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Message Publié : 13 Sep 2017 22:47 
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Jean Froissart
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Duc de Raguse a écrit :
Sans le Reichsland pas de soutien des Etats allemands du Sud à la Prusse

Ce que je ne comprends pas est que Bismarck offre à la Bavière l'A-L (je cite toujours Bled) qui refuse sentant le piège... Alors le chancelier évoque d'en faire un Reichsland et qui dit Reichsland dit... Reich.
Ce à quoi la Bavière tout comme le Wurtemberg n'étaient pas très chauds.
C'est à ce moment semblerait-il que Bismarck comprend que seul un conflit peut fédérer.

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Message Publié : 14 Sep 2017 6:27 
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Sauf si c'est le monarque bavarois qui pose la couronne impériale sur la tête du roi de Prusse...
Merci à vous d'avoir cité les passages de l'ouvrage de Bled, qui reprend très nettement (Renouvin l'avait très bien fait auparavant aussi) les archives publiques du moment.
Citer :
Je n'avance pas que B. ait eu la main forcée mais il semblerait qu'il ait dû composer avec les militaires

Normal, il a besoin des vieux junkers - avec qui il est en conflit au landtag prussien depuis 1863 - qui commandent l'armée pour vaincre les Français. Mais c'est bien lui qui trafique la dépêche d'Ems et non les militaires. C'est encore lui qui promet l'A.-L. aux Etats allemands du Sud pour faire "sauter" les dernières digues d'opposition.
Je peux poursuivre les exemples similaires si vous le souhaitez...

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Message Publié : 15 Sep 2017 11:10 
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Jean Froissart
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Anto a écrit :
Je suis actuellement en train de lire l'Histoire de la Prusse de Jean-Paul Bled et il semble donner une place bien plus importante à Bismarck dans l'annexion de l'Alsace-Lorraine que tout ce que j'avais lu préalablement...

Comme il s'agit de Bismarck, Bled va tout de même jusqu'au bout ce qui nous fait mieux appréhender les tiraillements naissants avec la Russie et bien entendu la personne de Guillaume II.
Bled émet beaucoup d'hypothèses et donne large place à une vision assez personnelle des choses. Il fait même parler les silences, c'est dire.
Un exemple : à la fin de la bio, Bled (dont les sources et citations sont à compter sur les doigts des deux mains) exhorte le lecteur à ne surtout pas voir en Bismarck, le mentor d'Hitler. Pourquoi cette précaution ? Qui aurait cette idée saugrenue ?
Et la suite nous offre un discours d'Hitler qui fait de larges allusions laudatives à Bismarck... La précaution n'était donc qu'une introduction afin de placer le discours en question.
Dans le livre, alors que l'on cherche des sources, nous avons droit à une reprise de de Gaulle concernant la vieillesse ; pour le côté social bismarckien : une reprise du bonapartisme que d'ailleurs de Gaulle exploitera aussi ; concernant la volonté tardive de colonisation, un parallèle est fait avec J. Ferry en précisant que Ferry est un patriote qui a toujours la ligne bleue des Vosges en tête et tout est ainsi. Pour le bilan, on se fend d'une phrase de W. Brandt évidemment négative.
Il faut croire que l'après Bismarck ne peut être que génialissime : on a vu.
Tout de même, ceci :
[Les années 1980 sortent B. de son purgatoire. Dès le début de la décennie ... L von Gall lui consacre une biographie de référence dont le sous-titre ... souligne la dualité. Le relais est pris 5 ans plus tard par E. Engelberg ... Participant de l'entreprise de réhabilitation de la Prusse en RDA ... cette biographie crédite Bismarck d'avoir réalisé l'unité de l'Allemagne ... porte un jugement largement positif sur sa politique extérieure.]

Jérôme a écrit :
Pour ma part j'ai gardé en mémoire la vie de Thiers par Georges Valance que j'ai lue cet été et qui évoque des contaçts franco prussiens avec une proposition de paix modérée de Bismarck à l automne. Hypothèse rejetée par le gouvernement de la défense nationale .

Tout dépend ce qui est conçu comme "modéré".
La France semble oublier qu'elle a le rôle d'agresseur dans ce conflit. Bien sûr, il y a la dépêche d'Ems mais elle n'est pas ex nihilo, avant il y a eu une politique totalement ahurissante doublée d'une suffisance qui n'avait nullement lieu d'être.
Louis II souvent montré comme un souverain instable ne tombera pas dans le piège de Bismarck qui lui offre des appâts, justement l'A-L. La France face aux "pourboires", oui et en plus en se montrant lourdement insistante.

[ Le 26 février 1871, les conditions de paix furent présentées à Thiers. B. exigeait l'Alsace avec Belfort, le nord de la Lorraine avec Metz et une indemnité de 6 milliards. Thiers obtint quelques concessions : l'indemnité fut ramenée à 5 milliards et la France put conserver Belfort … les préliminaires furent repris dans le traité définitif … avec la possibilité pour les Alsaciens et Lorrains d'opter pour la France à condition de quitter leur province. Plus que B. c'étaient les militaires qui avaient imposés leur vues pour les conditions de paix et B. lui-même en mesurait les conséquences pour l'avenir (1)]

Histoire de l'Allemagne de la Germanie à nos jours – H. Bogdan
(1) Bismarck – L. Gall

Si Bled n'a pas sourcé la vision des conséquences nous laissant sur une interrogation, Bogdan le fait. Surgi de nouveau, la vision de militaires qui sont tout de même bien présents. Non pas que je ne saisisse pas que B. s'en montre heureux mais il faut lui accorder de ne pas être le seul à avoir pesé dans la balance et lorsque l'on connait le poids des militaires en Prusse, ce n'est pas rien.

La France n'a plus de régime et qui envoie-t-on pour discuter à Ferrières ? Favre.
Favre oublie un peu qui va être le vainqueur, ce que celui-ci pourrait engranger de fatigue face à une France révolutionnaire débordante de ses frontières puis impériale et pour le coup franchement agressante. Puis cet incessant ballet de révoltes, soulèvements pour finir par un second empire via des moyens tout aussi tordus que ceux de B.
Pendant ces convulsions, les voisins ont dû vivre dans un climat anxiogène : que va encore pondre la France ? Et bien voilà. Et Favre continue son discours qui ne peut qu'interpeller voire franchement contrarier B.
Dans la soirée, j'ai donc fait des recherches sur Favre :
- De la fête impériale au mur des fédérés – A. Plessis
- Les débuts de la IIIème République : 1871-1898 – J-M Mayeur
- La République radicale : 1898-1914 ? - M. Rebérioux

La lecture a bien entendu été en diagonale. On voit un Favre républicain à un moment ou les Républicains sont une minorité éclatée, un Favre qui défend Orsini mais bon, rien qui puisse en faire une personne de choix à un moment crucial si ce n'est que exit l'Empire et vive la République.
Là encore, peut-être que le nouveau gouvernement aurait été bien inspiré de choisir une autre personne. D'ailleurs avec Thiers (donc chacun connait le mentor), la France -qui a une marge de manœuvre plus étroite- va tout de même obtenir quelques petites choses.

Pour ce qui concerne l'A-L, on pourrait voir dans la proposition de B. un autre coup tordu. C'est aller un peu loin. Il semble en effet qu'outre-Rhin, on n'hésite pas à bouger lorsque certains paramètres l'exigent ou le proposent.
Ce n'est pas dans l'esprit français de bouger et il n'y aura que peu d'optants. C'est une chance pour la France qui va pouvoir construire toute une propagande anti-prussienne : c'est ce que cette lecture m'a apprit.

Jacques Sémelin écrira : "Le traité de Versailles n’a pas tant joué un rôle économique que symbolique dans la montée du nazisme. Il représente avant tout l’incapacité du peuple allemand de reconnaître la défaite militaire ... en donnant à l’Allemagne le sentiment d’être une victime de la guerre."
Cette phrase est totalement applicable à l'esprit français après le conflit. La France est victime, elle a perdu l'A-L et le fil va être exploité ad n...

