_ Bataille de St-Quentin :
Après avoir talonné si vivement Faidherbe, Groeben éprouvait la joie de l'avoir atteint, de le tenir, de le contraindre à combattre et souhaitait offrir à son souverain, dans cette ville de St-Quentin, " une victoire à la Sedan " .
Pendant la nuit, les Français harassés par une journée de combats et de marche avaient pris leurs positions autour de St-Quentin . Ils avaient le dos à la ville et formaient un demi-cercle qui allait du sud à l'ouest .
Le 22eme corps Français ( général Lecointe ), établi entre Gauchy et Grugies, veillait à la défense du sud . Le 23eme corps Français ( général Paulze d'Ivoy ), renforcé de la brigade Isnard, couvrait la ville sur sa gauche au moulin de Rocourt, sa droite au village de Fayet, s'étendant du canal à la route de Cambrai, avec la division Payen à droite, la division Robin à gauche et la brigade Isnard reliant les deux divisions Françaises .
La rapidité des événements n'avait pas laissé à nos hommes le temps d'améliorer leurs positions par la construction de quelques ouvrages de campagne . C'est à peine s'ils avaient pu prendre, pendant la nuit, quelques heures d'un repos plus que nécessaire .
Dans son ordre d'armée pour la grande journée qui se préparait, Groeben déclarait, avec une impatiente ardeur, qu'il fallait terminer la guerre d'un seul coup . Cependant, redoutant encore que son adversaire ne parvint à se dérober au dernier moment, il concluait par ces lignes caractéristiques :
" Dans le cas où l'ennemi n'attendrait pas notre attaque, on le poursuivrait énergiquement en employant la totalité de nos forces . L'expérience a appris, en effet, que, contre des troupes si faiblement organisés, c'est moins par le combat lui-même que par le profit que l'on sait en tirer que l'on obtient les plus grands résultats "
Le plan du général Prussien était donc de déborder notre extrême-gauche au sud, et notre extrême-droite au Nord-Nord-Ouest, de nous refouler en même temps dans St-Quentin par un effort général et de nous enlever toute possibilité de gagner la région du Nord ou de l'Est par les routes de Cambrai, de Bohain, du Cateau et de Guise .
Tirant de Rouen, du gouvernement de Reims, de l'armée de la Meuse et de l'armée du siège de Paris toutes les ressources momentanément disponibles, le général de Groeben avait amené ces forces imposantes autour de St-Quentin, avec la ferme conviction d'écraser l'armée du Nord, de l'envelopper et de la faire entièrement prisonnière .
A l'ouest, le général-lieutenant de Kummer devait s'avancer avec toutes ses forces et son artillerie par les routes de Vermand et d'Etreillers . Son objectif était de tout culbuter devant lui, de tourner St-Quentin et de s'en emparer, tandis que le général de Groeben devait s'étendre sur sa gauche jusqu'à la route de Cambrai .
Au sud, le général-lieutenant baron de Barnekow avait ordre de marcher sur St-Quentin avec la 16eme division d'infanterie Prussienne et la division Prince-Albrecht le long de la voie de fer et par la route de la Fère, en cherchant à tourner notre gauche .
Enfin, le général en chef devait assurer les communications entre ces deux fractions de l'armée Prussienne, qui combattaient l'une au sud et l'autre à l'Ouest, en s'avançant de Ham sur Roupy, avec la réserve placée sous les ordres du colonel de Bocking .
Le major Von Schell évalue les forces de l'armée Prussienne à 23 400 soldats d'infanterie en 38 bataillons , 6200 chevaux en 48 escadrons et 161 pièces d'artillerie .
Selon l'estimation du même major, la force totale de l'infanterie des 22eme et 23eme corps Français opposés à ces troupes Prussiennes aurait été de 48 000 hommes, sans compter la brigade Isnard et la brigade Pauly; mais cette évaluation semble plus flatteuse pour la valeur Prussienne que véridique !
