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 Sujet du message : Antiochos III et Hermias
Message Publié : 16 Déc 2012 13:44 
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Bonjour,

Dans les premières années du règne d'Antiochos III, le pouvoir était détenu par Hermias Carrien. Il semble que d'autres membres de la cour ou princes provinciaux aient voulu profiter du jeune âge du nouveau roi pour s'émanciper : Molon, gouverneur des Hautes Satrapies (222 av. J.C), Achaois, gouverneur d'Asie mineur (220 av. J.C.), etc. L'insurrection de Molon est parfois présentée comme une réaction au pouvoir de Hermias Carrien (Polybe V, 41).

Au cours de l'insurrection d'Achaois, Antiochos III fit exécuter Hermias Carrien (Sartre Maurice, L'Anatolie hellénistique de l’Égée au Caucase, 2003), car "son administration cruelle [du royaume] en était la cause" (Herbert, Gruzez, Bouchitté, Barberet, Leçons d'histoire, T. I, in Cours complet d'éducation pour les filles, 1923, p. 142). Selon Edouard Will, il s'agit d'un personnage déloyal, cruel et lâche (Will Edouard, "Les premières années du règne d'Antiochos III (223-219 av. J.C.)", in Revue des études grecques, 1962, p. 79).

L'insurrection d'Achaois est-elle la vraie raison de l'exécution de Hermias Carrien ?
Antiochos III ne craignait-il pas que ce personnage se rebelle à son tour contre son autorité ?

Quelle fut la réaction de Hermias Carrien face aux révoltes de Molon et d'Achaois ?

Je vous remercie de vos réponses,

Jadis

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 Sujet du message : Re: Antiochos III et Hermias
Message Publié : 16 Déc 2012 16:19 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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La seule source sur le pouvoir de cet Herméias de Carie provident du livre V de Polybe (§41-57) qu’il convient de lire avant toute chose, une source qui lui est extrêmement hostile et qui vise à dédouaner Antiochos de la responsabilité de toutes les erreurs du début du règne.

Ces révoltes à l’est comme à l’ouest sont un héritage familiale : son père et son frère ont été victimes de sempiternelles révoltes en Asie Mineure et dans les Hautes Satrapies, sanctionnées par des défaites cinglantes aussi bien contre les Parthes que contre les rois de Pergame, qui l’un et l’autre favorisent les mouvements autonomistes contre une monarchie alors en plein déclin, tandis qu’au sud les Lagides profitent eux aussi de l’affaiblissement du pouvoir.
En soit, les révoltes de Molon et d’Achaios sont dans la continuité des décennies précédentes, Herméias ne doit pas y être pour grand-chose : l’un et l’autre ont été nommés alors que l’armée royale était vaincu et en retraite ; laissés à eux-mêmes, on peut comprendre leur tentation de jouer leur propre carte.
Par contre, c’est Herméias qui tient les rênes du pouvoir depuis plusieurs années, qui place ses créatures aux postes clés et se donne beaucoup de mal pour museler ses opposants (comme Epigénès, l’autre homme fort envahissant). Quand Antiochos hérite du trône, il est déjà englué dans cette toile, un peu comme Alexandre qui doit son trône à Antipater et à Parménion et doit subir leur influence la première partie de son règne, jusqu’à ce qu’il se débarrasse manu-militari du second ; ou pour donner un parallèle perse, Darius III et Bagoas. De la même manière, Antiochos se débarrassera de ses envahissants tuteurs, d’abord Epigénès bien trop influent sur les troupes, puis Herméias, lorsque celui-ci sera affaibli (par l’échec de ses protégés Xénon, Théodote et Xénétos ; par son incapacité à régler le problème qui va de mal en pis ; enfin la victoire d’Antiochos provoque le renouvellement des satrapes d’Orient déboulonnés par Molon ; des hommes nouveaux, non impliqués dans les intrigues, bénéficient de ces postes) tandis que l’aura du roi commence à prendre de l’ampleur (il l’emporte personnellement contre Molon, alors que l’aile de Herméias ne brille pas ; puis soumet personnellement Artabarzane, tandis que les désastres successifs puis la mort d’Epigène lui permet de remplacer le personnel à l’armée et à la cour). Bref, dès qu’il se sent assez fort, Antiochos se débarrasse de l’encombrant tuteur sur le déclin.