Duc de Raguse a écrit :
Sauf si c'est le monarque bavarois qui pose la couronne impériale sur la tête du roi de Prusse...

Nous savons que ceci ne se fera pas. S'il faut y voir une simple allusion à la Kaiserbrief, il faut rappeler que Louis II et Bismarck sont loin d'être des inconnus l'un à l'autre.
Bismarck sait que si ses "menaces" (Bled) semblent avoir effet sur le Wurtemberg, la Bavière et son roi... Il ne peut que bloquer Louis II déjà hostile à ses ministres germanophiles. Le roi s'isole, loin de Munich, ville qu'il déteste.
Louis II se lance dans une passion familiale : la construction de châteaux. Ceci a un prix et c'est plus la rente offerte au roi (100 000 thalers annuels, je crois) qui va faire écrire la Kaiserbrief. Louis II sait qu'à plus ou moins long terme, la Bavière sera dans le giron allemand :
- il est hors de question qu'il se laisse entraîner par un autre projet de mariage donc pas d'héritier,
- son frère est hors jeu,
- la couronne passera du côté germanophile de la famille.
Cependant il a bien l'intention de vendre chèrement sa signature.
Tout comme le roi de Saxe (un parent) et le roi de Wurtemberg, il sera absent à Versailles.

Citer :
Normal, il a besoin des vieux junkers - avec qui il est en conflit au landtag prussien depuis 1863 - qui commandent l'armée pour vaincre les Français.

Concernant les vieux junkers, Bismarck a été leur unique porte-parole pendant longtemps étant lui-même de ceux là qui construisirent la Prusse. D'abord en allant coloniser le Brandebourg et faire en sorte que la Prusse dorme sur ses deux oreilles pendant qu'ils travaillaient à maintenir les frontières de leurs domaines.
Si les aléas politique ont fait que parfois il y a eu éloignement, B. reste dans l'âme un de ceux-ci (sa vie le montre, il ne se ressource que sur ses terres).
A contrario, avec les militaires il y a des problèmes. Que les militaires soient de vieux junkers ou pas. Ceci vient du fait que les militaires n'ont pas une vision politique de long terme et c'est normal, ce n'est pas ce qui leur est demandé.

Citer :
C'est encore lui qui promet l'A.-L. aux Etats allemands du Sud pour faire "sauter" les dernières digues d'opposition.

A la Bavière et il se fait retoquer. A moins que Bled ait oublié de préciser que ceci fut offert aussi au Wurtemberg ce qui dans ce cas serait un peu différent. La rhétorique du chancelier suffira : avec ou sans la Bavière et le Wurtemberg, l'unité se fera... D'ailleurs la Bade qui pleurait pour entrer et bien on l'accueille à bras ouverts. Devant cette évidence, le Wurtemberg cède : voici ce que propose Bled.

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Message Publié : 15 Sep 2017 16:12 
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Je ne comprends pas bien le sens de votre message...
Vous réalisez l'exégèse de l'ouvrage de Bled - en réalisant les mêmes fautes que lui sur les "silences" des acteurs - ou répondez-vous aux messages précédents du fil de discussion ? J'avoue m'y perdre un peu.

Citer :
Un exemple : à la fin de la bio, Bled (dont les sources et citations sont à compter sur les doigts des deux mains) exhorte le lecteur à ne surtout pas voir en Bismarck, le mentor d'Hitler. Pourquoi cette précaution ? Qui aurait cette idée saugrenue ?

Je ne sais pas, les mêmes qui voient une causalité entre les massacres coloniaux et la Shoah... :P
Plus sérieusement, Beld répond ici à une vision déterminisme de l'Histoire de l'Allemagne contemporaine conceptualisée par l'école marxiste, le sonderweg, dans laquelle l'unité allemande réalisée par Bismarck constituerait le lit du nazisme.

Citer :
Il faut croire que l'après Bismarck ne peut être que génialissime : on a vu.
Tout de même, ceci :
[Les années 1980 sortent B. de son purgatoire. Dès le début de la décennie ... L von Gall lui consacre une biographie de référence dont le sous-titre ... souligne la dualité. Le relais est pris 5 ans plus tard par E. Engelberg ... Participant de l'entreprise de réhabilitation de la Prusse en RDA ... cette biographie crédite Bismarck d'avoir réalisé l'unité de l'Allemagne ... porte un jugement largement positif sur sa politique extérieure.]

Je ne comprends pas cette remarque...

Citer :
Louis II souvent montré comme un souverain instable ne tombera pas dans le piège de Bismarck qui lui offre des appâts, justement l'A-L.

Bof. Bismarck l'achète, en quelque sorte, en lui offrant une belle somme d'argent nécessaire à la construction de ses châteaux. Ce qui fait qu'à l'été 1870, la Bavière répondra présente pour aider son alliée prussienne et ne s'opposera pas à la création du IIème Reich.
Je ne sais pas si c'est le "piège" auquel vous faites référence, mais l'absence remarquée de Louis II à Versailles ne signifie pas qu'il s'est opposé à la proclamation de l'Empire allemand.

Citer :
Si Bled n'a pas sourcé la vision des conséquences nous laissant sur une interrogation, Bogdan le fait.

Ah bon ? Quel document d'archive cite-t-il ? Vous ne l'avez pas reproduit...

Citer :
Ce n'est pas dans l'esprit français de bouger et il n'y aura que peu d'optants. C'est une chance pour la France qui va pouvoir construire toute une propagande anti-prussienne : c'est ce que cette lecture m'a apprit.
...

Là encore, je n'ai pas compris ce point.
Tout guerre perdue entraine un sentiment de revanche, je ne vois pas l'intérêt d'associer le traité de Francfort et de Versailles dans ce fil de discussion.
Les dirigeants français n'ont jamais développé l'idée que la France n'avait pas perdu la guerre (les Allemands si, avec la légende du coup de poignard dans le dos...), mais que les Allemands avaient, en quelque sorte, abusé de cette victoire pour annexer des territoires.

Citer :
Concernant les vieux junkers, Bismarck a été leur unique porte-parole pendant longtemps

Certainement pas dans le royaume de Prusse ! A part sur les questions agrariennes, après 1875, sur lesquelles il peut avoir des proximités, ils ont une sérieuse dent contre lui depuis 1862 et n'hésitent pas à demander ponctuellement sa tête au roi. Entre 1866 et 1871, cela change, suite aux succès de Bismarck les conservateurs se scindent en deux et les "libres" vont désormais soutenir sa politique. Il les a donc "mâté" politiquement depuis 1862 (donc les pressions de cette côterie sont délicate à envisager) et ébloui depuis ses victoires diplomatiques de 1866 et 1870. Il parvient donc à les diviser et ôter un grand pouvoir de nuisance - puisque certains votaient avec les libéraux contre lui ! - à la veille du conflit avec la France.
Bref, au regard de l'histoire prussienne et allemande des années 1860-1870, je ne vois vraiment où Bismarck aurait été victime de pressions.
Vous critiquez ceux qui le contestent, mais, malheureusement, vous ne produisez aucune source de primaire pour illustrer en quoi ils se trompent.

Citer :
A la Bavière et il se fait retoquer. A moins que Bled ait oublié de préciser que ceci fut offert aussi au Wurtemberg ce qui dans ce cas serait un peu différent. La rhétorique du chancelier suffira : avec ou sans la Bavière et le Wurtemberg, l'unité se fera...

Ah ? Ces Etats ont construit une Confédération allemande du Sud ou bien ont-ils rejoint la Confédération du Nord pour former l'Empire allemand ?
Je ne vois pas où Bismarck se fait "retoquer" dans tout ceci... :-|

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Message Publié : 16 Sep 2017 1:29 
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Jean Froissart
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Duc de Raguse a écrit :
Je ne comprends pas bien le sens de votre message...

C'est une réponse à Anto qui, si je l'ai bien compris, a trouvé Bled un peu flou. Moi aussi. Dans un passage il évoque les silences de Bismarck -dans ses "Mémoires"- ceci concernant plusieurs sujets et y voit un déni de ses erreurs ; la preuve ? Le silence... Ce qui me laisse perplexe.
Pour être en train de lire les deux livres de Bled : "Bismarck" et "Bismarck : de la Prusse à l'Autriche", j'ai été très étonnée que les deux livres soient pour ainsi dire semblables du début jusqu'à la fin.

