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Message Publié : 11 Mars 2013 11:37 
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Georges Duby
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Votre argumentation est basée sur la Libre parole et le fait qu'au sein de l'Etat-major la qualité de juif de Dreyfus a semblé une aubaine à exploiter. Mais je continue à penser que l'antisémitisme n'est pas dans le débat public l'essentiel et je m'appuye sur Michel Winock pour dire que les français croient à la culpabilité de Dreyfus parce qu'il leur semble qu'un Conseil de guerre n'a pas pu se tromper et non par antisémitisme. La Chambre refusera de défendre Dreyfus en 1896 en se déclarant " unie dans un élan patriotique ... du traitre Dreyfus ... ". Méline à la Chambre en 1878: " il n'y a pas d'affaire Dreyfus ". C'est de la protection de l'armée et du patriotisme qu'il s'agit.
Winock: " La dessus se greffe la campagne des antisémites: l'hystérie dénonciatrice d'un Edouard Drumont ... le populisme catholique des révérends pères assomptionnistes de la croix, la démagogie d'un henri Rochefort à l'Intransigeant. mais le premier antidreyfusisme déborde de très loin les rangs des antisémites. C'est la sauvegarde de l'armée qui est en jeu, son honneur, la discipline de ses troupes et finalement son efficacité future sur le champ de bataille " Tout est là, l'antisémitisme existe mais il n'est pas l'essentiel de l'affaire Dreyfus.

Si vous lisez le numéro spécial de la revue L'Histoire sur l'affaire Dreyfus, édité en poche dans la collection L' Histoire, du Seuil, en 1998, un ouvrage pratique et clair, vous trouverez également une interview d'une autre spécialiste de Dreyfus et de la période, Madeleine Rebeyrioux que je cite p. 260:
" L'Histoire: trouvez vous qu'on a trop tendance aujourd'hui à lire l'affaire à travers le prisme de l'antisémitisme:
Réponse de MR: ... cette tendance est récente ... la place que nous accordons aujourd'hui à l'antisémitisme dans l'affaire Dreyfus ne correspond pas aux perceptions de l'époque ... peu de dreyfusards (à part Zola, Lazare et Basch dit-elle) se sont engagés au nom du seul refus de l'antisémitisme ... Et d'autres motivations que la haine des juifs ont animé nombre d'anti-dreyfusards -à commencer par le culte de l'armée. "


Il s'agit d'un regard neuf d'historiens spécialistes de l'Affaire, qui peut surprendre tant l'habitude avait été prise d'axer l'affaire sur l'antisémitisme comme l'explique longuement Madeleine Rebérioux dasn cette interview de grande qualité très argumentée, qui surprendra ceux qui n'ont pas lu récemment sur le sujet et reprennent l'ancienne présentation de l'Affaire tant ancrée dans les esprits.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 11 Mars 2013 12:11 
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Salluste
Salluste

Inscription : 01 Oct 2012 10:48
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Dreyfus n'était pas seulement Juif , mais aussi polytechnicien , ce qui dans l'Armée de l'époque pouvait etre une cause supplémentaire de discrédit , avec un Etat-Major où les "cavaliers" dominaient
Mon père était officier de Marine ( de la promotion de Darlan et Muselier ) Je sais par lui combien à cette époque les "X" étaient mal vus dans la marine : dans l'Armée de Terre , ça ne devait pas etre très différent


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Message Publié : 11 Mars 2013 14:43 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 17 Mars 2008 11:47
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Alain.g a écrit :
Votre argumentation est basée sur la Libre parole et le fait qu'au sein de l'Etat-major la qualité de juif de Dreyfus a semblé une aubaine à exploiter.

