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Message Publié : 28 Oct 2009 21:08 
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Jean Froissart
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Le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, commanda la corvette La Créole dans l'escadre du contre-amiral Baudin. Dans son livre La Créole, Jean Boudriot donne le récit du prince, qui le transcrivit dans ses Vieux souvenirs. Le marin de la famille royale d'Orléans a d'ailleurs reçu, à l'issue de ce fait d'armes, la promotion de capitaine de frégate, pour commander la fameuse Belle Poule pour le retour des Cendres en 1840.

Lorsque j'aurai accès à ce livre, je donnerai des extraits des Vieux souvenirs et le contexte historique de ce bombardement. Pour l'instant, je n'ai que l'article Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d ... _Ul%C3%BAa

A vrai dire, je ne savais pas où parler de ce combat. Dans histoire militaire, avec le sujet sur les fils de Louis-Philippe, ou dans le monde du XIXe siècle ? Une chose est sûre, c'est encore le signe que j'aime parler marine militaire. Qu'un modérateur fasse donc ce qu'il veut de ce message.

Présentation du livre La Créole de Jean Boudriot : http://www.ancre.fr/Product.aspx?ID=3810270&L=FR

Anecdote : le modèle de La Créole du musée national de la marine à Paris était jadis sur le bureau du prince de Joinville.

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"L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)


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Message Publié : 28 Oct 2009 21:31 
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Jean Froissart
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Cette bataille fait partie de la Guerre des Pâtisseries : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_ ... A2tisserie

S'il m'est permis de plaisanter, le nom de cette guerre me rappelle la scène des "Bon appétit, messieurs !" du film La folie des grandeurs, le moment où Yves Montand (Blaze) jette des pâtisseries sur les têtes des nobles qui lui en veulent lol

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Message Publié : 29 Oct 2009 17:08 
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Jean Froissart
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L'article Wikipédia sur le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, m'a montré que ses Vieux souvenirs étaient disponibles sur Gallica. Je les ai téléchargés en fichier pdf. Et je sélectionnerai le passage sur San Juan de Ullua en 1838.

Lorsque je lis ce passage dans La Créole de Boudriot, une chose me frappe. Le prince, tout en étant fils de roi, se qualifiait de "petit bonhomme". Etait-ce par modestie qu'il se voyait ainsi ? J'ai été étonné, parce que je sais l'orgueil que l'on peut ressentir en étant prince...

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Message Publié : 05 Déc 2009 14:15 
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Jean Froissart
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Voici une carte ancienne de Veracruz (Mexique), au large de laquelle se trouve d'île de San Juan de Ullua, lieu des exploits de l'escadre du contre-amiral Baudin :

Image

J'ai mis la carte afin que l'on puisse suivre le rapport de l'amiral, transcrit depuis La corvette la Créole de Jean Boudriot :

"C’était le 27 novembre à midi qu’expirait le dernier délai que j’avais accordé au Gouvernement mexicain ; j’avais signifié à son plénipotentiaire que si, ce jour-là, je n’avais pas une réponse satisfaisante aux demandes de la France, je recommencerai immédiatement les hostilités.

Le 26, j’ordonnai les dispositions de combat à bord des trois frégates : la
Néréide, capitaine Turpin ; la Gloire, capitaine Lainé ; l’Iphigénie, capitaine Parseval-Deschênes, et des deux bombardes, le Cyclope, capitaine Ollivier, et le Vulcain, capitaine Lefrotter.

Le 27 au matin le temps était très calme : je donnai ordre aux deux bâtiments à vapeur, le Météore, capitaine Barbotin, et le Phaéton, capitaine Goubin, de prendre chacun une des deux bombardes à la remorque, et de les conduire au poste d’embossage que je leur avais assigné dans l’Est de la petite coupure qui sépare en deux le grand récif de la Gallega.

La corvette la Créole, capitaine prince de Joinville, reçut ordre de se tenir en observation dans le nord d’Ullua, mais sans se compromettre avec la forteresse plus que ne le permettait la portée de ses deux seuls obusiers longs dont elle pouvait disposer de chaque côté. A 10 heures trois quarts la Néréide, portant mon pavillon, reçut la remorque du navire à vapeur le Météore ; et, à midi 10 minutes, je la mouillai à portée de pistolet de l’accore oriental du récif de la Gallega, où elle fut immédiatement embossée. Les frégates la Gloire et l’Iphigénie vinrent prendre avec une parfaite précision les postes que je leur avais assignés, la première sur l’avant, la seconde sur l’arrière de la Néréide.

Les trois frégates, ainsi embossées, beaupré sur poupe, formaient une ligne serrée, parallèle au récif ; du milieu de cette ligne, la tour des signaux, élevée par le cavalier de la bastion Saint-Crispin de la forteresse, restait au Sud-Ouest 50 1/2°. C’était une position avantageuse en ce qu’elle nous permettait de battre diagonalement la plus grande partie des ouvrages de la forteresse, en évitant le feu de ses fronts principaux.

Après avoir remorqué les frégates, les navires à vapeur allèrent mouiller hors de portée des canons de la forteresse, mais en position de leur donner leur assistance si elle devenait nécessaire.

Les chaloupes des frégates armées par les équipages des bricks laissés à l’ancre, et munies chacune d’une ancre à jet et de deux grelins, furent placées à l’abri des frégates, du côté opposé au récif.


Quelques minutes avant midi, au moment où j’allais placer la Néréide près du récif de la Gallega, un canot mexicain vint à bord en parlementaire ; il portait deux officiers chargés par le lieutenant général Manuel Rincon, commandant le département de Veracruz, de me remettre la réponse définitive du Gouvernement mexicain aux demandes de la France. Cette réponse ne laissait aucun espoir d’obtenir par des voies pacifiques l’honorable accommodement que j’avais été chargé de proposer au chef mexicain. Depuis un mois j’avais épuisé tous les moyens de conciliation. Il fallait recourir à la force. Un peu avant deux heures et demie, je renvoyai le parlementaire mexicain ; et dès qu’il fut à bonne distance, hors de la direction de nos canons, je fis le signal de commencer le feu sur la forteresse.

