Puisque nous parlons par ailleurs des différences idéologiques entre Barrès et Maurras, je propose ici un petit résumé de la carrière de Maurras que j'ai eu l'occasion de faire dans un cadre scolaire.
Charles Maurras voit le jour à Martigues le 20 avril 1868, il souffre dès sa jeunesse d'une santé fragile, et notamment d'une surdité qui l'oblige à renoncer à la carrière de marin que la tradition familiale le prédisposait à embrasser. Charles Maurras grandit dans un milieu traditionaliste et fait ses études au collège catholique d’Aix-en-Provence. De fait, le tournant de sa jeunesse qui change le cours de sa vie est son arrivée à Paris en 1885. Il vient y tenter sa chance, comme de nombreux jeunes hommes, dans les milieux intelectuels et litteraires. Dès son arrivée, il le confiera lui même, il est choqué par certains aspect de Paris, si différent de Martigues. Il s'étonne de la présence en grand nombre d'étrangers, et voit vite en eux des ennemis de l'interieur, agissant comme autant de cancers qui désagregeraient la France de l'Interieur. De plus, sa Provence natale vient vite à lui manquer, d'où son adhésion au Felibrige (mouvement de restauration de la langue provençale fondé par Mistral), dont il créera vite un mouvement dissident ("l'Ecole parisienne du Felibrige"), qui tient réunion au Procope, et qui contrairement aux disciples de Mistral rejette l'héritage révolutionnaire. On trouve déjà en germe, dans les impressions de ce jeune parisiens exilé de sa Provence les futures idées forces du nationalisme intégrale: xénophobie, sentiment de décadence, psychose du complot (judéo-maçonnique), volonté de décentralisation; seul le royalisme manque alors à l'appel. Lors de son premier vote, en 1889, Maurras est amené à voter pour le candidat boulangiste (Naquet, qui est juif), par esprit de discipline, car si il approuve les grandes lignes du boulangisme, il peine à se résigner à voter pour un candidat juif. Cela ne sera pas pour lui faire apprécier la démocratie. Mais pour l'instant Maurras ne s'interessent pas directement, dans l'optique d'y faire carrière, à la politique. Il est venu à Paris pour y faire carrière dans les lettres et s'attèle à cette tâche. Aussi, quand Barrès lui propose de contribuer à son journal La Cocarde (revue boulangiste républicaine dirigée par Maurice Barrès), c'est avec empressement que Maurras accepte. Il publie dans divers journaux et revues chrétiens ou réactionnaires des critiques littéraires qui lui permettent d'acquérir une certaine renommée dans le cénacle des lettres parisiennes. Ses articles sont nourris d'un même leitmotive: une conception classique de la « véritable » pensée française, contre les excès irrationnels du romantisme, qu’il considérait comme une forme de décadence. Il est en effet attiré par l'esthétique gréco-latine, qu'il a pu apprécier notamment lors de son voyage en Grèce en 1895 pour couvrir en tant que journaliste les jeux olympiques. Il s’y faisait le chantre d’une conception classique de la « véritable » pensée française, contre les excès irrationnels du romantisme, qu’il considérait comme une forme de décadence. Opposé à la Réforme, au romantisme et à la Révolution, enfin, il est de longue date germanophobe et ce penchant n'aura de cesse d'augmenter. C'est l'affaire Dreyfus qui va marquer le tournant de sa carrière et le propulser sur le devant de la scène politique. Il se fait en effet dès le début, au travers de ses articles, l'un des plus fervents anti-dreyfusards. C'est l'élèment déclencheur et moteur du nationalisme intégral. En effet, l'Affaire met au jour deux visions du monde irréductibles l'une à l'autre: la raison d'Etat d'un côté, l'idée des droits et de la liberté individuelle de l'autre. Maurras se met au service de la première. Il y a tournant en ce sens que jusqu'à l'Affaire, les divers nationalisme (d'un Barrés ou d'un Déroulède) s'étaient enracinés dans les suites de la défaite de 1870, sur l'humiliation, l'amputation du territoire national et le désir de revanche. Aucun d'eux ne mettait cependant en cause la légitimité du régime au pouvoir (ils en acceptaient à tout le moins le principe). Après le choc de l'Affaire Dreyfus, la doctrine de Maurras atteint sa maturité.
