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 Sujet du message : Statut judiciaire d'Esterhazy
Message Publié : 07 Mars 2014 14:09 
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Je ne voulait pas ouvrir un HS dans la discussion suivante : Affaire Dreyfus

HEKTOR a écrit :
J'attire cependant votre attention sur l'arrêt de cassation dit "Arrêt de réhabilitation" dans lequel les magistrats de la Cour suprême on dit le droit aussi à propos d'Esterhazy. Et je m'arrête là.
Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906


Il me semble qu'Esterhazy soit judiciairement parlant dans un statut hybride. Il a été innocenté par un tribunal lors d'un procès militaire en 1898. Mais, il est clairement identifié comme étant le traitre dans les attendus de la Cour de cassation du 12 juillet 1906. Théoriquement, un procès aurait pu s'ensuivre, et je ne cherche pas ici les raisons pour lesquelles ce ne fut pas fait. Je constate ce statut hybride entre innocenté de plein droit par un tribunal et impliqué nommément par un autre tribunal. Je sais que dans le droit français, on ne revient pas sur la chose jugée, donc légalement, il est toujours innocent, aussi bien en 1906 que de nos jours. Mais, depuis 1906, un tribunal l'a clairement identifié comme coupable.

Ma question est simple : s'agit-il d'un cas unique ou en existe-t-il d'autres dans l'histoire judiciaire française ?

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
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Message Publié : 07 Mars 2014 17:16 
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Georges Duby
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Narduccio a écrit :
Je constate ce statut hybride entre innocenté de plein droit par un tribunal et impliqué nommément par un autre tribunal. Je sais que dans le droit français, on ne revient pas sur la chose jugée, donc légalement, il est toujours innocent, aussi bien en 1906 que de nos jours. Mais, depuis 1906, un tribunal l'a clairement identifié comme coupable.
Ma question est simple : s'agit-il d'un cas unique ou en existe-t-il d'autres dans l'histoire judiciaire française ?
Il n'y a pas de statut hybride d'Esterhazy. Quand la Cour de Cassation s'exprime en dernier ressort, il ne peut y avoir d'autorité de chose jugée d'une autre juridiction et quand elle s'exprime comme juridiction suprême en formation de cour de Révision, comme ici en 1906, et annule un jugement antérieur, sa décision s'impose sans aucun recours, à titre définitif.
L'annulation par révision n'est pas un renvoi de cassation, elle dispense de re-statuer, c'est le propre de la procédure de révision.
Enfin, le dispositif de l'arrêt d'annulation de 1906 concerne Dreyfus qui est innocenté au vu des attendus et non pas Esterhazy. Mais néanmoins les attendus concernant ce dernier et stipulant sa culpabilité, qui pèsent d'un poids important, n'empêchent pas des poursuites ultérieures contre Estehazy et auraient amené un tribunal à le déclarer coupable si des poursuites avaient été intentées.
Comme on le sait le ministère de la Guerre n'a pas souhaité de telles poursuites mais a préféré mettre cet officier hors des cadres de l'Armée par craint qu'un débat judiciaire n'amène pour l'Armée des dommages collatéraux à la constatation du délit, un délit de faux qui est établi à l'encontre d' Esterhazy.
Il n'y a donc pas de cas particulier dans la décision de la CC de 1906.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 07 Mars 2014 19:42 
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Georges Duby
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Alain.g a écrit :
Mais néanmoins les attendus concernant ce dernier et stipulant sa culpabilité, qui pèsent d'un poids important, n'empêchent pas des poursuites ultérieures contre Estehazy et auraient amené un tribunal à le déclarer coupable si des poursuites avaient été intentées.
Je rectifie: les attendus concernant ce dernier (Esterhazy) et stipulant sa culpabilité sont donc possibles malgré le jugement de 1898 d'acquittement. De nouvelles poursuites auraient pu être intentées contre Esterhazy, à condition de trouver un autre motif de poursuites, ce qui est assez compliqué à structurer. et qu'il n'y ait pas prescription.