Merci pour l'explication concernant le déterminisme etc. :wink: Cette propension à vouloir trouver chez le peuple allemand des différences afin de théoriser est déstabilisant dans un livre d'historien.

J'avais senti dès la lecture de "Bismarck : de la Prusse à l'Autriche" une sorte de vision totalement négative du personnage mais comme je m'attachais à comprendre les choses... Lors de la lecture de la biographie, c'est à dire relecture du premier livre, cette fois c'est devenu une évidence.
Je pensais -naïvement- que la biographie au moins- serait équilibrée comme un travail d'instruction. Ce n'est qu'à la fin, avec ce que je cite concernant les années 1980, qu'enfin on peut lire quelques phrases positives. Dans les livres se conjuguent les faits et le rédactionnel. Si certains faits ne peuvent être discutés, on peut -par le biais du rédactionnel (choix des mots, des qualificatifs, ponctuation, citations etc.)- faire un portrait du personnage. Je trouve ce portrait très à charge.
Après la lecture de ces deux livres, on ne peut que se dire que l'après-Bismarck va inaugurer une ère où les conflits seront terminés, où un empereur va enfin donné le LA, va mener une politique où le bellicisme qui est attribué à Bismarck va disparaître avec le personnage. Il se trouve que Guillaume II sera pire encore...
Bled ne pouvait l'ignorer.
Au final, mon choix de livres s'est avéré mauvais, je le reconnais. J'aurais dû opter pour "Bismarck : de la Prusse à l'Allemagne" et compléter par une biographie de Guillaume II. Au début de cette biographie, j'aurais retrouvé le chancelier, sa disgrâce, sa fin et pu apprendre plus sur le Kaiser. :-|

Pour le "piège", je reprends Bled qui voit en l'offre de l'A-L à Louis II un piège dans lequel le souverain bavarois ne tombe pas. J'entends par "retoqué", le fait que Louis II n'ait pas donné suite.
Bien sûr, la Bavière rejoindra le giron allemand mais pas suite à cette offre. Bien sûr le roi de Bavière sait ce qui attend son royaume mais son absence à Versailles montre tout de même que les bottes prussiennes dans la Galerie des Glaces ne l'enchantent guère. Bismarck devra se contenter d'une signature et au GD de Bade de proposer la couronne. Je pense que l'absence de trois rois fait un peu désordre dans le tableau.

A la lecture de Bled, on voit une France qui semble perdre une partie de son territoire et développe à ce moment un désir de revanche (j'ai été étonnée de la lettre de Favre avec un rédactionnel très dix-sept cent quatre-vingt-treize). Peut-être qu'avant de s'aventurer dans un tel conflit, la France aurait dû envisager l'éventualité d'un échec. Pour avoir lu les sujets offerts par le forum, je sais qu'il n'en fut rien, bien au contraire. C'est un peu le "bien au contraire" qui me gêne ; je puis imaginer l'effet produit par cet échec.
Le mot "désastre" par exemple, concernant Sedan évoque -pour moi- un fait hors de la responsabilité [Le désastre est l'influence d'un astre qui cesse d'être favorable, c'est un revers, un malheur infligé par la fortune (wiki)]... Qui a idée d'aller au-devant d'un désastre ? Ce sont tous ces petits mots choisis qui me gênent concernant l'approche de la France face à l'échec de ce conflit puis ce que j'ai pu lire dans "La République radicale ?" et "Les débuts de la IIIème République" ; ; bref ce qui se passe dans l'opinion française jusqu'au premier conflit mondial.

Avant d'être chancelier, Bismarck a eu une vie politique [Bismarck est intervenu … comme porte-parole des conservateurs, un choix révélateur de la place qui lui est désormais reconnue dans ce milieu … De plus après Olmütz, il apparaît comme un champion de la solidarité des intérêts conservateurs.]. Déjà les conservateurs sont divisés... Les premières victoires changeront la donne (ceci est commun partout) non sans qu'il y ait des heurts mais rien que je ne vous apprenne...
Je ne crois pas avoir avancé que Bismarck avait été victime de pressions. Maintenant concernant l'A-L., le rôle des militaires est évoqué par Bled, Gall, Bogdan (je ne compte pas Bismarck lui-même).
Les sources primaires ? Je ne puis les fournir mais je me questionne : à quoi servent les livres des historiens si l'on ne peut les citer comme caution ?
Force m'est d'accepter que n'ayant aucune source primaire... Je laisse les stratagèmes évoqués dans "L'Art d'avoir toujours raison", ce serait me faire violence et vous faire insulte. :-|
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Message Publié : 16 Sep 2017 10:50 
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Inscription : 20 Juin 2003 22:56
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Citer :
Dans les livres se conjuguent les faits et le rédactionnel. Si certains faits ne peuvent être discutés, on peut -par le biais du rédactionnel (choix des mots, des qualificatifs, ponctuation, citations etc.)- faire un portrait du personnage.

C'est bien le problème. De nombreux auteurs ne peuvent s'empêcher de laisser transpirer, pour ainsi dire, leurs avis. D'un autre côté une biographie un peu trop "neutre" est souvent taxée d'ennuyante.
(Si vous voulez une bonne biographie de Guillaume II, celle rédigée par C. Baechler est de qualité, mais quelque peu fade à lire).

Citer :
Bien sûr, la Bavière rejoindra le giron allemand mais pas suite à cette offre. Bien sûr le roi de Bavière sait ce qui attend son royaume mais son absence à Versailles montre tout de même que les bottes prussiennes dans la Galerie des Glaces ne l'enchantent guère. Bismarck devra se contenter d'une signature et au GD de Bade de proposer la couronne. Je pense que l'absence de trois rois fait un peu désordre dans le tableau.

Oui, mais l'essentiel est présent. Ils boudent sans doute par leur absence, mais ont bien confié la couronne du nouvel empire au roi de Prusse. C'est le plus important et quelle victoire pour Bismarck en si peu de temps ! N'oublions pas qu'après l'affaire des duchés, la Bavière et son voisin ont suivi l'exécution fédérale lancée par l'Autriche contre la Prusse. Leurs armées, alliées aux troupes autrichiennes, combattaient les Prussiens à Sadowa en 1866. Seulement quatre années après, les représentants de leurs Etats sont à Versailles, l'Empire allemand est proclamé...

Citer :
A la lecture de Bled, on voit une France qui semble perdre une partie de son territoire et développe à ce moment un désir de revanche (j'ai été étonnée de la lettre de Favre avec un rédactionnel très dix-sept cent quatre-vingt-treize). Peut-être qu'avant de s'aventurer dans un tel conflit, la France aurait dû envisager l'éventualité d'un échec.

