Et bien que d'activités d'un coup sur ce sujet, ça change!
A Choucrouteux d'abord : j'avoue que mes connaissances précises sur Hugo et la Commune sont peu étendues, mais votre interrogation est tout à fait pertinente, ce qui m'a fait rechercher un document que j'avais croisé au cours de recherches : il s'agit d'une lettre de Hugo du 26 mai 1871, adressée au rédacteur en chef du journal
L'indépendance belge et publiée, qui réagit négativement à l'annonce du gouvernement belge de refuser l'asile aux communards. Il y affirme sa solidarité avec les vaincus (avant tout des hommes, pourchassés et massacrés), demandant à ce que la Belgique les accueille et disant qu'il est prêt à en accueillir chez lui (je crois qu'il l'a fait d'ailleurs, mais ce serait à vérifier) : ses motifs sont humanitaires, humanistes, de sympathie avec les nouveaux proscrits (lui le proscrit de Bonaparte), etc.
Mais il y affirme aussi 2 choses qui nous intéressent plus directement : 1/ il s'élève contre les massacres commis par Versailles, au nom du respect du droit et dans la continuité de son combat contre la peine de mort 2/ il désapprouve la Commune, pas tant ses principes que ses hommes et certaines mesures: loi des otages, confiscation de biens, suppression de journaux, arrestations arbitraires, exécutions, destructions (colonne Vendôme, Louvre...), etc. Il semble ici que pour lui la Commune soit allée bien plus loin que les autres mouvements révolutionnaires. Mais il condamne en même temps exactions communardes et versaillaises, en fonction des principes évoqués ci-dessus.
A cela il faudrait aussi ajouter des idées politiques tout de même quelques peu différentes. En tout cas, je crois que c'est surtout la violence que condamne Hugo ; d'ailleurs il me semble que son livre
Quatrevingt-treize écrit en 1874 est aussi une réflexion (et une condamnation) sur la violence, révolutionnaire notamment, qui fait directement écho aux événements de 1871.
A La Saussaye:
Baudolino a déjà largement répondu. Mais juste pour poursuivre :
1/ en effet la dénomination "rouge" ne concerne pas que les bolchéviks: c'est la couleur des révolutionnaires les plus radicaux et de plus en plus des socialistes : voir la question du drapeau rouge, et par exemple l'épisode fameux de Lamartine qui rejette l'adoption de ce drapeau par la toute jeune République en février 48 ; ou bien le vote démoc-soc en 49, qui fait apparaître des départements "rouges" - le mot est d'époque. Enfin bref, "rouge" est le qualificatif de l'extrême gauche de l'époque comme l'a dit Baudolino, qui les différencie des "blancs" (royalistes) mais aussi des "bleus" (les républicains plus modérés). Le communeux Jean-Baptiste Clément (auteur du 'Chant des cerises') écrit par exemple un article sous la Commune dans le
Journal officiel qui s'intitule "Les Rouges et les Pâles" et qui expose un certain nombre des idées communardes, républicaines, démocratiques et socialistes de l'auteur - des rouges, les opposant à celles des "pâles", les royalistes, massacreurs, oppresseurs du peuple et héritiers de l'Ancien Régime.
2/ En ce qui concerne les otages, si le décret a bien été pris début avril en réaction aux exécutions de Flourens et Duval, il n'est "appliqué", et encore qu' "imparfaitement", qu'une fois que les exécutions versaillaises ont débuté, dès le 22 mai. La chronologie serrée des événements montre que les Versaillais massacrent avant même toute exécution et incendie des communards (et alors que les combats à l'ouest sont encore peu intenses), disqualifiant la thèse d'une armée versaillaise ivre de haine et apeurée par un Paris en flamme qui massacre pour se venger ; en revanche, les exécutions des otages n'interviennent qu'après le début des exécutions versaillaises, au moment du paroxysme de la violence, dans le milieu de la semaine. Alors certains diront toujours que cette violence est intrinsèque de toute manière à toute révolution et mouvement révolutionnaire et que ces précisions chronologiques ne changent pas l'interprétation de fond... Je ne le pense pas pour ma part.
Il est aussi à noter que même à cette date de nombreux communards les désapprouvent (voir les pages de Jules Vallès dans
L'Insurgé par exemple) ; elles sont surtout le fait de blanquistes comme Rigault et de la foule. Mais bon, il faut bien dire qu'en pleine Semaine sanglante dépenser une grande énergie pour tenter de sauver les otages (qui étaient aussi des opposants) n'était pas vraiment une priorité, et même quelque peu inutile voire dangereux... En tout cas le but n'était bien sûr pas militaire mais plus vindicatoire, doublé d'un sens politique, mais a largement contribué à donner une mauvaise image des communards.
C'est vrai aussi que ces "otages" pris par la Commune s'inscrivent dans une certaine tradition, de la Révolution déjà il me semble. Quant aux exécutions de prêtres, là aussi c'est assez "traditionnel" : sous la Révolution bien sûr ; ou en Juin 48 l'archevêque de Paris (poste dangereux au 19°!...) avait déjà fait les frais des combats. Il ne s'agit pas de justifier, mais tous ces otages sont pour les communeux des cibles politiques qui sont dans le camp qui les massacre...
En fait, vu la violence de la période et de la Semaine sanglante, et compte tenu de la violence de la Révolution française par exemple, le chiffre d'une centaine d'exécutions paraît presque trop faible... Je ne dis pas qu'il aurait fallu en tuer plus, qu'on soit bien clair ; mais il est sûr que le différentiel entre les deux camps est assez important - argument déjà exploité par les communeux et sympathisants de l'époque. La pratique des otages et exécutions existe donc encore mais on voit bien qu'elle pose problème, y compris à certains fervents partisans de la Commune (l'idée étant que cela ne change rien, voire que ça donne des arguments au camp adverse). Elle est bien sûr abondamment critiquée par le camp versaillais, comme étant un signe de la barbarie et de l'inhumanité des communards. Mais dans le même temps (et cela rejoint ce que je disais avant) les massacres des communards arrivent à se justifier à leurs yeux.
Donc, à propos de la question des otages et finalement de la tolérance face à la violence physique (car c'est cela qui est derrière il me semble - et cela permet peut-être de répondre partiellement à votre question sur les "mœurs" Savinien), on a un peu deux poids deux mesures : on la conspue comme barbarie dans le camp adverse, mais on la tolère (voire la revendique pour certains) quand c'est son propre camp qui la pratique. Position très classique en somme, mais particulièrement parlante dans le cas de la Commune, notamment du côté anti-communard.
Et peut-être que la Commune montre aussi finalement une évolution différente par rapport à la violence physique entre les deux camps, les Versaillais y recourant encore facilement pour atteindre leurs objectifs de purification sociale et politique, alors que les révolutionnaires semblent s'en détacher quelque peu, usant notamment de la violence symbolique (destruction de la colonne Vendôme, de la maison de Thiers, incendies)...