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Message Publié : 07 Mars 2014 21:24 
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Pierre de L'Estoile
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Esterhazy ayant déjà été acquitté pour les faits qui lui sont imputés dans l'arrêt de 1906 innocentant Dreyfus, il ne pouvait plus être poursuivi pour ces mêmes faits.
Une révision n'est possible qu'en faveur d'un condamné. Une personne acquittée, même à tort, l'est définitivement. C'est l'état du droit actuel, mais je crois qu'il en était déjà ainsi en 1906.
On peut effectivement parler de statut hybride : il est bien l'auteur de l'infraction sans être coupable. Mais s'il n'a pas été sanctionné pénalement, il l'a été statutairement.


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Message Publié : 07 Mars 2014 21:47 
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Mais, judiciairement parlant, il est innocent ou coupable ?

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Message Publié : 07 Mars 2014 21:48 
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Barbetorte a écrit :
Esterhazy ayant déjà été acquitté pour les faits qui lui sont imputés dans l'arrêt de 1906 innocentant Dreyfus, il ne pouvait plus être poursuivi pour ces mêmes faits.
Une révision n'est possible qu'en faveur d'un condamné. Une personne acquittée, même à tort, l'est définitivement. C'est l'état du droit actuel, mais je crois qu'il en était déjà ainsi en 1906.
On peut effectivement parler de statut hybride : il est bien l'auteur de l'infraction sans être coupable. Mais s'il n'a pas été sanctionné pénalement, il l'a été statutairement.


Ma question est donc : est-ce qu'il y a d'autres personnes qui se sont retrouvées dans le même cas ?

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Message Publié : 07 Mars 2014 23:02 
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Pierre de L'Estoile
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Je ne m'intéresse pas particulièrement aux affaires judiciaires et je ne connais pas d'exemple de personnes acquittées que des preuves indiscutables désignent ultérieurement comme l'auteur du crime. Mais il y en a certainement. Ce pourrait être le cas dans une affaire toujours en cours dont j'ai entendu parler récemment. Il s'agit d'un meurtre perpétré dans les années 1980. Une personne a été inculpée et acquittée par la cour d'assise. L'affaire n'ayant pas été close, l'instruction a été poursuivie et des analyses génétiques, moyen dont on ne disposait pas dans les années 1980, désignerait le suspect acquitté comme étant l'auteur du meurtre. On devrait alors clore l'affaire sans nouveau procès.

Ce qui est tout à fait extraordinaire dans le cas d'Esterhazy et en cela ce cas est peut-être unique, c'est qu'un nouveau procès a validé le résultat de l'enquête le désignant comme étant bien l'auteur de la trahison. Cela étant, Esterhazy est resté juridiquement innocent.


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Message Publié : 08 Mars 2014 12:32 
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Georges Duby
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Exact dans l'ensemble.
Trois remarques:
1/ Il y a des cas où une personne acquittée est ensuite reconnue comme ayant été coupable. Voir plus bas les possibilités de le sanctionner malgré tout.
2/ Rien d'anormal dans les attendus du jugement de révision de 1906 car il ne concerne pas Esterhazy, je le répète. Invoquer l'autorité de la chose jugée en l'espèce est une erreur fondamentale en droit tout comme croire qu'il a eu une anomalie.
Il s'agit de droit et pas de raisonner sur des bases intellectuelles ou morales. La Cour de Cassation est souveraine dans l'ordre judiciaire, elle peut même violer la loi, ce qui est arrivé. C'est au législateur de ne plus le permettre.
3/ Esterhazy est bien innocent en vertu d'un jugement définitif mais et - c'est le point que comme juriste je peux préciser et qui ne peut être compris que si on a fait du droit pénal et qu'on l'a pratiqué - le jugement qui acquitte Esterhazy, l'acquitte au vu de la saisine. Des poursuites sont donc possibles sur une autre base: autre qualification et autres éléments. C'est le B... A ... BA du métier judiciaire que de rechercher comment on peut poursuivre une personne qui a commis un délit et acquittée ou n'est pas poursuivable (manque de preuves, prescription). On y arrive parfois car le code pénal est plein de ressources. C'est même étonnant quand on y est initié.

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Message Publié : 08 Mars 2014 12:46 
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Alain.g a écrit :
Des poursuites sont donc possibles sur une autre base: autre qualification et autres éléments. C'est le B... A ... BA du métier judiciaire que de rechercher comment on peut poursuivre une personne qui a commis un délit et acquittée ou n'est pas poursuivable (manque de preuves, prescription). On y arrive parfois car le code pénal est plein de ressources.