Attention, Favre ne fait pas partie du personnel politique ou militaire qui a déclenché cette guerre. Le gouvernement de Défense nationale a tout de même continué ce conflit, seulement lorsqu'il a connu les exigences allemandes, cela dès la fin du mois de septembre 1870 - tout le monde les connaissait, mais sait-on jamais, les Républicains ont sans aucun doute pensé qu'ils seraient mieux traités que les bonapartistes. Rien de tout cela, nous le savons bien.
Favre est obligé d'invoquer ces "territoires éternels", l'âme de la France, pour espérer un sursaut du pays et sortir du dos de la Nation le glaive prussien déjà bien enfoncé... Dans l'esprit des Républicains, c'est 1793 le modèle : une jeune République assiégée par les monarchies européennes coalisées a pu retourner une situation désespérée. Sauf que, nous ne sommes plus en 1793 et que ce qu'il reste, le plus souvent, entre les mains du ministre Gambetta, ce sont des conscrits, formés à la hâte par un Chanzy, plus désespéré que confiant, sur les bords de la Loire.
L'épine dorsale de l'armée française a été vaincue à Sedan et encerclée à Metz. Sedan peut ainsi être qualifiée de "désastre", car l'Empereur est prisonnier, ainsi que son état-major et la moitié des soldats de métier de l'ex-armée impériale. Comment espérer retourner une situation à la limite du désespoir dans pareil contexte ? Un régime de pratiquement vingt ans s'écroule en quelques jours, comme un vulgaire château de cartes. C'est la soudaineté, alliée à la surprise des contemporains de ces événements, qui fait employer ce terme aux historiens. Il y a quelque chose d'irrationnel dans tout cela...
Malgré un certain panache et la volonté pratiquement messianique d'un Gambetta, les trois généraux de cette armée républicaine en haillons (Chanzy, Faidherbe et Bourbaki), ne parviendront pas à renverser la situation, malgré quelques succès locaux et très ponctuels.
En somme, Favre est bien là dans son rôle, il agite même le spectre des "francs-tireurs" devant Bismarck et si ce dernier s'entête, il lui promet une résistance à outrance. Ce sont plus des mots et un état d'esprit, qui ne correspondent que de manière très éloignée aux faits, qu'une véritable réalité. La rhétorique de cet avocat est quelque peu décalée, mais il faut bien y croire encore et ne pas se laisser manger tout cru au bout d'à peine deux mois de combats... Il en faut plus pour effrayer le "Chancelier de fer", qui pour le coup aurait été bien moins timoré à ce sujet que Moltke (étrange, non ?).
Le ton du discours de Favre ne me semble donc pas inopportun, encore moins son usage de certains mots. Ils correspondent à ceux des désespérés qui veulent encore renverser le cours d'événements bien connus.
"L'année terrible" reste fascinante à étudier et son récit ne laisse personne insensible.

Citer :
Avant d'être chancelier, Bismarck a eu une vie politique

Certes, mais il ne vous aura pas échappé qu'à partir de 1862, il se met à dos quasiment toute la classe politique prussienne. C'est à partir de cette date que les prises de position et choix de Bismarck sont intéressants pour notre discussion.

Citer :
Maintenant concernant l'A-L., le rôle des militaires est évoqué

Personne n'affirme qu'ils n'ont aucun rôle dans cette affaire, mais nous nous interrogeons sur le fait qu'ils aient réussi à faire pression - ou non - sur le chancelier. Or, là rien, ou plutôt aucune trace dans les archives (françaises comme allemandes), qui nous confirment que l'idée d'annexion (pleine ou partielle) ait été imposé à Bismarck. Seule la partie francophone (avec Metz) aurait été réclamée avec véhémence par les officiers généraux de l'Etat-major, Moltke en tête. Mais Bismarck n'est pas un sot et n'aurait pu être hostile à cette demande (si tant est qu'il l'ait été !) ; lui qui craint déjà la revanche français dès 1873, alors même que le territoire français vient d'être évacué par l'armée allemande. Il teste d'ailleurs la réaction française dès 1875 et 1877, vend les crédits militaires supplémentaires au Reichstag et parle d'une nécessaire guerre préventive contre la France en 1877. Là encore, il n'a nulle besoin de pressions pour manœuvrer et décider de la politique du Reich, ou bien toute son œuvre n'aurait été que le résultat de pressions ?

De toute manière, depuis 1862 Bismarck développe une tactique rudimentaire, mais très efficace, pour placer Guillaume Ier à ses vues et balayer ainsi toute opposition : il menace de démissionner. A chaque reprise, Guillaume Ier suit son chancelier et lui donne raison contre une éventuelle opposition (agrariens, militaires, financiers, diplomates ou monarques étrangers).
A ce titre rien, mais alors rien de rien, n'a pu être imposé à Bismarck lorsqu'il fut chancelier de Prusse, de la Confédération d'Allemagne du Nord, puis d'Allemagne entre 1862 et 1890.
Il a cru pouvoir poursuivre cette tactique politique vieille comme le monde avec le petit-fils, Guillaume II, qui, pour le coup, a véritablement accepté sa démission. Pire, il a osé le remplacer !
Bismarck avait une très haute opinion de la mission qu'il avait accomplie pour les Allemands en général et la famille Hohenzollern en particulier. Pour lui, cette dernière lui devait tout. Guillaume Ier lui en manifestait une reconnaissance permanente et le laissait gouverner comme il l'entendait ; Guillaume II, quant à lui, estimait que son heure avait sonnée, l'unité avait été réalisée par une autre génération, et qu'il n'avait plus besoin du vieux magicien, devenu bien encombrant.

Pour terminer mon message je souhaite reproduire une lettre du marquis de Saint-Vallier, alors ambassadeur de France à Berlin, à son ministre de tutelle, Charles Freycinet, datée du 9 juin 1880.
Il venait de rencontrer Bismarck et avaient échangé autour des relations franco-allemandes dans un contexte d'intéressement des Français pour la Tunisie. Bismarck soutient alors la démarche française en déclarant ceci :
Citer :
" La France peut compter sur notre concours amical dans les notifications où ne se trouve pas un intérêt allemand contraire aux siens, c'est-à-dire que je suis et serai toujours prêt à appuyer et à seconder l'action de la politique française tant qu'elle ne se tournera pas vers ses anciennes provinces d'Alsace et de Lorraine ; je regarde comme un devoir de lui faciliter, autant qu'il peut dépendre de moi, la recherche de compensations et d'avantages dans des régions éloignées de celles où nous pourrions nous heurter. Dans l'Afrique septentrionale spécialement, je suis doublement favorable à l'extension de son influence ; en premier lieu par ce qu'elle y exerce une action civilisatrice qui doit appeler nos sympathies et surtout parce que je regarde ces contrées comme placées dans la sphère naturelle de son influence légitime."


"L'honnête courtier" allemand - et ce sera là toute sa politique à l'égard de la France entre la fin des années 1870 et 1890 - se déclare donc être un ami de la France, à condition qu'elle oublie définitivement ses anciennes provinces et pour l'y aider il est prêt à lui offrir toutes les colonies de la Terre !
En gros, occupons l'esprit d'une France, isolée en Europe, sur d'autres continents par le biais de la colonisation.
Ce n'est pas pour rien que l'idée de revanche est abandonnée de manière quasi officielle au début des années 1880 et que les cabinets Ferry ("Herr Ferry" selon Clemenceau...) qui vont suivre vont jeter les forces du pays vers la colonisation (il y a d'autres causes bien entendu, mais c'est assez révélateur tout de même).
Je trouve que pour quelqu'un qui a été "forcé", il joue très bien son jeu. Je ne parle pas du document cité plus haut, sur les discussions portant sur les préliminaires de paix en 1870-1871. Bismarck a vendu l'annexion à son roi, à l'armée et aux autres Etats allemands.
Personne n'a pu exercer la moindre pression sur un être de son envergure, son histoire politique le prouve bien.
Pendant 20 ans, il va ensuite défendre cette politique, sans jamais défaillir, même lorsque Ferry et ses successeurs ont tenté de proposer des colonies aux Allemandes en échange de la restitution de l'A.-L.

Non, impossible, cette annexion c'est la dot, pratiquement la nuit de noce de l'unité allemande, il est impossible de revenir dessus, même vingt après.

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Message Publié : 17 Sep 2017 15:57 
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Merci pour votre disponibilité et vos explications.
Un sursaut existera, il terminera dans des camps avec des victimes mortes pour la France sans avoir jamais combattu.
Tout devait sembler irrationnel car rien n'avait été proprement raisonné.
Je ne trouve pas Favre dans son rôle. Il n'est pas dans un prétoire et sa mission est de ne rien négliger afin que la France paie le moins possible cette folie. Elle n'était pas le fruit de sa volonté mais il s'inscrit dans un mandat et il doit rendre compte du travail effectué. Thiers en ceci a une autre vision de la chose puisqu'il réussira à gratter.
Pour ce qui me concerne, Favre est totalement irresponsable en évoquant des francs-tireurs, ce qui peut donner libre court à des représailles arbitraires sur les civils, ahurissant dans sa missive lorsqu'il prend le peuple français en otage en lanternant sur des valeurs qui -à ce moment- n'ont plus lieu d'être.
Des Français répondront à l'appel et mourront pour leur patrie dans des camps sans avoir jamais vu l'ennemi...