Autrement dit, l’affaire Molon a précipité la chute d’Herméias, en le privant du soutien des militaires de son parti (lui-même n’étant pas stratège), en renouvelant une partie de l’administration à ses dépends, et en renforçant le pouvoir du souverain qui gagne sa légitimité par sa victoire, contre les conseils de son mentor. Une lutte d’influence entre le clan Molon et le clan Herméias a pu favoriser la révolte, comme l’entend Polybe, mais globalement, la situation était déjà à la base très propice aux mouvements d’autonomie, surtout face un roi qui n’est encore qu’un blanc-bec sans prestige militaire, qui est la base du pouvoir des monarques hellénistiques. En étant vaincus partout, son père et son frère ont décrédibilisés la dynastie, tandis que les gouverneurs militaires qui limitent la casse et possèdent une très large autonomie aux frontières bénéficient d’un prestige accru et de ressources élargies pour subvenir à leurs tâches.

Pour l’affaire d’Achaios, les premiers remous ont été dénoncés par Herméias, mais le principal responsable est à la cour lagide, bien plus que l’influence d’un Herméias en perte de vitesse. On remarque d’ailleurs l’hostilité de la source de Polybe dans cette affaire, puisque dans un premier temps il accuse le Carien d’avoir forgé une lettre fictive dénonçant l’accointance entre Achaios et les Lagides, et plus loin constate simplement le fait, visiblement pas si imaginaire que ça… En tout cas, l’exécution n’est pas directement liée à la révolte d’Achaios, si ce n’est qu’elle a contribué à affaiblir son influence.

Attention aux jugements de valeurs (« déloyal, cruel et lâche ») : on n'en sait rien ; c’est ce que veut nous faire croire la source hostile utilisée par Polybe, mais rien n’est moins sur… l’ennemi politique vaincu est noirci, par l’historiographie royale elle-même qui se dédouane ainsi de ses erreurs et justifie ses meurtres du début du règne, mais les raisons sont bien plus subtiles que la soit-disante méchanceté du vilain.

PS : Herbert, Gruzez, Bouchitté, Barberet, Leçons d'histoire, T. I, in Cours complet d'éducation pour les filles, 1923
Euuh… hum ! :wink:


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 Sujet du message : Re: Antiochos III et Hermias
Message Publié : 16 Déc 2012 16:44 
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Thersite a écrit :
Par contre, c’est Herméias qui tient les rênes du pouvoir depuis plusieurs années, qui place ses créatures aux postes clés et se donne beaucoup de mal pour museler ses opposants (comme Epigénès, l’autre homme fort envahissant).

J'en déduis, donc, que ces deux insurrections sont perçues comme des oppositions à sa propre tenue du pouvoir et que Hermias n'intrigue pas pour s'en servir comme des diversions pour ses adversaires à la cour royale.

Thersite a écrit :
De la même manière, Antiochos se débarrassera de ses envahissants tuteurs, d’abord Epigénès bien trop influent sur les troupes, puis Herméias, lorsque celui-ci sera affaibli (par l’échec de ses protégés Xénon, Théodote et Xénétos ; par son incapacité à régler le problème qui va de mal en pis [...].

Thersite a écrit :
Autrement dit, l’affaire Molon a précipité la chute d’Herméias, en le privant du soutien des militaires de son parti (lui-même n’étant pas stratège), en renouvelant une partie de l’administration à ses dépends, et en renforçant le pouvoir du souverain qui gagne sa légitimité par sa victoire, contre les conseils de son mentor.

Vous sous-entendez que l'échec de ses protégés a causé sa perte parce qu'elle l'a décrédibilisé politiquement et militairement, ou parce qu'ils [ses protégés] constituaient son dernier rempart à son éviction par le nouveau roi ?

Thersite a écrit :
Attention aux jugements de valeurs (« déloyal, cruel et lâche ») : on n'en sait rien ; c’est ce que veut nous faire croire la source hostile utilisée par Polybe, mais rien n’est moins sur… l’ennemi politique vaincu est noirci, par l’historiographie royale elle-même qui se dédouane ainsi de ses erreurs et justifie ses meurtres du début du règne, mais les raisons sont bien plus subtiles que la soit-disante méchanceté du vilain.

Je vous suis sur ce point d'objectivité, mais Edouard Will reconnaît que la quasi-totalité des analyses du règne de Hermias Carrien le présente sous ce jour. Certes, le jugement de Will est peut-être trop porté au sentiment (en particulier cruel et lâche), mais peut-on s'accorder à le qualifier d'opportuniste ?

Thersite a écrit :
PS : Herbert, Gruzez, Bouchitté, Barberet, Leçons d'histoire, T. I, in Cours complet d'éducation pour les filles, 1923
Euuh… hum ! :wink:

Je sais... :rool:
Je l'ai trouvé par GoogleBooks et je trouvais la citation assez éloquente. Je n'ai parcouru que le passage sur l'histoire antique (de Bouchitté).