Jamais feu ne fut plus vif et mieux dirigé, et je n’eus dès lors d’autre soin que d’en modérer l’ardeur. De temps à autre je faisais le signal de cesser le feu, pour laisser dissiper le nuage d’épaisse fumée qui nous dérobait la vue de la forteresse. On rectifiait alors le pointage, et le feu commençait avec une vivacité nouvelle.


Vers trois heures et demie la corvette la Créole parut à la voile, contournant le récif de la Gallega par le Nord ; elle demandait la permission de rallier les frégates d’attaque et de prendre part au combat.

J’accordai cette permission : M. le prince de Joinville vint alors passer entre la frégate la Gloire et le récif de la Lavandera, et se maintint dans cette position jusqu’au coucher du soleil, combinant habilement ses bordées de manière à canonner le bastion Saint-Crispin et la batterie rasante de l’Est. A quatre heures vingt minutes, la tour des signaux, élevée sur le cavalier de ce bastion, sauta en l’air en couvrant de ses débris le cavalier et les ouvrages environnants. Déjà deux autres explosions de magasins à poudre avaient eu lieu, l’une dans le fossé de la demi-lune, l’autre dans la batterie rasante de l’Est dont elle avait fait disparaître le corps de garde. Une quatrième explosion eut lieu vers 5 heures, et dès lors le feu des Mexicains se ralentit considérablement. Au coucher du soleil, plusieurs de leurs batteries paraissaient abandonnées, et la forteresse ne tirait plus qu’un nombre petit de pièces. Je donnai alors l’ordre à la Créole d’aller reprendre le mouillage de l’île Verte, et je fis remorquer la Gloire au large par le Météore.

Il importait de désencombrer notre position ; les frégates étaient mouillées sur un fond de roches aigües, et elles se trouvaient serrées contre l’accore d’un récif dont elles ne pouvaient s’éloigner que l’une après l’autre, en sorte que le moindre vent du large qui se serait élevé pendant la nuit aurait rendu leur situation fort dangereuse.

J’ordonnai donc de cesser le feu à bord de la Néréide et de l’Iphigénie, et de faire les dispositions pour recevoir les remorques des navires à vapeur. La forteresse avait complètement cessé son feu ; les bombardes seules continuaient à tirer sur elle. A huit heures, ne voulant pas qu’elles dépensent inutilement leurs munitions dans l’obscurité, je leur fis le signal de cesser le feu.

Vers huit heures et demi un canot parlementaire se dirigea de la forteresse vers la Néréide, portant deux officiers mexicains. L’un d’eux, le colonel Manuel Rodriguez, me dit qu’il était envoyé par le maréchal de camp don Antonio Gaona, commandant la forteresse, pour me demander une suspension d’armes, afin de retirer de dessous les décombres un grand nombre de blessés qui s’y trouvaient ensevelis encore vivants.

Je répondis que la suspension d’armes avait lieu de fait, puisque je venais de faire cesser le feu, mais qu’elle ne pouvait durer que quelques heures, et que j’exigeais une capitulation dont je dictai immédiatement les termes.


La convention relative à la ville de Veracruz et à la forteresse d’Ullua fut donc conclue, à quelques modifications près, dans les termes que j’avais moi-mêmes offerts. C’était le 28 novembre, à midi, que la forteresse devait nous être remise ; mais elle n’a qu’une seule porte à laquelle on arrive par un quai fort étroit, dont l’accès se trouvait encombré par les chaloupes canonnières mexicaines coulées bas dans le combat de la veille. D’ailleurs, l’encombrement des blessés mexicains était tel que, malgré les efforts de des officiers qui commandaient les embarcations de l’escadre, l’évacuation ne put être terminée que deux heures après midi.

Je fis alors occuper la forteresse par les trois compagnies d’artillerie de la marine et l’escouade des mineurs embarqués sur les frégates. Lorsque le pavillon de France fut hissé, tous les navires de l’escadre le saluèrent par 21 coups de canon, et les équipages, sur les vergues, de trois « Vive le roi ! » Aussitôt que la prise de possession fut terminée, je me hâtai de tirer les frégates et les bombardes de la position dangereuse qu’elles occupaient à l’accore du récif de la Gallega. Il était temps, car le vent fraîchissait, la mer devenait houleuse, et les ancres se brisaient comme du verre sur le fond de roches aigües où nous nous trouvions mouillés ; enfin, à sept heures du soir, toute la division d’attaque se trouvait ralliée à l’île Verte, à l’exception du Cyclope qui ne put rejoindre que le lendemain.

La garnison de la forteresse d’Ullua se composait de 1100 artilleurs et soldats. D’après le rapport du général Santa-Anna, ses pertes, en tués et blessés, l’avaient réduite à environ la moitié de ce nombre lors de la capitulation.

Le matériel d’armement se compose de 186 bouches à feu montées, plus 7 mortiers de 9 pouces ; de ces 193 bouches à feu 110 sont en bronze, conformément à l’état détaillé que j’ai l’honneur d’adresser à Votre Excellence.


A moins que de les avoir vus, il est impossible de se faire une idée des ravages que notre feu a causés dans la forteresse pendant le court espace de temps qu’a duré l’attaque. En peu d’instants toutes les défenses de l’ennemi ont été criblées. Ce succès est dû surtout à la supériorité de notre artillerie. Votre Excellence pourra apprécier la bonne organisation de ce service à bord des navires dont se composait ma division d’attaque, lorsqu’elle saura que 302 bombes, 177 obus et 7 771 boulets ont été lancés contre la forteresse sans donner lieu au plus léger accident.

Des deux mortiers que portait chaque bombarde, l’un était servi par des artilleurs bombardiers, l’autre par des marins ; le sentiment de notre émulation qui est résulté de cette mesure a eu, de part et d’autre, les plus heureux effets."


