La seule source sur le pouvoir de cet Herméias de Carie provident du livre V de Polybe (§41-57) qu’il convient de lire avant toute chose, une source qui lui est extrêmement hostile et qui vise à dédouaner Antiochos de la responsabilité de toutes les erreurs du début du règne.
Ces révoltes à l’est comme à l’ouest sont un héritage familiale : son père et son frère ont été victimes de sempiternelles révoltes en Asie Mineure et dans les Hautes Satrapies, sanctionnées par des défaites cinglantes aussi bien contre les Parthes que contre les rois de Pergame, qui l’un et l’autre favorisent les mouvements autonomistes contre une monarchie alors en plein déclin, tandis qu’au sud les Lagides profitent eux aussi de l’affaiblissement du pouvoir.
En soit, les révoltes de Molon et d’Achaios sont dans la continuité des décennies précédentes, Herméias ne doit pas y être pour grand-chose : l’un et l’autre ont été nommés alors que l’armée royale était vaincu et en retraite ; laissés à eux-mêmes, on peut comprendre leur tentation de jouer leur propre carte.
Par contre, c’est Herméias qui tient les rênes du pouvoir depuis plusieurs années, qui place ses créatures aux postes clés et se donne beaucoup de mal pour museler ses opposants (comme Epigénès, l’autre homme fort envahissant). Quand Antiochos hérite du trône, il est déjà englué dans cette toile, un peu comme Alexandre qui doit son trône à Antipater et à Parménion et doit subir leur influence la première partie de son règne, jusqu’à ce qu’il se débarrasse manu-militari du second ; ou pour donner un parallèle perse, Darius III et Bagoas. De la même manière, Antiochos se débarrassera de ses envahissants tuteurs, d’abord Epigénès bien trop influent sur les troupes, puis Herméias, lorsque celui-ci sera affaibli (par l’échec de ses protégés Xénon, Théodote et Xénétos ; par son incapacité à régler le problème qui va de mal en pis ; enfin la victoire d’Antiochos provoque le renouvellement des satrapes d’Orient déboulonnés par Molon ; des hommes nouveaux, non impliqués dans les intrigues, bénéficient de ces postes) tandis que l’aura du roi commence à prendre de l’ampleur (il l’emporte personnellement contre Molon, alors que l’aile de Herméias ne brille pas ; puis soumet personnellement Artabarzane, tandis que les désastres successifs puis la mort d’Epigène lui permet de remplacer le personnel à l’armée et à la cour). Bref, dès qu’il se sent assez fort, Antiochos se débarrasse de l’encombrant tuteur sur le déclin.
Autrement dit, l’affaire Molon a précipité la chute d’Herméias, en le privant du soutien des militaires de son parti (lui-même n’étant pas stratège), en renouvelant une partie de l’administration à ses dépends, et en renforçant le pouvoir du souverain qui gagne sa légitimité par sa victoire, contre les conseils de son mentor. Une lutte d’influence entre le clan Molon et le clan Herméias a pu favoriser la révolte, comme l’entend Polybe, mais globalement, la situation était déjà à la base très propice aux mouvements d’autonomie, surtout face un roi qui n’est encore qu’un blanc-bec sans prestige militaire, qui est la base du pouvoir des monarques hellénistiques. En étant vaincus partout, son père et son frère ont décrédibilisés la dynastie, tandis que les gouverneurs militaires qui limitent la casse et possèdent une très large autonomie aux frontières bénéficient d’un prestige accru et de ressources élargies pour subvenir à leurs tâches.
Pour l’affaire d’Achaios, les premiers remous ont été dénoncés par Herméias, mais le principal responsable est à la cour lagide, bien plus que l’influence d’un Herméias en perte de vitesse. On remarque d’ailleurs l’hostilité de la source de Polybe dans cette affaire, puisque dans un premier temps il accuse le Carien d’avoir forgé une lettre fictive dénonçant l’accointance entre Achaios et les Lagides, et plus loin constate simplement le fait, visiblement pas si imaginaire que ça… En tout cas, l’exécution n’est pas directement liée à la révolte d’Achaios, si ce n’est qu’elle a contribué à affaiblir son influence.
Attention aux jugements de valeurs (« déloyal, cruel et lâche ») : on n'en sait rien ; c’est ce que veut nous faire croire la source hostile utilisée par Polybe, mais rien n’est moins sur… l’ennemi politique vaincu est noirci, par l’historiographie royale elle-même qui se dédouane ainsi de ses erreurs et justifie ses meurtres du début du règne, mais les raisons sont bien plus subtiles que la soit-disante méchanceté du vilain.
PS : Herbert, Gruzez, Bouchitté, Barberet,
Leçons d'histoire, T. I, in
Cours complet d'éducation pour les filles, 1923
Euuh… hum !