Les marches épouvantables accomplies par l'armée Française du Nord, que commandant le brave Faidherbe, et les combats qu'elle venait de soutenir avaient fondu ses effectifs . Dans ses mouvements précédents et à la suite des rencontres avec l'ennemi, elle avait toujours semé derrière elle des masses de traînards qui ne la rejoignaient que plus tard en très fortes proportions . Les choses venaient de ses passer de même pendant les préliminaires de la bataille de St-Quentin .
Les militaires Français sont d'ailleurs fort loin d'admettre la manière de compter du major Von Schell et il faut reconnaître que toutes les forces dont disposa Faidherbe, le 19 janvier, devaient former environ un total de 30 à 35 000 hommes .
Par conséquent, les Prussiens ne peuvent pas se vanter d'avoir triomphé du nombre . Ils combattaient dans d'excellentes conditions, dans des conditions d'autant meilleures que Faidherbe ne faisait guère état de la division de mobilisés Robin et ne pouvait davantage compter sur la brigade Pauly qui arrivait de Cambrai, armée de vieux fusils à piston transformés dont l'effet ne pouvait être bien terrible entre les mains de tireurs inexpérimentés .
A 8 h 00 du matin, le général Prussien Barnekow avait dirigé, de Lizerolles sur Essigny-le-Grand, une forte avant-garde composée du régiment de hussards numéro 9, de la brigade Rosenzweig, de deux batteries et de la brigade de cavalerie de Strantz, faisant suivre cette avant-garde de la brigade colonel de Hertzberg et de la division de réserve Prince Albrecht ( fils ) .
En même temps, le 2eme bataillon du régiment numéro 29 marchait de Castres sur Grugies, tandis que le lieutenant-colonel de Hymmen, détaché de la division Prussienne du prince Albrecht, avait mission d'enlever le Grand-Séraucourt avec le régiment des hussards de la Garde Prussienne, le 1er bataillon du régiment numéro 19, le bataillon de fusilliers du régiment numéro 81 et une batterie d'artillerie légère .
Par cette opération, les communications de l'aile droite allaient être assurées avec le quartier général .
L'avant-garde Prussienne dépassa Essigny-le-Grand qui était inoccupé et le détachement de Hymmen occupa Grand-Séraucourt . Les deux batteries de l'avant-garde du général Prussien Barnekow ouvrirent aussitôt le feu sur l'infanterie Française qui s'avançaitt à l'Esr de Gauchy .
Les avant-postes de la 2eme brigade de la division Française du général Du Bessol avaient été les premiers attaqués en avant de Castres . Le chef de cette brigade, le lieutenant-colonel de Gislain, étudiait en ce moment le terrain avec ses officiers d'ordonnance et faillit être enlevé par les cavaliers Prussiens .
La division Du Bessol, solidement établie à Grugies, avait du monde dans la direction Sud-Ouest jusqu'à Contescourt . Les feux de la batterie Collignon, qui tirait du " Moulin à Tout-Vent ", et le tir de nouvelles batteries qui ne tardèrent pas à prendre part à la lutte indiquèrent au général Prussien de Barnekow que la clef des positions Françaises était le village de Grugies .
Dès lors, le combat redoubla d'intensité . Le général Prussien Banekow lança du Grand-Sérancourt le détachement de Hymmen sur Grugies, ainsi que la brigade de Rosenzweig qui était parvenu au Nord d'Essigny-le-Grand .
Plus à droite l'attaque sur l'aile gauche Française se prolongeait par l'entée en ligne de la division du comte de Lippe . Le colonel de Carlowitz, à la tête de l'avant-garde Prussienne de ce corps, était arrivé à 11 h 00 au " Cornet d'Or "; ( route de la Fère ) avec le régiment des Reîtres de la Garde Prussienne, deux compagnies du bataillon de chasseurs Prussiens numéro 12 et deux pièces de canon .
Ce mouvement menaçait donc les points stratégiques d'Itacourt de la Neuville-Saint-Amand .
