythes phrygiens, en misant sur l'apparente ressemblance entre "Phryges" et "Briges". Par contre les légendes d'une origine thrace des Mysiens sont bien plus tardives encore, puisque assimilés aux Moesiens, peuple qui n'apparait qu'à l'époque romaine... La présence d'inscriptions phrygiennes en Mysie n'a rien de surprenant, puisque la Mysie fut sinon directement intégrée, au moins influencée par sa puissante voisine directe ; par contre la présence dans cette province d'inscriptions lutescane montre bien leur spécificité et une origine différente (mais je ne connais rien à cette langue... Est-elle seulement indo-européenne, ou au contraire une survivance des langues anatoliennes antérieure ?).
Par conséquent, assimiler Mysiens et Mushki ne repose sur rien, si ce n'est une vague homonymie, ce qui n'est pas un argument. Surtout que les deux peuples sont très distants l'un de l'autre. Je commence pour ma part tout doucement à me rallier à faire des Mushki des Proto-Arméniens : voisins et amis de l'Ourartou, proches des Phrygiens, ils disparaissent de Cappadoce à l'époque où les Arméniens apparaissent en Arménie... Mais la démonstration ne pourrait être qu'archéologique.
Yurani Andergan a écrit :
On nous présente toujours l'invasion des Cimmériens comme venue de l'est par le Caucase. Serait-il aberrant d'imaginer qu'ils se soient d'abord implantés sur la côte pontique, par voie maritime, pour ensuite, après s'être structurés localement, lancer des raids un peu partout vers leurs nouveaux voisins et un peu au delà ?
Aucune source n'a jamais fait des Cimmériens une puissance navale. Pas une seule fois dans mon catalogue n'apparait le moindre bateau, le moindre radeau. Par contre la tradition mentionne bien l'invasion par voie de terre. Pour ma part, l'hypothèse maritime est à rejetée, elle ne s'appuie sur rien.
A la fin du VIIIe, la situation est assez claire : les Grecs tout comme les Assyriens les connaissent... de nom, ils n'ont pas encore eu de relation directe avec eux. Pour les Assyriens, ils en entendent parler avec la défaite de l'Ourartou en 714 lors d'une campagne contre un royaume cimmérien situé au nord de l'Ourartou. A la même époque, à peu près, un poète grec rédige l'Odyssée ; il ne connait rien des Cimmériens (qu'il imagine organisés comme un peuple grec, dêmos et polis, qui ne caractérisent que les Grecs, les Troyens, et les mythiques Phéaciens), mais il transmet très correctement leur nom. Ivantchik (Le dêmos et la polis des Cimmériens dans l’Odyssée (XI.14) : le contenu de l’image épique, in
Pont-Euxin et Polis, Actes du Xe Symposium de Vani, Besançon 2005, p.83-96) démontre que le chant XI a été rédigé en s'inspirant d'une antique épopée perdue des Argonautiques, et que ces chants se situent à l'extrémité est du monde, en particulier l'île de Circé, bref, cette géographie mythique se place sur le cannevas du Pont-Euxin, les Cimmériens apparaissant à proximité de l'île de Circé, donc à proximité de la Colchide. Ce qui est confirmé par les Annales de Sargon donc.
Par contre à la génération suivante, la situation va singulièrement se compliquer, puisque les Cimmériens sont attestés un peu partout, et semblent s'être divisés en au moins trois branches indépendantes les unes des autres : une partie est restée dans ses vallées caucasiennes ; un second groupe a migré en Médie où ils semblent s'être fixé un temps au sud de cette dernière; et enfin, une branche s'installe en Paphlagonie, entre autres à l'emplacement de la future Sinope, d'où ils irradient dans tous les sens, attestés en Bithynie (encore une fois, ils semblent avoir des liens avec les Mariandyniens, rapprochés à plusieurs reprises), installés un temps en Phrygie même (Stéphane de Byzance: "
Syassos, village de Phrygie. On raconte que les Cimmériens ont trouvé dans ce village des dizaines de milliers (de medimnes) de blé qui se trouvaient dans des greniers souterrains. Ils se nourrirent là-bas longtemps de ce blé."), en Mysie où la ville d'Antandros fut nommée un temps Cimmeris (Pline V.32.2 et Stéphane de Byzance, s.v. Antandros), sans compter les raids en Lydie, en Cilicie où ils interviennent d'ailleurs souvent apparemment.
Bref, tout porte à penser que ce royaume caucasien de la fin du VIIIe a servi de point de départ à toutes ces branches. En même temps, cela est instructif quant à leur organisation politique. Apparemment, rien de coordonné, chaque groupe fait ce que bon lui semble ; plus une association temporaire de tribus qu'un "peuple" au sens propre, ce que laisse entendre aussi Strabon lorsqu'il évoque les Trères de Cobos, "peuple d'origine cimmérienne" mais dont il sépare les expéditions des autres invasions cimmériennes (comme celle de Lygdamis).