Narduccio a écrit :
L'un de mes outils de travail est un Recueil de Prescription au Personnel qui dit comment faire pour que les gens travaillent en toute sécurité. Une partie de mon boulot est aussi de savoir comment il faut faire quand diverses lois et règlements contradictoires s'imposent pour rendre difficile la réalisation d'un travail en toute sécurité. Et effectivement, une très bonne connaissance des textes permet souvent de trouver la bonne "ficelle". je rassure ceux qui interpréteraient mal mes propos : mon travail n'est pas de contourner la loi et de mettre les gens en danger. C'est juste l'inverse : comment réaliser le travail en toute sécurité en respectant, au mieux, des textes généraux pas toujours applicables à la lettre. Avec le risque, en cas d'erreur, de se retrouver devant un juge pour justifier les choix faits. Cette visite devant le juge impliquant qu'il y a eu des dommages aux personnes, je fais tout mon possible, et même plus, pour garantir que personne ne puisse être blessé.
Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Mais le terme de
trouver la bonne "ficelle" est impropre. Vous ne faites qu'interpréter la loi dans l'esprit du législateur dont l'objectif est d'atteindre à un niveau maximal de sécurité et, en appliquant bêtement un texte inadapté, vous courriez aussi le risque d'être accusé d'avoir méconnu vos obligations.
Alain.g a écrit :
Il y a des cas où une personne acquittée est ensuite reconnue comme ayant été coupable. Voir plus bas les possibilités de le sanctionner malgré tout.
...
le jugement qui acquitte Esterhazy, l'acquitte au vu de la saisine. Des poursuites sont donc possibles sur une autre base: autre qualification et autres éléments.
Pour bien nous éclairer il serait utile que vous puissiez nous donner un exemple d'affaire judiciaire dans lequel une personne acquittée a été ultérieurement condamnée et il serait intéressant également que vous nous disiez précisément comment on aurait pu traduire à nouveau Esterhazy devant une cour d'assise.
Alain.g a écrit :
Rien d'anormal dans les attendus du jugement de révision de 1906 car il ne concerne pas Esterhazy, je le répète. Invoquer l'autorité de la chose jugée en l'espèce est une erreur fondamentale en droit tout comme croire qu'il a eu une anomalie.
Je n'ai jamais prétendu qu'il y avait anomalie, j'ai dit que c'était extraordinaire. Esterhazy n'est pas dans la cause, ce n'est pas lui qui est jugé, mais il est tout de même indirectement concerné et c'est ce qui rend cette affaire extraordinaire.
La cause est la révision de l'arrêt ayant condamné Dreyfus pour avoir fourni des informations protégées à une puissance étrangère.
Il y a trois étapes dans un jugement :
- l'appréciation des faits conduisant à établir la vérité juridique ;
- la qualification des actes et des faits qui résulte de la vérité juridique ;
- la décision prise en conséquence de la qualification donnée aux actes et aux faits.
En l'espèce, pour résumer, dans l'arrêt de 1906 de la cour de cassation on lit que :
- vérité juridique retenue par la cour : le bordereau est de la main d'Esterhazy et non de Dreyfus ;
- qualification : le bordereau n'étant pas de la main de Dreyfus, il en résulte l'innocence de Dreyfus ;
- décision : Dreyfus étant innocent, la cour de cassation casse sans renvoi l'arrêt de la cour d'assise l'ayant condamné, c'est à dire qu'elle réhabilite Dreyfus.
Cette vérité établie judiciairement (Esterhazy auteur du bordereau) fait autorité mais dans le cadre de l'affaire (révision du procès de Dreyfus) seulement. Elle n'est donc pas absolue et ne s'impose pas à Esterhazy qui n'est pas partie au procès. Une cour d'assise appelée à juger Esterhazy, dans l'hypothèse où cela aurait été possible, aurait pu ultérieurement établir une autre vérité à son égard. Mais on pouvait alors s'attendre à ce que l'appréciation portée sur ces mêmes faits dans une autre instance pesât lourdement dans l'accusation.
Dans le principe, l'autorité de la chose jugée s'impose. Par exemple, si A est accusé d'avoir assassiné B, s'il est acquitté et qu'ensuite on prouve de façon indubitable qu'il est bien le meurtrier, il ne peut plus être poursuivi pour le meurtre de B. Dans le cas d'Esterhazy, c'est peut-être plus compliqué. L'acquittement portait-il sur un acte ponctuel ou sur une action continue de renseignement d'une puissance étrangère pendant un certain temps ? Il faudrait se référer à l'arrêt d'acquittement.
Alain.g a écrit :
Il s'agit de droit et pas de raisonner sur des bases intellectuelles ou morales. La Cour de Cassation est souveraine dans l'ordre judiciaire, elle peut même violer la loi, ce qui est arrivé. C'est au législateur de ne plus le permettre.
Là je tousse. Une telle assertion, en vocabulaire juridique, est une dénaturation. Il peut certes arriver que la cour de cassation, par des arrêts contestés par la doctrine, malmène la loi, mais l'autorité judiciaire dans son ensemble, y compris la cour de cassation, est censée appliquer la loi. Tout simplement, comme toute autorité, elle peut être tentée d'abuser. On ne peut pour autant dire que la cour de cassation, du fait qu'elle est l'instance supérieure, est souveraine et qu'elle peut violer la loi. D'ailleurs vous laissez entendre immédiatement le contraire : si le législateur peut intervenir, c'est qu'il n'est pas ignoré par la cour de cassation. La France est tout de même un Etat de droit et l'était déjà en 1906.
Alain.g a écrit :
Il s'agit de droit et pas de raisonner sur des bases intellectuelles ou morales.
Ce que nous essayons de faire, c'est justement de comprendre d'un point de vue juridique la situation d'Esterhazy. Je ne vois pas où l'on aurait raisonné sur des bases morales. Il est en revanche légitime de raisonner sur des bases intellectuelles parce que le droit est une construction intellectuellement cohérente reposant sur certains principes, dont celui de l'autorité de la chose jugée. Il serait plus opportun de nous indiquer où sont les failles de raisonnement plutôt que de condamner le caractère intellectuel du raisonnement.