De ce côté se trouvaient les meilleurs troupes Française du Nord, conduites par des chefs énergiques . Leur résistance fut acharnée, officiers et soldats Français connaissant tous l'importance de la journée .
Une pluie fine voilait l'horizon et rendait le tir de l'artillerie Française extrêmement difficile et chanceux . Le 2eme bataillon du régiment Prussien numéro 69 de la brigade Rosenzweig s'élança sur Grugies et fut arrêté, près de la voie ferrée, par les Français qui s'étaient fortifiés dans la fabrique de sucre . Ce bataillon Prussien attaqua quatre fois la fabrique, quatre fois il fut repoussé par les Français .
Le combat s'étendit alors de Contescourt jusqu'à l'Est de la voie ferrée; mais, malgré les plus grands efforts, les Prussiens ne purent nous déloger ni de Constescourt, ni de la fabrique à sucre .
En cette phase de la lutte, l'arrivée de la division Prussienne du comte de Lippe avait nécessité un prolongement de front de l'armée Française sur sa gauche . La brigade Aynés, accourue en toute hâte de St-Quentin, s'étendit tout d'abord jusqu'à la route de la Fère .
A ce moment, les progrès de l'aile droite Prussienne, avaient été compétemment paralysés par l'excellence de notre tir et par la belle tenue des défenseurs Français de la fabrique à sucre . Par contre, notre résistance sur le flanc Ouest de St-Quentin avait été beaucoup moins sérieuse .
L'aile gauche Allemande avait fait de réels progrès . La brigade Prussienne de Strubberg, sans s'être engagée à fond, nous disputait les petits bois qui se trouvent à peu de distance de Savy .
Le lieutenant-colonel de Pestel, à la tête de l'avant-garde de la division d'infanterie combinée du 1er corps, avait poussé sur Vermand, ramassé une centaine de traînards, rejeté les troupes Françaises qui défendaient les bois, occupé ensuite Holnon et une partie du village de Séleney .
En même temps, le général comte de Groeben avait dirigé la brigade Prussienne de cavalerie comte Dohna dans la direction de Bellenglise et de Gricourt, afin de menacer la route de Cambrai .
Vers midi, le mouvement concentrique de l'armée Prussienne était parfaitement dessiné . A l'aile droite, le général baron de Barnekow avait très vivement combattu sans obtenir de résultats appréciables; mais l'aile gauche Prussienne, a peine engagée, avait pu réaliser un progrès qui devenait déjà menaçant pour notre flanc droit et pour notre ligne de retraite .
Bien que la division Française du général Du Bessol fut privée de son chef, grièvement blessé en indiquant l'emplacement d'une batterie, elle continuait à défendre le terrain pied à pied, entre Castres, Grugies et la fabrique à sucre .
La brigade Prussienne de Rosenzweig renouvela vainement ses attaques de la matinée . Les trois bataillons de cette brigade Prussienne employées sur ce point se replièrent sur ce point se replièrent bientôt, momentanément, pour remplacer leurs cartouches qu'une fusillade des plus nourries avait rapidement épuisées .
Les renforts que venait d'amener de Grand-Séraucourt le colonel Prussien de Bocking, commandant la réserve, allaient néanmoins améliorer la situation du baron de Barnekow .
Le colonel de Bocking s'était avancé au Sud-Est de Constescourt, qui fut évacué à son approche, et s'empara de Castres d'où les Français se retirèrent sur les hauteurs de Giffécourt, en s'entêtant toutefois à ne pas abandonner la position de la fabrique à sucre .
A la suite de ce pas en avant, les Prussiens appuyèrent fortement leur infanterie par du canon . Cinq batteries tonnèrent sans interruptions sur une ligne allant du canal au chemin de fer . Bientôt, remarquant que les Français semblaient vouloir abandonner Gifflécourt, le colonel de Bocking fit attaquer cette position et l'emporta .
Malgré les efforts de l'attaque et la prise de Gifflécourt, rien de décisif n'avait été obtenu . Vers deux heures, les troupes Prussiennes de la brigade de Hertzberg, qui venaient de se heurter inutilement contre les défenseurs Français de la fabrique à sucre, devaient reculer à leur tour devant un retour offensif des Français .
