Barbetorte a écrit :
Enfin, je cite à nouveau Vincent Duclert :
En conséquence, Me Mornard fonda ses conclusions pour la cassation sans renvoi sur les deux moyens suivants, inscrits dans le code d'instruction criminelle :
1° "La Cour statue au fond sans renvoi lorsqu'il ne pourra être procédé de nouveau à des débats oraux entre toutes les parties." Or Esterhazy, auteur du bordereau et de la trahison, informateur habituel de Schwartzkoppen , comme le vulgaire bon sens le voulait, et comme il ne pouvait plus y avoir de poursuite contre lui, ayant été acquitté par le conseil de guerre de 1898, il ne pouvait plus être procédé à des débats oraux entre toutes les parties."
2° Si l'annulation de l'arrêt à l'égard d'un condamné vivant ne laisse rien subsister qui puisse être qualifié crime ou délit, aucun renvoi ne peut être prononcé." Or l'enquête de la cour n'avait laissé aucune charge contre moi."
L'avocat de Dreyfus écrit dans ses conclusions, arguments purement juridiques, qu'il ne peut plus y avoir de poursuite contre Esterhazy. Il devait tout de même bien savoir, juridiquement, ce qu'il en était ! Non ?
Attention, il ne faut pas prendre la position exprimée par Me Mornard au pied de la lettre.
Il faut bien se rappeler que l'objectif de la défense était d'obtenir une cassation sans renvoi, car on pensait encore en 1906, qu'un nouveau Conseil de guerre serait toujours sous influence néfaste des conspirateurs et donc capable de condamner Alfred Dreyfus une troisième fois !
Par conséquent, l'avocat cherche plus ici à argumenter en faveur de son objectif, que d'opérer une démonstration juridique générale.
Alain.g a écrit :
Ce n'est pas nécessaire et il y a d'ailleurs d'autres chefs d'inculpation hors du bordereau et du jugement qui acquitte Esterhazy, qui auraient pu permettre de chercher dans son rôle au sein du SR ou dans ses rapports avec l'Allemagne, comme trahison, livraisons d'information à une puissance étrangère. Il y avait dans les années 1900 d'autres délits ou crimes couvrant les méfaits d'Esterhazy qui a bien trahi son pays, livré des documents, confirmant un écrit dans lequel il déclare avoir la haïne de la France ...
Il n'y a jamais eu d'enquête véritable, au sens juridique, contre Esterhazy, à l'exception de celle qu'a menée Georges Picquart de mars à août 1896. Et cette enquête n'a pas permis d'établir de faits d'espionnage, car à cette époque, Schwartzkoppen s'était débarrassé d'Esterhazy. Au moment où Picquart allait découvrir des éléments plus probants, il a été limogé.
Les procédures ultérieures ont pu établir le rôle d'Esterhazy dans la conspiration contre Picquart, animée par du Paty de Clam et Henry. Ce qui a amené sa mise en réforme.
Quant à une correspondance outrancière à l'égard de la France et de son armée, il s'agit de plusieurs lettres, dont la célèbre "lettre du Uhlan", rendues plubliques par une ex-maîtresse d'Esterhazy, Mme de Boulancy. Elles ont qualifié le personnage aux yeux de l'opinion, qui n'y a d'ailleurs pas cru en général. Mais ces lettres n'ont jamais été, comme vous le dites, retenues contre l'espion.
Alain.g a écrit :
S'il y avait eu une volonté, pas de problème qu'on aurait trouvé ce qu'il fallait pour convaincre un conseil de guerre aux ordres, car Esterhazy est bien plus qu'un faussaire, il a reçu je crois de mémoire des sommes d'argent de l'ambassade d'Allemagne pour services rendus, fournitures de documents .
La question de faux concernant Esterhazy est très marginale. Elle ne correspond en rien aux activités d'un Henry (faux multiples du dossier secret) ou d'un Gribelin (maquillage de comptabilité du SR).
En revanche, il est établi avec certitude que Esterhazy a fourni de nombreuses informations à Schwartzkoppen. C'est peu dit, bizarrement, mais il existe encore une note fournie par Esterhazy aux Bundesarchiv, à Cologne. Elle a été publiée pour la première fois par Marcel Thomas dans les années 60.
Je vous renvoie vers son livre, Esterhazy ou l'envers de l'Affaire Dreyfus, Philippe Lebaud, 1989, qui ne laisse place à aucun doute sur la question de la trahison.
Barbetorte a écrit :
Je veux bien, mais il faudrait être plus concret.
"qui a bien trahi son pays" : quels actes de trahison en-dehors de ceux le conseil de guerre l'a exonéré ?
"livré des documents" : quelles livraisons en dehors des actes de trahison dont le conseil de guerre l'a exonéré ?
"Esterhazy est bien plus qu'un faussaire, il a reçu je crois de mémoire des sommes d'argent de l'ambassade d'Allemagne pour services rendus" : quels services en-dehors des actes de trahison dont le conseil de guerre l'a exonéré ?
Attention aussi ici. Esterhazy a été jugé en janvier 1898 sur la base d'une accusation de Mathieu Dreyfus, frère du condamné, selon laquelle, ledit Esterhazy était l'auteur du bordereau. Personne ne disposait à l'époque d'autre moyen à l'encontre de l'espion. Il a suffit aux conspirateurs de faire pression sur les experts pour que ceux-ci ne reconnaissent pas l'écriture d'Esterhazy dans le bordereau...
Voilà tout ce qui a été reproché à Esterhazy à ce moment là. Ce n'est que bien après, par des recherches historiques dans les archives, et grâce aussi à la publication des mémoires de Scwhartzkoppen, qu'on a pu apprécier l'étendue exacte de la trahison d'Esterhazy.
Barbetorte a écrit :
Il est donc difficile d'imaginer avec un minimum de vraisemblance qu'on pût trouver des charges sérieuses permettant d'accuser à nouveau Esterhazy.
Il ne faut pas omettre le contexte de tension internationale provoquée par cette affaire. Les gouvernements successifs tenaient assez peu à ce qu'on raconte dans le détail les procédés louches employés par le SR à l'encontre DES ambassades, pas seulement l'ambassade d'Allemagne.
Donc avec une volonté politique forte, trouver des charges d'espionnage contre Esterhazy eût été un jeu d'enfant. Mais cette question n'a jamais été à l'ordre du jour.