J'en déduit donc que ce n'est pas un cas particuliers et qu'il existe plusieurs cas où des gens se sont retrouvés acquittés, alors que plus tard, on a établit qu'ils pouvaient bien être les coupables.

Alain.g a écrit :
C'est même étonnant quand on y est initié.

L'un de mes outils de travail est un Recueil de Prescription au Personnel qui dit comment faire pour que les gens travaillent en toute sécurité. Une partie de mon boulot est aussi de savoir comment il faut faire quand diverses lois et règlements contradictoires s'imposent pour rendre difficile la réalisation d'un travail en toute sécurité. Et effectivement, une très bonne connaissance des textes permet souvent de trouver la bonne "ficelle". je rassure ceux qui interpréteraient mal mes propos : mon travail n'est pas de contourner la loi et de mettre les gens en danger. C'est juste l'inverse : comment réaliser le travail en toute sécurité en respectant, au mieux, des textes généraux pas toujours applicables à la lettre. Avec le risque, en cas d'erreur, de se retrouver devant un juge pour justifier les choix faits. Cette visite devant le juge impliquant qu'il y a eu des dommages aux personnes, je fais tout mon possible, et même plus, pour garantir que personne ne puisse être blessé.

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Message Publié : 08 Mars 2014 13:10 
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Georges Duby
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Le droit pénal est une matière très complexe, de plus en plus d'ailleurs si on approfondi; et il faut avoir un minimum de connaissances et de pratique pour en comprendre la subtilité.
Ce qui apparait comme anormal est en réalité l'ordinaire des pénalistes. Je n'ai pour ma part vraiment compris, bien qu'initié, qu'au cours de réunions avec le directeur des affaires criminelles à la Chancellerie et ai alors découvert des possibilités de poursuivre ou défendre dans une affaire, possibilités insoupçonnables pour un non-initié.

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Message Publié : 08 Mars 2014 13:27 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Bonjour,

Alain.g a écrit :
Il n'y a pas de statut hybride d'Esterhazy. Quand la Cour de Cassation s'exprime en dernier ressort, il ne peut y avoir d'autorité de chose jugée d'une autre juridiction et quand elle s'exprime comme juridiction suprême en formation de cour de Révision, comme ici en 1906, et annule un jugement antérieur, sa décision s'impose sans aucun recours, à titre définitif.
L'annulation par révision n'est pas un renvoi de cassation, elle dispense de re-statuer, c'est le propre de la procédure de révision.

Les informations ci-dessus sont justes.
Juste quelques précisions.

La décision de la Cour de cassation toutes chambres réunies est une cassation sans renvoi.
Le droit commun en la matière se limite à constater un vice, à casser le jugement, puis à renvoyer l'affaire pour nouveau jugement dans une juridiction de même niveau.
Ici ce n'est pas le cas. C'est un exemple de décision où la Cour s'est substituée à tout niveaux juridictionnels, y compris l'instruction. Et contrairement à une idée reçue la Cour a jugé non seulement sur la forme, mais aussi sur le fond.
Car pour décider "qu'il ne restait rien debout" des accusations contre Alfred Dreyfus, il fallait examiner dans le détail la nature même de toutes les accusations contre Alfred Dreyfus.

Alain.g a écrit :
Enfin, le dispositif de l'arrêt d'annulation de 1906 concerne Dreyfus qui est innocenté au vu des attendus et non pas Esterhazy. Mais néanmoins les attendus concernant ce dernier et stipulant sa culpabilité, qui pèsent d'un poids important, n'empêchent pas des poursuites ultérieures contre Estehazy et auraient amené un tribunal à le déclarer coupable si des poursuites avaient été intentées.

Alors se pose évidemment la question du statut d'Esterhazy.
Ainsi que l'indique AlainG, la décision de la Cour de cassation est souveraine. C'est à dire qu'elle se substitue à toute décision de justice préalable.
Par conséquent, la Cour ayant jugé Dreyfus innocent, et innocent au point de ne pas refaire de procès, elle a jugé que Esterhazy étant l'auteur incontestable du bordereau, elle induit que c'est lui qui aurait dû être condamné en décembre 1894.

Cependant, Esterhazy n'a pas été devant ses juges forts de ces nouveaux éléments. Il n'y a pas eu de débat contradictoire, pas de condamnation. On est donc devant une situation où un justiciable est reconnu explicitement coupable d'un crime par une haute cour de justice, mais cette décision n'est pas suivie d'une condamnation.

