Le Dimanche Rouge de 1905
La Russie était depuis bientôt un an en guerre contre le Japon. Loin d'apporter des victoires et de réveiller le patriotisme, comme prévu par les conseillers du tsars, la succession d'échecs militaires faisait souffrir le peuple.
Sur un fond de défaites en Mandchourie, une grève éclate le 3 janvier 1905 aux aciéries Poutilov dans les faubourgs de Saint Petersbourg. Trois jours plus tard le travail cesse dans 382 usines vitales pour le pays et l'armement des troupes.
Le pope Georges Gapone, au milieu de l'agitation politique de la section bolchevique des sociaux-démocrates, organise une pétition-supplique au tsar qui recueille rapidement 150 000 signatures. A travers cette requête, les signataires s'adressaient à l'empereur en fidèles sujets : ils le suppliaient le "Tsar-Batiouchka" (Petit Père) de réparer les injustices et de soulager leur misère.
Le pope Gapone eut l'idée d'organiser une marche vers le Palais d'Hiver pour porter pacifiquement les propositions de mesures au souverain.
Le 8 janvier il lui adresse la lettre suivante :
"Nous nous présenterons demain, à deux heures et demie, au palais d'hiver, pour t'exposer les aspirations de la nation entière[...]
Jure-nous de satisfaire nos exigences, sinon nous sommes prêts à mourir devant ton palais. Si, en proie à des hésitations, tu ne te montres pas au peuple, si tu laisses couler le sang des innocents, tu briseras le lien moral entre lui et toi."
Nicolas II n'était pas à St Pétersbourg mais à Tsarkoïe Selo, à vingt kilomètres de là. Eut-il le message? On peut le supposer car il écrit dans son journal le samedi 8 janvier :
" ...Depuis hier (?) toutes les usines et fabriques de Saint Pétersbourg sont en grève. On a fait venir des troupes des environs pour renforcer la garnison. Jusqu'ici les ouvriers ont été calmes. On estime leur nombre à 120 000. A la tête de leur Union se trouve une sorte de prêtre socialiste nommé Gapone. Mirski (Ministre de l'Intérieur) est venu le soir me présenter son rapport sur les mesures prises."
Le dimanche 9 janvier, après s'être rassemblés devant les locaux de l'association, pour écouter la lecture de la très longue pétition, les 100 000 manifestants, hommes, femmes et enfants, se mettent en marche avec en tête deux ouvriers portant le portrait du tsar; d'autres dans la foule portent des bannières et des icônes que Gapone a fait décrocher des églises voisines.
Aux abords de la Porte de Narva qui mène au palais, la troupe barre le passage. Comme la foule refuse de se disperser sur les ordres d'un officier, la cavalerie charge, sabre au clair. Ceux qui ne sont pas touchés par les lames, tombent sous les sabots des chevaux. Après avoir traversé la foule, les cavaliers se retournent et chargent une seconde fois. Les policiers de la ville se disposent en une ligne, armes épaulées. La foule continue d'avancer et, sans sommation, ordre est donné de tirer. Les estimations officielles furent de 170 tués. On ne compta pas les blessés...
Dans son journal, Nicolas II écrit le soir du 9 janvier :
"Journée pénible. De sérieux désordres se sont produits à Pétersbourg en raison du désir des ouvriers de venir jusqu'au palais d'hiver. Les troupes ont du tirer dans plusieurs endroits de la ville. Il y a eu beaucoup de tués et de blessés. Seigneur, comme tout cela est pénible et douloureux. Maman est venue de la ville juste à l'heure du service. Nous avons déjeuné en famille."
De son côté l'impératrice Alexandra écrira plus tard à sa soeur, la princesse de Battenberg :
"...La situation est grave et c'est manquer abominablement de patriotisme, quand nous sommes en pleine guerre, que de faire éclater des idées révolutionnaires. Les pauvres ouvriers, qui avaient été induits en erreur, ont eu à souffrir et, comme d'habitude, les meneurs se sont cachés derrière eux."
Le "dimanche sanglant" brisa définitivement l'attachement du peuple au tsar-batioucka. La classe ouvrière devenait une entité politique et le pardon du tsar ne suffit pas à réparer les blessures.
Le ministre Ermolov fut chargé de faire entendre raison au tsar :
"Le risque existe que les troupes ne refusent un jour de tirer sur un peuple désarmé dont elles sont issues."
le 18 février 1905, le souverain fit publier d'une part, un manifeste sévère rappelant que le peuple se devait de soutenir le pouvoir et, d'autre part, un rescrit ou projet de convocation de représentants élus.
Le pope dit après ces évènements tragiques :
«Il n'y a plus de Dieu ni de tsar!»
Le tsar avait totalement détruit la sympathie que le peuple avait pour lui en mitraillant une foule pacifique qui désirait juste lui remettre une requête.
Peut-être que l'élimination du tsar et de sa famille quelques années plus tard n'est pas dénuée d'une certaine justice.
source :
http://www.maison-russie.com/histoire/tsars/nicolas2/dim_rouge.html