Bismarck sera un serviteur zélé comme l'a été en son temps un Richelieu.

Ce conflit, la France l'a voulu. Militaires et diplomates ne pensaient qu'à une victoire en conclusion semble-t-il, il y avait donc certainement été question de ce qui serait exigé lors du passage des troupes françaises sous la porte de Brandebourg mais rien n'est évoqué. Faut-il penser qu'en plus d'un conflit déclaré sur des bases étonnantes, avec une armée pas très aux taquets et une diplomatie un peu à côté, là encore rien n'avait été préparé ?
20 ans après, le chancelier n'avait aucunement l'intention de lâcher l'A-L, c'est dans la normalité des choses, qu'avions-nous fait pour mériter un tel cadeau ?
Au cours de son Histoire la France n'a rien lâché gratuitement de ses conquêtes fussent-elles même des épines au talon ou l'annonce de conflits à venir pire encore. Pourquoi d'autres devraient se montrer plus compréhensifs ? Bismarck n'aura pas à être taxé d'avoir travaillé pour la France (empire ou république).
La tâche était rude, la feuille de route mettait la barre haute : Bismarck a réussi avec son lot de propositions de démission face à des propositions d'abdication et des inimitiés voire des haines durables.
Je garde le conseil de votre biographie sur Guillaume II. Honnête, elle ne peut créer l'ennui. Maintenant, il me faut un peu digérer tout ceci...
Comme vous l'évoquez, cette période laisse des traces car lourde de conséquences de part et d'autre tant du point de vue politique que du point de vue humain.
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Message Publié : 17 Sep 2017 17:33 
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Il n'est pas dans un prétoire et sa mission est de ne rien négliger afin que la France paie le moins possible cette folie. Elle n'était pas le fruit de sa volonté mais il s'inscrit dans un mandat et il doit rendre compte du travail effectué. Thiers en ceci a une autre vision de la chose puisqu'il réussira à gratter.

N'est pas Danton qui le veut !
Thiers fut effectivement un peu plus fin que Favre au printemps 1871 (mais les défaites se sont succédées depuis septembre et Paris a capitulé, le contexte est tout autre) : il fait mine d'accepter toutes les conditions allemandes de départ (a-t-il un autre choix ?), puis parvient à sauver Belfort et obtient quelques rectifications, certes minimes, de territoires autour du tracé de la nouvelle frontière.
Par ailleurs, c'est un vieux routard de la politique et des relations européennes, que connaît fort bien Bismarck. Ceci peut aussi aider dans cela...

Citer :
Bismarck sera un serviteur zélé comme l'a été en son temps un Richelieu.

Et comme le cardinal, il a été en mesure de largement peser sur des décisions royales, voire de mettre à ses vues son monarque.

Citer :
Au cours de son Histoire la France n'a rien lâché gratuitement de ses conquêtes fussent-elles même des épines au talon ou l'annonce de conflits à venir pire encore. Pourquoi d'autres devraient se montrer plus compréhensifs ?

Certes, mais elle n'utilisait pas l'argument, fallacieux, d'une union culturelle, sans demander aux populations concernées leur avis (je parle du XIXème bien entendu, même si certains pourront toujours avancer le rattachement de Nice et de la Savoie, mais il ne me semble pas que les oppositions aient été grandes, comme ce sera le cas par la suite en Alsace-Lorraine). Gommer deux siècles d'Histoire pour flatter un sentiment nationaliste n'est pas tenable.
A ce titre, lorsque la France sort de "ses frontières", en annexant des Etats sans préavis (je pense au Premier Empire, par exemple) l'Europe le lui fait toujours savoir et payer.
Je me demande toujours comment Bismarck, la famille royale de Prusse et certains soutiens "allemands" pouvaient penser que des comptes ne leur seraient pas demandés un jour, d'autant plus que nous nous trouvions dans un contexte de construction nationale à peu près partout en Europe. Une telle pomme de discorde n'aurait pu disparaître avec le temps. Certains événements locaux des années 1900 et 1910 (incident de Saverne par exemple) l'ont prouvé.

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Message Publié : 17 Sep 2017 18:14 
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Duc de Raguse a écrit :

Citer :
Au cours de son Histoire la France n'a rien lâché gratuitement de ses conquêtes fussent-elles même des épines au talon ou l'annonce de conflits à venir pire encore. Pourquoi d'autres devraient se montrer plus compréhensifs ?

Certes, mais elle n'utilisait pas l'argument, fallacieux, d'une union culturelle, sans demander aux populations concernées leur avis (je parle du XIXème bien entendu, même si certains pourront toujours avancer le rattachement de Nice et de la Savoie, mais il ne me semble pas que les oppositions aient été grandes, comme ce sera le cas par la suite en Alsace-Lorraine). Gommer deux siècles d'Histoire pour flatter un sentiment nationaliste n'est pas tenable.
A ce titre, lorsque la France sort de "ses frontières", en annexant des Etats sans préavis (je pense au Premier Empire, par exemple) l'Europe le lui fait toujours savoir et payer.
Je me demande toujours comment Bismarck, la famille royale de Prusse et certains soutiens "allemands" pouvaient penser que des comptes ne leur seraient pas demandés un jour, d'autant plus que nous nous trouvions dans un contexte de construction nationale à peu près partout en Europe. Une telle pomme de discorde n'aurait pu disparaître avec le temps. Certains événements locaux des années 1900 et 1910 (incident de Saverne par exemple) l'ont prouvé.


Je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes mais le sujet de fond est qu'en 1870 la vison de la nation et des frontières n'est plus la même qu'en 1648. Au moins sur le plan des apparences, depuis l'affaire d'Avignon, les dirigeants "progressistes" prétendent demander ou suivre l'avis des populations. Les Prussiens et leurs alliés du Sud étaient peut être sincères : ils croyaient qu'avec le temps tout cela s'apaiserait et que la proximité culturelle entre Alsaciens, mosellans et autres Allemands créerait l'union des cœurs et des esprits - et l'acceptation par le reste de l'Europe ?

Par ailleurs pour répondre à Miss West, si on parle de la France des paix victorieuses sans annexion ont existe dans l'histoire.On peut citer le choix de Louis XV en 1748 ! Ce qui d'ailleurs lui fut reproché.


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Message Publié : 17 Sep 2017 18:35 
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Je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes mais le sujet de fond est qu'en 1870 la vison de la nation et des frontières n'est plus la même qu'en 1648.

Justement ! Surtout après l'unité italienne et... allemande. C'est une erreur monumentale d'avoir procédé ainsi.

Citer :
ils croyaient qu'avec le temps tout cela s'apaiserait et que la proximité culturelle entre Alsaciens, mosellans et autres Allemands créerait l'union des cœurs et des esprits - et l'acceptation par le reste de l'Europe ?

Je ne sais déjà pas quelle est la proximité culturelle entre un Badois et un Silésien. La langue me direz vous. Mais là encore, cela peut se discuter.
Quant à celle qui existe entre un vosgien francophone, ou un messin, avec un bavarois, elle est nulle ou presque.
Le reste de l'Europe ne bouge pas suite à la démonstration de force du nouvel empire allemand, qui devient, de fait, la première puissance politique et militaire du continent. Les Anglais sont toujours dans leur "splendide isolement" et ces "détails" ne les intéressent guère. Bismarck n'a pas humilié l'Autriche(-Hongrie) pour qu'elle ne bronche pas lors d'une guerre contre la France. Quant à l'Italie, la défaite de Napoléon III lui permet d'occuper Rome et de parachever, pratiquement, son unité. Bismarck, en fin stratège, s'attachera rapidement ces deux puissances pour créer la Triplice (1879 et 1882) contre la France, afin de l'isoler et de lui ôter toute velléité de revanche.
A Saint-Pétersbourg on est plus partagé : on célèbre la victoire de Sedan au champagne chez les officiers généraux et à la Cour du Tsar - Sébastopol est enfin lavée -, mais l'ivresse passée, on commence aussitôt à redouter cette nouvelle puissance allemande.
Thiers chercha de manière désespérée à l'hiver 1870-1871 des soutiens dans les chancelleries européennes, pour les raisons évoquées plus haut, il n'en trouva pratiquement aucun .