A deux heures et demie la bataille gardait toujours son caractère d'indécision et de violence devant Grugies, quand le général Baron de Barnekow, qui surveillait les opérations sur sa droite, constata que le feu de notre artillerie Française perdait notablement de sa force .
En effet, des événements d'une extrême-gravité s'étaient passés sur le prolongement de notre aile gauche qu'il avait fallu considérablement étendre pour couvrir le flanc Est-Sud de St-Quentin .
Les troupes Prussiennes de la division du général comte de Lippe s'étaient rencontrées sur la route de la Fère avec celles de la brigade Française d'Aynès . Le lieutenant-colonel Aynès avait été blessé et sa brigade, menacée d'être débordée par la Neuville-Saint-Armand, recula jusqu'aux premières maisons du faubourg de l'Isle .
Le 68eme de marche de la brigade Pittié accourut au secours de la brigade Aynès en si grand péril et le commandant Tramond, un de nos officiers les plus énergiques et sur lequel l'armée Française avait fondé tant d'espoir, reconduit rudement les Prussiens par une héroïque charge à la baïonnette .
L'artillerie Prussienne à cheval essaya de balayer le terrain que nous venions de reconquérir; elle eut tellement à souffrir du feu de nos batteries Françaises de Gauchy qu'elle abandonna la partie .
Le colonel Prussien de Carlowitz essaya alors une attaque de flanc à la tête du régiment des Reîtres de la Garde Prussienne appuyée des deux pièces de l'artillerie Prussienne à cheval; mais cette troupe d'élite fut reçue si vigoureusement par nos soldats Français retranchés dans les fermes voisines du faubourg de l'Isle qu'elle tourna bride précipitamment .
Il était environ trois heures à cet instant . Si la division Prussienne du comte de Lippe avait gagné du terrain sur notre extrême-gauche, le général baron de Barnekow n'avait pu avancer qu'avec lenteur, au prix des plus lourds sacrifices et sans réussir à nous déloger ni de la fabrique de sucre, ni de la position de Grugies .
A leur aile gauche, les Prussiens avaient ralenti leur attaque pour mieux coordonner leurs mouvements et pour remplacer les munitions de l'artillerie du général de Kummer; bientôt, ils furent en état de marcher de nouveau d'ensemble .
La 15eme division d'infanterie Prussienne réussit au prix de grands efforts à demeurer maîtresse des bois de Savy et soutint ensuite une lutte acharnée contre les brigades de Bock s'emparait du bois planté au Sud d'Holnon .
Le bataillon de fusiliers Prussiens et un détachement du 2eme bataillon du régiment Prussiens Prince Royal numéro 1 enlevèrent Francilly où ils firent un grand nombre de prisonniers . Plus à gauche, un détachement Prussien du régiment numéro 44 pénétrait dans le village de Fayet et en occupait une partie .
L'approche des Prussiens sur St-Quentin par Selency et Francilly et leur mouvement sur Fayet, par lequel ils menaçaient la route de Cambrai, avaient attiré l'attention de Faidherbe .
Il fit nettoyer immédiatement Fayet par la 1ere brigade Française de la division Payen, tandis que la brigade Pauly, marchant au canon, arrivait de Bellicourt et venait couvrir la route de Cambrai .
Le déploiement de ces troupes Françaises et la fermeté de leur marche intimida les Prussiens, bien que leur mouvement sur notre droite se prolongeât fort utilement par l'arrivée de la brigade de cavalerie Prussienne du comte Dohna à Fresnoy-le-Petit . Cette intervention de la brigade Française de Pauly devait avoir des conséquences encore plus heureuses pour l'issue de la journée .
