En fait, dans ces amalgames, il y a souvent une méconnaissance profonde de ce qu'étaient les sociétés d'anciens régimes. On les présente souvent comme des périodes où règne un certain absolutisme et où le noble qui commande décide de tout et régit tout. A l'époque romantique, il y eut une mode du roman médiéval. En fait, des romans qui se plaçaient à l'époque médiévale et qui en présentaient une vision idyllique. Le roi, le prince était le maître suprême qui décidait de tout. Il avait parfois un ou deux conseiller, et souvent son âme noire était le mauvais conseiller qu'il fallait éliminer pour que les yeux du souverain se décillent et que règne l'harmonie.
Or, nous savons que la réalité n'est pas celle-là. Dans les mouvement totalitaires, on cherche a revenir à cette période idéale rêvée où un chef en prenant des décisions pertinentes va rendre gloire et prospérité à la nation toute entière. Le bonapartisme se coule aussi, en partie dans ce moule. J'insiste sur le fait qu'il se moule "en partie". Car s'il faut un homme providentiel, cet homme providentiel doit fédérer la société et être à son écoute. Tandis que dans les mouvements totalitaire, le chef impose sa volonté au peuple. Dans les détails c'est plus compliqué, mais la différence d'essence se situe globalement à ce niveau-là.
Le boulangisme semble plus être un mouvement bonapartiste que totalitaire. Il fédère des mécontents, dont le seul point d'accord est justement ce mécontentement, mais qui ne sont pas d'accord sur les solutions. Ils se trouvent donc en position de devoir compter seulement sur leur point commun le jour où ils arriveraient au pouvoir. Le mouvement mussolinien commença ainsi, Mussolini a fédéré de nombreux mécontentements, et une partie de ceux qui participèrent à la marche sur Rome furent déçus de l'évolution ultérieure du régime. Cela est d'ailleurs l’argument du film
La Marche sur Rome de Dino Risi avec Victorio Gassman et Ugo Tognazzi dans les rôles principaux. Dans les années 60, j'ai connu des gens qui ressassaient encore cette trahison qui a fait que ce mouvement populaire s'est transformé en mouvement totalitaire (ressentiment qui a été effacé ensuite de la mémoire collective des italiens).
Si Boulanger avait vécu et si son mouvement avait pris le pouvoir, personne n'est en mesure de prédire quelle voie il aurait choisie. Un retour vers une société d'Ancien Régime ? Une voie vers un Empire bonapartiste voulant garantir l'Ordre ? Une dérive vers un pouvoir personnel et totalitaire ? On ne peut rien prédire à partir des prémisses, car toutes les voies sont ouvertes.