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Message Publié : 17 Sep 2017 21:53 
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Jerôme a écrit :
Je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes mais le sujet de fond est qu'en 1870 la vison de la nation et des frontières n'est plus la même ... Les Prussiens et leurs alliés du Sud étaient peut être sincères : ils croyaient qu'avec le temps tout cela s'apaiserait et que la proximité culturelle entre Alsaciens, mosellans et autres Allemands créerait l'union des cœurs et des esprits - et l'acceptation par le reste de l'Europe ?

Pour le reste de l'Europe, ceci ne semblait pas poser de problème.
Napoléon III a pris contact avec l'Autriche : les deux empereurs reconnaissent avoir des intérêts communs mais il n'en sort aucun traité. J'ai cru comprendre que le problème autrichien était l'Italie. Bled montre au doigt "la légèreté de la diplomatie française". Tout semble léger, côté français et pourtant l'addition sera lourde.
Avec Sedan [ La reine Victoria jubile ... elle y salue une victoire "... de la civilisation, de la liberté, de l'ordre et de l'unité ... sur le despotisme, la corruption, l'immoralité et l'agression" ].
Il existe des perceptions différentes, là encore. Je ne crois pas au fait de l'union de son aînée avec le Kronprinz, justement parce-que l'ambiance à la petite Cour est à une certaine libéralité.
Les Prussiens estimaient sincèrement que ces terres leur appartenaient mais jusqu'ici personne n'avait osé/pu/voulu revoir le problème (Cf. : Moltke dans mon post du treize septembre).
Et puis il y a ce mouvement qui colle : on peut le voir avec Treitschke (cité aussi dans mon post du treize). Il semble -pour les Prussiens- exister un ascendant naturel concernant les minorités tout comme une évaluation de ce qui est bon ou mauvais les concernant. C'est surtout ceci, la forme et le fond de cette théorie qui me met mal à l'aise.
- https://fr.wikisource.org/wiki/Un_apologiste_de_l%E2%80%99%C3%89tat_prussien_-_Henri_de_Treitschke

Face à de tels discours... :-| Comment créer l'union "des esprits et même des coeurs" ? Les intentions étaient seulement hégémoniques au niveau du pouvoir prussien. Ce sera la victoire de l'union mais aussi le conflit de trop.

Citer :
Par ailleurs pour répondre à Miss West, si on parle de la France des paix victorieuses sans annexion ont existe dans l'histoire.On peut citer le choix de Louis XV en 1748 ! Ce qui d'ailleurs lui fut reproché.

C'est bien en songeant à ceci que dans mon post précédent j'ai noté en italique que l'on ne pourrait reprocher à Bismarck d'avoir travaillé pour la France. Louis XV s'était inscrit dans la modération (on connait le mot fameux à son fils en lui montrant un champ de bataille) ; les Français y ont vu une "paix de commerçant" et ceci a pesé dans le bilan du règne et concernant la perception de l'homme en tant que roi. Cette modération fut très négativement perçue. De nos jours encore, l'image est restée chez certains.

Duc de Raguse a écrit :
Certes, mais elle n'utilisait pas l'argument, fallacieux, d'une union culturelle, sans demander aux populations concernées leur avis...

Certains conflits se sont faits sans même l'utilisation d'argument(s) voire pire : puisque vous évoquez le 1er Empire, l'argument sera d'apporter... la liberté. Ceci durera tout de même un petit bout de temps et la Prusse boira la coupe jusqu'à la lie, bien seule elle aussi.
Ceci aussi ne s'oublie pas facilement. On peut comprendre vu l'humiliation de Tilsit et la vaine supplication concernant Magdebourg puis le décès de sa mère, que Guillaume Ier n'ait nullement arrêté son chancelier concernant la France pouvant même y estimer un juste retour des choses.

Je n'avais pas compris que l'Autriche avait bénéficié d'un traitement spécial en vue de sa neutralité face au conflit contre la France. Les enjeux n'étaient pas les mêmes et puis le rapprochement culturel était un peu présent : je l'ai vu ainsi, je me suis trompée.

Citer :
Je me demande toujours comment Bismarck, la famille royale de Prusse

Concernant la famille, il semble que l'épouse de Guillaume Ier ne pouvait souffrir le chancelier, idem à la petite Cour (Vicky et Fédéric)...
Des comptes à rendre ? Guillaume Ier n'était pas homme à s'embarrasser de ceci et dans son histoire, c'est un chemin qui doit s'inscrire comme une normalité. Le seul nom de Bonaparte doit suffire à en espérer l'écrasement une bonne fois pour toute, si en plus ceci sert la Prusse et voit l'aboutissement du grand oeuvre, pourquoi se priver ?
Les conflits seraient inexistants si la conscience de ceux qui les initient était interpelée.
Au niveau de l'A-L, la brutalité de certains ne pouvaient qu'amplifier les regrets et l'attente d'un retour.

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Message Publié : 18 Sep 2017 8:07 
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Citer :
Les Prussiens estimaient sincèrement que ces terres leur appartenaient mais jusqu'ici personne n'avait osé/pu/voulu revoir le problème

Je ne perçois pas franchement au nom de quoi (si ce n'est du ciment de l'empire qu'ils construisent...). Rien ne peut justifier ces prétentions d'annexion de territoires situés à ces centaines de kilomètres de la Prusse, sans liens culturels et/ou politiques historiques.
On connait d'ailleurs bien les réponses, aussi cinglantes que pertinentes, d'un Renan ou d'un Fustel à un autre Mommsen.

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Message Publié : 18 Sep 2017 8:45 
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Duc de Raguse a écrit :
Citer :
Les Prussiens estimaient sincèrement que ces terres leur appartenaient mais jusqu'ici personne n'avait osé/pu/voulu revoir le problème

Je ne perçois pas franchement au nom de quoi (si ce n'est du ciment de l'empire qu'ils construisent...). Rien ne peut justifier ces prétentions d'annexion de territoires situés à ces centaines de kilomètres de la Prusse, sans liens culturels et/ou politiques historiques.
On connait d'ailleurs bien les réponses, aussi cinglantes que pertinentes, d'un Renan ou d'un Fustel à un autre Mommsen.


sans vouloir jouer à l'expert les Allemands vont légitimer l'annexion de l'Alsace Moselle par quatre types d'arguments : sur le plan historique, par l'appartenance au saint Empire jusqu'au XVIIè siècle (le IIè Reich se veut l'héritier du St Empire), sur le plan linguistique par l'usage de dialectes germaniques, sur le plan juridique par une lecture des traités de Westphalie qui présente l'annexion française comme un abus de droit sur le plan géographique par le rétablissement de l'unité des vallées du Rhin et de la Moselle

Plus fondamentalement il s'agit d'humilier la France - non seulement celle de la Révolution qui avait annexé la Rhénanie mais aussi celle de Louis XIV (et d'Henri II). D'exclure définitivement notre pays de la sphère allemande.

Car évidemment l'argument linguistique est bien oublié quand il s'agit de la Posnanie ou du Schleswig ! et même quand il s'agit d'exclure l'Autriche du Reich !


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Message Publié : 18 Sep 2017 9:09 
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Citer :
sans vouloir jouer à l'expert les Allemands vont légitimer l'annexion de l'Alsace Moselle par quatre types d'arguments : sur le plan historique, par l'appartenance au saint Empire jusqu'au XVIIè siècle (le IIè Reich se veut l'héritier du St Empire), sur le plan linguistique par l'usage de dialectes germaniques, sur le plan juridique par une lecture des traités de Westphalie qui présente l'annexion française comme un abus de droit sur le plan géographique par le rétablissement de l'unité des vallées du Rhin et de la Moselle

Pour l'"argument historique", dans ce cas, pourquoi ne pas avoir pris aussi la région de Besançon ou même celle des Ardennes qui faisaient aussi parties du SERG ?
Sur le plan linguistique de nombreuses régions d'Alsace-Lorraine sont francophones (pas au sens où c'est la langue la plus parlé, mais bien au sens où les patois germaniques n'ont jamais été usités !), là encore l'argument ne tient pas.
Sur le plan politico-juridique, le traité de Westphalie (1648) est antérieur à la politique de réunions menée par Louis XIV, il ne peut donc présenter cette politique comme un abus de droit, alors qu'elle n'avait pas encore eue lieu... Qui plus est, d'autres traités et congrès ont eu lieu après ; celui de Vienne, en 1815, confirme bien ces territoires à la France. Il n'y a d'ailleurs aucune revendication prussienne ou de la nouvelle confédération germanique à ce moment sur ces territoires.
Quant à la géographie, cela ne tient pas une seule seconde. Dans ce cas, pourquoi le massif alpin n'appartient donc pas à une seule Nation, si "continuité" territoriale il devait y avoir en Europe ?