Rappel : si des mots comme accore, s'embosser vous sont obscurs, consultez le sujet Vocabulaire de marine du forum Langues, noms et mots : viewtopic.php?f=80&t=22377

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Message Publié : 05 Déc 2009 17:15 
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Plutarque
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Merci MarcMailly pour ce récit.. ;)
Je ne suis pas grand connaisseur de la marine et encore moins de son vocabulaire !!
Je ne connaissais pas ce passage de l'histoire (guerre des pâtisseries), la seule référence que j'avais du même genre était l'attaque de Rio par Duguay-Trouin.

Cette victoire est-elle vraiment un exploit (point de vue stratégie maritime), des français ou plutôt un manque de moyen, (je pense au matériel démodé et aux fortifications fragiles), de leurs adversaires ?
Lorsque l'on regarde la carte, l'opération a l'air périlleuse !!

Cordialement.

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« Enfin, Monsieur, avouez que vous, Français, vous battiez pour l'argent tandis que nous, Anglais, nous battions pour l'honneur… » Surcouf lui répondit d'un ton calme : « Certes, Monsieur, mais chacun se bat pour acquérir ce qu'il n'a pas. »


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Message Publié : 05 Déc 2009 20:38 
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Jean Froissart
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Il est vrai que les vents dominants près de Veracruz sont d'Est (les alizés). Et pour comprendre la dangerosité de la position de l'escadre française embossée près d'un haut-fond, il faut connaître le tirant d'eau des trois frégates, qui étaient la force de frappe de l'amiral. Ces frégates époque Restauration et Monarchie de Juillet avaient 60 canons dont 30 caronades de 30 livres, pour le premier rang et de l'ordre de 54 pour le second rang, et un tirant d'eau d'environ 6 mètres. Ce qui veut dire que si le contre-amiral Baudin n'a pu que mouiller en eau profonde, à la limite du haut fond d'Ullua, c'est parce que ce haut fond n'était pas assez profond. Et ce, indépendamment de l'utilisation de chaînes d'ancre à la place de câbles, l'amélioration technique du mouillage avait été trouvée. De plus, il fallait pouvoir tirer en évitant d'être dans l'axe principal de l'artillerie de la forteresse, qui devait battre le chenal d'accès, entre San Juan et le continent.

Jean Boudriot n'a pas laissé beaucoup d'études sur la marine de guerre de la Restauration de la Monarchie de Juillet. Pour l'instant, la monographie de la Créole, une partie des Vaisseaux de 74 à 120 canons (1650-1850) et de La Frégate, marine de France (1650-1850) ne sont que ce qu'il a déjà en magasin. Il avait promis une étude sur ces frégates de 60 canons comme la Belle-Poule des cendres impériales (1840), mais pour l'instant, on ne trouve la monographie de cette frégate qu'au Musée de la Marine à Paris (place du Trocadéro)...

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Message Publié : 05 Déc 2009 23:39 
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Plutarque
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Inscription : 26 Avr 2009 21:23
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Possibilitées réstreintes pour tirer sur les fortifications, belle manoeuvre des français !!

Où se situait la marine française à cette époque ?

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Message Publié : 06 Déc 2009 7:24 
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Jean Froissart
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Inscription : 21 Sep 2008 16:42
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Je n'ai pas trouvé sur Google une carte avec les positions des navires de l'amiral Baudin. Par copyright de l'éditeur Ancre, la carte dans la monographie de la Créole n'est pas diffusable sur Internet.

J'ai mis le rapport de l'amiral Baudin parce qu'il fut le chef du prince de Joinville durant le bombardement. Baudin, en tant qu'amiral, montre sa vision de sa mission à l'échelle de son escadre. Il me faut recopier le chapitre V des Vieux souvenirs du prince de Joinville dans un traitement de texte (le texte est long, désolé !) pour pouvoir faire un copier-coller dans passion-histoire... Et aussi pour qu'on ait deux témoignages de la même mission...

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Message Publié : 06 Déc 2009 12:40 
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Plutarque
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Marc Mailly a écrit :
Et aussi pour qu'on ait deux témoignages de la même mission...

C'est toujours très interressant d'avoir plusieurs témoignages des intervenants..

Je me demandais Marc, que valait la puissance maritime française à cette époque ?
Je pense notamment par rapport aux Anglais ?

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Message Publié : 06 Déc 2009 17:51 
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Jean Froissart
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Pour placer les points cardinaux sur ma carte, c'est très simple : le Nord est au bord supérieur, l'Est à droite, le Sud au bord antérieur et l'Ouest à gauche de la feuille... Autrement dit, l'on voit le littoral Est du Mexique et l'Ouest de la mer des Caraïbes. Tout vent un peu violent (l'alizé quelquefois violent) empêche donc des navires à voiles carrées comme ceux de Baudin de s'éloigner de la côte, et les coques en bois drossées contre du corail aux pointes aigües, ce n'est pas joli joli parce que le bois ne résiste pas... Et je ne parle pas de la férocité des barracudas abondants en ces mers. Bref, l'amiral Baudin montre son sens marin en éloignant sa flotte du banc de la Gallega lorsque le vent fraîchissant le permet encore ;)

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Message Publié : 22 Déc 2009 18:16 
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Jean Froissart
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Voici comment le fils marin de Louis-Philippe raconte cette mission, dans le chapitre V de ses Vieux Souvenirs :

"Je retournai à mon métier. Le 1er septembre, je sortais de Brest sous les ordres de l’amiral Baudin, un homme qui avait derrière lui toute une carrière de vaillance. Amputé d’un bras, sa haute taille, sa figure énergique inspiraient tout d’abord le respect, et on apprenait vite à voir en lui un chef aussi intelligent que résolu, que passionné même. Il avait son pavillon sur la frégate la Néréide. Je suivais sur une petite corvette dont on m’avait donné le commandement et dont je venais de faire le rapide armement. Hors les torpilleurs, les bâtiments de flottille, je ne crois pas qu’il existe aujourd’hui, dans toute notre marine, un navire aussi petit qu’elle. Quatre canons de 30 et seize caronades, des jouets d’enfants, composaient son armement. Son équipage était d’une centaine d’hommes. Mais qu’elle était jolie, avec sa fine carène si ras sur l’eau, son immense mâture si inclinée sur l’arrière, et puis quel nom charmant ! Elle s’appelait la Créole. C’était mon premier commandement ! J’avais vingt ans ; nous partions pour une expédition où il y avait chance de tirer le canon, et où je me flattais à mon tour d’imiter les exemples de mes frères aînés, qui avaient si bien su à Anvers et en Afrique soutenir l’honneur de la race.

