HEKTOR a écrit :
A/ La première affaire Dreyfus, c'est 1894-1895. Le capitaine est accusé, jugé, condamné, dégradé. Dès ce moment, il existe un mouvement d'opinion. Il dure deux mois jusqu'au début janvier 1895. Mais au fait, qui révèle l'existence d'une affaire Dreyfus en novembre 1894 ?
J'ai le même plan que vous, j'emploie aussi "l'affaire dans l'Affaire" (Rebérioux – La république radicale ? 1898-1914 – Seuil)
En 1894, nous sommes dans l'affaire. […
C'est à la fin du mois de septembre 1894 qu'apparut au Service de renseignements français, pudiquement appelé alors "Section de statistique" et dirigé par le colonel Sandherr, une lettre-missive annonçant à l'attaché militaire allemand, le L-C M. von Schwartzkoppen en poste à Paris … l'envoi de documents militaires français confidentiels.… Sur le moment les soupçons officiels des militaires puis des politiques se portent … dès le 6 octobre, à la suggestion du L-C d'Aboville et en raison de la teneur du bordereau sur les officiers d'artillerie en stage à l'Etat Major … En raison de certaines similitudes d'écriture sur le capitaine Alfred Dreyfus... ]. L'expert en écriture appelé sera Bertillon. La suite est connue. L'affaire en 94 est une simple affaire, étudiée comme telle, avec expert et la sanction est prise sur les bases du dossier. Un dossier abondé d'un bordereau. Les juges militaires condamneraient-ils dans ces conditions ? Ils pouvaient y être poussé par la presse qui depuis le 31 octobre avait annoncé l'arrestation du capitaine et exigeait le rapide châtiment du traitre. Le capitaine Henry ajoutera ce qu'il faut, bien soutenu.
- Thomas ( "L'affaire sans Dreyfus" - Fayard)
- Guillemin ("L'énigme Esterhazy" - Gallimard)
[...
La grande bourgeoisie juive n'avait dans son écrasante majorité qu'un objectif : la tranquille jouissance des ses droits ; elle redoutait le désordre ...
Depuis la mort du capitaine Mayer tué en duel en 1892 par un antisémite notoire, le marquis de Morès, cette tendance s'était encore accentuée : le Consistoire réuni par son Président A. de Rothschild, avait décidé qu'il était urgent de ne rien faire.]. Jaurès lui-même, au lendemain de la condamnation de Dreyfus avait dénoncé l'indulgence du conseil de guerre. Pourquoi pas la peine capitale appliquée aux simples soldats coupables d'un acte momentané d'insoumission ? C'est dire... En 1898, on attend une révision au vu des éléments de l'affaire Henry : cascade de démissions des ministres de la Guerre, la cour de cassation bloque. Ceci est le fruit de problèmes internes de l'appareil d'Etat (Gouvernement et Parlement). Voici pourquoi il ne faut pas ôter l'affaire Dreyfus du contexte politique du moment. Ensuite les bloquages viendront -pour d'autres raisons- de l'armée et de la magistrature.
Citer :
B/ La deuxième affaire Dreyfus débute à l'automne 1897 et s'achève avec la loi d'amnistie de décembre 1900. C'est elle que l'on appelle l'Affaire, le point culminant de l'affrontement entre les dreyfusards et les antidreyfusards.
Non, elle commence à l'automne 96 avec deux journaux à fort tirage : "L'éclair" et "Le Matin" qui attirent l'attention sur les preuves et non sur le condamné. […
A peu près au même moment un publiciste et critique juif, B. Lazare adresse une brochure favorable à Dreyfus. Le silence est toujours de mise. C'est au surlendemain de l'acquittement d'Esterhazy, le 13 janvier 1898 que Zola publie le fameux "j'accuse".]
Ce n'est qu'à partir de janvier 98 que commencent manifestations et se structurent diversent organisations. […
dans la rue l'agitation est …
le fait des antidreyfusards. Ils ont pour eux le nombre, la passion, parfois l'exemple d'Alger ou l'antijudaïsme colonial se greffe sur un sentiment autonomiste …]. La France se "divise", enfin la France... Après Zola se greffent Blum, Valéry, Gregh, Gide, Mallarmé, St Pol Roux, Proust, le jeune Appollinaire, Bonnard, Vuillard, Pissaro, Signac etc. On se retrouve au quartier latin ou chez Stock. L'engagement est vif à l'Ecole des Hautes Etudes, aux Chartes, au Collège de France etc. Il est à noter que le droit et la médecine sont très majoritairement antidreyfusards : Bourget, Brunetière, de Voguë à qui s'ajoutent Jules Verne, Daudet, Gyp... Au final les intellectuels divisent la France en deux. De ce bipartisme émerge une troisième France.
L'Affaire révèle des idéologies. Renouveau des religiosités actives dans des milieux divers, le palladisme revient à la mode et l'antisémitisme. […
Les juifs français sont pourtant peu nombreux : un peu plus de 71 000 en 1897 dont 45 000 dans la région parisienne …
Les chiffres du Consistoire ne tiennent pas compte du prolétariat juif récemment chassé de Russie.] Il faut attendre 1898 pour que certains antisémites nationaliste se fassent entendre. Mais le désir forcené d'ordre intérieur fera "qu'il n'y a pas d'affaire Dreyfus". L'apaisement est le mot clef. […
les rapports entre les grandes puissances sont encore fragiles...]. Au sein même de la communauté juive, on ne veut pas "d'affaire Dreyfus" d'où le silence et peut être aussi un réveil aussi tardif des consciences. La communauté parisienne est occupée avec les immigrés russes et ces nouveaux venus posent un problème.
C'est plutôt au bout d'un moment et faute de munitions que l'on se souviendra que Dreyfus est juif. Alors pour le coup, le bourgeois se réveille parce-qu'au fin fond de la province le mot n'est pas usité ou alors dans une grande incompréhension si l'on demande une définition. C'est avec des affirmations un peu comme la votre que -justement- le "problème antisémite" remontera et bien entendu à charge pour Dreyfus, l'homme.
Vous isolez totalement l'affaire du contexte politique du moment, ce qui n'est pas le cas pour ceux qui vivent dans cette France mutilée, à l'équilibre précaire : bref la grande majorité. Il n'y a pas de 3ème affaire Dreyfus mais la continuation de la 1ère : seconde condamnation avec circonstances atténuantes. Signature de la grâce par Loubet le 19 septembre 1899. Le 2 juin 1900 le Sénat vote l'amnistie. Le 12 juillet 1906, la CC casse sans renvoi le jugement de Rennes : Dreyfus est lavé de toute accusation.