Les opérations du général Baron Prussien Barnekow, à l'aile droite, et celles du général de Kummer, à l'aile gauche, avaient été solidement reliées par une colonne centrale agissant sous les yeux mêmes du général en chef sur la route de Roupy-Saint-Quentin ( route de Paris ), enlevé une ferme sur la hauteur qui court de Savy à Fontaine-aux-Clercs et maintenu ainsi les relations de l'aile droite et l'aile gauche Prussiennes .
De la ferme, le major poursuivit ainsi Dallon et la vallée de la Somme . La prise du hameau de l'Épine de Dallon, qui concordait pour les Prussiens avec l'attaque de Francilly, resserrait le cercle de fer dans lequel ils cherchaient à envelopper Saint-Quentin et l'armée Française .
Sans notre retour offensif à Fayet, sans l'arrivée par Gricourt des mobilisés du Pas-de-Calais de la brigade Française de Pauly, le général Prussien de Groeben n'eût pas hésité à lancer toute son aile gauche sur notre flanc Ouest et sur la route de Cambrai .
Si ce mouvement avait été exécuté, il est probable que le 23eme corps Français n'eût pu soutenir un tel choc . C'était alors Saint-Quentin pris d'assaut, la retraite par la route de Cambrai coupée, les soldats Français de Du Bessol et de Derroja placés entre le feu des troupes Prussiennes de Barnekow et des soldats victorieux de Kummer .
Mais, trompé par la vigueur du retour offensif de la brigade Française de Payen et supposant que les Français marchaient avec un si bel entrain parce qu'ils connaissaient l'arrivée de puissant renforts, le général de Groeben craignit de voir son aile gauche déborder vers Gricourt et ralentit sur toute la ligne le mouvement en avant jusqu'à ce que des précautions efficaces eussent été prises contre les troupes Françaises nouvellement arrivées sur le champ de bataille .
Fayet fut énergiquement canonné par les Prussiens . La brigade de cavalerie du comte Dohna et la cavalerie de la division combinée du 1er corps d'armée, prêtes à charger, observèrent attentivement notre attaque; toute l'infanterie disponible fut massée de façon à protéger le flanc de l'aile gauche que le général en chef croyait en danger .
Ces précautions prises, toute la gauche Prussienne reprit sa marche en avant, se dirigeant sur la ligne Fayet-Saint-Quentin . Le général de Kummer, exécutant un mouvement analogue à celui du major de Bronikowski, attaqua avec la 15eme division d'infanterie Française la hauteur dont les crêtes courent de Francilly à l'Épine de Dallon .
Appuyées à droite et à gauche par trois batteries divisionnaires et par trois batteries à pied d'artillerie de corps, les troupes Françaises de la 15eme division longeaient la route de Saint-Quentin-Savy et la flanquaient au Nord et au Sud, une partie de la brigade Strubberg formant réserve un peu en arrière .
Tandis que le major Prussien de Bronikowski s'emparait successivement des hauteurs d'Oestre et de Rocourt, le général Prussien de Jummer, progressant toujours, arrivait à un moulin au Sud-Est de Francilly d'où son artillerie Prussienne poursuivit de ses boulets, jusqu'à la nuit, les détachements Français en retraite .
Plus à gauche, les Prussiens avaient obtenu mêmes succès . Le feu de 26 pièces d'artillerie Prussienne tonnant sur Gricourt et Fayet arrêta le mouvement en avant des brigades Pauly et Payen .
Lorsque le général de Groeben ordonna à la tombée de la nuit l'attaque de Fayet livrée aux flammes, son infanterie, qui avait regagné sous la protection de cette puissante artillerie la plus grande part du terrain qu'elle avait perdu, trouva le village abandonné .
Les 1er et 2eme bataillons du régiment numéro 4 et le 2eme bataillon du régiment numéro 44 occupèrent Fayet et s'apprêtèrent à y coucher .
La nuit qui avait arrêté la marche du général de Groeben suspendit également celle du général de kummer et du major de Bronikowski .
Le premier général Prussien se borna à expédier sur St-Quentin le 2eme bataillon du régiment Prussien numéro 68, un demi-bataillon du régiment Prussien numéro 33 et un escadron du régiment de hussards Prussiens numéro 7 .