Sa doctrine qui va se former à cette époque est le fruit d'un agrégats de lectures assez diversifiés. De Schopenhauer, il reprend le pessimisme (notamment quant à l'avenir de la France, l'idée de Décadence); de Taine, lui vient le sentitment de déterminisme. Il faut aussi citer Anatole France qui endurcira son paganisme, Barrès qui le sensibilise au patriotisme, et Mistral qui stimule son amour du terroir. Et surtout le positivisme de Comte permet à l'agnostique qu'il est de définir un ordre moral et politique en dehors de toutes références religieuses. Enfin Maistre et Bonald apportent des arguments à son traditionalisme et à son côté réactionnaire, cependant que Le Play et La Tour du Pin précisent ses idées sociales et familiales. Il a bien sûr également lu Drumont, et il va bientôt pouvoir tirer profit de cette lecture... Le maurrassianisme, qu'il qualifie de "nationalisme intégral" est un néo-royalisme, royalisme nouveau parce que Maurras, fidèle à sa pensée philosophique, ne croit pas au droit divin des rois. S'il prône la monarchie héréditaire, c'est que l'éducation lui semble primordiale dans la formation d'un roi comme dans celle de n'importe quel travailleur, et quelle meilleure éducation que celle de la famille et du milieu? Il s'agit en quelque sorte d'une famille de spécialistes. On décèle bien ici l'influence positiviste de Maurras. Le maurrassianisme en lui même part, et Maurras insiste sur ce point, d'une constatation (et pas d'un a priori: c'est en regardant l'histoire de manière objective, positive, par un examen critique, une méthode scientifique, que Maurras prétend déceler la supériorité de la monarchie). Dès lors, le principal objectif de l'Action Française est d'aboutir à une Restauration monarchique car la République est le plus mauvais des régimes selon lui. Cependant, les arguments employés par Maurras pour discrediter le système républicain sont différents de ceux des royalistes traditionnels. Pour Maurras, la République, c'est l'irresponsabilité par la dillution, le partage des responsabilités entre des centaines d'hommes à l'action éphémère dont aucun n'assume en conséquence la responsabilité de ses actions. C'est aussi le régime de l'oubli: la République n'a pas de mémoire (d'où une politique extérieure sans continuité dénoncée dans Kiel et Tanger). Un régime soumis aux bons vouloir d'un électorat volatile est voué à la démagogie alors que personne ne prend la défense des interêts supérieurs du pays. La monarchie que Maurras appelle de ses voeux ne doit pas être constitutionnelle, il souhaite une monarchie forte et pleine. Cependant, celle-ci doit être décentralisée. C'est ici un rejet du jacobinisme et de la décadence révolutionnaire. Et la leçon de l'Affaire Dreyfus se trouve réafirmer: l'individu ne doit pas primer sur l'Etat, or c'est le cas dans la République, pour restaurer l'autorité de l'État, il faut à celui-ci la durée et l'unité de commandement, soit l'hérédité et la monarchie. Sur le plan intérieur, Maurras souhaite comme on l'a vu voir les étrangers ("les métèques", les juifs et les protestants) chassés, ceux ci constituant avec les Franc-Maçons ce qu'il appelle "l'anti-France". De plus son néo-classicisme et son attirence pour la culture antique en font un fervent traditionaliste, adepte des traditions et du patriotisme. Les principes fondamentaux du nationalisme intégral sont donc le royalisme, la xenophobie, l'antisémitisme, le traditionalisme réactionnaire et le patriotisme.
Fondée par Pujo (journaliste) et Vaugeois(prof de philo) en 1898, l'Action Française se veut réactionnaire, xénopobe et anti-parlementaire, soit une bonne partie du programme de Maurras. Maurras va y approter la touche finale: le néo-royalisme. Par cette prise de position royaliste, Maurras perd le soutien de Barrés et de nombreux militants. Cependant, il va vite réussir à féderer autour de lui un solide noyau convaincu de la supériorité du royalisme tel que le souhaite Maurras. On retrouvera successivement, pas tous du début ni jusqu'au bout, de grandes personnalités telles Léon Daudet, Brasillach, Gaxotte, Bernanos, Bainville, et un nombre croissant de militants de base. Maurras souhaite, avant toute chose, faire connaitre sa doctrine, c'est pourquoi il oeuvre avec acharnement afin de créer un quotidien, ce qui sera chose faite en 1908, avec L'Action Française, sous titré d'une devise prononcée par le Duc d'Orléans: "Tout ce qui est national est notre." Le journal se caractérise, au delà des traditionnels aspect du milieu réactionnaire, par une gérmanophobie exacerbée. Il est distribué par les "Camelots du roi", unité de propagande et d'agitation, qui perturbe violemment la vie du quartier latin dans les années 1910. C'est à cette époque que l'Action Française atteint l'apogée de son influence. S'y retrouvent des catholiques frustrés par le déroulement de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, toute une petite bourgeoisie xénophobe, mais également dans une moindre