Après avoir bien lu l'ensemble des messages, le mythe de la survivance reste bien ancré dans l'imaginaire collectif d'autant plus s'il s'agit de personnages importants ou dont la mort s'est déroulée dans des circonstances un peu obscures. Il est intéressant de faire le parallèle entre l'Affaire des Romanov et celle de Louis XVII. Dans les deux cas, les uns penchent pour la survie et bien d'autres pour la fin brutale. Il est, bien sûr, plus romantique de croire envers et contre tout à la survivance même si nombre d'historiens et de scientifiques prouvent à volonté cette survivance impossible. Par exemple, tant pour Madame Anderson que pour les Naundorff, les analyses scientifiques menées par des laboratoires universitaires non suspects (entre autres l'Université catholique de Louvain- Professeur Cassiman pour Louis XVIIet naundorff) ont beau démontré l'impossibilité des prétentions avancées par les divers personnages; à chaque fois, les "Naundorff" ou les partisans de madame Anderson prétendent que les échantillons transmis , en toute sécurité et en présence de nombreux témoins, quand ils ne sont pas eux-même les donateurs des échantillons, ont été falsifiés, échangés. Pour ce qui nous occupe, très vite après l'assassinat de la famille impériale, de nombreux prétendants sont apparus 'sur le marché': de fausses olga, marie, anastasia...dont la plus en vue madame Anderson. L'ensemble des membres survivants de la famille impériale, dont les propres soeurs de l'empereur les grandes-duchesses Xénia et Olga, refusèrent toujours de les rencontrer. L'impératrice douairière, elle, ne voulut jamais croire à l'assassinat. Les milieux de l'émigration (surtout Berlin) étaient aussi composés de nombreux affairistes qui ne voyaient dans l'arrivée soudaine d'un soi-disant rescapé la possibilité de servir une cause qui pourrait rapporter de l'argent. Il circulait, depuis longtemps, la légende que la famille impériale ait placé des millions de roubles dans les coffres de la banque d'Angleterre. Or, dès avant la guerre, l'Empereur avait demandé à sa famille de rapatrier tous les fonds qu'ils possédaient à l'étranger pour financer l'effort de guerre. En 1917 déjà, Rodzianko , non suspect de bolchévisme, proposa d'envoyer la famille impériale à l'étranger- le menchévik S. Tchkheidze fit remarquer : 'jamais ! Il a là-bas une somme énorme, 500 millions de roubles en or, il nous organisera une telle contre-révolution qu'il ne restera rien de nous. Il faut le mettre hors d'état de nuire ici..." in Nicolas Romanov, vie et mort, ed. Likki Rossi, saint-Pétersbourg, 1998, p.117)
Donc, là est le noeud du problème politique: Comment empêcher Nicolas et sa famille de 'nuire', c'est à dire de jouer un rôle de symbole ou de drapeau pour une contre-révolution ?
Il est important de retourner 'réellement' durant cette période trouble et d'envisager les faits historiques sans passion et avec détachement
Dès l'arrestation du Tsar en mars 1917, le gouvernement provisoire tenta pourtant de les faire transférer en Angleterre. Tous y croyaient fermement. Gillard écrit: 'Notre captivité à Tsarskoié Selo ne semblait devoir être de longue durée et il était question de notre prochain transfert en Angleterre. Mais ces jours passaient et notre départ était sans cesse renvoyé...Nous n'étions pourtant qu'à quelques heures de la frontière finlandaise et la nécessité de passer par Pétrograd était le seul obstacle sérieux. Il semblait donc qu'en agissant avec décision et dans le plus grand secret, il n'eût pas été difficile de faire gagner à la famille impériale un des ports de Finlande et de l'emmener à l'étranger. Mais on avait peur des responsabilités et personne n'osait se compromettre." (in Gilliard, notre captivité à Tsarskoie selo, p.183). Le secret des opérations et des contacts et la détermination firent défaut aux membres du gouvernement provisoire et de Kérenski, face à la haine féroce du soviet de Pétrograd qui voulait la peau de la famile impériale. Tous les membres du gouvernement provisoire savaient que le départ était une question de vie ou de mort. Milioukov pressa Buchanan de convaincre l'Angleterre ' C'est la dernière chance de sauver la liberté et peut-être la vie de ces malheureux' (in mémoires de Buchanan, T.II, p.73). Georges V et Lloyd Georges, contactés par le gouvernement provisoire et l'ambassadeur Buchanan, se sentirent obligés tout d'abord d'accepter à condition que la Russie prenne en charge les frais de la famille impériale. Entretemps, les soviets de Pétrograd connurent la