Mes chers compagnons,
En 1908, se confrontent, pour la première fois, les systèmes d'alliances européens, sans aucun égal depuis 1870, voire 1815.
Si la triple-alliance, ou Triplice, fonctionne depuis 1882 et dicte la diplomatie et les relations internationales du continent - donc quasiment du monde -, aucune autre combinaison diplomatique n'est venue mettre en danger cette suprématie.
Une alliance, défensive, a bien été négociée entre la France - isolé par Bismarck après 1870 - et la Russie - humiliée à la conférence de Berlin en 1878, après avoir remportée, pourtant, une guerre contre les Ottomans - entre 1891 et 1893. Mais, celle-ci ne parvenait pas à mettre un équilibre sérieux dans le concert des nations européennes et l'Allemagne dominait toujours.
Surtout, que depuis le milieu des années 1890, la Russie s'étendait en Mandchourie afin de gagner quelques débouchés commerciaux et de participer au dépeçage de la Chine et d'autres pays asiatiques. En effet, les Russes étaient toujours à la recherche d'une ouverture sur les "mers chaudes", c'est à dire d'un port en eaux libres, et cela toute l'année.
Ils étaient bien loin des préocupations européennes des Français, où alsaciennes-lorraines plutôt...
Un rapprochement s'est alors opéré entre la France et le Royaume-Uni en 1904 - on reparlait d' "entente cordiale" -, mais il était plus dirigé contre la Russie que l'Allemagne dans l'optique des britanniques. ( ce que les Français n'avaient d'ailleurs pas perçus ).
Mais, tout ceci n'avait rien de solide.
Une fois la guerre russo-japonaise terminée, les Russes détournés de leurs rêves orientaux irréalisables ( influencés par là par Guillaume II... ), furent plus fréquentables pour les Anglais. Des négociations s'amorcèrent entre 1906 et 1907, dans le cadre d'une entente cette fois dirigée contre l'Allemagne, qui, dans son budget de 1906 planifiait ( jusqu'en 1915 ) la construction d'une flotte la faisant arriver à quelques encablures de la première flotte du monde, celle de la
Royal Navy .
Les britanniques avaient visiblement peur et sortaient une bonne fois pour toute de leur "Splendide isolement" du XIXème siècle.
Une double entente venait donc se greffer sur l'alliance franco-russe. Elle fut opérationnelle au début de l'année 1908, même si la crise marocaine en 1905-1906 et la conférence d'Algésiras qui en découlait montraient une sorte de répétition quant aux intérêts communs des trois pays contre l'arrogance allemande. ( d'ailleurs dans ce coup, l'Italie - déjà ! - faisait cause commune avec la France... )
L'année 1908 apparait comme une date charnière pour plusieurs raisons.
Tout d'abord dans les pays de la triple Entente, certains voyaient d'un très bon oeil la transformation de cette entente en une alliance, afin d'en renforcer son poids stratégique. Bien entendu, les britanniques refusent, trop soucieux de perdre leur liberté de mouvement et de se laisser entrainer dans une guerre à la sauvette.
Par ailleurs, une révolution éclate à Constantinople et force le sultan Ottoman à signer une constitution envers certains jeunes cadres de l'armée. Ces Jeunes Turcs veulent réformer le pays et le faire sortir de son mutisme, devenu presque légendaire. Le problème c'est que l'Empire est à nouveau destabilisé, ce qui entraîne une cohue d'envieux pour, à nouveau, saigner le "vieil homme"...
Les premiers furent les Bulgares. La nation est slave, donc proche de la Russie protectrice, mais leur prince, Ferdinand de Saxe-Cobourg, et un ancien officier autrichien, proche de la cour viennoise. Qui plus est, il est le vassal des Turcs, depuis la fameuse conférence de Berlin. Il va donc décider de s'affranchir de cette encombrante tutelle et se proclame roi - ou "tsar"- de Bulgarie, au mépris des traités internationaux.
Les grandes puissances, l'empire Ottoman le premier, sont hostiles à cette prise de liberté, bien dangereuse.
L'Autriche-Hongrie, elle, ne voit pas cela d'un si mauvais oeil que cela, son protégé devient plus fort et ses projets ferroviaires en Macédoine en font un quasi protectorat. La double monarchie veut encore s'encombrer de plus de minorités slaves...
Profitant de la situation de faiblesse des Turcs, elle décide d'annexer tout bonnement la Bosnie-Herzégovine. ( elle en avait obtenu la gestion en 1878, mais la province était "théoriquement" encore aux Turcs )
Pour les Russes - et les Turcs aussi !! - cela en fait trop !! C'est tout l'infâmant traité, que Bismarck leur a fait signé en les trompant, qui devient encore plus défavorable pour eux. Ils n'ont toujours pas la liberté de faire passer leurs navires par les détroits et voilà que les Autrichiens et leur protégé reçoivent d'énormes avantages.
Mais, il faut rajouter que la Serbie s'en mêle aussi. Déjà non contente d'observer les progrès des austro-hongrois en Macédoine, elle ne supporte pas l'annexion de la province voisine.
La Turquie, en octobre 1908 commence à mobiliser ses forces pour répondre à tout nouveau coup de force contre ses possessions et peut-être forcer les Autrichiens à reculer. La Serbie fait de même, en envoyant, au passage, un ultimatum à Vienne, qui est spendidement ignoré...
Le Russie, silencieuse au départ - attitude reprochée par la Douma à M. Isvolsky, ministre des Affaires étrangères de Russie - contre-attaque et menace Vienne. Une conférence européenne doit être convoquée ou l' Empereur de toutes les Russies, prendra cela pour un camouflet personnel et prendra les mesures en conséquence, donc un conflit. Les forces russes bougent aussi davantage que la normale en Pologne...
Est-ce que le jeu de ces nouvelles alliances et "ententes" va se mettre en branle dans l'embroglio balkannique et la poudrière exploser ?
En fait, Berlin ne va que très mollement suivre son alliée, ce qui placera Paris dans la même situation. La conférence ne verra pas le jour et l'annexion de la Bosnie ne sera plus à remettre en cause. La Serbie, sous les ordres de sa grande soeur russe - encore trop faible pour déclarer une guerre -, doit aussi plier. Tout le monde recule, mais l'opinion publique russe et slave est furieuse et jure bien qu'on ne l'y reprendra plus !!!
Pourtant, il va falloir près de deux mois ( entre novembre 1908 et janvier 1909 ) pour désamorcer ce problème majeur. Jamais, auparavant, les opinions publiques européennes n'ont eu aussi peur. Jamais on n'avait vu la guerre et la possibilité d'un embrasement d'aussi près. Des pays ont mobilisé et réalisé des mouvements de troupes très sérieux, au limites extrêmes de leurs frontières avec leurs impétueux voisins.
Tout ceci, pour vous demander pourquoi, d'après vous, avec l'exemple d'une telle répétition, les nations européennes ont-elles commis l'erreur de l'été 1914 ? Les mêmes ultimatums, les mêmes mots échangés en 1908, la même logique destructrice. Pourquoi n'a-t-on pas osé en 1908 ? A-t-on perçu le danger extrême et ses conséquences et n'en voulait-on pas ? Qu'en dites-vous ?
Merci d'avance pour vos éclaircissements sur ces questions.
duc de Raguse.