Etes vous donc aveugle ? Je vous cite trois quotidiens qui ne sont pas la Libre Parole, et vous persistez à nier la réalité ? Etes-vous seulement allé lire les articles dont j'ai placé les liens ?
Oui je persiste à dire que dans la Première affaire Dreyfus, l'antisémitisme a joué un rôle prépondérant. En d'autres termes, j'affirme que si Alfred Dreyfus n'avait pas été juif, cela se serait passé différemment pour lui.
Alfred Dreyfus en a eu conscience, puisque lorsque son avocat est venu lui annoncer le verdict, il a crié :"Mon crime est d'être né juif".

Alain.g a écrit :
Mais je continue à penser que l'antisémitisme n'est pas dans le débat public l'essentiel et je m'appuye sur Michel Winock pour dire que les français croient à la culpabilité de Dreyfus parce qu'il leur semble qu'un Conseil de guerre n'a pas pu se tromper et non par antisémitisme.

Ici vous passez à la seconde affaire Dreyfus.
Moi, je parle de la première. On ne parle pas de la même chose.

Alain.g a écrit :
La Chambre refusera de défendre Dreyfus en 1896 en se déclarant " unie dans un élan patriotique ... du traitre Dreyfus ... ". Méline à la Chambre en 1878: " il n'y a pas d'affaire Dreyfus ". C'est de la protection de l'armée et du patriotisme qu'il s'agit.

La Chambre n'a pas à défendre Dreyfus. Elle prend des positions politiques, puisque c'est sur ce terrain que les militaires ont amené l'opinion à cette période de l'affaire. Pour ma part je ne conteste pas le fait que les causes de l'antidreyfusisme de la deuxième affaire Dreyfus soient multifactorielles. Encore une fois ce n'est pas le sujet du fil.

Alain.g a écrit :
Winock: " La dessus se greffe la campagne des antisémites: l'hystérie dénonciatrice d'un Edouard Drumont ... le populisme catholique des révérends pères assomptionnistes de la croix, la démagogie d'un henri Rochefort à l'Intransigeant. mais le premier antidreyfusisme déborde de très loin les rangs des antisémites. C'est la sauvegarde de l'armée qui est en jeu, son honneur, la discipline de ses troupes et finalement son efficacité future sur le champ de bataille " Tout est là, l'antisémitisme existe mais il n'est pas l'essentiel de l'affaire Dreyfus.

On est en plein dans la deuxième affaire Dreyfus. Personne ne conteste que le nationalisme soit pluriel et pas forcément antisémite.

Alain.g a écrit :
Si vous lisez le numéro spécial de la revue L'Histoire sur l'affaire Dreyfus, édité en poche dans la collection L' Histoire, du Seuil, en 1998, un ouvrage pratique et clair, vous trouverez également une interview d'une autre spécialiste de Dreyfus et de la période, Madeleine Rebeyrioux que je cite p. 260:
" L'Histoire: trouvez vous qu'on a trop tendance aujourd'hui à lire l'affaire à travers le prisme de l'antisémitisme:
Réponse de MR: ... cette tendance est récente ... la place que nous accordons aujourd'hui à l'antisémitisme dans l'affaire Dreyfus ne correspond pas aux perceptions de l'époque ... peu de dreyfusards (à part Zola, Lazare et Basch dit-elle) se sont engagés au nom du seul refus de l'antisémitisme ... Et d'autres motivations que la haine des juifs ont animé nombre d'anti-dreyfusards -à commencer par le culte de l'armée. "

C'est ça que vous appelez récent ? Je peux vous dire qu'en quinze ans il est paru beaucoup d'autres livres.
Au passage, Madeleine Rébérioux vous donne un démenti puisqu'elle a l'air de dire que Zola s'est engagé contre l'antisémitisme avant tout, ce que vous niez dans un de vos précédents posts.

J'en profite pour vous dire que vous avez tort de prendre "J'Accuse...!" pour un texte d'histoire. Il ne l'est pas du tout, c'est un pamphlet. Son objet est d'être accusatoire, excessif, et de tomber sous le coup de la loi sur la diffamation passible des Assises. Le texte de Zola est bourré d'erreurs historiques, ce qui est normal, puisqu'à cette époque, personne ne connaissait exactement les ressorts de l'affaire ni les responsabilités exactes.
C'est donc un très beau texte, à lire sous un angle critique, et pas du tout une référence historique.