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« But thought's the slave of life, and life's time fool. » (William Shakespeare)


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 Sujet du message : Re: Antiochos III et Hermias
Message Publié : 16 Déc 2012 16:56 
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Inscription : 04 Déc 2011 22:26
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Localisation : Paris
Jadis a écrit :
Thersite a écrit :
PS : Herbert, Gruzez, Bouchitté, Barberet, Leçons d'histoire, T. I, in Cours complet d'éducation pour les filles, 1923
Euuh… hum ! :wink:

Je sais... :rool:
Je l'ai trouvé par GoogleBooks et je trouvais la citation assez éloquente. Je n'ai parcouru que le passage sur l'histoire antique (de Bouchitté).

Je me cherche des excuses, mais cette source est vraiment ridicule ! :rool:
J'aurais dû rester dans le forum des questions contemporaines (ma spécialité), mais je viens de lire dernièrement deux livres très intéressants sur le partage de l'empire d'Alexandre et les royaumes séleucides et les pages sont parsemées de notes au crayon, d'interrogations, de lectures à faire pour approfondir tel ou tel point de ces livres.

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 Sujet du message : Re: Antiochos III et Hermias
Message Publié : 16 Déc 2012 17:39 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Jadis a écrit :
J'en déduis, donc, que ces deux insurrections sont perçues comme des oppositions à sa propre tenue du pouvoir . . .

C’est ce que sous entend nettement la source de Polybe, d’une part comme prétexte brandis par les rebelles (classique, c’est toujours la fôte du mauvais conseiller), et d’autre part en insistant sur l’attachement de la troupe à la personne du roi et aux ralliements que provoqueraient et provoquèrent sa seule apparition sur le champs de bataille.

Jadis a écrit :
. . . et que Hermias n'intrigue pas pour s'en servir comme des diversions pour ses adversaires à la cour royale.

Herméias entend profiter de la situation pour alourdir sa main-mise dans les affaires face à ces menaces diverses, d’après Polybe. Et effectivement, c’est sa stratégie qui est imposée, même si elle est mauvaise, même si elle échoue dans un premier temps. La menace renforce son pouvoir, sauf que… il se plante. Sa stratégie est désastreuses, deux armées détruites, toutes les hautes satrapies tombées, et il est contraint de faire marche arrière et d’adopter la stratégie de ses détracteurs, avec intervention personnelle du roi : la victoire ne sera donc pas de son fait comme il l’espérait, mais de celui du jeune souverain qui gagne en légitimité et donc en indépendance ; pour lui, c’est le début de la fin, il n’est plus indispensable.

Jadis a écrit :
Vous sous-entendez que l'échec de ses protégés a causé sa perte parce qu'elle l'a décrédibilisé politiquement et militairement, ou parce qu'ils [ses protégés] constituaient son dernier rempart à son éviction par le nouveau roi ?

Lui-même n’est pas un militaire, mais il pouvait compter sur les réussites de ses créatures. Après tous ces désastres, et encore son action peu décisive dans l’ultime bataille, il perd toute crédibilité auprès de l’armée, au bénéfice de son vieil adversaire Epigénès, et l’épuration des cadres militaires mais aussi civiles (les satrapes de haute Asie) n’a pu se faire qu’on son dépend. Son clan se délite. Mais au début de la campagne, il est à l’apogée de sa puissance, c’est lui qui prend toutes les décisions et l’emporte au Conseil.

Jadis a écrit :
Certes, le jugement de Will est peut-être trop porté au sentiment (en particulier cruel et lâche), mais peut-on s'accorder à le qualifier d'opportuniste ?

On a qu’une source, et une source hostile ; rien pour croiser les informations, et aucun renseignement précis sur sa carrière. Cruel, lâche, c’est du baratin, on en décore systématiquement ses ennemis politiques. Opportuniste, sans doute puisqu’il joue sa carte ; mais il reste néanmoins au service des dynastes successifs (au moins deux, Séleucos IIII et Antiochos III) dans une situation très difficile, assurant la pérennité de la dynastie qui a connu 4 rois en 4 ans… Tout n’est que question de point de vue finalement. Parménion aussi a profité et abusé de la position de faiblesse d'Alexandre au début de son règne.

Jadis a écrit :
J'aurais dû rester dans le forum des questions contemporaines (ma spécialité), mais je viens de lire dernièrement deux livres très intéressants sur le partage de l'empire d'Alexandre et les royaumes séleucides et les pages sont parsemées de notes au crayon, d'interrogations, de lectures à faire pour approfondir tel ou tel point de ces livres.

Il n’y a pas à t’excuser, c’est toujours intéressant d’approfondir une lecture et de sortir de ses sentiers battus ; ce n’était pas une critique, juste un petit coup de coude amical pour ne pas s’embrouiller dans des références sans intérêt.


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