teneur des tractations et alertèrent les comités ferroviaires empêchants ainsi tout transport. Ils voulaient enfermer Nicolas II dans la forteresse Pierre et Paul et le faire passer en jugement. ce fut un jeu de dupes entre les soviets et le gouvernement provisoire, aucun des deux en réelle position d'affirmer son pouvoir. Il fut donc décidé de surseoir au voyage. L'Angleterre petit à petit changea d'avis face à l'opposition politique des travaillistes et des libéraux et aussi de l'opinion publique. Buchanan proposa alors que la France offrit l'asile. mais l'ambassadeur d'angleterre à Paris , lord Francis Bertie, écrivit "Je ne crois pas que l'ex-empereur et sa famille seraient les bienvenus en France. L'impératrice n'est pas seulement une boche par sa naissance et ses sentiments: elle a fait tout ce qu'elle a pu pour amener un compromis avec l'Allemagne... On la considère comme une criminelle ou comme une folle...". Pensée délicate mais fausse de bout en bout. Ce n'est qu'en juin que la perspective de l'évacuation se précisa et le gouvernement provisoire fit appel à nouveau à l'Angleterre. Mais sir George Buchanan dut donner la réponse négative à Kérenski qui écrit dans ses mémoires que la réponse anglaise à Buchanan exprimait "l'impossibilité dans laquelle se trouvait le premier ministre britannique de conseiller à Sa Majesté d'offrir l'hospitalité à des gens dont les sympathies pro-allemandes étaient bien connues ". Un véritable scandale quand on connaît l'aversion que ressentaient la famille impériale pour les rodomontades de Guillaume II. Georges V ne put que se ranger à cet avis. Le Duc de Windsor écrivit dans son livre 'l'histoire d'un roi', "la révolution russe de 1917 et le meurtre du tsar Nicolas II et de sa famille avaient ébranlé la confiance que mon père faisiat auparavant à la nature humaine. Des liens très réels l'unissaient à son cousin germain Nicky. Ils étaient en correspondance régulière, portaient des barbes de la même coupe caractéristique et, dans leur jeunesse, se ressemblaient beaucoup...J'ai eu longtemps l'impression que juste avant que les bolcheviks ne se fussent emparés du Tsar, mon père avait personnellement formé le projet d'envoyer un croiseur britannique pour le délivrer, mais de façon ou d'autre le plan s'était trouvé contrecarré. En tout cas, mon père fut blessé que l'Angleterre n'ait rien tenté pour sauver son cousin Nicky. "Ces politiciens, disait-il, s'il avait été question de l'un des leurs, ils auraient bien su agir à temps !...Mais le pauvre homme était un empereur..." (souvenirs du duc de Windsor,p.131)
Dès avril 1917, lénine, trotski, et bien d'autres chefs bolcheviks rentrent (avec l'aide de l'Allemagne- on se demande vraiment qui étaient pro-allemands!) et n'ont de cesse de combattre le gouvernement provisoire, de fomenter des troubles et de pousser l'armée à déposer les armes (tiens ! tiens!) malgré le fait que les divisions russes avaient enfoncé les lignes autrichiennes. seulement, les contre-attaques allemandes minèrent encore plus le moral des soldats déjà gangrenés par les societs infiltrés qui refusèrent de combattre encore. La situation devint explosive et kérenski décida le transfert de la famille impériale d'abord pour Livadia en Crimée (beaucoup de Romanov s'y trouvaient déjà et la population tatar restait fidèle à la monarchie), puis , pour des raisons de sécurité, il choisit Tobolsk "je choisit Tobolsk, ecriva-t-il, parce que c'était un endroit tout à fait isolé (n'étant pas situé sur une voie ferrée), avec une petite garnison, sans prolétariat industriel, et une population prospère et contente de son sort, pour nr pas dire à l'ancienne mode. En plus, le climat était excellent et la ville s'enorgueillissait d'une résidence de gouverneur fort passable...où la famille impériale pourrait vivre d'un certain confort ." Et c'est le 14 août 1917 que la famille impériale embarqua dans un train qui portait des drapeaux japonais et des pancartes où se lisait Mission de la Croix-Rouge japonaise. Ils étaient accompagnés : Comtesse Hendrikov, Prince Dolgourouky, Docteur Botkine, Pierre Gilliard, Melle Schneider, Général-Comte Tatichtchev et de quelques serviteurs fidèles comme Troupp et Derevenko, plus trois compagnies (6 officiers et 330 hommes) choisis dans les 1er, 2e et 4e régiments des tireurs d'élite de la Garde. Quant à l'assassinat de la famille impériale, l'Histoire ne retiendra qu'une chose- c'est qu'ils sont bien morts à la maison Ipatiev.
(à suivre)
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