En conclusion de ce point, Esterhazy a été reconnu juridiquement coupable d'avoir écrit le bordereau, et par voie de conséquence, coupable de la trahison pour laquelle Alfred Dreyfus a été condamné en 1894.
Mais Esterhazy , n'ayant été traduit devant aucune nouvelle juridiction, il n'a subi aucune condamnation.
Précisons qu'avant cela, la Cour de cassation aurait dû être saisie contre le jugement du Conseil de guerre du 11 janvier 1898, acquittant Esterhazy et le casser. Cela n'a jamais été demandé.

Alain.g a écrit :
Comme on le sait le ministère de la Guerre n'a pas souhaité de telles poursuites mais a préféré mettre cet officier hors des cadres de l'Armée par craint qu'un débat judiciaire n'amène pour l'Armée des dommages collatéraux à la constatation du délit, un délit de faux qui est établi à l'encontre d' Esterhazy.
Il n'y a donc pas de cas particulier dans la décision de la CC de 1906.

Pourquoi n'y a-t-il pas eu de suite judiciaire à cette décision de la Cour de cassation de 1906 ?
Deux raisons majeures.

La première c'est la volonté de tous en 1906 d'en finir avec l'affaire Dreyfus qui dure depuis douze ans.
Il existait un consensus politique et social selon lequel, l'innocence d'Alfred Dreyfus étant officiellement reconnue, les dreyfusards baisseraient les armes, la paix reviendrait. On passerait à autre chose.

Poursuivre Esterhazy comportait le risque d'enflammer à nouveau les passions, c'était jouer encore sur les divisions. L'opinion était lassée. Tout le monde fut d'accord pour en rester là. (Sauf évidemment les nationalistes les plus extrêmes, animés par l'Action Française de Charles Mauras, qui ne représentaient plus cependant qu'une petite fraction de la population).

L'autre raison, c'était qu'Esterhazy résidant en Angleterre, il était parvenu à se soustraire à la justice française. Le Royaume Uni ne pratiquant pas l'extradition, le coupable restait à l'abri. Quel aurait été l'intérêt de faire un procès sans le principal accusé ?


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Message Publié : 08 Mars 2014 14:02 
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Philippe de Commines
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Narduccio a écrit :
Ma question est donc : est-ce qu'il y a d'autres personnes qui se sont retrouvées dans le même cas ?

Pour avoir fait une formation de secrétariat juridique, il est trois affaires qui sont "des cas" appris et travaillés dans le cadre des "erreurs judiciaires" ou "erreurs accumulées dans le suivi d'une procédure" avec une instruction à charge sans dossier "limpide et abondé par une instruction libre et sereine" ; ce sont les termes employés.
Dreyfus est une de ces affaires mais peut-être suis-je HS, une des deux autres ne ressortissant pas de la justice française.
Pour l'autre affaire connue et en France, j'ignore où en est la procédure. J'ai pris ces cours de 92 à 94... C'est loin mais ces affaires soulèvent toujours des interrogations quant au fonctionnement judiciaire soumis à des pressions quelles qu'elles soient.

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"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


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Message Publié : 08 Mars 2014 15:51 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Narduccio a écrit :
L'un de mes outils de travail est un Recueil de Prescription au Personnel qui dit comment faire pour que les gens travaillent en toute sécurité. Une partie de mon boulot est aussi de savoir comment il faut faire quand diverses lois et règlements contradictoires s'imposent pour rendre difficile la réalisation d'un travail en toute sécurité. Et effectivement, une très bonne connaissance des textes permet souvent de trouver la bonne "ficelle". je rassure ceux qui interpréteraient mal mes propos : mon travail n'est pas de contourner la loi et de mettre les gens en danger. C'est juste l'inverse : comment réaliser le travail en toute sécurité en respectant, au mieux, des textes généraux pas toujours applicables à la lettre. Avec le risque, en cas d'erreur, de se retrouver devant un juge pour justifier les choix faits. Cette visite devant le juge impliquant qu'il y a eu des dommages aux personnes, je fais tout mon possible, et même plus, pour garantir que personne ne puisse être blessé.
Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Mais le terme de trouver la bonne "ficelle" est impropre. Vous ne faites qu'interpréter la loi dans l'esprit du législateur dont l'objectif est d'atteindre à un niveau maximal de sécurité et, en appliquant bêtement un texte inadapté, vous courriez aussi le risque d'être accusé d'avoir méconnu vos obligations.