Alain.g a écrit :
Il s'agit d'un regard neuf d'historiens spécialistes de l'Affaire, qui peut surprendre tant l'habitude avait été prise d'axer l'affaire sur l'antisémitisme comme l'explique longuement Madeleine Rebérioux dasn cette interview de grande qualité très argumentée, qui surprendra ceux qui n'ont pas lu récemment sur le sujet et reprennent l'ancienne présentation de l'Affaire tant ancrée dans les esprits.

On est en 2013, et le texte de Mme Rébérioux date de quinze ans. Ce n'est pas récent...
Par ailleurs son interview porte sur la deuxième affaire Dreyfus, pas sur la première qui a abouti à la première condamnation. Restez dans le sujet s'il vous plaît.

taloslecyborg a écrit :
Dreyfus n'était pas seulement Juif, mais aussi polytechnicien , ce qui dans l'Armée de l'époque pouvait etre une cause supplémentaire de discrédit , avec un Etat-Major où les "cavaliers" dominaient.

C'est juste, c'est d'ailleurs un facteur mis en lumière par Vincent Duclert et André Bach. Il a pu en effet jouer un rôle, mais en sous-terrain, car cet antagonisme n'a jamais été ouvertement étalé.


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Message Publié : 11 Mars 2013 16:24 
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Georges Duby
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Il y a une différence d'appréciation de l'Affaire Dreyfus entre les deux positions. Normal pour une affaire politique de cette ampleur qui a plusieurs versants et beaucoup de complexité.
Il est vrai que la qualité de juif de Dreyfus va jouer un rôle et qu'une partie de la presse exploitera l'affaire en utilisant comme argument l'antisémitisme. Mais le grand débat de l'Affaire n'est évidemment pas pour moi du moins sur cette question, il est sur l'armée, la patrie, la justice, la vérité, c'est ce que je crois comme Winock et Rebérioux tels qu'ils s'expriment dans le remarquable numéro spécial de la revue l'Histoire publié et réédité en poche au Seuil.

On ne parle plus aujourd'hui de l'Affaire comme on le faisait il y a 50 ans. L'antisémitisme n'occupe plus la place centrale et les commentateurs soulignent maintenant qu'il y a eu des dreyfusards pour des raisons autres que le clivage pour ou contre l'antisémitisme, des catholiques par exemple, comme Paul Violet, même le pape de l'époque semble incliner vers le camp de la Justice, les Evêques sont silencieux, les Jésuites aussi, s'il est vrai qu'il y a eu un camp catholique antisémite important et bruyant hors de la hiérarchie qui était anti-dreyfusard et que ce camp a fait du bruit dans la presse notamment.
Des socialistes dreyfusards l'étaient pour la justice et la vérité pas pour protester contre l'antisémitisme. Ils passaient par dessus la religion de Dreyfus quoique dénonçant souvent le capitalisme juif.
Le sémitisme n'est pas l'essentiel du clivage malgré les campagnes de presse.

On peut observer que dans leur histoire du 19è siècle, Berstein et Milza (p. 408-409), résument ainsi l'Affaire Dreyfus:
- "D'un côté les Dreyfusards qui recrutent surtout à gauche chez les socialistes et les radicaux mais aussi chez un certain nombre de républicains modérés qui défendent la vérité la justice, les droits de l'individu et mettent en cause la caste des officiers conservateurs et le cléricalisme. "
- "De l'autre, les anti-dreyfusards insistent sur la défense de l'armée et la raison d'Etat, jugeant que l'intérêt du pays pèse plus que la vie d'un individu.... La presse antisémite et catholique mène le combat anti-dreyfusard (la croix surtout)"
Puis ils exposent l'évolution de l'affaire jusqu'à la grâce et la réhabilitation du capitaine qui sera promu commandant puis Lieutenant-Colonel.
Je trouve dans cette présentation la confirmation de ma thèse.

