Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse d'une réalité ibère ou celtibère ; la version d'Appien, Ibérique, 96-97 (qui suit le récit de Polybe, témoin oculaire, suivi également par Strabon III.4.11 et Tite-Live, Periochae, 59) si elle confirme une vague de suicide à la veille de la reddition, les conditions sont très différentes, variées et loin d'être aussi absolue que l'extrait de Valère Maxime veut bien le faire entendre.
Du coup, je m'interroge sur la source. Des histoires de suicides reviennent assez souvent dans l’œuvre de Valère Maxime, apparemment fasciné et très favorable à cette pratique. Pour le cas de Numance, Florus II.18 reprend le même scenario : "finalement sous la conduite de Rhécogène, ils se détruisirent eux, les leurs et leur patrie, par le fer, le poison et l'incendie qu'ils avaient allumé partout. Gloire à cette cité si vaillante, et, à mon avis, si heureuse dans son malheur même ! Elle défendit loyalement ses alliés ; avec ses seules ressources elle résista si longtemps à un peuple soutenu par les forces de l'univers. Enfin, abattue par le plus grand des généraux, elle ne laissa dans sa chute aucun sujet de joie à l'ennemi. Pas un seul Numantin ne put être emmené chargé de chaînes. Il n'y eut pas de butin, car ils étaient très pauvres, et ils brûlèrent eux-mêmes leurs armes. Rome ne triompha que d'un nom." On trouve aussi de nombreux récits de suicide collectifs dans la Bibliothèque de Diodore, lui aussi fasciné. Par exemple, XVII.27, XVIII.22, ou XXV.17 (à peu près contemporain de Numance) : "Après la prise de la ville de Victomela, les habitants se réfugièrent dans leurs maisons, auprès de leurs enfants et de leurs femmes, pour y trouver une dernière consolation, si toutefois les larmes et les embrassements de ceux qui vous sont chers peuvent être une consolation pour ceux qui doivent mourir. La plupart d'entre eux mirent le feu à leurs maisons, se jetèrent dans les flammes avec leur famille, et trouvèrent un tombeau sous les cendres de leurs foyers. Quelques-uns eurent assez de force d'âme pour tuer auparavant les leurs et se donner ensuite la mort eux-mêmes, aimant mieux tomber par leurs propres mains que par celles d'un ennemi insolent." Bref, on est en plain dans un topos littéraire, la bravoure et la fureur du barbare portée à son paroxysme.
La question ne serait donc pas tant ce que représente la décapitation pour les Numantins, mais ce que représente la décapitation aux yeux des Latins qui attribuent après coup cet acte spécifique aux Celtibères, dans une surenchère de "barbar-attitude".
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