On comprend mon émotion en quittant la France dans ses conditions. Mon ancien aide de camp, Hernoux, et Bruat me donnèrent la conduite hors des passes, et me quittèrent dans la barque du pilote. Le dernier lien avec le sol de la patrie était rompu... En avant ! petit bonhomme ! [...]


De Cadix, où nous avions trouvé les frégates la Gloire, la Médée et deux corvettes à vapeur, nous naviguâmes en division, et, après trente-six jours de traversée, nous atteignîmes le cap Saint-Antoine, la pointe Ouest de Cuba. Arrivés là, l’amiral prit à la Gloire et à la Créole leur eau et leurs vivres et nous envoya nous ravitailler à La Havane, pendant qu’il continuait sa route vers le Mexique et La Vera Cruz. Très indifférent à la politique, ayant même toujours eu du dégoût pour elle, j’ai oublié de dire pourquoi nous allions au Mexique ; c’était éternellement la vieille histoire : des réclamations timidement présentées, repoussées ; des forces insuffisantes pour agir, ne faisant qu’ajouter à l’insolence des adversaires, et alors nécessité d’envoyer une expédition considérable et coûteuse pour en finir. Une vingtaine de navires de guerre, dont quatre frégates et deux bombardes, allaient bientôt se trouvés réunis devant Vera Cruz avec quelques troupes de débarquement pour mettre le marché à la min du Gouvernement mexicain. En attendant, nous allions à La Havane, le commandement Lainé et moi, pour approvisionner, charger tout ce que nous pourrions porter à l’escadre, et aussi, m’avait dit personnellement l’amiral, tâcher, moi personnellement, de recueillir tous les plans et renseignements possibles sur les villes jadis espagnoles du littoral mexicain et la grande citadelle de Vera Cruz, le fort Saint-Jean d’Ullua. Rien ne m’allait comme cette course à La Havane, où nous mouillâmes quatre jours après, et dont j’avais emporté, sept mois auparavant, de si agréables souvenirs. Aussi, dès que j’eus fait et rendu les visites officielles, me précipitai-je au théâtre Tacon où, dans une loge d’avant-scène que je connaissais bien, j’aperçus la charmante femme qui, à mon premier passage, avait si gentiment commencé mon éducation de fumeur.

Les plus mauvaises nouvelles nous arrivèrent du Mexique. Pendant que l’amiral Baudin s’y rendait en quelque sorte à marches forcées, les navires qui nous y avaient précédés avaient peu à peu abandonné le blocus. La frégate l’Herminie était partie pour la France, qu’elle ne devait pas atteindre. Elle fit naufrage aux Bermudes. L’Iphigénie, toujours commandée par le capitaine de Parseval, avait dû s’éloigner à son tour, n’ayant plus qu’un débris d’équipage, la fièvre jaune, qui sévissait avec violence, ayant fait à son bord les plus grands ravages. Que de bons amis dont j’appris la mort ! Il ne restait au commandant Parseval qu’un officier, Kerjégu, qui fut plus tard mon collègue à l’Assemblée nationale, et un aspirant, Sauvan, pour l’aider à transporter sa frégate. Un ouragan était survenu aussi, qui avait causé les plus graves avaries à nos croiseurs. J’en vis arriver deux, l’Eclipse, commandant Jame de Bellecroix, et le Laurier, capitaine Duquesne, qui avaient démâté dans la tempête et s’étaient arrangé une mâture de fortune, à l’aide de laquelle ils avaient réussi à se traîner au port. Toutes les voiles emportées, livrées sans défense à l’ouragan, le capitaine du Laurier, Duquesne, et le second, Mazères, s’étaient attachés sur le pont, après avoir enfermé l’équipage en bas. La violence du vent coucha complètement le navire sur le flanc, si bien que le lieutenant Mazères, emporté par une lame, se rattrapa à la grand-hune et parvint à regagner le pont. Un instant après, la fureur de la mer brisa les deux mâts du brick et le sauva en lui permettant de se redresser.

Laissant tous ces éclopés se raccommoder comme ils pourraient, le commandant Lainé mit à la voile avec sa frégate et m’ordonna de le suivre. Après une rapide traversée, nous sommes à Sacrificios, l’ancrage le plus rapproché de Vera Cruz. Nous y apprenons que le commandant de la Médée, M. Leray, est en mission à Mexico. Puis l’amiral s’en va lui-même à Xalapa, pour y conférer avec les ministres mexicains. Pendant ce temps, la routine du blocus continue, agrémentée par des privations de toute sorte, la ration d’eau, la fièvre jaune. L’eau nous est apportée de La Havane ; elle vient dans des barriques d’eau d’où elle est quelquefois noire et infecte. La fièvre jaune se promène. Un soir, j’étais resté à pêcher le long du bord jusqu’à onze heures, avec un aspirant de première classe, robuste, bien portant, qui avait été mon élève de quart sur la Didon. Il avait l’esprit frappé de certains pressentiments. J’essayais de le remonter, sans y réussir. A six heures du matin, le terrible vomito l’avait emporté ! Pauvre Gouin ! Je l’aimais bien. Nous l’enterrâmes sur l’îlot de Sacrificios, ce sinistre cimetière que les zouaves baptisèrent plus tard : le Jardin d’Acclimatation.