Je préfère reproduire la réponse de Fustel - qui connaissait bien mieux les Alsaciens à cette époque que les Prussiens - à Mommsen, il écrit bien mieux que moi :

Citer :
Paris, 27 octobre 1870




Monsieur,

Vous avez adressé dernièrement trois lettres au peuple italien. Ces lettres, qui ont paru d'abord dans les journaux de Milan et qui ont été ensuite réunies en brochure sont un véritable manifeste contre notre nation. Vous avez quitté vos études historiques pour attaquer la France ; je quitte les miennes pour vous répondre.

Dans vos deux premières lettres, qui ont été écrites à la fin du mois de juillet, vous vous êtes surtout efforcé de montrer que la Prusse, malencontreusement attaquée, ne faisait que se défendre. Il est vrai qu'à cette époque nous paraissions les agresseurs et qu'il était permis de s'y tromper. Vous n'auriez pas commis la même méprise deux mois plus tard et surtout vous n'auriez pas pu répéter que « la Prusse n'avait jamais fait et ne ferait jamais que des guerres défensives ». Car les rôles ont été si bien intervertis dans l'entrevue de Ferrières, que c'est manifestement la Prusse qui est devenue l'agresseur et que son ambition n'a même plus pris la peine de se dissimuler. Du reste, monsieur, j'admire les nobles sentiments que vous professiez en faveur de la paix et du bon droit... au mois de juillet.

Votre troisième lettre, écrite à la fin du mois d'août, c'est-à-dire au milieu des victoires prussiennes, diffère sensiblement des deux premières. Vous ne vous occupez plus de la défense de votre patrie soi-disant attaquée, mais de son agrandissement. Il ne s'agit plus pour vous de salut, mais de conquête. Sans le moindre détour, vous écrivez que la Prusse doit s'emparer de l'Alsace et la garder.

Ainsi, dès le mois d'août, vous indiquiez avec une perspicacité parfaite le vrai point qui était en litige entre la France et la Prusse. M. de Bismarck ne s'était pas encore prononcé. Il n'avait pas encore dit tout haut qu'il nous faisait la guerre pour mettre la main sur l'Alsace et la Lorraine. Mais déjà, monsieur, vous étiez bon prophète et vous annonciez les prétentions et le but de la Prusse. Vous déterminiez nettement quel serait l'objet de cette nouvelle guerre qu'elle allait entreprendre à son tour contre notre nation. Nul ne peut plus l'ignorer aujourd'hui : ce qui met aux prises toute la population militaire de l'Allemagne et toute la population virile de la France, c'est cette question franchement posée : l'Alsace sera-t-elle à la France ou à l'Allemagne ?

La Prusse compte bien résoudre cette question par la force ; mais la force ne lui suffit pas : elle voudrait bien y joindre le Droit. Aussi, pendant que ses armées envahissaient l'Alsace et bombardaient Strasbourg, vous vous efforciez de prouver qu'elle était dans son droit et que l'Alsace et Strasbourg lui appartenaient légitimement. L'Alsace, à vous en croire, est un pays allemand ; donc elle doit appartenir à l'Allemagne. Elle en faisait partie autrefois ; vous concluez de là qu'elle doit lui être rendue. Elle parle allemand, et vous en tirez cette conséquence que la Prusse peut s'emparer d'elle. En vertu de ces raisons vous la « revendiquez » ; vous voulez qu'elle vous soit « restituée ». Elle est vôtre, dites-vous, et vous ajoutez : « Nous voulons prendre tout ce qui est nôtre, rien de plus, rien de moins. » Vous appelez cela le principe de nationalité.

C'est sur ce point que je tiens à vous répondre. Car il faut que l'on sache bien s'il est vrai que, dans cet horrible duel, le Droit se trouve du même côté que la force. Il faut aussi que l'on sache s'il est vrai que l'Alsace ait eu tort en se défendant et que la Prusse ait eu raison en bombardant Strasbourg.

Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement que toute l'Europe. Suivant vous, ce principe autoriserait un État puissant à s'emparer d'une province par la force, à la seule condition d'affirmer que cette province est occupée par la même race que cet État. Suivant l'Europe et le bon sens, il autorise simplement une province ou une population à ne pas obéir malgré elle à un maître étranger. Je m'explique par un exemple : le principe de nationalité ne permettait pas au Piémont de conquérir par la force Milan et Venise ; mais il permettait à Milan et à Venise de s'affranchir de l'Autriche et de se joindre volontairement au Piémont. Vous voyez la différence. Ce principe peut bien donner à l'Alsace un droit, mais il ne vous en donne aucun sur elle.

Songez où nous arriverions si le principe de nationalité était entendu comme l'entend la Prusse, et si elle réussissait à en faire la règle de la politique européenne. Elle aurait désormais le droit de s'emparer de la Hollande. Elle dépouillerait ensuite l'Autriche sur cette seule affirmation que l'Autriche serait une étrangère à l'égard de ses provinces allemandes. Puis elle réclamerait à la Suisse tous les cantons qui parlent allemand. Enfin s'adressant à la Russie, elle revendiquerait la province de Livonie et la ville de Riga, qui sont habitées par la race allemande ; c'est vous qui le dites page 16 de votre brochure. Nous n'en finirions pas. L'Europe serait périodiquement embrasée par les « revendications » de la Prusse. Mais il ne peut en être ainsi. Ce principe, qu'elle a allégué pour le Slesvig, qu'elle allègue pour l'Alsace, qu'elle alléguera pour la Hollande, pour l'Autriche, pour la Suisse allemande, pour la Livonie, elle le prend à contre-sens. Il n'est pas ce qu'elle croit. Il constitue un droit pour les faibles ; il n'est pas un prétexte pour les ambitieux. Le principe de nationalité n'est pas, sous un nom nouveau, le vieux droit du plus fort.

Comprenons-le tel qu'il est compris par le bon sens de l'Europe. Que dit-il relativement à l'Alsace ? Une seule chose : c'est que l'Alsace ne doit pas être contrainte d'obéir à l'étranger. Voulez-vous maintenant que nous cherchions quel est l'étranger pour l'Alsace ? Est-ce la France, ou est-ce l'Allemagne ? Quelle est la nationalité des Alsaciens, quelle est leur vraie patrie ? Vous affirmez, monsieur, que l'Alsace est de nationalité allemande. En êtes-vous bien sûr ? Ne serait-ce pas là une de ces assertions qui reposent sur des mots et sur des apparences plutôt que sur la réalité ? Je vous prie d'examiner cette question posément, loyalement : à quoi distinguez-vous la nationalité ? à quoi reconnaissez-vous la patrie ?

Vous croyez avoir prouvé que l'Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est de race germanique et parce que son langage est l'allemand. Mais je m'étonne qu'un historien comme vous affecte d'ignorer que ce n'est ni la race ni la langue qui fait la nationalité.

Ce n'est pas la race : jetez en effet les yeux sur l'Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d'après leur origine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les États. Chaque nation s'est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s'est dessinée sans qu'on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à l'Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche, l'Écosse se détacherait de l'Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la Russie et l'Autriche se diviseraient en trois ou quatre tronçons, la Suisse se partagerait en deux, et assurément Posen se séparerait de Berlin. Votre théorie des races est contraire à tout l'état actuel de l'Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire.