Alain.g a écrit :
Il y a des cas où une personne acquittée est ensuite reconnue comme ayant été coupable. Voir plus bas les possibilités de le sanctionner malgré tout.
...
le jugement qui acquitte Esterhazy, l'acquitte au vu de la saisine. Des poursuites sont donc possibles sur une autre base: autre qualification et autres éléments.
Pour bien nous éclairer il serait utile que vous puissiez nous donner un exemple d'affaire judiciaire dans lequel une personne acquittée a été ultérieurement condamnée et il serait intéressant également que vous nous disiez précisément comment on aurait pu traduire à nouveau Esterhazy devant une cour d'assise.

Alain.g a écrit :
Rien d'anormal dans les attendus du jugement de révision de 1906 car il ne concerne pas Esterhazy, je le répète. Invoquer l'autorité de la chose jugée en l'espèce est une erreur fondamentale en droit tout comme croire qu'il a eu une anomalie.
Je n'ai jamais prétendu qu'il y avait anomalie, j'ai dit que c'était extraordinaire. Esterhazy n'est pas dans la cause, ce n'est pas lui qui est jugé, mais il est tout de même indirectement concerné et c'est ce qui rend cette affaire extraordinaire.

La cause est la révision de l'arrêt ayant condamné Dreyfus pour avoir fourni des informations protégées à une puissance étrangère.

Il y a trois étapes dans un jugement :
- l'appréciation des faits conduisant à établir la vérité juridique ;
- la qualification des actes et des faits qui résulte de la vérité juridique ;
- la décision prise en conséquence de la qualification donnée aux actes et aux faits.

En l'espèce, pour résumer, dans l'arrêt de 1906 de la cour de cassation on lit que :
- vérité juridique retenue par la cour : le bordereau est de la main d'Esterhazy et non de Dreyfus ;
- qualification : le bordereau n'étant pas de la main de Dreyfus, il en résulte l'innocence de Dreyfus ;
- décision : Dreyfus étant innocent, la cour de cassation casse sans renvoi l'arrêt de la cour d'assise l'ayant condamné, c'est à dire qu'elle réhabilite Dreyfus.

Cette vérité établie judiciairement (Esterhazy auteur du bordereau) fait autorité mais dans le cadre de l'affaire (révision du procès de Dreyfus) seulement. Elle n'est donc pas absolue et ne s'impose pas à Esterhazy qui n'est pas partie au procès. Une cour d'assise appelée à juger Esterhazy, dans l'hypothèse où cela aurait été possible, aurait pu ultérieurement établir une autre vérité à son égard. Mais on pouvait alors s'attendre à ce que l'appréciation portée sur ces mêmes faits dans une autre instance pesât lourdement dans l'accusation.

Dans le principe, l'autorité de la chose jugée s'impose. Par exemple, si A est accusé d'avoir assassiné B, s'il est acquitté et qu'ensuite on prouve de façon indubitable qu'il est bien le meurtrier, il ne peut plus être poursuivi pour le meurtre de B. Dans le cas d'Esterhazy, c'est peut-être plus compliqué. L'acquittement portait-il sur un acte ponctuel ou sur une action continue de renseignement d'une puissance étrangère pendant un certain temps ? Il faudrait se référer à l'arrêt d'acquittement.

Alain.g a écrit :
Il s'agit de droit et pas de raisonner sur des bases intellectuelles ou morales. La Cour de Cassation est souveraine dans l'ordre judiciaire, elle peut même violer la loi, ce qui est arrivé. C'est au législateur de ne plus le permettre.
Là je tousse. Une telle assertion, en vocabulaire juridique, est une dénaturation. Il peut certes arriver que la cour de cassation, par des arrêts contestés par la doctrine, malmène la loi, mais l'autorité judiciaire dans son ensemble, y compris la cour de cassation, est censée appliquer la loi. Tout simplement, comme toute autorité, elle peut être tentée d'abuser. On ne peut pour autant dire que la cour de cassation, du fait qu'elle est l'instance supérieure, est souveraine et qu'elle peut violer la loi. D'ailleurs vous laissez entendre immédiatement le contraire : si le législateur peut intervenir, c'est qu'il n'est pas ignoré par la cour de cassation. La France est tout de même un Etat de droit et l'était déjà en 1906.