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Message Publié : 17 Mars 2013 14:54 
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Jean Mabillon
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Je crois qu'Alain G a raison

Un autre argument : après 1906 Dreyfus rentre dans la vie privée et s'abstient de participer à toute opération politique. J'ai lu aussi qu'il avait été mécontent de la récupération de sa cause par des courants antimilitaristes.

A lire aussi un livre intéressant sur le tout début de l'Affaire : "le dossier secret" de Pierre Gervais qui décrit en détail l'espionnage, le contre espionnage et la diplomatie à Paris dans les années 1880/1895.


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Message Publié : 19 Mars 2013 9:42 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Aigle a écrit :
Je crois qu'Alain G a raison

A quel propos ?

Aigle a écrit :
Un autre argument : après 1906 Dreyfus rentre dans la vie privée et s'abstient de participer à toute opération politique. J'ai lu aussi qu'il avait été mécontent de la récupération de sa cause par des courants antimilitaristes.

Je ne comprends pas votre argumentation.
Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que Alfred Dreyfus se range à l'issue de sa réhabilitation ?
Par ailleurs, officier et patriote, aidé par de nombreux officiers dans la lutte pour sa réhabilitation, on peut comprendre qu'Alfred Dreyfus n'ait pas été d'accord avec une récupération antimilitariste de son affaire.
Mais je ne vois pas en quoi ce point soutiendrai la question de l'antisémitisme.

Aigle a écrit :
A lire aussi un livre intéressant sur le tout début de l'Affaire : "le dossier secret" de Pierre Gervais qui décrit en détail l'espionnage, le contre espionnage et la diplomatie à Paris dans les années 1880/1895.

C'est un livre intéressant en effet, mais qui ne traite comme vous le, dites, que de la première affaire Dreyfus.
Or juste avant, nous parlions de la deuxième...


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Message Publié : 19 Mars 2013 11:41 
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Pierre Nord fait état du fait que tous les anciens du contre-espionnage qu'il a côtoyés étaient certains que l'affaire Dreyfus était une opération d'intoxication qui a mal tourné.

J'ai tendance à croire à cette "solution" de l'affaire, parce que je n'ai jamais bien réussi à croire que l'Etat-Major mette la France au bord de la guerre civile, et montre un entêtement aussi primitif, simplement parce que ces militaires étaient très très méchants et très très antisémites. Je ne suis ni dans leur tête ni dans le contexte de l'époque, mais je trouve que "ça ne le fait pas." L'hypothèse d'une opération d'intoxication leur donne au contraire un motif rationnel de garder Dreyfus comme coupable.

Le point de départ : le général Mercier manipule lui-même Esterhazy, qui refile des vrais et des faux tuyaux aux Allemands en se faisant payer. Bon choix, le personnage est douteux et sa pseudo-trahison vraisemblable. Le problème c'est que Mercier n'a pas prévenu le contre-espionnage français. Celui-ci fait son travail et les corbeilles de l'ambassade d'Allemagne, découvre la "trahison", cherche le traître et déclenche une catastrophe.

Une fois Dreyfus arrêté, il n'est pas possible de crier sur les toits : mais non, c'était Esterhazy, nous intoxiquons les Allemands. Raison d'état, Dreyfus est sacrifié... jusqu'à la déraison d'état. (Si les services allemands n'ont pas compris pourquoi l'état-major protégeait Esterhazy c'est qu'ils étaient vraiment idiots, ce qui ne correspond pas à leur réputation de l'époque.)

L'objectif de l'intoxication aurait été de couvrir la mise au point du canon de 75, une arme très en avance pour l'époque, véritable percée technologique.
Un résumé de cette hypothèse ici : Jean Doise. Quelqu'un a-t-il lu "un secret bien gardé" de cet auteur ?
Une critique de ces arguments ici :Les hypothèses sur l'affaire Dreyfus.