Peu d’incidents pour varier la monotonie de ces semaines d’attente. Un jour où j’étais allé dans mon canot des sondages très près de terre, le long de la côte qui s’étend de Vera Cruz à Anton Lizardo, je vis arriver au galop à travers les dunes un escadron de lanciers mexicains en grands chapeaux blancs, semblables à un escadron de picadors de places de taureaux. Ces hommes allaient peut-être nous envoyer des coups de carabine, et nous étions sans arme pour riposter, aussi m’avisais-je d’un expédient qui réussit. Au lieu de fuir à force de rames, j’ordonnai à mes canotiers de rester immobiles sur leurs avirons, pendant qu’avec l’aide de deux hommes je faisais le simulacre de mettre péniblement en batterie, de charger et pointer une lourde pièce d’artillerie qui n’était autre qu’une longue-vue à gros objectif dont j’étais pourvu. L’effet fut électrique ; nous vîmes l’escadron mexicain détaler ventre à terre dans toutes les directions, à la joie de mes canotiers. Une nuit, autre aventure. L’amiral m’envoya faire avec MM. Desfossés, Doret et deux officiers du génie, le commandant Mangin-Lecreux et le capitaine Chauchard, une reconnaissance assez originale. Pour comprendre la nature de cette reconnaissance, il faut savoir que le fort Saint-Jean d’Ullua est assis sur un grand récif, séparé de la Vera Cruz par un étroit bras de mer. Bâti sur le bord de ce récif qui regarde la ville, ses murailles, où sont scellés d’énormes anneaux pour l’ancrage des grands navires, descendent à pic dans la mer. De l’autre côté, un glacis plonge dans une espèce de grand lac, formé de deux bras de récifs à fleur d’eau qui s’étendent très loin au large. L’amiral voulait savoir si cette espèce de lac intérieur avait un fond uni, s’il était guéable et si, en cas de besoin, on pouvait atteindre le glacis des murailles du fort, lorsque le canon les auraient éventrées.

Donc nous partîmes une belle nuit, gagnâmes la ceinture des récifs loin du fort, y débarquâmes, et marchant dans l’eau que nous avions, dès le début, à mi-cuisse, nous nous dirigeâmes vers le fort en sondant devant nous avec de gros bâtons. Partout nous trouvâmes à peu près la même profondeur et un fond de sable recouvert d’herbes courtes. Sans doute la mer avait à la longue lancé tout ce sable par-dessus la chaîne des coraux, et les courants l’avaient nivelé. Après une longue et fatigante marche dans l’eau, qui nous obligeait à souffler de temps en temps, et où nous disions tout bas comme dans cette gravure où Raffet a représenté une reconnaissance analogue : « Il est défendu de fumer, mais vous pouvez vous asseoir », nous arrivâmes presque au glacis, entendant près de nous le cri des sentinelles : « Alerta ! » Le commandant Mangin, qui tenait à toucher de la main le glacis, était en avant de nous de quelques pas lorsqu’une clameur éclata dans le fort, tout s’illumina, et en un clin d’œil nous vîmes paraître sur la crête des glacis une cinquantaine de soldats, dont les fusils étincelaient. Ils descendirent à toute course, et se précipitèrent dans l’eau à notre poursuite. Naturellement nous détalâmes aussi rapidement que nous pûmes. Pendant quelques instants, ce fut une véritable lutte de vitesse, et le commandant Mangin fut au moment d’être pris. Les hostilités, bien qu’imminentes, n’étaient pas commencées ; les soldats ne tirent pas et se lassèrent de nous poursuivre. Nous rentrâmes sans autre incident que le passage entre nos jambes de gros poissons dont la mer phosphorescente révélait tous les mouvements. Etait-ce des requins, très nombreux dans les parages ?

L’amiral savait ce qu’il voulait savoir.

Peu de jours après, la danse commença. L’amiral embossa les trois frégates
Néréide, Gloire, Iphigénie, celle-ci revenue de La Havane, avec un équipage complété par celui du brick de Duquesne, et les deux bombardes, et attaqua le fort. Je lui avais demandé à être de la fête et, à ma grande douleur, il avait refusé, trouvant mon bateau trop petit, trop insignifiant. « Je ne peux pas vous admettre, j’ai laissé aussi de côté la Médée, une frégate, dont je trouve l’artillerie insuffisante. » Il m’envoya en observation juger le tir des bombardes et le faire rectifier au besoin.