Alain.g a écrit :
Il s'agit de droit et pas de raisonner sur des bases intellectuelles ou morales.
Ce que nous essayons de faire, c'est justement de comprendre d'un point de vue juridique la situation d'Esterhazy. Je ne vois pas où l'on aurait raisonné sur des bases morales. Il est en revanche légitime de raisonner sur des bases intellectuelles parce que le droit est une construction intellectuellement cohérente reposant sur certains principes, dont celui de l'autorité de la chose jugée. Il serait plus opportun de nous indiquer où sont les failles de raisonnement plutôt que de condamner le caractère intellectuel du raisonnement.


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Message Publié : 08 Mars 2014 16:11 
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Pierre de L'Estoile
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Alain.g a écrit :
Le droit pénal est une matière très complexe, de plus en plus d'ailleurs si on approfondi; et il faut avoir un minimum de connaissances et de pratique pour en comprendre la subtilité.
Ce qui apparait comme anormal est en réalité l'ordinaire des pénalistes. Je n'ai pour ma part vraiment compris, bien qu'initié, qu'au cours de réunions avec le directeur des affaires criminelles à la Chancellerie et ai alors découvert des possibilités de poursuivre ou défendre dans une affaire, possibilités insoupçonnables pour un non-initié.
Autrement dit, j'ai raison mais je ne peux pas vous l'expliquer, vous n'avez pas le niveau, vous devez me faire confiance.
Eh bien, non. Pour être crédible, il faudrait que vous nous donniez au moins un exemple : X a été acquitté pour tels faits, néanmoins il a pu être à nouveau accusé pour telles raisons.
En attendant, j'en reste à ce que je lis dans le code de procédure pénale :
Article 368 : Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente.


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Message Publié : 08 Mars 2014 16:14 
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gaete59 a écrit :
Narduccio a écrit :
Ma question est donc : est-ce qu'il y a d'autres personnes qui se sont retrouvées dans le même cas ?

Pour avoir fait une formation de secrétariat juridique, il est trois affaires qui sont "des cas" appris et travaillés dans le cadre des "erreurs judiciaires" ou "erreurs accumulées dans le suivi d'une procédure" avec une instruction à charge sans dossier "limpide et abondé par une instruction libre et sereine" ; ce sont les termes employés.
Dreyfus est une de ces affaires mais peut-être suis-je HS, une des deux autres ne ressortissant pas de la justice française.
Pour l'autre affaire connue et en France, j'ignore où en est la procédure. J'ai pris ces cours de 92 à 94... C'est loin mais ces affaires soulèvent toujours des interrogations quant au fonctionnement judiciaire soumis à des pressions quelles qu'elles soient.


Il me semble qu'il y a eu un cas assez récent. Dans une affaire de meurtre, l'enquête se dirige très vite vers un suspect et il passe aux aveux lors de sa garde à vue. Mais, dès son passage chez le juge d'instruction, il revient sur ses aveux. Mais, le dossier de l'accusation semble solide, même sans les aveux. Du coup, après la clôture de l'instruction, procès. Bien entendu, appel du condamné. Je ne me souviens plus des détails des appels et contre-appels. Mais, au bout du compte, il est innocenté. Seul soucis, 15 ans se sont passés et à l'époque, l'enquête n'avait mis en évidence qu'un seul suspect .... La famille de la victime a pris acte de l'innocence de celui qu'on lui a présenté depuis le début comme l’assassin. Et quand elle se retourne vers la justice pour demander qui est le coupable, elle se retrouve devant un grand vide. L'enquêteur principal est formel, l'innocenté est coupable. D'autres personnes disent que l'enquête en se focalisant dès le début sur une seule piste a été biaisée dès le départ et qu'on n'a pas instruit à charge et à décharge. Ils ajoutent que certains éléments qui ont été écartés innocentaient dès le départ le mis en cause et ils pointent l’extorsion des aveux qui aurait emballé la machine judiciaire. La plupart des enquêteurs sont sceptiques sur la possibilité, hors évènement exceptionnel, de mettre la main sur le vrai coupable.

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