Pour mention, la seule solution technique qu'imagine Pierre Nord pour sortir de l'Affaire : suicider Esterhazy de façon que les services allemands ne puisse douter qu'il s'agit de l'exécution d'un traître par les Français. Il ajoute que c'est une solution que lui-même et ses collègues n'auraient pas eu le coeur d'appliquer.

(Le coup de chance aurait été de trouver un vrai traître et de lui coller sur le dos le "paquet Dreyfus.")

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 19 Mars 2013 12:54 
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Grégoire de Tours
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C'est une question intéressante que celle de se demander si après tout, il n'y a pas "quelque chose" derrière l'affaire Dreyfus.
Une manoeuvre d'intoxication des services de renseignements a souvent été évoquée en effet.
La guerre souterraine que se livraient les services spéciaux des grandes puissances européennes, pouvait en effet permettre de s'interroger.

Jean Doise développe cette hypothèse dans son livre "Un secret bien gardé", paru au moment du centenaire de la condamnation en 1994.
L'hypothèse, c'est que l'armée française a intoxiqué l'armée allemande afin de cacher ses recherches sur le frein hydropneumatique ayant abouti à la mise au point du canon de 75, dont la propagande française a fait grand cas pendant la Grande guerre.
La fin du XIXe siècle est en effet une période de mutation importante sur le plan technique et les futurs belligérants se livrent une guerre du renseignement sans merci afin de connaître les secret du camp d'en face.

Il est établi que des opérations d'intoxication ont eu lieu de part et d'autres. Pendant l'affaire Dreyfus, on a pu recueillir des bribes d'information sur les méthodes du fameux Service de la statistique du colonel Sandherr. C'est ainsi qu'on pu parler à ce propos d'usine à faux.
On peut donc se dire : pourquoi pas ?

Mais cette hypothèse pose deux problèmes.

Le premier, c'est que l'existence du fameux canon de 75 est révélée très tôt dans la presse militaire (avidement décortiquée par le monde de l'espionnage), dès 1896. Il défile même le 14 juillet 1897 à Paris. Alors la question est de savoir pourquoi on a fait durer l'affaire Dreyfus jusqu'en 1906, c'est à dire dix ans après la révélation de l'existence de cette pièce d'artillerie révolutionnaire ?
Il y a là une difficulté importante que Jean Doise n'aborde pas dans son livre. Et qui rend l'hypothèse caduque au fond.

La seconde difficulté, c'est qu'il s'agit d'une thèse qui tend à disculper les série de faussaires et de militaires malhonnêtes qui ont tout tenté pour maintenir Dreyfus au bagne malgré l'évidence de son innocence.
Au fond on faisait dire à ces généraux : "Oui, nous savons Dreyfus innocent, mais vous comprenez, la raison d'état.... l'intérêt supérieur de la Nation... On ne peut pas tout dire..." tout cela affirmé l'air grave. Ce qui permettait de légitimer tous les excès, tous les délits et tous les crimes.
On voit qu'avec le point précédent, cela ne tient pas la route au delà de 1896.

Plus prosaïquement, ce qui explique cet acharnement jusqu'auboutiste, ce sont les forfaitures.
Les hauts dignitaires de l'armée (Mercier, Boisdeffre, Gonse, Billot, Zurlinden, etc.) risquaient des enquêtes parlementaires, et même juste avant le procès de Rennes, Mercier fut sous le coup d'une procédure devant la Haute Cour de justice. Seule la nouvelle condamnation de Dreyfus l'en mit à l'abris.

Le fait d'avoir fourni un dossier secret au Conseil de guerre, sans que la défense en fût informée, ainsi que la destruction de certaines pièces plus la réalisation de faux, mettait en danger l'intégrité de ces hauts responsables.
Pour éviter de se mettre en situation d'accusé, il ont décidé de charger Alfred Dreyfus au maximum, tout au long de l'Affaire, et même après sa fin officielle.