mesure des ouvriers qui sont très courtisés par l'Action Française. Lorsqu'éclate la guerre en 1914, Maurras se fait le chantre de l'Union Sacrée, et soutient avec ferveur l'effort de guerre qui doit humilier les allemands qu'il abhorre. La guerre gagnée, il s'oppose au traité de Versailles et au briandisme qu'il estime bien trop favorable à l'Allemagne. Après 1914, l'influence de l'Action Française sera encore forte, mais l'idée d'une restauration deviendra de plus en plus irréalistes. En 1919, l'Action Française veut profiter du retour en force de la droite pour s'introduire dans le jeu parlementaire. Pour les legislatives, elle mêle ses candidats à des républicains du bloc national dans des listes mixtes. Ce fut une réussite avec 30 députés au Palais Bourbon (dont Léon Daudet, député de Paris). Mais cette réussite électorale rend un peu plus floue les positions de l'AF, notamment son monarchisme. En effet, l'AF semble se muer en une aile droite du grand parti conservateur et nationaliste qui soutient Poincaré dans sa politique d'intransigeance à l'égard de l'Allemagne. Mais dès les legislatives de 1924, remportées par le cartel des gauches, les néo royalistes sont battus en brèche, Léon Daudet perd son siège et toutes ses illusions de conquète par l'intérieur. C'est alors, en décembre 1926, qu'intervient la condamnation pontificale (Pie XI) de la majeure partie de ses écrits puis de son mouvement: l'église, qui commence à se rapprocher de l'idéal démocratique et ne voit pas d'un bon oeil cet homme qui soutient l'Eglise (pour la raison d'état) tout en étant agnostique et hostile à la foi catholique. Maurras dirige en effet un mouvement dont l'écrasante majorité des membres est catholique, et l'Eglise craint le pouvoir de cet agnostique sur ses disciples. Il y a risque d'un détournement des chrétiens de la pure foi, au profit d'une religion nouvelle, païenne celle ci, celle de la Patrie. La lecture de l'Action Française est interdite aux catholiques. Cette mise à l'index divise les catholiques, dont certains comme Bernanos restent fidèles à Maurras, tandis que d'autres, tels Maritain, se plient aux volontées du pape. L'année suivante, Julien Benda publie sa Trahison des clercs, où Maurras est indirectement visé. Maurras n'en continue pas moins son action sans se renier. En 1935, il milite en faveur d'une alliance avec Mussolini puis avec Franco. Par contre, il s'oppose clairement à Hitler à cause de sa germanophobie. C'est dans les années 30 que certains membres, lassés de l'immobilisme et de la pusillanimité de Maurras, quitte le mouvement pour se tourner vers le fascisme (Brasilach, Rebatet, Darnand...) Assez paradoxalement, il soutient les accords de Munich et s'oppose au déclanchement d'une guerre dont il pressent trop bien la tragique fin en raison de l'impréparation de la France. De plus, il craint trop que cette guerre ne permette l'implantation du communisme en France. Il est enfin, après plusieurs tentatives, élu à l'Académie Française en 1938. Il ne faut pas oublier que parralélement à son action politique, Maurras s'est toujours voulu un homme de lettre. En 1940, il quitte Paris pour Lyon où il poursuit ses activités journalistiques, en s'opposant à la fois aux collaborateurs et à ceux qu'il qualifie de "dissidents" londoniens. Il se rallie ensuite au régime de Vichy, éstimant que seule une collaboration gouvernementale, telle que la défend Pétain est acceptable.Le régime de Vichy est par ailleurs fortement inspiré de la doctrine de Maurras, qui tient un rôle de premier ordre dans ce "syncrétisme de la réaction conservatrice" (M. Winock) que constitue l'Etat Français. Arreté en 1944, il est jugé et condamné à la dégradation civique et à la détention perpétuelle. A Riom puis à Clairvaux, il poursuit son œuvre tant politique que littéraire. Gracié en raison de sa santé, Maurras finit ses jours dans une clinique où il meurt le 16 novembre 1952.
Le maurrassianisme vient donc prendre le relais des courants réactionnaires nés des scandales républicains (Panama, Dreyfus...) tel le boulangisme. L'opinion publique est alors très encline à recevoir un message traditionaliste, patriotique et xenophobe. C'est pourquoi l'Action Française rencontre très vite le succés et incarne les espoirs de beaucoup. Il faut surtout souligner le coup de force de Maurras qui parvient à imposer au nationalisme (dont on a vu qu'il été déjà fort avant lui) le royalisme (auquel peu de gens tenait). Maurras su s'imposer au nationalistes (qui le précédaient) et imposer sa doctrine à ceux ci. Ceci dit, force est de constater que Maurras, si il n'a jamais cesser de proner l'activisme pour aboutir à une Restauration, n'a guère mis en oeuvre concrétement cette consigne. Il a au contraire beaucoup tergiversé, hésité (on pense au 6 fevrier 1934). L'Action Française, s'est vite muée en une "innaction française", ce qui provoqua les dissidences et partant la chute du mouvement.
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