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Tandis que le pape Léon XIII invitait les catholiques de France à accepter la forme républicaine de l'Etat, les gouvernements français durcissaient leur position au travers de mesures successives : affaire des fiches, expulsion des congrégation, rupture des relations diplomatiques avec le saint siège, rupture unilatérale du concordat !
Les faits sont un peu plus complexe qu'une image d'Epinal montrant le gentil Léon XIII face aux méchants républicains francs-maçons anticléricaux et il faut respecter la chronologie.
Première expulsion de congrégations : 1880
Acceptation du régime républicain : 1892
Deuxième expulsion de congrégations : 1903
Mort de Léon XIII : 1903
Affaire des fiches : 1904
Rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège : 1904
Dénonciation du concordat : 1905.
A l'exception de le première expulsion des congrégation aux effets assez limités, les mesures anticléricales ont été prises une bonne dizaine d'années après l'acceptation de la république par Léon XIII. Mais surtout, il faut se garder de voir une concession dans cette acceptation.
L'invitation aux catholiques d'accepter la forme républicaine de ses institutions politique a été lancée par l'encyclique
Au milieu des sollicitudes du 17 février 1892 :
https://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_16021892_au-milieu-des-sollicitudes.html.
Cette encyclique est très loin d'approuver la politique du gouvernement. En introduction elle évoque un vaste complot que certains hommes ont formé d’anéantir en France le christianisme. Ce n'est pas vraiment un ralliement, ce n'est que l'expression d'une volonté de pacification. Et encore ! Certains termes de l'encyclique sont de l'huile jetée sur le feu :
Avant tout, prenons comme point de départ une vérité notoire, souscrite par tout homme de bon sens et hautement proclamée par l’histoire de tous les peuples, à savoir que la religion, et la religion seule, peut créer le lien social; que seule elle suffit à maintenir sur de solides fondements la paix d’une nation. C'est, par avance, la condamnation de toute politique laïque. Dans sa magnanimité, Léon XIII veut bien d'une république en France, mais à condition que ce soit une république catholique.
La suite du texte est néanmoins un peu plus mesurée.
Il est fait tout d'abord une discrète invitation aux catholiques à s'ouvrir à la société civile, donc à accepter de coopérer avec toutes les bonnes volonté (même non catholiques si j'ai bien su lire entre les lignes), qui se termine par ces mots :
Tous les citoyens sont tenus de s’allier pour maintenir dans la nation le sentiment religieux vrai, et pour le défendre au besoin, si jamais une école athée, en dépit des protestations de la nature et de l’histoire, s’efforçait de chasser Dieu de la société, sûre par là d’anéantir le sens moral au fond même de la conscience humaine. Sur ce point, entre hommes qui n’ont pas perdu la notion de l’honnêteté, aucune dissidence ne saurait subsister. Il est ensuite rappelé que l'objectif de l'Eglise dans le cadre de la société civile est de sauvegarder les valeurs morales. Ce n'est pas de dominer politiquement. Sont donc condamnées les prétentions des ultras qui n'ont toujours pas accepté la révolution de 1789 - ils sont encore nombreux en 1892 – et cette condamnation s'appuie sur le dogme :
Rendre à César ce qui appartient à César. Car il s'agit en premier lieu de ne pas susciter le rejet par une attitude fondamentalement hostile qui ferait des catholiques des ennemis de la Nation. Il faut donc accepter la légitimité du pouvoir.
Il faut d'autant mieux l'accepter qu'au-delà de l'opportunité tactique d'échapper à l'accusation de traîtrise envers la Nation, il est encore dans la doctrine de l'Eglise d'accepter l'autorité politique qui est légitime en soi, même quand elle se montre hostile aux croyants :
Inutile de rappeler que tous les individus sont tenus d’accepter ces gouvernements et de ne rien tenter pour les renverser ou pour en changer la forme. Car, tout contestables soient-ils, ces gouvernements assurent l'ordre public qui vaut toujours mieux que la guerre civile et l'anarchie. Il faut ensuite garder à l'esprit que tous les régimes sont passagers, que seule l'Eglise est éternelle et qu'elle sait attendre. Aussi importe-t-il de rester fidèle à l'enseignement de Saint Augustin :
Julien était un empereur infidèle à Dieu, un apostat, un pervers, idolâtre. Les soldats chrétiens servirent cet empereur infidèle. Mais, dès qu’il s’agissait de la cause de Jésus-Christ, ils ne reconnaissaient que celui qui est dans le ciel. Julien leur prescrivait-il d’honorer les idoles et de les encenser ? Ils mettaient Dieu au-dessus du prince. Mais, leur disait-il, formez vos rangs pour marcher contre telle nation ennemie ? à l’instant ils obéissaient. Ils distinguaient le Maître éternel du maître temporel, et cependant, en vue du Maître éternel, ils se soumettaient même à un tel maître temporel.La question du régime est sans importance. Tous les régimes ont leurs qualités et leurs défauts. La république n'est pas mauvaise en soi. Il peut y avoir de bonnes lois sous la république et de mauvaises sous la monarchie. Ce n'est pas le régime qui importe mais la législation. Celle actuellement imposée par les hommes au pouvoir est mauvaise et il importe d'y résister par tous les moyens légaux et honnêtes. Le respect dû aux institutions le permet.
Quant à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, elle serait inacceptable.
Finalement, l'acceptation de la république n'était pas une concession. C'était une position pragmatique prise pour deux raisons. La première était que Léon XIII était suffisamment visionnaire pour avait compris qu'il ne servait à rien de refuser l'inéluctable, que les temps avaient changé et que l'on ne pouvait plus penser en 1892 comme en 1789 ni même en 1815. La seconde était que Léon XIII était suffisamment fin politique et homme d'Etat pour distinguer l'essentiel de l'accessoire et que la question du régime était tout à fait accessoire. Mais, sur la question essentielle de la laïcité, c'était l'intransigeance : l'Eglise avait pour mission d'assurer l'ordre moral dans la nation. Les positions de l'Eglise et des gouvernements laïcs étaient inconciliables et les blocages venaient des deux côtés.