Et le pire, c'est qu'ils ont réussi à s'en sortir puisqu'une loi d'amnistie fut votée en décembre 1900 les mettant à l'abris de toute poursuite à jamais. Aucun d'eux n'eût à répondre de ses actes !


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Message Publié : 19 Mars 2013 14:07 
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HEKTOR a écrit :
Le premier, c'est que l'existence du fameux canon de 75 est révélée très tôt dans la presse militaire (avidement décortiquée par le monde de l'espionnage), dès 1896. Il défile même le 14 juillet 1897 à Paris. Alors la question est de savoir pourquoi on a fait durer l'affaire Dreyfus jusqu'en 1906, c'est à dire dix ans après la révélation de l'existence de cette pièce d'artillerie révolutionnaire ?
Il y a là une difficulté importante que Jean Doise n'aborde pas dans son livre. Et qui rend l'hypothèse caduque au fond.

La seconde difficulté, c'est qu'il s'agit d'une thèse qui tend à disculper les série de faussaires et de militaires malhonnêtes qui ont tout tenté pour maintenir Dreyfus au bagne malgré l'évidence de son innocence.
Au fond on faisait dire à ces généraux : "Oui, nous savons Dreyfus innocent, mais vous comprenez, la raison d'état.... l'intérêt supérieur de la Nation... On ne peut pas tout dire..." tout cela affirmé l'air grave. Ce qui permettait de légitimer tous les excès, tous les délits et tous les crimes.
On voit qu'avec le point précédent, cela ne tient pas la route au delà de 1896.

En fait l'hypothèse c'est que l'affaire Dreyfus est au départ une affaire d'intoxication, qui dégénère en affaire politique. La raison d'état devient au fil du temps une déraison d'état.

Au passage, Jean Doise parle du canon de 75, mais je trouve que c'est un thème d'intoxication qui ne tient que pour 3 ou 4 ans, comme vous le soulignez. Pierre Nord cite aussi les changements de plan de l'état-major, l'offensive devenant possible grâce à l'entente franco-russe.

Ce qui me gêne dans l'hypothèse "intoxication" c'est la protection publique d'Esterhazy par l'état-major. C'est trop voyant pour quelqu'un qu'on essaie de faire passer pour un traître dans l'esprit des Allemands. Disons qu'il met beaucoup de temps avant de s'enfuir pour Londres. (au fait, pourquoi Londres ?) S'il y a eu une affaire d'intoxication, non seulement on n'en sait pas tout, mais en fait on n'en saura jamais rien. :rool:

Mais c'est la seule explication rationnelle que je vois. Au moment où le colonel Picquart démasque Esterhazy, il est encore temps de coffrer Esterhazy et de faire libérer Dreyfus. Aucun tribunal ne condamnera Mercier et Cie pour le coup du dossier secret communiqué aux juges et pas à la défense : ils auraient plaidé le "secret défense" et la bonne foi. Pourquoi prendre le parti de protéger Esterhazy et de fabriquer des faux contre Dreyfus ? C'est un parti pris complètement fou : protéger le véritable traître, ça n'a pas de sens.

Et puis décidément, l'explication par l'antisémitisme me ne convainc pas. Risquer la réputation de l'armée parce qu'on n'aime pas un juif ? ça ne tient pas.