Avant l’ouverture du feu, survint un incident qui me mit directement en cause. L’attaque étant imminente, les navires qui se trouvaient à l’ancre ou amarrés sous le fort s’empressèrent de partir, et ils vinrent passer tout près de mon poste d’observation. A ce moment l’amiral m’adressa ce signal : « Le bâtiment en vue paraissant suspect, ordre de l’arrêter. » Evidemment à travers l’ambiguïté des formules des signaux, c’était l’ordre de saisir un ou plusieurs des bâtiments qui sortaient du port. Il y en avait quatre, à savoir : un belge, frété par l’amiral, pour recueillir les sujets français habitant Vera Cruz, qui se sentiraient menacés. Ce ne pouvait être ce navire-là. Ensuite un bâtiment américain, quasi bâtiment de guerre, portant flamme et canons, ce qu’on appelle un revenue schooner. Troisièmement le paquebot anglais Express, portant lui aussi flamme et canons, commandé par un lieutenant de la marine anglaise et inscrit comme navire de guerre sur la Navy-list. Dans mon esprit, cela ne pouvait être aucun de ces deux-là. Restait un navire hambourgeois, auquel j’ordonnai d’aller mouiller sous le canon de la corvette la Naïade. Mais à cet instant arriva un canot de la Néréide avec un lieutenant de vaisseau qui me cria : « L’amiral vous ordonne de prendre leurs pilotes mexicains, à tous les navires qui sortent du port. — S’agit-il du paquebot anglais, demandais-je ? — L’amiral ne s’est pas expliqué, mais il a dit tous les pilotes. »
Bien qu’en face des susceptibilités anglaises, l’enlèvement d’un homme à bord d’un navire de guerre me parut grave, je n’avais plus qu’à agir. L’
Express m’avait passé à la poupe et j’avais échangé un salut amical avec son capitaine, le lieutenant Cooke, que je connaissais. Il était déjà loin. Je mis le pavillon anglais à tête de mât en l’appuyant d’un coup de canon. Il s’arrêta, attendit le canot et l’officier que je lui envoyai, et le dialogue suivant s’engagea. Mon officier : « J’ai ordre de vous demander votre pilote. » Le lieutenant Cooke : « J’en ai besoin pour me rendre à Sacrificios. — Ce n’est pas une simple demande que je vous adresse. — Si je ne vous le livre pas, est-ce que vous le prendrez ? — Nous espérons que vous nous le donnerez de bonne grâce, sans avoir recours aux moyens violents. — That’s very well, sir ! » accompagné d’une poignée de main qui termina l’entretien, une fois que le commandant anglais eut mis sa responsabilité à couvert ; et le pilote passa dans mon canot, où l’amiral l’envoya immédiatement prendre. Le revenue schooner américain livra le sien sans difficulté, mais en mettant à la charge de l’amiral les accidents qui pourraient survenir à son navire faute de pilote.
J’ai raconté avec détails cet incident du pilote de l’Express, parce qu’il fut cause d’une violente discussion dans le Parlement anglais, où je fus pris à partie personnellement et rendu responsable de cet attentat international.


Mais l’amiral fait signal d’ouvrir le feu, et la canonnade s’engage. En un instant la fumée m’enveloppe. Non seulement je n’y vois plus pour observer le tir, mais je n’y vois plus pour me conduire ; la sonde donne de très petits fonds, et je vois monter à la surface la vase que je remue avec ma quille. Impossible de rester en pareille situation. Je me couvre de voiles, et, sortant de la fumée, je redemande par signal la permission de prendre part au combat. Il s’attendrit et répond par le bienheureux : « Oui ! » Je prolonge alors la ligne des frégates chaudement engagées, l’Iphigénie surtout. A chaque instant je voyais voler en l’air les éclats de bois projetés par les boulets qui la frappaient. Elle en reçut cent huit dans sa coque, sans compter la mâture ; le mât de misaine seul en eut huit ; c’est miracle que tout ne tombât pas. Ce brave Parseval se promenait sur sa dunette, se frottant les mains quand un coup portait près de lui. C’était vraiment beau à voir. Nous échangeâmes un salut de la main, et j’allai me poster au bout de la ligne des frégates, où je restai sous voiles, allant et venant en faisant aussi mon petit tapage.

Le fort en voyait de dures. Plusieurs explosions s’étaient déjà produites ; l’idée me vint de faire charger toute ma batterie à obus et de faire diriger son tir contre une espèce de tour, appelée en fortification un cavalier, dont le feu était particulièrement vif. J’avais d’excellents canonniers, mais de mon poste de commandement la fumée m’empêchait de voir où portaient les coups. Mon second, placé à l’avant, pouvait mieux en juger. Au premier coup : « Bon ! dans le cavalier ! », me crie-t-il. Deuxième coup : « Dans le cavalier ! » Troisième coup : « Dans le cavalier ! » Quatrième coup ?? Mais on ne voit plus rien : un immense nuage de fumée, blanche en haut, noire au-dessus, s’élève du fort et monte lentement à grande hauteur. Quand cette fumée, poussée par le vent, s’écarte un peu, il n’y a plus de cavalier, tout a sauté en l’air : mon équipage pousse un cri de joie et un de mes chefs de pièce exécute un brillant rigodon. Sont-ce mes obus ? Sont-ce les bombes des bombardes qui ont fait le coup ? Pas un de mes braves créoles n’admet le plus léger doute là-dessus. Que chacun garde son opinion !

Le feu se ralentissant, j’allais prendre les ordres de l’amiral. Dans la nuit, le fort se rendit ; la garnison, forte de deux mille hommes, évacua la place, et une convention fut conclue avec le général commandant Vera Cruz pour s’abstenir de part et d’autre de nouveaux actes d’hostilité. Puis nous occupâmes le fort, et l’amiral me donna ordre d’amarrer la Créole sous ses murs et d'amariner les bâtiments de la marine mexicaine qui s’y trouvaient, de concert avec le comte de Gourdon, commandant le Cuirassier. Sauf une jolie corvette appelée l’Iguala, qui a pris place dans notre marine, ces prises ne valaient pas grand chose. Le malheureux était dans une condition épouvantable. Les boulets, les bombes, les explosions avaient tout bouleversé. Nombre de cadavres partout ensevelis sous les débris répandaient une odeur infecte. Là où le combat n’avait pas fait son œuvre régnait une repoussante saleté, et tout cela sous un soleil équatorial et en pleine fièvre jaune. L’équipage de la Créole s’occupa aussitôt des travaux d’assainissement, de concert avec le détachement des sapeurs du génie qui faisaient partie de l’expédition. Nous relevâmes et trainâmes au large les cadavres, et il y eut là des actes de dévouement très méritoires, publiquement appréciés du reste par l’amiral."

Si monsieur le duc de Raguse le permet, je conterai la suite : l'amiral Baudin a été contraint de faire face à l'opposition armée du général Santa-Anna et a dû, avant de revenir en France, recueillir les ressortissants français et attaquer Veracruz...