Le second, après avoir repoussé plusieurs tentatives des défenseurs du faubourgs de St-Martin contre Rocourt, s'avança jusqu'aux premières maisons de ce faubourg . Le chef de bataillon du génie Richard y avait fait élever de fortes barricades qui furent vaillamment défendues par les Français .
Finalement, enveloppé par les Prussiens, le commandant Richard ne réussit à se dégager et à s'enfuit qu'en faisant usage de son révolver .
Pendant que les Prussiens occupaient Fayet et parvenaient sur le flanc Ouest de St-Quentin, le 23eme corps mettant aussi à profit l'obscurité de la nuit battait précipitamment en retraite sur Cambrai .
Dès l'instant où le détachement Prussien de Bronikowski avait occupé le poste de l'Epine de Dallon, le général de Groeben avait pu, de ce poste, suivre de ses propres yeux le mouvement de l'aile droite de son armée Prussienne .
Cette droite Prussienne s'était ressentie cruellement de la qualité des troupes Françaises du 22eme corps, bien supérieures à celles du 23eme .
Nos mobiles Français avaient rivalisé d'ardeur avec la ligne et nos jeunes soldats avaient fait la belle résistance que l'on sait à Contescourt, à Castres, à la fabrique de sucre, à Giffécourt et à Grugies . Officiers et soldats Français du corps de Lecointe avaient payé de leurs personnes : les blessures de Du Bessol et de l'intrépide Aynès l'attestaient .
Tout cet épisode de la bataille de St-Quentin est la preuve manifeste de la fermeté et du patriotisme de l'armée Française du Nord et c'est avec un sentiment de tristesse profonde qu'il faut songer que tout ce dévouement et ce courage ne pouvaient ni arrêter ni modifier la fatalité des événements .
Le général de Barnekow n'avait pas besoin des nouvelles envoyées par le comte de Lippe pour être stimulé, et il avait préparé avec la plus grande vigueur son attaque sur Grugies, dès qu'il vit clairement que la victoire était là .
Il avait donné l'ordre à la division Prussienne de réserve du Prince Albrecht et à la brigade de Rosenzweig de marcher vivement sur cette position décisive, quand il eut lui-même à repousser l'offensive des Français . Le colonel Prussien de Hertzberg ayant été ramené en arrière, le baron de Barnekow accourut en personne d'Urvilliers d'où il appela à son aide la brigade de cavalerie Prussienne de Strantz .
De la hauteur située entre la fabrique de sucre et la chaussée, les tirailleurs Français embusqués derrière des tas de betteraves dirigeaient sur les Prussiens un feu terrible . Rassemblant toute l'infanterie Prussienne qui se trouvait sous sa main, le général de Barnekow la lança à l'attaque de cette hauteur et fit appuyer cet assaut par un mouvement de la brigade Prussienne de Strantz .
Cette cavalerie Prussienne, ayant contourné l'hauteur, put prendre à revers nos fantasins et son chef nous chargea à la tête de deux escadrons du régiment de dragons numéro 1 . Le général baron de Barnekow, qui se prodiguait pour enlever ses hommes, eut son cheval blessé sous lui .
Les difficultés que le terrain offrait à la marche de la cavalerie Prussienne permirent à nos soldats Français d'échapper par la fuite à une perte certaine et de se réfugier sur les hauteirs de Gauchy . Néansmoins, les Prussiens firent plus de 400 prisonniers dans cette seule affaire .
Le commandant de l'aile droite Prussienne, mettant à profit son succès, lança à la poursuite de notre infanterie la brigade Prussienne de Hertzberg et les dragons et hussards Prussiens du général de Stranz, sans se laisser arrêter par la nuit qui tombait .
Désireux de pousser jusqu'au bout l'avantage obtenu, il prescrivit au colonel Prussien de Hertzberg et au général de Stranz de s'engager vivement à la suite des Français jusque dans le faubourg de l'Isle .