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Message Publié : 19 Mars 2013 17:13 
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Georges Duby
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Localisation : Montrouge
Il ne faut pas oublier que l'armée s'étant fait prendre en flagrant délit de falsification couverte par la hiérarchie, qu'il s'agisse de couvrir ses turpitudes ou celles des services secrets, tout est pareil pour les républicains des années 1890. Comme on sait, ils ont entrepris de consolider la République en s'attaquant à l"Eglise et à l'armée son complice dans leur esprit, car le camp de la République ne s'estime pas encore assez fort.
Les républicains voient alors dans le cas Dreyfus une occasion opportune, dans leur combat, d'abaisser ce corps des officiers qui passe pour majoritairement hostile à la république et de le réorganiser puis de le contrôler au nom de la République. C'est surtout celà, l'affaire Dreyfus, du moins son volet principal sur le plan politique, car il y a aussi un volet antisémite qui fait du bruit mais n'est pas le ressort principal de l'affaire comme j'ai tenté de le démontrer avec l'aide des historiens de référence sur l'Affaire.

Les républicains, parfois antisémites, vont donc sauter sur l'occasion et entamer le procès d'une certaine hiérarchie malgré le désir de revanche sur l'Allemagne et progressivement. Comprenant cet enjeu Jaurès et Clémenceau entre autres, qui n'avaient pas compris en 1994, vont venir dans le camp Dreyfusard, pas pour lutter contre l'antisémitisme comme on l'a cru longtemps, mais pour consolider la République et ses valeurs, la justice, l'égalité, le respect de la vérité, les droits de l'homme. Une immense campagne des droits de l'homme au dessus de la raison d'Etat, défendue par les milieux de droite, commence et elle dure encore avec d'autres clivages.

Mieux, les Républicains voient assez vite que l'affaire a d'autres avantages, elle rassemble les républicains et permet d'éviter à la "gauche" républicaine le reproche de ne pas traiter le problème social qui prend à la fin du 19è siècle une ampleur considérable que les républicains centristes notamment, ne se sentent pas alors en mesure de traiter. L'extrême gauche au sens large est en train d'accroitre son audience. Des grèves dures mettent les républicains en porte à faux.
La gauche républicaine va gagner l'Affaire Dreyfus, le bloc des gauches l'emporte aux élections de 1902 et aussitot il se met au travail pour controler les officiers et ce sera l'affaire des fiches, suite de l'affaire Dreyfus puis la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

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Message Publié : 19 Mars 2013 18:27 
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Philippe de Commines
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Je ne connais pas assez l'affaire Dreyfus pour intervenir au fond (je n'ai lu que le livre de Bredin).
Je me permets juste de vous répondre sur la logique (si j'ai bien compris)
- l'armée a falsifié, et a été couverte par la hiérarchie
- les républicains vont "sauter sur l'occasion".

Que ces falsifications avérées aient desservi l'armée, ou une certaine conception de l'armée, c'est un fait.
Que les républicains aient dénoncé ces falsifications, c'est historique. Que la gauche (Jaurès) soit intervenue tardivement dans l'affaire, c'est un fait. Que la gauche ait longtemps (et par la suite, et encore) assimilé "capitalisme" et "juifs", c'est vrai.
Mais d'où diable sortez-vous que leur motivation (collective) était de nuire à l'armée ? Pourquoi insinuez-vous que les défenseurs des droits de l'homme ont des buts cachés autres que les dits droits ? Et pourquoi la raison d'état serait-elle contraire aux droits de l'homme ? et qu'avait à gagner la raison d'état à condamner un innocent ?
Je ne comprends vraiment pas cette logique (le mot comprendre est ici au sens propre, il ne s'agit pas d'une opinion)

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 19 Mars 2013 18:45 
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Georges Duby
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Localisation : Montrouge
J'ai repris de nombreux ouvrages récents sur l'affaire Dreyfus. Attention, les républicains n'en veulent pas à l'armée mais au corps des officiers qu'ils estiment non républicains, issus des "jésuitières" disent-ils. C'est un thème des années 90-1900 qui se poursuit avec l'affaire des fiches, les officiers suspects de non-républicanisme sont signalés et on freine leur promotion aux grades supérieurs pour avoir des généraux et des officiers supérieurs républicains.
Achetez le numéro spécial de "l'histoire" sur l'affaire Dreyfus dans la collection Historie de poche du Seuil, pour quelques euros avec les articles récents des meilleurs spécialistes sur Dreyfus. J'ai tout repris sans rien ajouter, ayant été convaincu, y compris dans le dernier message. Bredin n'est pas un historien.