La langue n'est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s'avise de douter de notre unité nationale. On parle trois langues en Suisse ; la Suisse en est-elle moins une seule nation, et direz-vous qu'elle manque de patriotisme? D'autre part, on parle anglais aux États-Unis ; voyez-vous que les États-Unis songent à rétablir le lien national qui les unissait autrefois à l'Angleterre ? Vous vous targuez de ce qu'on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c'est à Strasbourg que l'on a chanté pour la première fois notre Marseillaise ? Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur coeur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c'est ce qu'on aime. Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l'a rendue française ? Ce n'est pas Louis XIV, c'est notre Révolution de 1789. Depuis ce moment, I'Alsace a suivi toutes nos destinées ; elle a vécu de notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et nos revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et toutes nos douleurs. Elle n'a rien eu de commun avec vous. La patrie, pour elle, c'est la France. L'étranger, pour elle, c'est l'Allemagne.

Tous les raisonnements du monde n'y changeront rien. Vous avez beau invoquer l'ethnographie et la philologie. Nous ne sommes pas ici dans un cours d'université. Nous sommes au milieu des faits et en plein coeur humain. Si vos raisonnements vous disent que l'Alsace doit avoir le coeur allemand, mes yeux et mes oreilles m'assurent qu'elle a le coeur français. Vous affirmez, de loin, « qu'elle garde un esprit d'opposition provinciale contre la France » ; je l'ai vue de près ; j'ai connu des hommes de toutes les classes, de tous les cultes, de tous les partis politiques, et je n'ai trouvé cet esprit d'opposition contre la France nulle part. Vous insinuez qu'elle a une antipathie contre les hommes de Paris ; je me vante de savoir avec quelle sympathie elle les accueille. Par le coeur et par l'esprit, I'Alsace est une de nos provinces les plus françaises. Le Strasbourgeois a, comme chacun de nous, deux patries : sa ville natale d'abord, puis, au-dessus, la France. Quant à l'Allemagne, il n'a pas même la pensée qu'elle puisse être en aucune façon sa patrie.

Vous l'avez bien vu depuis deux mois. Le 6 août, la France était vaincue ; I'Alsace, dégarnie de troupes, était ouverte aux Allemands. Comment les a-t-elle accueillis ? Les paysans alsaciens ont pris leurs vieux fusils à pierre et leurs pioches pour combattre l'étranger. Beaucoup d'entre eux, ne pouvant souffrir la présence de l'ennemi dans leurs villages, se sont réfugiés dans les montagnes, et à l'heure qu'il est ils défendent encore pied à pied chaque défilé et chaque ravin. On a sommé Strasbourg de se rendre, et vous savez comment il a répondu. Or notez ce point : Strasbourg n'avait pour garnison que 2500 soldats français et le 6e régiment d'artillerie qui est composé d'Alsaciens. C'est la population strasbourgeoise qui a résisté aux allemands. C'est un général alsacien qui commandait la ville. L'évêque, que l'on a si durement repoussé du camp allemand, était un Alsacien. Ceux qui ont si vaillamment combattu, ceux qui ont frappé l'ennemi par de si rudes sorties étaient des Alsaciens. Tous ces hommes-là sans doute parlaient votre langue ; mais ils ne se sentaient certainement pas vos compatriotes. Et ces soldats allemands qui lançaient des bombes contre Strasbourg, qui visaient la cathédrale, qui brûlaient le Temple-Neuf, la bibliothèque, les maisons, 1'hôpital, qui, respectant les remparts et ménageant la garnison, n'étaient impitoyables que pour les habitants, dites franchement, la main sur le coeur, se sentaient-ils leurs compatriotes ! Ne parlez donc plus de nationalité, et surtout gardez-vous bien de dire aux Italiens : Strasbourg est à nous du même droit que Milan et Venise sont à vous ; car les Italiens vous répondraient qu'ils n'ont bombardé ni Milan ni Venise. Si l'on avait pu avoir quelque doute sur la vraie nationalité de Strasbourg et de l'Alsace, le doute ne serait plus possible aujourd'hui. La cruauté de l'attaque et l'énergie de la défense ont fait éclater la vérité à tous les yeux. Quelle preuve plus forte voudriez vous ?

Comme les premiers chrétiens confessaient leur foi, Strasbourg, par le martyre, a confessé qu'il est Français. Vous êtes, monsieur, un historien éminent. Mais, quand nous parlons du présent, ne fixons pas trop les yeux sur l'histoire. La race, c'est de l'histoire, c'est du passé. La langue, c'est encore de l'histoire, c'est le reste et le signe d'un passé lointain. Ce qui est actuel et vivant, ce sont les volontés, les idées, les intérêts, les affections. L'histoire vous dit peut-être que l'Alsace est un pays allemand ; mais le présent vous prouve qu'elle est un pays français. Il serait puéril de soutenir qu'elle doit retourner à l'Allemagne parce qu'elle en faisait partie iI y a quelques siècles. Allons-nous rétablir tout ce qui était autrefois ? Et alors, je vous prie, quelle Europe referons-nous ? celle du XVIIe siècle, ou celle du XVe, ou bien celle où la vieille Gaule possédait le Rhin tout entier, et où Strasbourg, Saverne et Colmar étaient des villes romaines ?

Soyons plutôt de notre temps. Nous avons aujourd'hui quelque chose de mieux que l'histoire pour nous guider. Nous possédons au XIXe siècle un principe de droit public qui est infiniment plus clair et plus indiscutable que votre prétendu principe de nationalité. Notre principe à nous est qu'une population ne peut être gouvernée que par les institutions qu'elle accepte librement, et qu'elle ne doit aussi faire partie d'un État que par sa volonté et son consentement libre. Voilà le principe moderne. Il est aujourd'hui l'unique fondement de l'ordre, et c'est à lui que doit se rallier quiconque est à la fois ami de la paix et partisan du progrès de l'humanité. Que la Prusse le veuille ou non, c'est ce principe-là qui finira par triompher. Si l'Alsace est et reste française, c'est uniquement parce qu'elle veut l'être. Vous ne la ferez allemande que si elle avait un jour quelques raisons pour vouloir être allemande.

Son sort doit dépendre d'elle. En ce moment la France et la Prusse se la disputent ; mais c'est l'Alsace seule qui doit prononcer. Vous dites que vous revendiquez Strasbourg et qu'il doit vous être restitué. Que parlez-vous de revendication ? Strasbourg n'appartient à personne. Strasbourg n'est pas un objet de possession que nous ayons à restituer. Strasbourg n'est pas à nous, il est avec nous. Nous souhaitons que l'Alsace reste parmi les provinces françaises, mais sachez bien quel motif nous alléguons pour cela. Disons-nous que c'est parce que Louis XIV l'a conquise ? Nullement. Disons-nous que c'est parce qu'elle est utile à notre défense ? Non. Ni les raisons tirées de la force, ni les intérêts de la stratégie n'ont de valeur en cette affaire. Il ne s'agit que d'une question de droit public, et nous devons résoudre cette question d'après les principes modernes. La France n'a qu'un seul motif pour vouloir conserver l'Alsace, c'est que l'Alsace a vaillamment montré qu'elle voulait rester avec la France. Voilà pourquoi nous soutenons la guerre contre la Prusse. Bretons et Bourguignons, Parisiens et Marseillais, nous combattons contre vous au sujet de l'Alsace; mais, que nul ne s'y trompe ; nous ne combattons pas pour la contraindre, nous combattons pour vous empêcher de la contraindre

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 18 Sep 2017 10:14 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Comme je l'ai indiqué plus haut les arguments allemands sont à géométrie variable. Par exemple la question linguistique est laissée de côté quand il s'agit de justifier l'appartenance au Reich de la Posnanie polonaise ou du Schleswig danois.

On peut aussi dire que la succession du saint Empire devrait plus échoir à Vienne qu'aux Prussiens et que les Habsbourg avaient reconnu depuis le XVIIIè siècle l'union de l'Alsace à la France !

Disons que Berlin voit midi à sa porte et fabrique des arguments qui l'arrangent. Mais on ne peut pas dire que Berlin soit totalement sans arguments non plus.


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