Rassurez vous, je trouve moi aussi cette discussion très intéressante.
adrien64 a écrit :
Oui mais celle de 1789, la situation du tiers état s'est amélioré tout de même, non? et ce dans tout le pays. A l'inverse, il me semble que les révolutions de 1830 surtout et 1848 n'ont profité qu'aux parisiens et à ceux qui avaient déja le pouvoir. En 1789, les hommes qui sont à la tête de l'Etat changent, il y a un profond bouleversement dans la composition des hommes de pouvoir. J'ai le sentiment que ce n'est pas le cas pour les deux autres.
Il me semble très paradoxal de dire que ces révolutions ont profité uniquement "aux Parisiens" : s'ils sont les principaux acteurs, ils sont aussi les principales victimes... En 1830, les manifestants/insurgés voulaient la République et se retrouvent avec une monarchie ; dans les années qui suivent (notamment en 1832), plusieurs tentatives insurrectionnelles républicaines échouent, réprimées dans le sang. Idem en 48, avec les Journées de Juin puis les victoires du parti du l'Ordre et les lois qui restreignent la démocratie.
Ensuite, les acquis politiques de ces révolutions ont bénéficié à tout le monde (d'un point de vue géographique), je pense notamment au suffrage universel, qui naturellement ne bénéficie pas qu'aux Parisiens...
D'une manière générale, il est vrai que l'on présente souvent le XIX° siècle français comme une période troublée (vrai) où Paris impose sans cesse sa volonté à la province. On pourrait probablement consacrer un sujet entier à la question, mais cette perspective me semble en grande partie erronée : d'une part, il existe des soutiens en province aux révolutions parisiennes (dans les grandes villes, mais aussi dans les campagnes "rouges" qui apparaissent de plus en plus clairement en 1848), voire même des devancements, comme en 1870 où la République est proclamée à Lyon avant même de l'être à Paris. D'autre part, au final les révolutions ont à chaque fois été vaincues et c'est bien plus la volonté de la "province" (pour aller vite) qui s'est imposée aux Parisiens (et plus généralement aux républicains/démocrates/socialistes, etc.) que l'inverse.
Quant aux hommes au pouvoir, dans un premier temps, en 48 surtout, ils changent : si l'on se limite au gouvernement provisoire de février, tous les ministres ont certes été député sous la monarchie de juillet, mais tous dans l'opposition, sans exercer le pouvoir. Et ceux qui sont membres du gouvernement sans portefeuille sont encore plus neufs si j'ose dire (voir Louis Blanc, ou l'ouvrier Albert). De plus, dans les départements on observe un grand bouleversement dans les fonctionnaires, en premier lieu chez les préfets. Après Juin et en 1849 en revanche, des anciens hommes reviennent sur le devant de la scène, comme Thiers...mais se profile aussi déjà la "clique" bonapartiste...
adrien64 a écrit :
Est-ce que des personnes sont d'accord pour dire que la révolution de 1848 est essentielle car elle marque une transition entre la révolution de 1789 et ses héritages et la révolution en Russie de 1917 car 1848 marque le premier mouvement prolétaire?
On peut dire une chose pareille seulement en adoptant une vision téléologique à mon avis... Sans même aborder la question (pourtant essentielle) du caractère prolétarien d'Octobre, c'est poser la question, classique dans l'historiographie pendant très longtemps, des rapports entre révolutions françaises et révolution ouvrière/socialiste. Là encore il y a beaucoup à dire, mais pour aller vite :
1/ des mouvements ouvriers existaient bien avant 1848, même si cette révolution pose pour la première fois de façon aussi pressante la question du socialisme et de la prise en compte des revendications ouvrières
2/ Dès la Révolution française la question de la répartition des richesses et d'une égalité sociale s'est posée : l'héritage de la Révolution française ne se limite pas à 1789, c'est aussi 93-94, ou encore les hébertistes, les Enragés, les babouvistes, etc., traditions qui sont bien vivantes et mobilisées pendant tout le XIX° siècle par les républicaines et révolutionnaires radicaux (par l'intermédiaire de Buonarroti notamment)
3/ pour les révolutionnaires russes, et à leur suite les historiens communistes traditionnels (qui ont une vision quelque peu téléologique de l'histoire), ce n'est pas tellement 48 qui sert de transition, mais bien plus la Commune de Paris de 1871, qui concentre toutes ces traditions mais aussi les mouvements ouvriers plus récents (comme les socialistes de l'AIT). Il suffit pour s'en rendre compte de lire les livres d'Agulhon sur 1848 qui essaient de sortir les Quarante-huitards du mépris des marxistes orthodoxes (les hommes de 48 sont des bourgeois et des traitres), mais aussi ceux de Rougerie, par exemple, sur la Commune, qui lutte contre la captation de 1871 par ces mêmes historiens et hommes politiques de 1917.