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Message Publié : 19 Mars 2013 20:05 
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Localisation : Provinces illyriennes
Sans me prononcer sur l'"Affaire" en elle-même, dont je ne suis pas spécialiste, je souhaite simplement intervenir pour minorer les jugements d'alain sur les relations EMA/Républicains.
Faut-il rappeler que ce sont justement ces Républicains (même si ce sont des "modérés" comme Freycinet, Ribot ou Goblet) qui ont permis la constitution de ce nouvel EMA par les réformes de 1889 et 1890. Ce sont eux qui y ont placé Miribel et Boisdeffre.
Le contexte de l'alliance franco-russe, je veux bien, mais ce sont encore ces officiers supérieurs qui ont rendu possible celle-ci. L'EMA est puissant au milieu des années 1890, mais pas hostile à la République, il s'en accomode fort bien tant qu'une revanche contre l'Allemagne est possible.
Est-ce une opération d'intox pour répondre à l'affaire Schnaebelé de 1887, maintenant qu'on a les Russes avec nous ? Je ne sais pas, en tout cas, c'est raté...
Les Républicains des années 1880-1890 ne sont pas les mêmes que ceux des fiches ou de la Séparation des Eglises et de l'Etat. Ne mélangeons pas tout et ne créons pas de déterminisme.

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 19 Mars 2013 22:09 
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Georges Duby
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Localisation : Montrouge
Duc de Raguse a écrit :
Faut-il rappeler que ce sont justement ces Républicains (même si ce sont des "modérés" comme Freycinet, Ribot ou Goblet) qui ont permis la constitution de ce nouvel EMA par les réformes de 1889 et 1890. Ce sont eux qui y ont placé Miribel et Boisdeffre.
.... . L'EMA est puissant au milieu des années 1890, mais pas hostile à la République, il s'en accomode fort bien tant qu'une revanche contre l'Allemagne est possible.
Les Républicains des années 1880-1890 ne sont pas les mêmes que ceux des fiches ou de la Séparation des Eglises et de l'Etat. Ne mélangeons pas tout et ne créons pas de déterminisme.
Il y aura pourtant l'affaire des fiches, qui fait que le gouvernement Combes fait ficher tous les officiers par la Franc-maçonnerie et montre qu'il doute du corps des officiers. C'est une évidence. J'ai d'ailleurs parlé du doute sur le républicanisme du corps et pas de l'Etat-major !
En politique il y a des continuités et celle de républicaniser la fonction publique et l'armée est un effort constant et normal d'ailleurs des républicains depuis 1880. Il y a une continuité de la politique républicaine dans l'objectif de consolider le régime qui traverse les générations.
J"ai été formé à cette recherche de thèmes et crois qu'il faut éclairer l'histoire par la recherche de lignes directrices et remarqué que nous étions en différent souvent sur cette manière de penser l'historie. Vous appelez déterminisme ce qui pour moi n'est qu'une recherche des continuités et des motivations. C'est une bonne chose qu'il y ait de tels différents dans un forum. L'affaire Dreyfus ne peut être dissociée de l'affaire des fiches et de l'anti-cléricalisme républicain. On sent bien qu'il y a un fil directeur dans l'histoire de la 3è république. Mais peut-être qu'on passe ainsi de l'historie à la science politique ? Celà se discute !

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 19 Mars 2013 22:49 
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Localisation : Provinces illyriennes
Je ne déclare pas qu'il n'y a aucun lien. "On" s'attaque à l'armée suite à l'Affaire Dreyfus.
Mais, le "on" des années 1900 n'est pas celui des années 1880-1890. Combes n'est pas Freycinet, Caillaux pas Ribot. Ce ne sont pas les mêmes "républicains", le curseur est poussé bien plus à gauche...

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