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Message Publié : 23 Déc 2009 11:22 
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Jean Froissart
Jean Froissart

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Le prince de Joinville raconte ensuite qu'avant de recevoir l'ordre de l'amiral Baudin de rembarquer, il participa, conjointement avec une partie des équipages et des compagnies d'artillerie, à un débarquement à terre. L'amiral ordonna de museler les défenses de Veracruz, en enclouant les canons et en faisant sauter les ouvrages de défense de la ville :

M. Desfossés, mon aide de camp, avait, à tout événement, rédigé un petit code de signaux, se faisant au moyen de chemises de couleur avec la maison de notre consul à Vera Cruz. A peine cinq jours étaient-ils écoulés depuis la prise du fort que ces signaux nous apprirent tout à coup que les Français couraient de graves dangers en ville. Nous envoyâmes immédiatement nos embarcations au môle, où se pressait une foule éperdue d’hommes, de femmes, d’enfants, que nous recueillîmes et transportâmes au fort. Notre consul nous informa en même temps que Santa-Anna, nommé généralissime, venait d’arriver avec des troupes, qu’il avait déclaré la convention nulle, etc, etc, et qu’il fallait s’attendre à tout. Avis en fut immédiatement transmis à l’amiral, qui était avec l’escadre assez loin, au mouillage de l’île Verte. Il faisait beau heureusement, car sans cela toute communication eut été impossible. L’amiral vint de sa personne le soir même, et s’installa à bord de la Créole. Avec sa résolution habituelle, il avait de suite pris son parti de devancer l’action de l’ennemi et de profiter de la surprise pour exécuter, avec les faibles moyens dont nous disposions, un coup de main de nature à mettre Vera Cruz et ses forts hors d’état de nuire, du moins pendant quelque temps. La nuit fut donc employée en préparatifs. Les embarcations de l’escadre arrivèrent successivement, amenant toutes les compagnies de débarquement, faisant avec les trois compagnies d’artillerie, qui occupaient le fort, environ onze cents hommes.

Entre quatre et cinq heures du matin, par un brouillard épais, on se mit en marche. La moitié des compagnies de débarquement, sous les ordres du commandant Parseval, devait escalader avec des échelles le fortin de gauche de la ville, puis parcourir les remparts en enclouant l’artillerie et détruisant tout ce qu’on trouverait. L’autre moitié, sous les ordres du commandant Lainé, devait faire la même besogne à droite. Enfin une troisième colonne au centre devait débarquer sur le môle, faire sauter la porte de la marine et se diriger sur le quartier général de Santa-Anna, pour essayer de s’emparer de sa personne. Ma compagnie, de soixante hommes environ, faisait l’avant-garde de cette dernière colonne, dont les compagnies d’artillerie de marine faisaient le gros.

Nous voilà partis, les avirons garnis de fourrure pour amortir le bruit. Une lueur de crépuscule éclaire à peine, et nous nous écarquillons les yeux dans la brume pour apercevoir le môle ; la grande porte de la ville est fermée ; il n’y a pas de sentinelle extérieure, tout dort. Nous débarquons dans un profond silence, et la colonne se forme. Les sapeurs courent en avant, posent le sac à poudre, une table inclinée qui sert de masque, puis un sergent de mineurs allume la mèche et se colle dans un ressaut de la muraille. Pan ! le masque du pétard nous rase la tête, un des battants de la porte est à terre ; au même moment la fusillade éclate du côté de la colonne Parseval. « En avant et vive le Roi ! » Nous apercevons le poste de la porte qui se sauve et se perd dans le brouillard. Pas un chat dans les rues ; le bruit de la fusillade a fait rentrer quiconque était dehors. Conduits par un guide, nous prenons au pas de gymnastique une rue qui nous conduit à la porte de Mexico, où le brouillard se lève un peu. Quelques coups de fusils et de baïonnette nous débarrassent du poste de la porte. En ce moment arrive, ventre à terre de l’intérieur de la ville, une calèche attelée de six mules, avec des postillons pittoresques en grands chapeaux. C’est la calèche ayant amené Santa-Anna, qui essaye de gagner la campagne. On fait tomber deux ou trois mules, mais la calèche est vide.

Nous recevons alors une forte décharge de mousqueterie d’environ cent cinquante soldats, qui disparaissent aussitôt dans une rue latérale. C’est la grand-garde du quartier général. Nous courons après elle, et nous arrivons à temps pour voir les derniers d’entre eux pénétrer dans une grande maison que mon guide me dit être l’Hôtel du Gouvernement militaire. Une vaste cour entourée de galeries ; au-dessus, un premier étage d’arcades garnies de pots de fleurs et de plantes grimpantes, tel est l’aspect qui se présente à nos yeux en entrant. Une vive fusillade part immédiatement du premier étage dès que nous paraissons dans la cour. Il n’y a pas à hésiter, il faut monter là-haut pour mettre ces gens à la raison. Un escalier étroit est le chemin à suivre. Eh bien ! chacun doit confesser ses faiblesses. Quand je vis cet escalier où je devais monter le premier, pour arriver là-haut et y recevoir tout seul la première décharge, j’eus une seconde d’hésitation et je m’écriais en agitant mon sabre : « Les hommes de bonne volonté en avant ! » Mon fourrier, un Parisien, se précipita alors sur l’escalier, et sa vue me rendant aussitôt au sentiment de mon devoir, je me précipitai à mon tour ; nous luttâmes d’enjambées et j’eus la satisfaction d’arriver en haut bon premier, suivi du reste par toute ma compagnie. Et ce ne fut pas si terrible !