Après tant d'efforts énergiques, la fortune des armes souriait au baron de Barnekow en cette fin de bataille .
Toutes ses troupes Prussiennes, ramenées en avant, combinaient leur action et pressaient de près les Français . Entamé dans ses positions, épuisé par sa résistance désespérée, le corps Lecointe avait à combattre, en ce moment suprême, la brigade Prussiennne de Rosenzweig qui venait de refaire ses munitions, la brigade de Goeben et le détachement de Bocking .
L'opération décisive qui nous avait fait perdre la hauteur à l'Est de la fabrique de sucre avait permis à l'ennemi d'enfoncer un coin dans notre front et ce fut comme l'effet d'une percée irrésistible .
La brigade de Goeben trouva évacué ce village de Grugies où nous avions fait une si belle résistance, et la fabrique de sucre devint intenable pour nous . Sept compagnies d'infanterie Prussienne l'occupèrent immédiatement .
Il ne nous fut pas possible, non plus, de nous maintenir sur les hauteurs de Gauchy et nos troupes Françaises, tout en tiraillant, se replièrent sur le faubourg de l'Isle .
Le lieutenant-colonel de Hüllessem occupa à cinq heures un quart de la gare de St-Quentin et put, quelques instants après, franchir le pont du canal qui relie le faubourg à la ville, tout en ramassant dans ce trajet un grand nombre de prisonniers .
A la suite des troupes Prussiennes du lieutenant-colonel Hüllessem, les brigades Hertzberg, de Goeben, de Rosenzweig étaient entrées à leur tour dans le faubourg de l'Isle; le général baron de Barnekow marchait avec l'avant-garde de la brigade d'Hertzberg . Les Prussiens commencèrent alors dans les rues de la ville la poursuite des soldats Français qui s'y étaient attardés .
Le commandant Prussien de l'aile droite avait avisé de St-Quentin le général comte de Lippe de sa situation et celui-ci s'était appliqué à compléter la victoire; mais, fort heureusement, ses efforts n'aboutirent pas, grâce aux dernières mesures prises par le général Lecointe .
Le chef du 22eme corps Français avait fait occuper Harly et Homblières puis installé de l'artillerie entre ces deux villages, sur la hauteur de Bellevue .
Le tir de notre artillerie Française arrêta la marche des Prussiens du comte de Lippe et l'empêcha de réaliser son dessein de prendre en flanc notre aile gauche pour la rejeter dans St-Quentin .
Le soir même de la bataille, le général de Groeben avait télégraphié au grand quartier général de Versailles que les Français étaient battus et que les troupes du baron de Barnekow avaient occupé St-Quentin .
On ne pouvait refuser aux Prussiens de reconnaître qu'ils s'étaient bien battus . Ils étaient loin cependant d'avoir tiré de cette journée le parti qu'ils en espéraient . Groeben qui avait battu Faidherbe n'avait pas terminé la guerre d'un seul coup, ainsi qu'il s'était vanté de le faire . Le filet qu'il avait tendu pour envellopper son adversaire ne s'était pas fermé assez vute et l'armée Française du Nord lui avait échappé une fois de plus .
St-Quentin est un succès tactique Prussien mais Groeben n'avait remporté qu'une demi-victoire stratégique puisqu'il n'avait pas pu, come le prévoyait ses objectifs, faire capituler toute l'armée de Faidherbe .
Le vainqueur de Pont-Noyelles et de Bapaume, le général Faidherbe, terminait par ce dernier acte sa belle campagne du Nord . Il arriva le 20 janvier 1871 à 2 h 00 du matin à Cambrai et descendit à l'hôtel de France, Place-au-Bois .
Ce fut là que brisé de douleur et de fatigue, il annonça le résultat de la bataille de St-Quentin que l'on ignorait encore . Il repartit ensuite pour Lille, à deux heures de l'après-midi, dans un tel accablement que ses officiers le portèrent à son wagon .
_________________ Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, l’Art est long et le Temps est court.
Charles Baudelaire
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