Cette peur de l'encerclement du côté allemand, cette crainte d'un faisceau d'ennemis disposé à en découdre, découle directement des conditions politiques, militaires et diplomatiques de l'unité allemande. Les discours de Bismarck entre 1872 et 1890 au Reichstag, mais aussi le ton des feuilles officielles allemandes ne laissent pas l'ombre d'un doute : l'unité allemande s'est faite dans le sang et le fer. A ce titre, elle a provoqué le mécontentement, voire l'hostilité de trois puissances majeures en Europe : l'A-H, qui a définitivement perdu son rêve de former une "grande Allemagne", celle-ci, Bismarck a décidé de se l'attacher en 1879 pour éviter toute reprise d'hostilités ; la Russie, d'abord satisfaite des résultats de Sedan s'est rendue compte que la position hégémonique allemande en Europe entrait désormais en contradiction avec sa politique extérieure, puisqu'au nom de la réconciliation austro-allemande, Bismarck garantissait à l'Autriche une carte blanche dans les Balkans (à défaut de pouvoir regarder du côté des germains, unis, finalement, par le roi de Prusse...) ; la France, la plus tenace, qui n'acceptait pas la perte de l'Alsace-Lorraine, tout comme la position hégémonique de l'Allemagne en Europe, encore moins, par la suite, ses ambitions coloniales. L'Allemagne parvient à isoler cette dernière en créant la Triplice en 1882, tout en conservant la neutralité bienveillante de la Russie, jusqu'à ce que celle-ci se rende compte aussi de son isolement et de son humiliation après la guerre russo-turque. A ce contexte extérieur - déjà très chargé ! -, il faut ajouter un contexte intérieur non négligeable. Bismarck ne cesse de demander un relèvement des crédits militaires aux autres Etats de l'Empire pour garantir "son édifice" et la position hégémonique de l'Allemagne sur le continent. Ces Etats, comme le Bade ou la Bavière n'ont aucune envie de participer à cette course aux armements et le facteur confessionnel n'est pas négligeable : on ne veut donner toutes les clés de la maison "Allemagne" aux Prussiens protestants. Bismarck n'hésite pas en cas de refus du vote des crédits militaires du Reichstag à le dissoudre et à agiter le risque d'une guerre avec la France et/ou la Russie. L'exemple de 1887 est à ce titre frappant. C'est lui, au passage, qui fait de Boulanger, le général revanche, une "star" européenne de la guerre dans ses discours... Le reste n'est que fuite en avant : toujours davantage de crédits militaires, une véritable psychose qui se répand pour s'enraciner dans l'opinion sur les défiances françaises et/ou russes à l'encontre de l'innocente Allemagne - dans les années 1880-1890, on se demande bien avec quoi ces puissances auraient pu attaquer la meilleure armée d'Europe !!! - et qui fortifie l'EM allemand (prussien ?) dans la nécessité d'anticiper l'inévitable. Il faut une guerre préventive. En 1875 et en 1887, Moltke persuade Bismarck de la faire contre les Français avant qu'ils ne se "relèvent". Seules les pressions des souverains russes sur Guillaume Ier permettent d'éviter cette guerre - peut-être aussi la victoire de la ligne bismarckienne au Reichstag, suite au blocage du printemps 1887 avant la dissolution. Il faut dire que l'Allemagne avait obtenu la neutralité bienveillante russe en cas de guerre contre la France qu'au cas où cette dernière soit l'agresseur... Toutes les provocations sont bonnes pour que la France reproduise une dépêche d'Ems. A force, les décennies passent, certains hommes changent, mais ce sentiment demeure, chez les diplomates, politiques et militaires allemands. L'édifice bismarckien doit être conservé, l'hégémonie sur le continent aussi et s'il faut une guerre pour éviter un recul ou une possible victoire des puissances "jalouses" des réussites allemandes, alors on la fera.
_________________ Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule Alphonse de Lamartine
|