D’abord, nous nous trouvâmes dans une espèce de vestibule, recevant par les fenêtres et à travers les portes des coups de fusil mal dirigés, qui blessèrent seulement deux officiers. Puis chacun travaillant pour son compte, je me jetai avec un second maître, nommé Jadot, contre une porte que nous défonçâmes à coups d’épaule. Quand elle céda, je fus projeté en avant par mes hommes, qui se pressaient derrière moi, et lancé dans une salle pleine de fumée et de soldats mexicains. L’un d’eux, en uniforme blanc à épaulettes rouges, dont je vois encore les cheveux indiens plats et l’œil mauvais, me tenait en joue et me mit le canon de son fusil presque sur la figure. J’eus le temps de dire : « Je suis f... ! » Mais non ! le coup ne partit pas, le fusil me tomba sur le pied, et je vis mon homme rouler sous un canapé, emportant avec lui, tordu entre ses côtes, le sabre que mon lieutenant Penaud, prompt comme l’éclair, lui avait passé à travers le corps. Je crois que je me défis ensuite moi-même d’un autre grand diable ; puis l’élan étant donné, tout fut culbuté, et je me trouvai dans une autre salle au fond de laquelle je vis plusieurs officiers, dont un général, debout, le sabre au fourreau, très calmes. Je me précipitai en avant avec maître Jadot pour les protéger contre mes hommes un peu excités, et la lutte cessa. Le général, un grand blond, beau garçon, s’appelait Arista, et il est devenu plus tard président de la République mexicaine. Il me rendit son sabre et je le fis conduire en bas, le laissant aux mains du commandant d’artillerie Colombel, qui l’envoya au fort. Quant à Santa-Anna, nous ne le trouvâmes plus, son lit était encore chaud ; nous prîmes ses épaulettes, sa canne de commandement, et maître Jadot, qui avait perdu son chapeau de paille dans la bagarre, se coiffa de son chapeau ferré. Je me hâtai de quitter cette maison, qui était pleine de sang et où la vue de deux malheureuses femmes qui avaient été tuées par la fusillade à travers les portes me faisait horreur.

Une fois dehors, je rencontrai le commandant Lainé qui arrivait par le rempart, accomplissant sa tâche de destruction ; il m’engagea à me diriger, avec ma compagnie, vers un point de la ville où la colonne Parseval faisait un feu nourri, en donnant un coup d’œil aux églises dont les tours étaient, disait-on, armées de canon. Je me mis en devoir d’exécuter cette véritable course au clocher, et arrivai devant un grand édifice, d’où l’on tira sur nous. Nous y entrâmes ; c’était l’hôpital ; il y eut encore une pétarade dans une grande salle du rez-de-chaussée, pleine de malades qui se tenaient debout sur leurs lits où ils se jetaient à genoux, en disant « Gracia ! », à peine couverts de couvertures rouges. C’était hideux ; tous ces malheureux étaient plus ou moins atteints du vomito. Entrés par une porte, nous nous hâtâmes de sortir par l’autre et tombâmes enfin dans une longue rue droite, au bout de laquelle on apercevait une grande maison dont les fenêtres crépitaient de mousqueterie, comme une grande pièce de feu d’artifice. Cette vaste et solide maison, à cheval sur le rempart, avec portes sur la ville et portes sur la campagne, s’appelait la caserne de la Merced. Pleine de troupes et recevant sans cesse des renforts du dehors, elle arrêtait depuis le matin la colonne Parseval et allait bientôt arrêter la colonne Lainé. Une grande porte faisait face à la rue par laquelle nous arrivions. Cette porte était, bien entendu, fermée ; nous amenâmes dans son axe une pièce d’artillerie et lui envoyâmes un obus. Dans la fumée du coup de canon mêlée à l’espèce de brouillard qui régnait encore, nous crûmes la porte renversée, et nous nous précipitâmes en avant, mais en approchant nous découvrîmes que la maudite porte était intacte, et nous dûmes nous rejeter à l’abri dans les rues latérales, car, en un instant, toute notre tête de colonne, dont six ou sept officiers, était tuée ou blessée. Nous nous mîmes alors, sapeurs, artilleurs, marins, à pousser une barricade en travers de la rue pour y mettre en batterie du canon et abattre pour de bon la porte avant de recommencer l’attaque. Mais sur ces entrefaites l’amiral arriva et les grands chefs conférèrent avec lui. Considérant que la moitié des équipages était à terre, que le moindre changement de temps pouvait les empêcher de se rembarquer, considérant que le but que se proposait l’amiral était atteint, ordre fut donné de se rembarquer. Le retour se fit sans difficulté, hors le dernier moment, quand il ne restait plus sur le môle que l’amiral et quelques officiers. On entendit alors en ville un grand nombre d’acclamations et d’instruments guerriers. C’était Santa-Anna qui arrivait pour jeter les Français à la mer. Il déboucha, à cheval, sur le môle, à la tête de ses hommes. Mais les chaloupes des frégates restées de chaque côté du môle tirèrent à mitraille sur la tête de colonne et jetèrent tout par terre, Santa-Anna et le reste. Quelques fanatiques coururent néanmoins jusqu’au bout du môle, pour fusiller l’amiral à bout portant, et il courut là un grand danger. Son patron et l’élève de corvée Halna Dufrétay (mort amiral et sénateur) le couvrirent de leurs corps et furent grièvement blessés. Son secrétaire, qui l’accompagnait avec un fusil à deux coups, fit coup double sur deux Mexicains. Là aussi fut tué un grand ami à moi, un jeune homme charmant et plein d’avenir, Chaptal, élève de première classe. Sachant combien je lui étais attaché, on me remit comme souvenir ses aiguillettes que j’envoyai à sa famille. Rentré à bord de la Créole, où je rapportai deux de mes aspirants grièvement blessés, Magnier de Maisonneuve et Gervais, l’amiral me donna l’ordre d’envoyer de cinq minutes en cinq minutes un obus à la caserne de la Merced. Ainsi se termina pour moi la journée où je permis ma virginité de soldat. L’action militaire de la campagne était finie, le fort de Saint-Jean d’Ullua restait entre nos mains comme garantie. A la diplomatie d’achever l’œuvre.

La fin du chapitre V des Vieux Souvenirs raconte le retour à Brest du prince. Elle est de style littéraire aussi pittoresque que précédemment ; mais elle est hors sujet. Il a fallu attendre 1839 pour que la France libère la citadelle de San Juan de Ullua, d'après l'article Wikipédia cité précédemment. Je regarderai aussi le chapitre VI (1839) des Vieux Souvenirs pour voir si le prince de Joinville parle des suites de cette affaire glorieuse.

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